Un Nématode imaginaire pourvu de pattes, un être fantastique qu'a inspiré la méiofaune (les animaux marins microscopiques vivant entre les grains de sable) à Dominick Verschelde, mais qui représente une forme fossile fictive que rêvent de découvrir les chercheurs obnubilés par les analyses moléculaires, laquelle leur permettrait d'établir de manière plus probante leur postulat d'un chaînon manquant entre les vers nématodes et les animaux dotés de pattes à jointure externe comme les mille-pattes, comme expliqué dans cette seconde partie.
LA CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE DU VIVANT, INCONTESTÉE MAIS CONTESTABLE
2de PARTIE :
Quand la science recourt au bricolage
À présent que le lecteur s’est familiarisé avec un regard critique sur la classification du règne animal fondée sur la biologie moléculaire dans la première partie, "L'hippopotame est-il une baleine comme les autres ?" (1), on se propose dans cette seconde partie de l’entraîner plus avant sur le sujet, en démontant de manière plus approfondie les approximations de la méthode au travers de quelques exemples évocateurs, selon la logique d’un raisonnement que chaque lecteur même non averti devrait pouvoir être en mesure de suivre s’il veut bien accorder l’attention nécessaire au sujet.
Une
méthode dont la dite rigueur n’exclue pas les approximations
On
a précédemment vu que la biologie moléculaire qui se veut si rigoureuse et
exacte aboutit à des résultats qui contredisent fréquemment les
données rassemblées jusque-là par des méthodes plus classiques,
et notamment que leurs résultats ne sont pas en phase avec la
chronologie de la vie passée telle qu’établie avec une certaine
constance et cohérence par les géologues comme par les
paléontologues et qu’ils sont même nettement infirmés par les registres
fossiles.
Cette
approche nouvelle qui produit d’ailleurs souvent des résultats
dissemblables en fonction des différentes études et des méthodes
pratiquées produit aussi des regroupements tout à fait discutables.
Ainsi,
les fourmiliers, les paresseux et les tatous sont traditionnellement
rassemblés en dépit de l’hétérogénéité de leurs attributs
dans l’ordre des Xénarthes, considérés comme membres d’une
même lignée s’étant rapidement détachée du tronc des autres
mammifères placentaires et ayant évolué uniquement en Amérique du Sud. La biologie moléculaire entérine
habituellement cette singularité en en faisant un des rameaux de la
classe des Mammifères, cependant, une étude de biologie moléculaire
conduite par l’équipe d’Halliday considère que le tatou doit
être inclus dans les Afrothères, des Mammifères africains évoqués dans la première partie
de cet article, au côté de l’éléphant et du hérisson. Ces
renversements complets empêchent d’avoir une vision claire de la
différenciation des groupes de Mammifères.
La
méthode, aussi contestable qu’elle soit, peut parfois pêcher en
elle-même par un certain manque de rigueur. Xenoturbella est
une créature marine vivant en eau profonde qui ne se distingue à
priori guère d’autres vers plats dépourvus de tube digestif – absence que les biologistes moléculaires affirment à présent
être un caractère dérivé et non originel. Des études
moléculaires ont estimé qu’il était susceptible d’être
rattaché à la base du rameau des Deutérostomiens (ceux dont
l’orifice anal se forme dans l’embryon avant la bouche) qui mène
à l’homme et comporte aussi les Échinodermes rassemblant oursins
et "étoiles de mer" et les "vers à gland"
(Entéropneustes) – voir l’article "Nos précieux cousins
des profondeurs". À la différence des différentes
analyses moléculaires plaçant Xenoturbella à l’origine de
notre branche évolutive ou bien de la conception plus classique
comme relique vivante des toutes premières formes composées de
trois couches de cellules qui incluent l’ensemble des animaux
modernes, une étude avait postulé que cette créature était un
mollusque dégénéré, comme il en existe parmi les Gastéropodes, notamment ceux de la faune interstitielle qui vit entre les grains de
sable et sont souvent simplifiés à l’extrême. L’examen
moléculaire établissait plus précisément que les caractéristiques
examinées concluaient à considérer Xenoturbella comme un
Lamellibranche très modifié qui aurait à l’issue du stade
larvaire planctonique conservé sa mobilité et aurait opté pour la
mobilité sur le substrat marin – il est vrai qu’il existe
effectivement quelques coquillages bivalves qui ont une coquille très
réduite comme le taret perforateur de bois et même quelques formes
assez atypiques pour en être totalement dépourvues. Cependant, il
apparaît que les échantillons analysés, qui se rapportaient
effectivement à des mollusques bivalves, émanaient selon toute
vraisemblance non du ver plat lui-même mais de ses proies dont ces
mollusques constituent en effet un mets de prédilection et dont il
avait par conséquent absorbé les constituants. La même méprise s'est produite avec un groupe de parasites dont il sera question plus loin, les Myxozoaires, dont l'analyse de tissus contaminés par les microrganismes avaient conduit à leur attribuer certains gènes provenant en fait de leurs hôtes, le Bryozoaire d'eau douce Cristatella et le grand brochet. Cette focalisation
sur l’infiniment petit indique que quand la partie exclue le tout,
l’accessoire peut finir par occulter l’essentiel.
Xenoturbella, un ver plat rudimentaire qui intéresse beaucoup les taxonomistes.
Les crabes apparentés à des vers intestinaux ?
Un
des bouleversements majeurs de la classification des animaux sur la
base moléculaire concerne la distribution en grands groupes.
Traditionnellement, les animaux "modernes" pourvus de trois
couches de cellules (par opposition aux plus primitifs tels que
méduses et anémones de mer) sont distribués en trois groupes
principaux autour desquels sont associé des phylums mineurs, selon
la présence d’une cavité générale dénommée "cœlome".
Ceux qui en sont dépourvus sont dit Acœlomates, il s’agit des
vers plats (Plathelminthes) comme les planaires, les douves et les
ténias. Les Cœlomates regroupent eux les animaux les plus complexes
tels que les Mollusques, les Arthropodes à pattes articulées comme
les Insectes et les Vertébrés comme l’Homme, chez lesquels une
cavité générale se forme au sein de la couche moyenne de cellules
dite mésoderme, remplie de liquide baignant les organes ancrés
solidairement dans un ensemble cohérent. Une troisième catégorie
englobe les Pseudocœlomates, chez lesquels existe une cavité plus
rudimentaire héritée de la cavité originelle de l’embryon dans
ses tous premiers stades (le blastocœle de la phase dite blastula)
partiellement bornée par le mésoderme, le pseudocœlome, dans
laquelle se trouvent présents des organes disposés isolément, avec
un niveau d’organisation moindre ; leurs principaux
représentants sont les Nématodes, un groupe important d’animaux
vermiformes généralement de petite taille comme l’anguillule du
vinaigre et qui comporte aussi un certain nombre d’espèces
parasitant l’homme comme l’ascaris, l’oxyure, l’ankylostome,
la trichine et la filaire de Médine.
