dimanche 30 décembre 2018

LE PLUS HUMAIN DES NON-HUMAINS


          L'année s'achève tristement avec l'annonce de la disparition d'un acteur au physique reconnaissable, même si Donald Moffat était probablement beaucoup moins connu en France qu’aux Etats-Unis, où, après avoir perdu son accent, ce Britannique d’origine, né le 26 décembre 1930 à Plymouth d'un père écossais, incarnait de parfaits citoyens américains, un pays qu’il appréciait davantage que la Grande-Bretagne car il préférait son idéal démocratique à une société dans laquelle s’exprimait plus ouvertement la distance entre les classes sociales. Décédé le 20 décembre 2018 à l’âge de 87 ans, il était plutôt coutumier des seconds rôles. Avec son visage allongé et ses sourcils très blonds tranchant sur sa chevelure plus sombre, il présentait un visage assez singulier, empreint d’une certaine dignité, qui se prêtait bien à incarner des personnages de juges, médecins, prêtres, hommes politiques et militaires. Les sourcils teints, il endossa même le rôle d’un ancien président de son pays d’adoption, Lyndon B. Johnson, dans le film L’étoffe des héros (The Right Stuff) réalisé en 1983 par Philip Kaufman, qui retrace l’épopée des vols en haute altitude, prélude à la conquête spatiale – un film dans lequel apparaît également brièvement un acteur qu’il côtoiera dans The Thing, David Clennon (Palmer).

                Après quelques expériences sur les planches, il suivit à l’âge de 26 ans sa première épouse, la comédienne Anne Ellsperman dite Murray, aux Etats-Unis (dont il divorcera en 1970 pour se remarier avec une autre actrice, Gwen Arner, avec laquelle il aura également deux enfants) et, après s’être essayé provisoirement à quelques autres activités comme barman, bûcheron et menuisier, renoua avec sa vocation, apparaissant dans diverses pièces, dont Le droit d’après Pirandello et Titus Andronicus d’après Shakespeare dont il interprétait le personnage éponyme, et ponctuellement dans des séries télévisées comme Night Gallery (épisode Pickman’s model), Mission impossible, Columbo, Mannix, L’Homme de fer, La petite maison dans la prairie, Dallas, Arabesque, La cinquième dimension (épisode The Star basé sur une nouvelle d’Arthur C. Clarke, dans lequel il interprète un scientifique barbu) ou encore La Loi de Los Angeles dont l’un des acteurs récurrents est Richard Dysart, avec lequel il avait tourné dans L’Homme terminal, et auquel il donnera entre-temps la répartie dans une scène mémorable de The Thing.

Donald Moffat en 1965 sur les planches de Broadway aux côtés de l'actrice Rosemary Harris pour une adaptation théâtrale du roman Guerre et Paix.

              Un personnage particulièrement marquant qu’incarna Donald Moffat à la télévision est l’Androïde Rem dans la série L’Age de cristal (Logan’s Run) qui fut produite en 1977 et 1978, postérieurement au film de Michael Anderson basé sur le roman de William Nolan réalisé en 1976, celle-là se substituant au projet d’adaptation initialement envisagé de la suite du roman, Logan's world, qui devait permettre de retrouver les héros dans le Sanctuaire, une ancienne base établie sur Mars, avant qu'une épidémie ne les conduisent à revenir sur une Terre plongée dans le chaos. De nouveaux acteurs y incarnent le couple vedette, Gregory Harrison (futur héros de Razorback de Russell Mulcahy), le limier qui s’enfuit avec Jessica (Heather Cameron Menzies, fille du savant fou de Ssssss le cobra ! de Bernard Kowalski en 1973) qu’il devait abattre, celle-là ayant atteint l’âge auquel la loi de la Cité des Dômes condamne à mourir en raison de la limitation des ressources. Poursuivi par un autre limier plus inflexible (Randy Powell), le couple fuit à travers les paysages désertiques dans sa voiture à énergie solaire, et se trouve bientôt un allié dans une cité où l’on fabrique des androïdes. L’un d’eux, Rem, ne tarde pas à leur prêter son concours, se révélant d’une loyauté indéfectible. Cependant, le personnage auquel Donald Moffat prête son visage reflétant la bonhomie s’obstinera tel le Monsieur Spock de la série Star Trek à nier éprouver le moindre sentiment humain, affirmant avec constance qu’il ne fait que mettre en œuvre le programme pour lequel il a été conçu. L’androïde participe parfaitement du trio, suscitant naturellement une sympathie pour la destinée de ces fugitifs dans un futur déshumanisé et désertifié.











