mardi 13 novembre 2018

UN AMOUR SILICONÉ : LE BLOB PERD SON PÈRE ADOPTIF



Wes Shank avec à sa gauche la vedette de Danger planétaire (The Blob), la masse gélatineuse dont ce collectionneur passionné avait fait l'acquisition, ainsi qu'une portion de décor miniature qu'utilisa le créateur d'effets spéciaux Bart Sloane pour le film, utilisant la gravité naturelle pour faire descendre les escaliers par le monstre miniature.

L’admirateur numéro 1 de Danger Planétaire (The Blob) s’est éteint durant la nuit du vendredi 10 août 2018 suite à une chute, à l’âge de 72 ans, non sans avoir célébré à l’occasion de la "Blobfest" le soixantième anniversaire de la sortie du film américain sur les écrans.

Wes Shank, né Walter E. Shank à Bryn Mawr dans l’État de Pennsylvanie, assista en 1965 à une projection de ce film de 1958 produit par Jack Harris, habituellement producteur de films religieux et lui-même ministre du culte baptiste mais qui avait besoin d’une œuvre grand public pour engranger des rentrées d’argent, et il découvrit que celui-là avait été tourné non loin de chez lui. Il obtint alors de rencontrer dans le Studio Valley Forge le réalisateur qui avait été capable de convaincre le producteur de la viabilité de son projet, Irvin S. Yeaworth, et il se vit même offrir un échantillon de la masse en silicone qui avait été utilisée dans plusieurs scènes pour figurer dans des décors miniatures la forme de vie informe extraterrestre amenée sur Terre par une météorite et qui ne cesse de grossir au fur et à mesure qu’elle engloutit les habitants des petites villes de Downingtown et de Phoenixville dans l’État de Pennsylvanie. Enthousiaste, Wes supplia ses parents qu’ils lui donnent suffisamment d’argent pour pouvoir acheter la totalité de l’accessoire qui représentait la menace extraterrestre afin de pouvoir le préserver, anticipant qu’il finirait tôt ou tard à la poubelle.

Le jeune homme ne se contenta pas d’en prendre le plus grand soin, il le présenta dans les manifestations de science-fiction telles celles qu’organisait le fameux collectionneur Forrest J. Ackerman  ̶ à la Convention duquel il participa la même année à New-York, et devint un des principaux collectionneurs d’objets issus de films de science-fiction avec ce dernier et Bob Burns. Wes donna aussi nombre de conférences sur le sujet à l’occasion de la "BlobFest" qui se tient chaque année depuis 2000 à Phoenixville, commune où certains plans du film furent réalisés, et il écrivit un ouvrage dédié au film en 2009, From Silicone to the Silver Screen-Memoirs of the Blob (1958).



Photo récente de Wes avec son livre et son fameux seau, que certains des visiteurs hésitaient parfois à toucher comme si la menace extraterrestre qu'il présentait n'était pas totalement fictive.

Ce n'est pas un sorbet mais une distinction remise à la Blobfest, qui paraît un peu plus vivante que les statuettes stylisées habituellement remises aux lauréats des cérémonies.


Il avait fondé un atelier de restauration destinés aux films en 16 mm et 32 mm des bibliothèques et studios de télévision, ce qui lui avait valu de recevoir quatre bobines de scènes coupées du King Kong de 1933, qu’il avait sauvegardées en les dupliquant dans les deux formats ; il avait pris sa retraite en 2016. Laissant derrière lui son épouse bien aimée Judith, son fils David et ses deux petites-filles, ce passionné de fantastique dont tout le monde s’accordait à reconnaître la gentillesse était aussi très croyant ; il fut ainsi proposé aux participants à la cérémonie funéraire qu’au lieu d’offrir des fleurs, leurs dons soient au choix remis à l’Église baptiste de la ville de Lower Merion, ou bien versés en son nom au centre de préservation des films de l’institut Historic Yellow Springs à Chester Springs.



Wes Shank et un modèle de la Machine à explorer le temps du film de George Pal.

Danger planétaire avait eu aussi une certaine importance pour l’acteur Steve MacQueen qui y eut son premier rôle principal sur grand écran, lequel ne renia jamais le film initiant sa carrière cinématographique, contrairement à l’actrice Demi Moore et au maquilleur Stan Winston qui ne firent quant à eux jamais figurer dans la filmographie de leurs débuts leur contribution au film Parasite. Il ne tournera cependant jamais dans un autre film de science-fiction.



Steve McQueen incarnant Steve Andrews, un adolescent qui peine à convaincre la police de la réalité d'un péril extraterrestre sous la forme d'une masse phagocytant les habitants.

Chaque année à la Blobfest de Phoenixville, les participants rejouent avec bonne humeur la scène du film dans laquelle les spectateurs d'un cinéma fuient le monstre informe qui a investi la salle (ci-dessus) ; les figurants figurants d’origine affichaient déjà une franche hilarité, peut-être après avoir appris le montant de leur rétribution.

Le film connaîtra un curieux remake semi-parodique en 1972 sous le titre Attention au Blob ! (Beware the Blob!), seule réalisation de Larry Hagman mondialement connu pour son rôle de J.R. Ewing dans la série Dallas, dans lequel un échantillon de la créature est ramené du Pôle Nord où on l’avait enfouie pour que la glace la paralyse définitivement, puis d’un second plus sérieux en 1988, The Blob de Chuck Russell, avec un monstre polymorphe créé par Lyle Conway (Dreamchild, le remake de La petite boutique des horreurs) et d’époustouflants maquillages de Tony Gardner. Dans celui-là, la créature est moins une forme de vie venue de l’espace qu’une arme biologique développée par l’armée, relâchée accidentellement sur Terre après l’accident du satellite dans lequel elle était placée, prémisse identique à celle de L’invasion des cocons (Deep Space) de Fred Olen Ray sorti quelques mois plus tôt.

La dévotion de Wes Shank à l’égard de Danger Planétaire et de sa vraie "vedette" n’a jamais faibli. Il avait déclaré que la chose la plus effrayante au sujet de celle-là était qu’elle lui survivrait. Pour nous, le souvenir du "Gardien du Blob" lui restera à jamais associé.