La
classification actuelle est devenue inintelligible pour tout
zoologiste classique ; ainsi, les vers rubanés (Némertiens)
dépourvus de cavité générale, considérés comme les plus
primitifs des animaux dotés d’un tube digestif complet comportant
une bouche et un pôle excréteur principal à l’autre extrémité,
qui voisinaient jusque-là avec les vers plats, se trouvent
dorénavant selon la promulgation de la biologie moléculaire assignés avec les Mollusques et les vers annelés dans l’ensemble nouveau
des "Lophotrochozoaires" – d’après le nom de la
larve trochophore qu’on retrouve chez certaines espèces marines de
Mollusques et de vers annelés (Annélides). Les Rotifères, petits
animaux des mousses dotés de deux couronnes ciliées buccales, qui
sont pourvus d’un pseudocoelome, sont dorénavant associés aux
vers plats. Au sein de ces redistributions sauvages, on relève tout
particulièrement le regroupement sous le nom imprononçable
d’"Ecdysozoaires" des Arthropodes (insectes, araignées,
scorpions, crustacés, mille-pattes, etc.) avec les Nématodes comme
l’ascaris. Certaines similitudes au niveau de la première phase de
multiplication des cellules dans l’œuf, dite en spirale, ont été
avancées, mais le point principal mis en avant pour rassembler ces formes
fort dissemblables est la couche de chitine qui recouvre leur corps
et dont ils s’affranchissent sous forme de mue au cours de leur
croissance, même si la cuticule transparente de l’Ascaris
est sans commune mesure avec l’épaisse carapace des crabes et
homards. La ressemblance paraît cependant accessoire, faisant fi
d’autres critères autrement plus significatifs et notamment, en
matière de développement justement, la présence d’un
pseudocœlome qui paraît fort distinct de la cavité des autres
animaux chez les Nématodes et groupes jusque-là apparentés comme
les minuscules Rotifères des mousses et des eaux douces déjà
évoqués, de même que la division du corps qui est absente chez les Nématodes chez lesquels il n’existe même pas réellement de région céphalique distincte du reste. Les biologistes moléculaires ont par ailleurs avancé que
les "Ecdysozoaires" ancestraux étaient pourvus de pattes et
que ce caractère majeur aurait été perdu chez les Nématodes et
formes apparentées. La supposition paraît là aussi fort
audacieuse, d’autant que les Nématodes représentent un groupe
important qui comporte certes nombre de parasites d’animaux et
végétaux mais aussi de nombreuses espèces libres, souvent
microscopiques, vivant dans la mer, entre les grains de sable ou
encore dans la terre humide, dont les premiers sont selon toute
vraisemblance issus. Aussi, la simplification par effet du
parasitisme paraît discutable s’agissant d’un groupe distribué
dans les biotopes les plus divers, les ayant probablement colonisés
avant de se spécialiser pour certains dans le parasitisme, et aucune
trace de pattes ni embryonnaire ni fossile n’a jamais été mise en
évidence chez ces animaux. De plus, d’autres formes considérées
habituellement comme voisines, les microscopiques Gastrotriches ainsi
que les Acanthocéphales parasites, se trouvent quant à elles
rejetées du côté des Mollusques dans les Lophotrochozoaires,
compliquant encore la compréhension des pseudocoelomates.
Ce tableau synthétique fort discutable actuellement retenu pour la classification du règne animal place d'un côté les Nématodes rapprochés des animaux à pattes articulées, et de l'autre, les vers au corps annelé, séparés de ces derniers et considérés comme fortement apparentés aux Mollusques.
Chaînons manquants douteux de l'époque cambrienne
A
défaut de pouvoir trouver le moindre fondement quant à l’existence
des bien hypothétiques nématodes à pattes articulées, les
biologistes moléculaires ont cru pouvoir annexer certains fossiles
quelque peu problématiques du Cambrien. Le paléontologue Charles
Walcott fut le premier à mettre en évidence des fossiles d’une
faune remontant à la première époque du Cambrien, le début de
l’Ère paléozoïque au temps où les premiers animaux organisés
apparurent, en présentant une variété de formes qui allait se
réduire par la suite. Parmi les fossiles extraordinairement
préservés qu’il mit à jour en Colombie britannique figure ainsi
l’Opabinia, avec un corps ressemblant à celui d’une
crevette dépourvue de pattes, cinq yeux protubérants et une trompe
s’achevant par une pince pourvue de dents comme des aiguilles. Par
la suite, d’autres espèces devaient être identifiées comme
l’Anomalocaris ("étrange crevette"), premier
prédateur dominant, pourvu de deux mandibules préhensiles et d’une
bouche circulaire tranchante. Il a depuis été trouvé des restes de
pattes sur certaines des espèces apparentées comme Pamdbelurion ainsi que sur Diania (évoqué de manière plaisante dans l'article de janvier 2012) proche des Onychophores encore représentés
aujourd’hui par les péripates aux allures de chenille des forêts
humides, confirmant que certains des types disparus pourraient
effectivement s’apparenter aux premiers représentants des
Arthropodes. Cependant, ces fossiles n’indiquent pas
particulièrement d’affinités avec les Nématodes. D’aucuns ont
voulu rapprocher la bouche de certains de ces animaux à pattes
rudimentaires dénommés "Lobopodes" ("aux pieds
lobés") de celle des Pripauliens, un groupe ancien de vers
marins presque éteint depuis le Cambrien et vraisemblablement
apparentés aux Nématodes, mais le fait de posséder une bouche
évaginable sertie de dents n’est pas un signe de parenté
incontestable mais plutôt le fruit d'une adaptation fonctionnelle
analogue, comme entre les tentacules buccaux des Sipunculiens, un
groupe de vers marins non segmentés, et ceux des Holothuries ou
"concombres de mer" ; si Cuvier pensait que les
premiers étaient les ancêtres des seconds, il semble en fait que
ces derniers soient des oursins modifiés et que ceux qui ressemblent
le plus aux vers par la perte des ambulacres locomoteurs soient en
fait les plus éloignés des formes ancestrales. Quant à la
segmentation de la cuticule chez quelques Nématodes, elle n’est
que superficielle.
L'évolution supposée des "Ecdysozoaires" basée sur les analyses moléculaires, menant des "vers à pattes" (Onychophores), Pentastomides (reproduction d'une larve fossile du Cambrien, Boecklericambria) et Arthropodes aux Nématodes, figurés en haut à droite, en passant par les Priapuliens (genres du Cambrien à gauche) et les groupes voisins comme les Loricifères évoqués dans l'article "La vie animale sans oxygène est possible" (2), les Nématomorphes dont on voit une larve et les Kinorhynques, ici présentés comme proches des Tardigrades, en surévaluant l'importance de la cuticule articulée qui recouvre ces petits animaux vivant entre les grains de sable. Le tableau inclut aussi à droite un Anomalocaride de l'époque cambrienne, proche de la bifurcation qui mène (à gauche) vers les vers priapuliens et nématodes.
Reconstitution d'un Pambdelurion du Cambrien, dont l'allure générale et plus particulièrement l'étrange tête rappelle aux spectateurs de la série Buffy contre les vampires (Buffy the Vampire Slayer) le "petit Bézoar" et aux cinéphiles les extraterrestres de Shock Invader : not of This Earth conçus par un fils de Carlo Rambaldi.
Un anti-évolutionniste du XIXème siècle détiendrait-il la vérité ?
Georges Cuvier, virulent détracteur de l'évolution mais non moins esprit brillant.
Le
célèbre zoologiste et paléontologue français, Georges Cuvier,
avait par contre esquissé une piste intéressante, qui intéresse
les Arthropodes. Bien que ne croyant pas à la théorie de
l’évolution, il avait rapproché les animaux à pattes à jointure
externe des vers annelés en les englobant dans sa classe des
Articulés, y décelant une certaine proximité dans l’organisation,
un plan commun élaboré par le Créateur. Si le rapprochement de la
bouche de certains des parents éloignés des Arthropodes (encore que
celle d’Opabinia, d’Animalocaris et des Lobopodes
ont peu en commun pour un ensemble censé constitué un groupe
charnière menant des Nématodes-Priapuliens aux animaux à pattes
articulées) et la présence d’une cuticule paraissent des
similitudes accessoires, bien des caractéristiques rapprochent ces
derniers des vers annelés marins, dont sont dérivés les lombrics.