En haut, l'androïde Rem interprété par Donald Moffat ne tarde pas à rejoindre les deux fugitifs vedettes de la série à la fin du premier épisode. En dessous, leur véhicule à énergie solaire, et des extraterrestres dont les masques ont été créés par le Studio de Don Post (le créateur le plus célèbre de masques d'Hollywood, décédé peu après la série) apparaissant dans l'épisode Les collecteurs (The Collectors) venus chercher des spécimens pour leur zoo de l'espace - d'autres envahisseurs de l'espace sévissaient dans le dernier épisode Installation interstellaire (Stargate).
            
           Si l’apparition en 1974 de Donald Moffat et de Richard Dysart* dans l’assez fastidieux L’Homme terminal (The Terminal Man) de Mick Hodges d’après le roman de Michael Crichton, les deux hommes interprétant des scientifiques amenés à converser alors qu’une expérience tente de guérir le cerveau d’un homme, qui se trouve ironiquement être informaticien, en y implantant des circuits électroniques, c’est le face à face des deux acteurs dans The Thing de John Carpenter en 1982 qui marque la mémoire. Donald Moffat est investi du rôle de chef d’une station de recherches scientifiques en Antarctique, l’Avant poste 31, qui ne se départit curieusement jamais de son pistolet à sa ceinture. Il est brusquement amené à abattre un Norvégien forcené qui essaie de tuer un chien échappé de sa base. Les membres de l’expédition découvriront trop tard que l’apparence de l’animal n’est qu’un subterfuge employé par une forme de vie extraterrestre mimétique découverte dans la glace par l’autre équipe, qui a eu le temps d’infiltrer le campement de telle sorte que la suspicion et la terreur s’installent. Lorsqu’un test sanguin est proposé par le Docteur Copper qu’incarne Richard Dysart, les hommes s’aperçoivent avec effroi que les échantillons sains de leur sang devant permettre un examen comparatif ont été détruits. Chacun se tourne alors vers Garry à qui on demande qui avait accès au congélateur scellé. «Personne, répond l’intéressé. c’est moi qui ait l’unique clé, et je ne la confie qu’à Copper si le besoin s’en fait sentir». On demande alors au médecin si on aurait pu la lui voler, et sa réponse est sans appel : «Je ne vois pas comment, dès que j’en ai fini avec elle, je la redonne à Garry ». L’échange des regards est lourd de sens, et l’atmosphère devient encore plus tendue lorsque le responsable en titre suggère qu’on aurait pu la voler à lui aussi : « Tu parles !! Votre porte-clé ne quitte jamais votre ceinturon !» lui est-il aussitôt répondu sans ménagement, et la séquence se termine avec le chef de la station remettant sa démission faute de pouvoir affronter plus longtemps la suspicion généralisée. Les acteurs réunis par John Carpenter sont tous excellents, chacun exprimant sa personnalité de manière crédible au sein de ce groupe confronté à un ennemi aussi terrifiant qu’insaisissable. A l’annonce de la disparition de Donald Moffat, le réalisateur John Carpenter a salué le talent de son ancien acteur, disant qu’il avait grandement contribué à son film. Il rendit en effet fort bien la personnalité de celui dont la fonction est d’assurer une certaine autorité mais est dépassé par des circonstances exceptionnelles, au travers de moues expressives sans être surjouées, traduisant souvent la perplexité tout comme le désabusement, comme après avoir interrompu définitivement l’attaque du tireur norvégien et à l’arrivée dans la station d’un curieux corps carbonisé ramené du camp norvégien pour être autopsié, et qui ne présente plus extérieurement que de lointaines ressemblances avec le corps humain. Nombre d’admirateurs du film se souviennent de la fameuse réplique par laquelle il laisse soudain éclater sa colère lorsqu’à la fin du test sanguin improvisé par MacReady (Kurt Russell) inspiré par la totipotence cellulaire que la chose a manifestée dans la séquence impliquant le personnage de Norris, alors que son identité humaine vient d’être confirmée, il commande qu’on le détache enfin de ses liens. On pourra cependant être plus marqué, à la fin du film, pas sa résignation désespérée à sacrifier sa propre vie de manière à ce qu’avec les derniers survivants, la menace pour l’humanité puisse être éradiquée.

Richard Dysart (le Docteur John Ellis) et Donald Moffat (le Docteur Arthur McPherson) discutent à la cafétéria de l'université dans L'Homme terminal/Homicides incontrôlés (The Terminal Man) : on pourrait presque les imaginer en train de se dire que si l'expérience sur le cerveau tourne mal, ils pourront toujours se faire oublier en se faisant affecter dans une tranquille station de recherche en Antarctique, puisqu'on les retrouve dans l'Avant poste 31 de The Thing huit ans plus tard.