Chez les Polychètes comme la Néréis, on retrouve en effet
un grand nombre de traits communs, la segmentation du corps avec
chaque anneau dont l’anatomie est comparable à celle des autres
avec par exemple les néphridies, paire d’organes excréteurs, mais
également les parapodes des annélides marins qui préfigurent les
membres articulés de formes cambriennes comme Pambdelurion et
Kerygmachela, les yeux composés, les antennes, les pièces
masticatrices, voire les pièces cuticulaires chez certaines espèces
sous forme des écailles des Néréis, des Aphrodites ("taupes
de mer")… L’allure des espèces des différentes lignées
rassemblées sous l’appellation de Myriapodes qu’on désigne
familièrement comme les "mille-pattes" n’est pas sans
évoquer des Annélides marins qui se seraient adaptées à la vie
terrestre, mais ont retrouve aussi une morphologie similaire dans les
formes les plus primitives des autres classes d’Arthropodes. Les
Chélicérates auxquels appartiennent les Arachnides ont débuté par
des formes plus allongées comme les Euryptérides ou "scorpions
de mer" qui écumaient les océans au Silurien, et les mygales,
les plus primitives des araignées, conservent encore une trace de
segmentation de l’abdomen. On a découvert des formes primitives de
Crustacés qui sont de vrais fossiles vivants il y a quelques années,
d’abord les Céphalocarides en 1955, dont une paire de maxilles est
similaire aux appendices du thorax, semblant confirmer que les
pattes-mâchoires sont bien des membres qui se sont spécialisés,
puis les Rémipèdes rencontrés à partir de 1979 dans des cavernes
sous-marines de mers chaudes qui possèdent 32 segments identiques et
évoquent beaucoup des myriapodes, y compris leurs crochets
empoisonnés à la manière des scolopendres, et qui pourraient se
rapprocher quelque peu des Crustacés les plus ancestraux du Cambrien
comme Yohoia. Quant aux insectes, vraisemblablement descendants de Myriapodes, la
forme actuelle qui s’y apparente le plus au point qu’on l’a
souvent rangée en leur sein même s’il pourrait s’agir d’une
branche latérale, est le protoure, petit animal aveugle qui vit sous
terre et possède des pattes vestigiales sur les 3 premiers segments
de l’abdomen, témoignant que ses ancêtres devaient posséder des
paires supplémentaires. Les ordres d’insectes les plus achevés,
ceux qui terminent leur développement à l’extérieur de l’œuf
et qu’on appelle à métamorphose complète, possèdent des larves
évoquant les vers annelés comme celles des mouches, abeilles,
scarabées et les chenilles des papillons qui pour beaucoup ont des
appendices locomoteurs assez simples. Même si les Crustacés sont un
peu spécifiques en tant que "biramés", les formes les
plus primitives possédant une double rangée d’appendices, à
savoir les pattes et les rameaux branchiaux, tous ces éléments
paraissent composer un tableau assez convaincant de l’histoire du
groupe à partir d’ancêtres annélides, plutôt que de se figurer à l’inverse que les Nématodes en descendraient en abandonnant toutes les caractéristiques de leurs ancêtres, leurs appendices, leur organisation anatomique et leur plan de construction embryonnaire.
Quand
l’arbre s’emmêle les branches
La
modification de la position d’un groupe a dû passer beaucoup plus
inaperçue du public qui s’intéresse à la zoologie, celle des
Pentastomides ou Linguatulides ("en forme de langue",
d’après le représentant le plus connu, Linguatula serrata).
Ces parasites de poumons de Vertébrés terrestres, particulièrement
de reptiles (serpents) et de mammifères carnivores (le parasite qui
infecte une panthère dans le film Baby Blood, créé par
Benoît Lestang auquel on a rendu hommage suite à sa disparition,
semble s’y apparenter fortement) ont été récemment inclus dans
les Crustacés. Ces animaux ressemblent à des vers superficiellement
annelés, et leur bouche est entourée de quatre crochets – d’où
leur dénomination alternative faisant référence à "cinq
bouches", parfois portés par des protubérances chez les
Céphalobénides qui leur conférèrent une analogie avec des doigts.
Ces crochets ne sont pas un simple appareil fixateur comme chez
certains ténias mais représentent la forme résiduelle des membres
du stade larvaire, quatre courtes petites pattes terminées par des
crochets, qui rappellent celles des "ours d’eau" ou
Tardigrades, minuscules arpenteurs des mousses à la résistance
exceptionnelle et qui évoquent eux-mêmes une version minuscule et
raccourcie des péripates (Onychophores).
Le ver parasite du film Baby Blood (à gauche) qui s'extrait du corps explosé d'une panthère n'est pas sans évoquer les véritables Linguatulides ou Pentastomide qui parasitent les poumons des carnivores et dont on peut apercevoir les quatre crochets péribuccaux (à droite).
Larve de linguatulide du genre Subtriqueta ci-dessus à droite avec ses deux paires de pattes griffues et un fossile similaire du Cambrien (vu au microscope électronique et colorisé) du genre Boeckelcambria ; en dessous, gros plan sur la région antérieure de Sebekia, parasite de l'alligator, dont on perçoit nettement au microscope électronique les quatre crochets résiduels des pattes entourant la bouche.
Des crustacés modifiés ou des descendants des "ours d'eau" ?
Jusqu’à
présent, on considérait ces différentes formes dont les pattes annoncent celles
des chenilles comme un groupe relique des premières étapes de
l’évolution des Arthropodes, associant Tardigrades et
Onychophores aux Linguatulides pour former les Pararthropodes
("autour des Arthropodes"). La biologie moléculaire a
réassigné les formes parasites en en faisant une lignée de Crustacés, ce qui n’est
plus guère contesté par la science officielle, bien que cette
nouvelle affiliation paraisse fort douteuse. Il existe de nombreuses
espèces de Crustacés parasites, dont les affinités apparentes sont
souvent indiscernables chez la femelle adulte devenue une poche
incubatrice. On trouve ces formes hautement dérivées notamment au
sein de trois grandes lignées, chez les Acrothoraciques et les
Rhizocéphales comme la Sacculine, qui se rangent parmi les Cirripèdes – groupe dont le
représentant le plus connu est la balane, petit cône blanc des
coquilles de moules, chez de nombreux groupes de Copépodes (les
espèces plus typiques du groupe composent une bonne part du
plancton) et chez les Entonisciens et Cryptonisciens membres des Isopodes
auxquels appartiennent les cloportes et qui se rattachent aux
Crustacés supérieurs (Malacostracés). Aussi bizarres que soient ces
formes, y compris quelques Copépodes un peu analogues à des
Tardigrades, les Corallovexidés,
elles s’identifient indubitablement comme des crustacés au travers de
la forme larvaire initiale, le nauplius, avant de se différencier en
d’autres stades successifs chez certaines espèces, comme la larve zoé des
crabes et crevettes. Les naturalistes de l’ancien temps, même sans
adhérer au modèle de l’évolution, cherchaient des formes
transitoires entre les différentes espèces dans le grand
ensemble cohérent de la Création, et la lernée, parasite
vermiforme fixé aux branchies de poissons grâce à ses mâchoires
fusionnées en forme d’ancre, était ainsi perçue comme un chaînon
manquant entre les vers annelés et les Crustacés, jusqu’à ce
qu’on observe sa larve et qu’apparaisse alors incontestable qu’il
s’agissait d’un crustacé très modifié par l’adaptation à
son mode de vie, une forme spécialisée de Copépode. Or, les Pentastomides présentent comme indiqué
plus haut une larve à allure de tardigrade sans rapport
avec celles des espèces de Crustacés parasites, quelle
qu’en soit la lignée. Contrairement à la larve trochophore
observée chez les Annélides et Mollusques, la
configuration de la larve est cette fois considérée comme dépourvue
d’intérêt par nos classificateurs modernistes.
Mais
l’anatomie comparée des larves n’est pas le seul obstacle à
l’intégration des Linguatulides parmi les Crustacés. Ces derniers viennent du milieu marin, et on sait qu’au sein d’un groupe, les
formes les plus primitives parasitent les lignées les plus
anciennes, car ce sont celles qui sont apparues en premier. Ainsi,
chez les Cestodes globalement désignés sous le terme de ténias,
les ténias des poissons paraissent plus ancestraux que ceux des
mammifères qui ont développé un système fixateur de crochets et
ventouses sur la partie antérieure absents par exemple de la Ligule
des poissons qui tient d’un simple ruban. Or tous les Pentastomides
parasitent des Vertébrés terrestres, aucun adulte ne se rencontre
chez un poisson. Il arrive bien que des larves se fixent sur des
poissons, mais il s’agit là d’opportunisme, on en trouve aussi
de la sorte chez des insectes, cela ne fait pas partie d’un cycle
complexe établi comme celui de la douve du foie. Si les
Pentastomides descendaient de Crustacés, on en trouverait très certainement dans le corps de poissons en tant que parasites adultes habituels, ce qui n’est pas le
cas.
S’il
fallait un dernier élément pour achever de convaincre le lecteur,
des larves extraordinairement préservées de Pentastomides ont été
dégagées de sites remontant au Cambrien (voir photo plus haut), soit l’époque à
laquelle les grands plans d’organisation animale sont apparus. Les
premières formes de Vertébrés, elles, n’étaient encore qu’en
gestation, notamment représentées à l‘époque par de petits
animaux filtreurs allongés dotés d’un prototype de colonne
vertébrale comme le Pikaia, à la manière de l’actuel
lancelet ou Amphioxus. On ne peut que spéculer sur ce que
devenaient ces formes à l’issue de leur croissance, mais il est
ainsi évident que ces larves sont pratiquement inchangées depuis
plus de 500 millions d’années, soit bien avant qu’elles n’aient
eu la possibilité de vivre au détriment d’un Vertébré, même
marin et donc éventuellement de se modifier par adaptation de
manière consistante. Aussi, bien avant que ce groupe zoologique
mineur n’investisse les poumons des Vertébrés, leur larve était
déjà similaire à celle de leurs représentants actuels. Leur
spécificité et donc très ancienne et elles ont sûrement plus à
voir avec les Tardigrades et les Onychophores, qui étaient alors
marins, qu’avec les Crustacés. Avant la découverte de ces
remarquables fossiles, on eut pu encore à la rigueur se ranger du
côté des anciens zoologistes qui inclinaient à interpréter ces
parasites comme des Acariens très modifiés par le parasitisme
interne ; il est vrai qu’ils tiennent quelque peu de la "mite
des points noirs", le Demodex follicularum, qui à
l’instar du Sarcopte de la gale mais avec moins d’effets
néfastes, creusent de petites galeries dans l’épiderme de la
face, se nourrissant de matière sébacée juqu’à exploser – ils
ont perdu leur anus – et dont le corps segmenté s’est allongé au
point que les pattes ne sont plus que de petits appendices réduits à
l’avant du corps, laissant entrevoir la silhouette de ce
qu’auraient pu être les ancêtres de la Lingula serrata
avant que d’ autres espèces du groupes comme les Céphalobénides, Porocephalus et Armilifer ne deviennent encore davantage vermiformes. Si on porte à présent notre attention sur les Tardigrades précités, il est intéressant de relever qu'un fossile de ces animaux trouvé sur le site sibérien d'Orsten datant du Cambrien moyen a été interprété par ses découvreurs comme une espèce parasite. Cet animal n'est donc pas l'ancêtre des Linguatulides puisque ce dernier groupe existait déjà au Cambrien comme évoqué, mais que le plus ancien Tardigrade connu soit un parasite contrairement à l'immense majorité des représentants actuels est intéressant, car ce mode de vie conduit à un possible rapprochement avec les énigmatiques vers parasites, n'interdisant pas d'envisager qu'en des temps encore plus reculées, les deux lignées aient pu effectivement remonter à une souche commune, ajoutant aux similitudes morphologiques un indice écologique. En tout cas, à ce jour, toutes les indications
extérieures à la biologie moléculaire, soit embryologiques,
paléontologiques et éco-biologiques, plaident contre l’annexion
des Linguatulides aux Crustacés. Encore une fois, on fait fi de
toutes les concordances et observations pour se fier à une vision
mathématisée du vivant.
Le fossile de Tardigrade sibérien (colorisé) datant du milieu de l'époque cambrienne considéré comme une forme parasite.
Les créateurs du film Harbinger Down que ce site avait soutenu, conçu par les créateurs d'effets spéciaux Alec Gillis et Tom Woodruff dépités par la retouche numérique de leurs créatures de la préquelle de The Thing, avaient imaginé que les monstruosités modifiées génétiquement à la manière de celles de Leviathan qui sèment la terreur à bord d'un bâteau soient basées sur des Tardigrades. En haut à gauche, une maquette reproduisant fidèlement un de ces animaux, en dessous, un modèle créé pour le film avec la bouche à droite, en attente de se voir doté d'appendices. Ceux-là prendront une allure tentaculaire bien éloignée des petits membres courtauds et griffus qui les caractérisent, apparents sur la photo précédente. A droite, un des versions proposées lors de la conception du film, pourvue de membres articulés rappelant ceux des crustacés avec un tronc et une tête semblant inspirés de ceux d'un autre groupe d'animaux microscopiques vivant entre les grains de sable, les Kinorhynques, évoqués dans l'article d'octobre 2009, "La peoplisation du monde vivant"(3).
Une autre transcription d'un Tardigrade à l'écran proposée par la science-fiction, le "Ripper" qui apparaît dans la série télévisée Star Trek Discovery, représenté ici sous forme de figurine.
Des méduses unicellulaires ?