Donald Moffat dans le rôle de Garry, le chef de la station de The Thing en 1982 (de profil à gauche sur la photo du haut) effaré par l'étrange cadavre rapporté de la base norvégienne.


Garry se retrouve suspecté par ses hommes d'avoir été remplacé par son clone extraterrestre, après la découverte de la destruction des échantillons de sang de référence, et le Docteur Copper (Richard Dysart) ne se gêne pas pour lui faire porter la responsabilité de celle-ci (en bas).




Garry doit endurer la suspicion généralisée et est réduit à l'impuissance jusqu'à ce que sa nature humaine lui soit enfin reconnue (en haut). Il accepte de perdre la vie pour défaire l'ennemi (au milieu), mais est piégé par le monstre qui s'est emparé de Blair et dissout la chair de son visage grâce aux effets spéciaux de Rob Bottin, dont c'est en fait la main qui apparaît à l'écran - la conception initiale était encore beaucoup plus macabre, puisque le storyboard montrait la main s'introduisant jusqu'au crâne.

 A côté de cette œuvre sombre et mémorable, Monster in the closet de Bob Dahlin en 1986 produit par la Société Troma paraît bien léger, avec son monstre féroce qui se cache dans les placards et que s’efforce de vaincre le Général Turnbull qu’incarne Donald Moffat en lui conférant les atours d’un militaire autoritaire suscitant relativement peu la sympathie dans cette comédie loufoque.




Donald Moffat incarne le Général Trumbull dans Monster of the Closet (en haut), au côté d'Henry Gibson incarnant le Docteur Pennyworth qui est persuadé qu'à la manière du final de Rencontres du 3ème type, il va pouvoir communique avec l'être inconnu au travers de la musique grâce à son xylophone (en dessous), mais l'intéressé considère moins les humains comme des interlocuteurs potentiels que comme des réserves de protéines ambulantes qu'il attaque avec sa mâchoire protractile qui à la différence de celle de l'Alien n'est autre qu'une réplique de sa propre tête.

Donald Moffat inhabituellement barbu dans le rôle du Docteur Chandler dans le treizième épisode de la première saison de La Cinquième Dimension, reprise de la série The Twilight Zone en 1985, L'étoile du berger (The Star) basé sur une courte nouvelle homonyme du célèbre écrivain de science-fiction Arthur C. Clarke. Il y dialogue avec le Père Matthew Karsighan interprété par Fritz Weaver dont la foi est mise à l'épreuve par le surgissement du tragique dans la lignée du prêtre de Candide de Voltaire ébranlé par le véritable tremblement de terre meurtrier de Lisbonne et du Père Victor de La Guerre des mondes d'H.G. Wells anéanti par l'invasion martienne, représenté en l'occurence par le triste destin d'une civilisation détruite par l'explosion d'une supernova, d'autant plus déstablisante qu'elle s'avère avoir constitué l'étoile ayant annoncé la naissance du Christ. La conversation est sûrement d'une teneur assez voisine des échanges entre le concepteur de la théorie de l'évolution Charles Darwin et le capitaine Robert FitzRoy durant le voyage d'exploration à bord du Beagle évoqué dans l'article de février 2009.

          Même si au cours de cette longue carrière, Donald Moffat ayant pris sa retraite en 2005, l’acteur n’a été que peu au premier plan, ses sourcils blonds proéminents continueront d’être associés à deux personnages de la science-fiction, celui qui est sans doute le plus humain des êtres robotisés, auquel il était parvenu à conférer une tranquille chaleur humaine dans L’Age de cristal, et sur un registre fort différent, le responsable de l’Avant-poste 31 de The Thing qui voyait la normalité d’une existence routinière basculer dans le sommet de l’épouvante, auquel il avait donné toute sa crédibilité de manière à ce que le spectateur ne doute pas un instant de la réalité de la situation dans laquelle il était plongé à la manière d’un effrayant documentaire tournant en un huis-clos sans échappatoire. Même s’il détestait les différences sociales, nous avons envie de le saluer d’un « Sir, nous avons été honorés d’avoir fait votre connaissance. »


Un bien beau portrait en hommage à Donald Moffat réalisé en 2019 par Yann Le Bastard.


* un hommage à l'acteur Richard Dysart lui a aussi été rendu en ces pages lors de sa disparition :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2015/04/mon-danemark-pour-un-royaume-martien.html