Un
autre exemple accessible au niveau du simple microscope classique est
celui de la position de certains organismes unicellulaires parasites
désignés sous le terme général de Cnidosporidies mais qu’on estime souvent de
nos jours comme un rassemblement de groupes non apparentés, les Microsporidies comme le genre
Nosema qui décimait les populations de larves de Bombyx du
mûrier des élevages de vers à soie que combattit avec succès le
célèbre Louis Pasteur, et les Myxosporidies connues des
aquariophiles, qui forment des gales parfois volumineuses sur la peau
des poissons. Les deux se reproduisent par des spores, celles des
seconds comportent plusieurs cellules et un des stades de ceux-là
voit son noyau se diviser et se multiplier pour former ce qu’on
dénomme un syncythium (trait prêté à la créature colossale du
roman Solaris) ; on rapproche de ces derniers une petite
créature vermiforme simple appelée Buddenbrokia – ces
organismes ont été brièvement évoqués dans l’article Un
fossile vivant réellement inattendu ? en septembre 2014. Les spores se
distinguent de celles d’autres protozoaires parasites, comme le
Plasmodium agent du paludisme transmis par l’anophèle, par
la structure en forme de ressort qui se détend pour expulser le
germe infestant de l’enveloppe qui le renferme. Celle-là ressemble
au dard replié des cellules venimeuses des Cnidaires comme les
méduses et autres anémones de mer qu’on désigne sous le terme de
cnidoblastes, de sorte qu’avec l’appui de données fournies par
la biologie moléculaire, des chercheurs n’ont pas été longs à
inférer que ces formes étaient apparentées et que les
Myxosporidies devenues l'embranchement des Myxozoaires
n’étaient autres que des Cnidaires dégénérés par parasitisme,
comme c’est peut-être aussi le cas des Mésozoaires ainsi désignés
parce qu’on se les représentait traditionnellement comme
intermédiaires entre unicellulaires et pluricellulaires comme évoqué
dans le même article. L’hypothèse de Cnidaires simplifiés n’est
pas en soi irrecevable, d’autant qu’on a découvert récemment au
sein de ce dernier groupe qu’il existait quelques formes parasites
qu’on ne soupçonnait pas auparavant même si elles demeurent bien
reconnaissables comme représentantes de l’embranchement mais, si
on met de côté les données moléculaires dont on voit qu’elles
sont souvent largement discutables, on peut cependant considérer que
la simple présence d’une structure repliée en forme de ressort
portée par une cellule est un critère un peu court pour en inférer
une parenté irréfragable, à fortiori quand on connaît l’extrême
variété des structures dites organites qu’on trouve chez les
Protozoaires. Pourquoi devrait-on écarter d’emblée la possibilité
d’une simple homologie, d’une innovation apparue indépendamment
dans deux lignées pour résoudre de la même manière fonctionnelle
deux usages distincts ? Enfin, la théorie se contredit d’elle-même :
si vraiment la présence de ce dispositif en forme de ressort est
pratiquement à elle seule suffisante pour fonder une parenté entre
les Myxozoaires des gales de poissons et l’ensemble des coraux,
anémones et méduses qui constituent les Cnidaires en raison des
cnidoblastes de ces derniers, pourquoi les Microsporidies sont-elles
alors tenues à l’écart, renvoyées du côté des Protozoaires voire même parfois rapprochées des champignons, alors que
la cellule de leur spore possède elle aussi un identique dispositif
d’éjection, même si dans celle-là l’enveloppe n’est elle
composée que d’une cellule ? À nouveau, on voit qu’un élément
particulier est dit signifiant dans un cas quand l’analyse
moléculaires permet d’établir une proximité, puis dédaigné
dans le cas contraire, comme on l’a vu précédemment avec la forme
"tardigradesque" de la larve des Pentastomides.
En haut à gauche, la cellule multinucléée du Myxozoaire Myxidium, à côté, la spore de son parent Myxobolus, avec son flagelle replié tel un ressort ; en dessous, le même dispositif, contracté et détendu d'une cellule urticante dont disposent les Cnidaire comme les méduses, les anémones de mer et les coraux, un cnidoblaste, et à droite, vue au microscope électronique colorisée d'un autre cnidoblaste avec le dard venimeux sorti.
D'autres reclassements de parasites aussi problématiques
Les vers Acanthocéphales, parasites intestinaux notamment de poissons qui étaient traditionnellement apparentés aux Nématodes, sont à présent sur la base des analyses moléculaires englobés au sein des microscopiques Rotifères, alors que non seulement leur larve ne montre aucune trace des couronnes de cils entourant la bouche des adultes du groupe mais que leur trompe hérissée de crochets ne présente aucune concordance avec la mâchoire interne des Rotifères, le mastax – par ailleurs, il n'existe aucune trace des deux orteils communs aux Rotifères. Si les analyses moléculaires avaient confirmé la traditionnelle parenté avec les Nématodes en justifiant les rapprochements structurels sans considération sur leur origine anatomique comme pour le flagelle spiralé des Myxosporidies, les auteurs de l'étude auraient-ils invoqué un Nématode parasite vivant notamment dans l'intestin de poissons comme les Acanthocéphales (hôte analogue pouvant permettre d'envisager une origine évolutive commune on l'a indiqué pour les Pentastomides), Capillaria, chez lequel la queue du mâle bardée de rangées d'épines évoque de manière troublante la trompe cylindrique hérissée de crochets caractéristique de ce petit groupe ?... – après tout, un coquillage dénommé Viviparus commence son développement avec l'apparition de l'anus en premier comme chez les Vertébrés et autres deutérostomiens, à l'opposé des autres Mollusques qui voient d'abord se former la bouche, démontrant que ce schéma de formation de l'embryon peut être réversible. En abandonnant les méthodes éprouvées, on peut quasiment tout démontrer et son contraire.
En haut, un rotifère microscopique typique avec ses deux orteils et sa bouche entourée de deux couronnes de cils ; non seulement, on les a récemment apparentés aux vers plats, mais on proclame dorénavant que les Acanthocéphales parasites (à côté, un spécimen vu au microscope électronique et colorisé, avec la trompe à gauche) sont simplement un groupe de Rotifères. Si on peut considérer l'identité d'un flagelle enroulé sans se soucier qu'il s'agisse de l'enveloppe d'une spore chez un Myxozoaires ou bien d'une cellule épidermique venimeuse d'une méduse, seule l'analyse moléculaire décidant des rapprochements, comment n'accorderait-on pas autant d'important à la queue d'un Nématode, Capillaria (à droite en bas) qu'à la trompe d'un Acanthocéphale (à gauche), tous deux parasites intestinaux de poissons, d'autant qu'au cours de l'évolution, la bouche et l'anus ont pu s'inverser notamment chez les Deutérostomiens ? Une révolution scientifique en roue libre peut faire perdre l'orientation. De la même façon, les curieux Myzostomides, des parasites externes des lys de mer (Crinoïdes), sont parfois exclus des Annélides pour être rapprochés des vers plats avec lesquels ils présentent parfois une vague allure générale malgré la présence courante d’appendices rayonnant autour du corps et une trompe bien différente de celle que peuvent arborer certains des premiers. Cependant, là aussi, on fait fi de la larve typique d’Annélide, à commencer par le premier stade trochophore qu'on observe chez ce groupe, stade qui, comme on l’a vu plus haut, fonde pourtant un des plus importants rassemblements modernes de la zoologie. De surcroît, il existe parmi ces animaux des espèces qui présentent au contraire des formes typiques une allure totalement vermiforme, même si la segmentation disparaît à l’âge adulte comme c’est également le cas pour les Echiuriens comme la bonellie, célèbre pour l’extrême dimorphisme entre les deux sexes. On arbitre entre les ressemblances physiques sur la base des études moléculaires, qui se trouvent ainsi investies de la responsabilité de les considérer ou non comme pertinentes. Le lecteur ayant parcouru un des plus anciens articles, Nos précieux cousins des profondeurs, en novembre 2008, se souvient peut-être des animaux singuliers qu’il évoquait. Parmi les parents lointains des Vertébrés figurent "les vers à gland" comme le balanoglosse (classe des Entéropneustes) dont les parents de la classe des Ptérobranches sont sessiles avec des tentacules ramifiés qui leur valurent jadis d’être aussi nommés Axobranches. Certains estiment sur la base d’analyses moléculaires que ces derniers pourraient figurer au sein d’une des famille de "vers à gland", ce qui paraît assez douteux en raison des grandes différences morphologiques entre deux classes que quelques-uns avaient même proposé d’élever au rang d’embranchements distincts, de la même manière qu’il en est pour estimer que les ascidies profondément modifiées, qui se résument à un pharynx à deux siphons fixées à un rocher mais possèdent une larve évoquant lointainement un têtard avec des prémisses de colonne vertébrale, seraient plus proches des poissons que l’Amphioxus ou lancelet, alors que ce dernier évoque fortement les précédents malgré l’absence de crâne et de mâchoire, lesquels font aussi défaut chez le plus primitif des Vertébrés, la myxine, et alors que les proches parents de nos ancêtres découverts dans les roches cambriennes tels Pikaia et Cathymirus, présentent bien des affinités avec l’actuel lancelet qui est quasiment un fossile vivant témoin des origines de notre phylum. Une morphologie similaire n’est pas nécessairement une preuve de parenté mais à l’inverse, plus les morphologies sont différentes et plus il n’est pas déraisonnable d’en conclure que les deux lignées ont divergé depuis une longue période.
Un Myzostomide parasite adulte à la morphologie singulière (vu au microscope électronique, et colorisé, à gauche), mais dont la larve (à droite) est typique d'un ver annelé, jusqu'à la présence de soies qui caractérisent les espèces marines de l'embranchement.
Le
cas des Pentastomides a été plus particulièrement examiné car il
est éclairant sur un certain refus de prise en compte des réalités,
au risque des incongruités. Les changements dans la systématique
procédaient habituellement d’évolutions dues à des études
approfondissant leur sujet et s’appuyant sur de nouvelles
découvertes, comme lorsque que Kowalkski a pu observer des larves
d’ascidies dont l’allure générale évoquait celle de têtards
et qui étaient pourvues d’une ébauche de colonne vertébrale, en
déduisant comme on vient de l'évoquer dans le paragraphe précédent que ces formes sessiles à deux siphons généralement
fixés aux rochers n’étaient pas assimilables à des
Lamellibranches sans coquille comme elles étaient jusque-là
considérées, rangées au sein des Molluscoïdes avec les
Brachiopodes, coquillages bivalves depuis retranchés des Mollusques
en raison de spécificités, et les lointains parents de ces
derniers, les Bryozoaires, mais qu’elles se rapprochaient de la
base du rameau menant à notre espèce. Avec la biologie moléculaire,
les minutieuses recombinaisons ont cédé la place à une sorte de
jeu de billard à deux coups, entraînant de soudaines et souvent
incohérentes permutations. Certains retranchent des Mollusques au vu d'analyses moléculaires aussi bien les Lamellibranches que les Scaphopodes, des animaux à corps mou et à fins tentacules, enfermés dans une coquille en forme de défense d'éléphant et qu'on a tendance habituellement à considérer comme étant à la jonction des escargots et des Céphalopodes. L'animateur du blog d'anatomie comparé "The Pterosaurs Heresies", David Peters, d'ordinaire plus réservé sur la phylogénie moléculaire, approuve dans son article en ligne du 31 juillet 2021 cette dislocation de l'embranchement des Mollusques (4), faisant de celles dépourvues de
coquille réunies sous le terme d’aplacophores et les chitons
couverts par huit plaques articulées des parents des concombres de
mer, rapprochant les Lamellibranches des vers phoronidiens, des parents des Bryozoaires habituellement considérés comme des Deutérostomiens, et envisageant les premiers Céphalopodes dont l’actuel
Nautile comme un ancêtre de l’amphioxus qui
conduit aux Vertébrés, séparés par d'hypothétiques fossiles transitoires, le siphon autour duquel s'organisent les cloisons de la coquille étant vu comme une ébauche primordiale de la notochorde ayant généré la colonne vertébrale (5), ce qui n'empêche pas aussi l'auteur d'envisager quelque parenté entre les branchies filtreuses des Lamellibranches et les cirres de l'amphioxus qui ont le même usage. Les remises en cause des fondamentaux de la classification zoologique au travers de la révolution moléculaire autorisent à présent les regroupements les plus audacieux et hasardeux. Les vers rubanés
(Némertiens) ont été éloignés des vers plats avec lesquels ils
entretiennent des affinités pour, comme on l’a vu, être reversés
dans les Lophtrochozoaires avec les Mollusques, Bryozoaires et autres
animaux plus organisés. Le hérisson africain voire le tatou se
trouvent ainsi unis avec les éléphants, les plus primitifs des
vertébrés, les Myxines, sont catapultés parmi les serpents dans
certaines analyses moléculaires, les Nématodes sont devenus des
Arthropodes apodes, les minuscules "ours d’eau"
deviennent parfois parents des "dragons de la boue", de
très petits vers qui constituent les Kinorhynques ou Echinodères
cités dans l’article La peoplisation du monde vivant parce
que couverts par une cuticule articulée mais totalement dépourvus
de membres, les parasites de poumons du groupe des Pentastomides sont
refondus dans les Crustacés, et tout cela sans grande discussion
possible jusqu’à ce qu’une autre évaluation moléculaire vienne
éventuellement redistribuer les cartes. Pour ceux très nombreux qui
adoptent sans contestation les arbres phylogéniques et cladistiques
actuels, le tableau d’ensemble de l’évolution animale devient
assez embrouillé voire indéchiffrable et incompréhensible.
Un curieux arbre généalogique des Deutérostomiens (les animaux dont l'anus apparaît avant la bouche chez l'embryon), à savoir les Vertébrés, les Echinodermes (oursins, étoiles de mer), les vers à gland (Hémicordés), les ascidies sessiles (Urochordés ou Tuniciers) et les lancelets ou amphioxus du groupe des Céphalocordés qui évoquent des poissons sans tête – des groupes évoqués dans l'article "Nos précieux cousins des profondeurs" (6) – auquel on a ajouté Xenoturbella, l'animal vermiforme évoqué au début de l'article. Selon les analyses génétiques basées sur la méthode moléculaire, l'être humain (Homo sapiens) se trouve ici classé entre la tortue verte (Chelonia mydas) et le boa constrictor. Très étrange aussi, les myxines (Myxine glutinosa et Epatatretus burgeri) paraissent apparentées au boa alors que leurs parents les lamproies sont elles bien affectées à la base de la diversification des Vertébrés, autrement dit, cette analyse qui se veut affinée renvoie finalement aux origines de la zoologie médiévale, lorsque les serpents étant rangés dans les vers en raison de leur allure générale commune.
À
trop vouloir convoquer l’intime pour fonder les classifications
actuelles, on perd de vue le tout pour la partie, un peu comme si on
réduisait le vivant à la chimie en niant ses spécificités. Or a à
ce jour, personne n’a jamais été capable de créer ex nihilo une
simple bactérie en dépit de titres racoleurs (des microbiologistes
sont simplement parvenus à engendrer une nouvelle espèce de
bactérie en transférant des gènes), de même que personne ne peut
expliquer l’instinct de survie, cette force de résistance qu’on
ne peut observer chez le plus élaboré des cristaux mais qui est
présent chez la plus infime cellule vivante, confirmant que le
passage de l’inanimé à l’animé n’est pas une différence de
degré mais de nature. Encore une fois, à trop vouloir considérer
le détail, on perd de vue l’essentiel.
Et
l’homme, dans tout ça ?
La passion du théoricien de l'évolution Charles Darwin pour le rôle écologique des vers de terre suscita cette caricature d'Edward Liney Sambourne pour l'édition du 22 octobre 1881 du journal Punch.
Les
champignons et les animaux se trouvent dorénavant réunis dans le
groupe des Opisthokontes, sur la base de la conformation du flagelle postérieur qui propulse la cellule, au sein des unikontes (un flagelle) avec les amibes, s’opposant aux Bikontes (deux flagelles) renfermant les Flagellés
et les végétaux. Chez l’être humain, cela se réfère au
flagelle du spermatozoïde, comme si ses caractéristiques
déterminaient l’organisme tout entier. Cependant, les cellules
reproductrices ne sont chez les pluricellulaires que de simples
gamètes, des productions qui contiennent certes le patrimoine
génétique, mais qui ne sauraient à elles seules définir
l'individu, à moins de considérer que le spermatozoïde devrait
valoir à l'homme de figurer parmi les Protozoaires flagellés. Cela rappelle l'analogie douteuse déjà évoquée entre la cellule de la spore renfermant le germe des Myxozoaires et les cellules urticantes des Cnidaires. La
forme des spermatozoïdes peut différer considérablement selon les
espèces, comme pour les Nématodes chez lesquels, à l’exception
notamment du genre Syringolaimus, la plupart sont non
flagellés et dépourvus d’acrosome dispositif permettant de percer la paroi de l'ovule), et ils se déplacent de
manière amiboïde sans que personne ne se sente incité à en faire
les représentants d’un règne distinct. La variété des flagelles
chez les Protozoaires conduit aussi à la prudence quant à
considérer comme un facteur discriminant l'orientation de ceux-ci.
D’ailleurs, la classification moderne a séparé nombre de
Protozoaires flagellés des amibes représentantes des Rhizopodes, ces organismes étaient jusqu’à présent englobés dans le groupe
des Rhizoflagellés en raison de formes intermédiaires telles que des amibes flagellées. Quant aux
parents des amibes dotés d’une coquille complexe qui rappelle
parfois celle des escargots et qui constituent d’importants sites
fossiles permettant de dater les couches et souvent associés au
pétrole, les Foraminifères, ils sont eux aussi totalement disjoints
des précédentes dans la taxonomie moderne.
Sur
la base de la génétique, il a été proposé que le genre Homo
dans lequel s’inscrit notre espèce intègre aussi les chimpanzés,
voire les gorilles et éventuellement l’orang-outan. Les hommes et
les chimpanzés possèdent 99,4 % de gènes en commun, ce qui peut
sembler significatif, mais il s’agit là encore d’une perspective
quelque peu mathématique. On peut discuter effectivement à
la rigueur de l’appartenance des grands singes au genre Homo,
et prendre appui sur les grandes similarités des chromosomes est
effectivement légitime mais le codage génétique pour aussi
essentiel qu’il soit ne résume pas à lui seul la réalité d’un
organisme dans sa complexité, son anatomie, son comportement,
l’ensemble des spécificités qui font de lui une espèce
particulière. D’ailleurs, sans remettre en cause l’existence de
sexes constitués chez les Mammifères, on peut noter que le célèbre
tueur en série français Francis Heaulme, lequel on en conviendra
n’a rien de très féminin, est pourvu de deux chromosomes X au
lieu de la paire XY qui en principe définissent génétiquement le
sexe masculin. Cela apporte une nouvelle illustration qu’aussi
fondamental que soit le code génétique, au point que quelques
biologistes ne perçoivent les organismes vivants qu’en tant que
simples vecteurs d’un codage à perpétuer au travers de leur
incarnation provisoire (théorie dite du "gène égoïste"), un organisme
doit pour être parfaitement décrit être considéré dans sa
totalité et sa réalité observable, jusqu’à son comportement et
non uniquement au travers des molécules qui en sont la composante la
plus infime, quand bien même elles sont dépositaires du génome.
Des systématiciens déplorent que certains spécialistes connaissent
bien les caractéristiques moléculaires d’une espèce, mais
ignorent à peu près tout du groupe auquel elle appartient.
Plus
les organismes sont complexes et plus les recombinaisons génétiques
multiples interdisent de se baser sur un trait chimique pour les
définir et postuler des rapprochements. Ce qui pourrait être
pertinent pour les Bactéries devient inadéquat pour les
Métazoaires, qui développent souvent indépendamment les mêmes
composés (comme les substances antigel, les glycopeptides, de
certains poissons des mers polaires ou les organites d’animaux
multicellulaires anaérobies qui ont modifié leurs mitochondries de
la même manière que les bactéries des milieux anoxiques pour se passer de l'oxygène pour leurs réactions chimiques (voir à
ce propos l’article La
vie animale sans oxygène est possible de juillet 2010) ou encore la faculté d'homochromie permettant de prendre instantanément la couleur
du milieu, acquise de manière diverse par des animaux aussi différents que les
Caméléons, les Seiches et des poissons plats - certaines aptitudes intrinsèques des humains seraient aussi apparues de manière indépendante à partir de gènes différents dans des populations éloignées. De plus, le rythme de mutation de
l’ARN mitochondrial n’est pas constant d’une lignée à
l’autre, leur évolution est ainsi beaucoup plus rapide chez les
éléphants, alors qu’on prétend établir sur de telles bases
l’ancienneté de l’apparition d’un groupe dans l’histoire de
la vie.
Disons-le
clairement: ces nouvelles classifications, adoptées presque
unanimement (y compris même sur Wikipedia qui manifeste pourtant
d’ordinaire une certaine indépendance d'esprit, sous l'effet des corrections par les tenants de la discipline officicielle) sont incohérentes
et invraisemblables, semblant plus procéder d'une mode que d'une
stricte rationalité scientifique.
Les
auteurs de ces arbres phylétiques basés sur les méthodes de la
biologie moléculaire reconnaissent qu’ils corrigent à la marge
leurs résultats. La nature, des cycles météorologiques aux
singularités évolutives et à la variabilité individuelle, échappe
bien souvent à un modèle intangible, qui postulerait des normes
fixées une fois pour toute avec la rigueur du métronome – le
lecteur francophone se rappellera peut-être ainsi avoir lu pour la
première fois ici, dans l’article précité La vie animale sans
oxygène est possible (2), l’évocation d’animaux pluricellulaires adaptés à un milieu
anoxique, dont l’existence était jugée jusqu’alors contraire
aux lois de la biologie. Mais justement, les hérauts de la méthode
moderniste assurent que celle-là apporte la garantie de
l’exactitude, à la différence des tâtonnements des disciplines
classiques – celles-là même qui ont permis d’établir qu’en
dépit de leur silhouette assez proche, les myxines sans mâchoire et
les serpents sont situés très loin les uns des autres sur le plan
évolutif contrairement à ce que présentent certains arbres fondés
sur des données moléculaires...
Deux représentants des Myxines, les plus primitifs des Vertébrés actuels, dépourvus de mâchoire, zoologiquement fort éloignés des serpents avec lesquels la biologie moléculaire tend parfois à les ranger.
Pour un retour de la systématique au réel
On
considère notamment de nos jours que les Nématodes sont des parents
des Arthropodes et même en quelque sorte leurs ancêtres au nom de
la cuticule qui les recouvre, mais étant donné que la chitine
constitue aussi la matière première des ongles, l’homme
devrait-il être considéré comme un lointain parent des insectes
sur la base de ce critère ? Affirmer que ce revêtement
cuticulaire est une caractéristique essentielle au détriment du
reste, incluant le plan fondamental d’organisation, c'est un peu
comme si on classait le taureau et le Tricératops dans le même
groupe parce qu'ils ont des cornes, et l’hippopotame avec les
cétacés en raison de certaines adaptations au milieu aqueux, sans
se soucier véritablement des fossiles. Et si on trouve un jour un
gène commandant un développement plus important des membres
postérieurs, cela conduira-t-il à proposer de rassembler l’homme,
la grenouille, le kangourou et les dinosaures bipèdes comme le
tyrannosaure et l’iguanodon dans un même groupe ? Ou bien encore
estimerait-on finalement que l'homme est plus proche de la grenouille
que du singe si on trouve un enzyme commun ? On peut même aller
encore plus loin dans le raisonnement : l’acide formique est
commun aux fourmis et à l’ortie – sur la base de cette
caractéristique chimique, quelqu’un osera-t-il un jour formuler
qu’en dépit de toutes leurs différences, ces deux formes l’ont
acquise d’un ancêtre commun qui nécessiterait qu’on les englobe
dans un même clade ? On a aussi découvert récemment que des papillons du genre Heliconius qui déposent dans l'orifice de la femelle fécondée une substance répulsive pour les autres mâles, l'ocitomène, étaient capables de synthétiser eux-mêmes cette substance que produisent également des végétaux mais à partir d'un gène différent, confirmant la plasticité du vivant qui ne répond pas aux calculs d'apothicaires. On reproche suffisamment aux sciences
naturelles de ne pas pouvoir se réclamer de lois simples,
mathématiques, comme les phénomènes physico-chimiques des sciences
dites "dures" ou "exactes" ; et il est vrai
que parce que l’évolution n’est pas reproductible –
l’extinction des dinosaures ne peut être recréée en laboratoire – et qu’elle comporte des éléments aléatoires comme la chute de
l’astéroïde qui a anéanti ces derniers, soit un évènement
éminemment accidentel, le paléontologue Stephen J Gould dénonçait
la sélection par les mathématiques en estimant que les dispositions
utiles pour une bonne compréhension du monde vivant avec le plus de
pertinence se rapprochaient plutôt de celles nécessitées par
l’étude de l’Histoire. Restituer le vivant dans sa complexité
et son exactitude suppose en premier lieu une véritable prise en
compte des réalités observables dans leur totalité plutôt que de s'en remettre simplement à des chiffres.
Vers de nouveaux "arbres moléculaires" ?
*
POST SCRIPTUM : A
noter que cette importante prise de position de Stephan Jay Gould est le seul élément d'importance qui faisait
défaut dans la rubrique nécrologique consacrée au paléontologue
dans le quotidien « Le Monde », qui indiquait à
l’inverse d’autres points moins significatifs comme son équipe
de football américain préférée. Je m’en étais étonné et le
responsable de la rubrique m’avait répondu que cette observation
était fort intéressante et que l’on ferait paraître ma lettre en
complément dans le courrier des lecteurs dès que possible, ce qui
n’advint jamais. Les points de vue critiques sur les sciences
naturelles, aussi fondés soient-ils, trouvent difficilement la place
à laquelle ils pourraient prétendre.
- - - - - - - - - - -
Disparitions : Jacques Perrin est un acteur français décédé le 21 avril 2022 à l'âge de 80 ans, qui est apparu au cinéma dès 1946 et était encore à l'écran l'année de sa mort. Officier de réserve de la Marine, il est notamment célèbre pour ses rôles dans des films de Pierre Schoendoerffer relatifs à l'armée tels que La 317 ème section, L'Honneur d'un capitaine et Le crabe-tambour. Son intérêt pour la préservation de la nature l'avait conduit à produire des films sur le monde animal, Le Peuple singe en 1989, Microcosmos : Le Peuple de l'herbe en 1996, évènement qui parvint à intéresser au monde des insectes un grand public qui ne regardait pas habituellement les documentaires animaliers - comme espère y parvenir ce site en attirant à l'occasion l'attention d'un lectorat varié sur la diversité du vivant et la nécessité de le protéger, ou encore L'odyssée du loup en 2019. Il en avait co-réalisé lui-même un certain nombre, sur les oiseaux, Le Peuple migrateur en 2001, adapté sous forme de série sous le titre Les Ailes de la nature l'année suivante, deux sur les animaux marins, Océans en 2009 et Le peuple des océans en 2011, et un sur les forêts européennes, Les saisons, en 2016. A la suite des émissions de Jacques-Yves Cousteau, Nicolas Hulot et David Attenborough, Océans alertait particulièrement sur la responsabilité de l'être humain en matière d'extinctions d'espèces. Une séquence émouvante mettait en scène Jacques Perrin avec son jeune fils regardant les dépouilles naturalisées d'animaux disparus tels que le phoque moine des Caraïbes, une des rares espèces de la famille ayant élu domicile dans les mers chaudes, et le Grand Pingouin, bien connu des auteurs de récits maritimes du XIXème, le seul pingouin ayant perdu l'usage du vol, représentant pour les régions arctiques l'équivalent des manchots des terres australes ; s'y ajoutait une reconstitution de la vache marine géante, la rythine, dont quelques milliers de survivants ayant réchappé de l'extermination par les Amérindiens avaient trouvé refuge dans la mer glaciale à l'Est de la Sibérie, et qui furent en à peine un quart de siècle massacrés jusqu'au dernier dans de terribles conditions après la découverte de ces créatures remarquables suite à l'échouage de la Seconde expédition Béring. Jacques Perrin avait aussi soutenu le chef Raoni en tentant de s'opposer en vain au barrage de Belo Monte au Brésil. "Créatures et imagination" se devait donc de saluer la mémoire de ce défenseur du monde vivant.
Jacques Perrin et son fils devant le modèle de sirénien martyr.
On avait évoqué en ces pages le film Au-delà du réel (Altered States) de 1981 au moment du décès du réalisateur Ken Russell, puis du maquilleur Dick Smith. C’est à présent son interprète principal, William Hurt, qui disparaît le 13 mars 2022 à l’âge de 71 ans, victime du même mal qui a emporté le maquilleur Stan Winston à qui furent dédiés les premiers articles de ce blog. L'acteur avait prêté ses traits au Docteur Jessup, un chercheur qui expérimentait des drogues psychédéliques dans un caisson d’hibernation comme dans le roman originel de Paddy Chayefski, même si les effets mutagènes étaient nettement plus prononcés à l’écran bien que les métamorphoses agencées par Dick Smith dont il a été fait état dans l’hommage au maquilleur furent en partie coupées ou bien occultées par des trucages visuels les rendant plus abstraites, jusqu’à ce que le savant grisé par ses découvertes manque de peu de se dissoudre dans le Néant. William Hurt avait enduré patiemment les longues séquences de préparation nécessitées par les différentes transformations de son personnage. Fils d’un haut fonctionnaire, ce natif de Washington avait passé sa jeunesse dans des pays lointains où son père avait été en poste. Il avait débuté sa carrière au théâtre, notamment dans des adaptations de Shakespeare. Au-delà du réel avait marqué sa première apparition au cinéma. Il y sera notamment distingué pour son rôle dans Le baiser de la femme araignée (Kiss of the Spider Woman) en 1985. Dans les années 1990, il renoue avec la science-fiction à l’occasion de Dark City en 1998, de l’adaptation sur grand écran de la série familiale Perdu dans l’espace gâchée par la pléthore de trucages virtuels en 1998 et surtout d' A. I. Intelligence artificielle (Artifical Intelligence A. I.), le projet inabouti de Stanley Kubrick finalement réalisé par Steven Spielberg d'après une nouvelle de Brian Adliss, dans lequel il apporte une certaine humanité non totalement dépourvue d’ambiguïté au créateur de l'enfant cybernétique à la recherche de ses origines. Il tourna aussi pour David Cronenberg mais dans un film sans rapport avec le genre, A History of violence, avant d’apparaître dans des films de super-héros, actuellement incontournables à Hollywood.
William Hurt entame une plongée périlleuse dans des expérimentations scientifiques illimitées à la recherche des tréfonds de la conscience.
anciens articles sur le sujet :