jeudi 19 juillet 2012

SI PROMETHEUS PROMETTAIT...



Dans l'article «Retour annoncé de deux grands monstres» de septembre 2009*, on évoquait la production de «préquelles» - ces films qui explorent les évènements antérieurs à ceux relatés dans les œuvres distribuées précédemment - relatives à THE THING (classique dont on va parler incessamment) et ALIEN, qui était sorti en salle trente ans plus tôt.

Après la «préquelle» de THE THING, bien décevante puisque les producteurs ont contraint le réalisateur à remplacer les effets spéciaux prévus par des trucages numériques, ce qui portait atteinte à la crédibilité d'un monstre très organique, c'est PROMETHEUS qui a récemment investi les écrans, à grand renfort de publicité.

Comme prévu, le synopsis de la préquelle d'ALIEN, à la différence de celle de THE THING, s'écarte notablement de son modèle, le réalisateur de PROMETHEUS, Ridley SCOTT, n'ayant probablement pas souhaité pasticher ouvertement le film qu'il avait réalisé en 1979 (une courte reprise de la partition originale est par contre brièvement entendue lors de l'apparition de l'hologramme de Peter Weyland, le milliardaire prétendument décédé ayant financé l'expédition, ce qui permet à tous ceux qui n'ont jamais eu la chance de voir ALIEN sur grand écran d'apprécier à quel point le thème composé par Jerry GOLDSMITH pour celui-ci est impressionnant). Le moins que l'on puisse dire est que les avis sont partagés: le film est un incontestable succès commercial mais nombre de spectateurs sont déçus et certains le trouvent complètement raté. Sur le plan technique, le film comporte un peu moins d'effets spéciaux engendrés par ordinateur, mais cela demeure toujours un peu trop pour les puristes au rang desquels nous sommes un certain nombre à nous compter ici. A la surface tourmentée de la planète construite sous la direction de l'artiste GIGER lui-même et aux maquettes de vaisseaux très réalistes assemblées par Nick ALDER se substitue des animations infographiques conçues par la compagnie néo-zélandaise Weta, mais aussi soignées que celles-ci soient, cela ne remplace pas des matériaux concrets et des surfaces réelles. Des créatures ont été construites; contrairement à la préquelle de THE THING, elles furent utilisées, mais retouchées par ordinateur pour leur animation, il en subsiste une impression mitigée, sauf pour la créature vermiforme animée par un câble invisible, qui nous rappelle l'époque à laquelle des formes de vie paraissant en tous points organiques nous fascinaient dans les salles de cinéma. Il aurait mieux valu que Ridley SCOTT se contente de mettre en valeur les créatures construites que de recourir à ce mélange des genres qui est devenu trop fréquent.

Le réalisateur évite donc autant que possible de coller à l'intrigue d' ALIEN, s'intéressant aux mystérieux humanoïdes géants dont un représentant fossilisé était aperçu dans l'épave extraterrestre du film initial, plutôt qu'au monstre qui avait décimé l'équipage du Nostromo. Ayant découvert sur des fresques du monde entier la représentation d'une figure géométrique pouvant évoquer une constellation, un couple d'archéologue est persuadé que la Terre a été jadis visitée par des extraterrestres, désignés sous le terme d' "Ingénieurs", et participent à une mission d'exploration interstellaire pour aller à leur rencontre. L'expédition tourne à la tragédie avec l'infestation de l'équipage par des organismes destructeurs.

Le dernier des « Ingénieurs » encore en vie, revêtu de son costume biomécanique dans son habitacle cryogénique.

Ridley SCOTT redonne vie à deux thèmes sous-jacents d'ALIEN auxquels il était attaché; d'une part, l'idée que la créature meurtrière rencontrée par les astronautes n'est pas une forme de vie indigène rencontrée fortuitement par des mineurs interstellaires, comme pourrait le laisser entendre la novelization du scénario parue sous la plume d'Alan Dean FOSTER, mais une arme biologique conçue par les ingénieurs, qui se retourne contre ses créateurs - comme cela avait été envisagé pour THE THING, et comme c'est également le cas avec les Shoggoths incontrôlables des MONTAGNES HALLUCINEES du roman d'H.P. LOVECRAFT, que Guillermo del TORRO devait porter au cinéma, et la proximité du thème avec PROMETHEUS aurait achevé de décourager ce dernier de donner vie à ce projet. D'autre part, la nature toujours changeante du monstre tel que se le représentait Ridley SCOTT- que James CAMERON avait pour sa part quelque peu fixée dans ALIEN, en prenant pour modèle le cycle des insectes sociaux - est ici explicite, différentes manifestations monstrueuses engendrées par la substance noire mutagène parsemant le film, des créatures vermiformes à l'énorme monstre tentaculaire, en passant par les humain transformés en zombies et un humanoïde "pré-alien".

On retrouve aussi des thématiques communes aux deux films de science-fiction réalisés précédemment par Ridley SCOTT : le personnage de la femme forte ( qui se retrouve dans un nombre important de ses œuvres ), celui de l'androïde trahissant ses compagnons à l'instar d' Ash dans ALIEN, le conflit d'autorité entre le capitaine se trouvant à l'extérieur du vaisseau, et le second interdisant au nom du respect de la quarantaine le retour d'un membre d'équipage contaminé par une forme de vie extraterrestre, le désir de lutter contre la vieillesse et la mort exprimé par le commanditaire de l'expédition, Weyland, rappelant la quête de Batty dans BLADE RUNNER espérant remettre en cause la courte durée de vie allouée aux androïdes et le vieillissement accéléré d'un de leurs concepteurs J.F Sebastien, ou encore le désir de rencontrer ses créateurs et la désillusion qui en émane lorsqu'il s'avère que ceux-ci ont donné vie à leurs créatures simplement parce qu'ils en étaient capables, comme il est dit à propos des Ingénieurs extraterrestres de PROMETHEUS ( LOVECRAFT postulant que l'homme fut créé par plaisanterie ou erreur - "by joke or by mistake"), ceci faisant écho au mercantilisme dépourvu d'éthique et empreint de cynisme de la Tyrrell Corporation créatrice des androïdes "plus humains que l'humain" de BLADE RUNNER. Ridley SCOTT tire aussi parti des similitudes entre notre espèce et celle des Ingénieurs pour étayer sa vision pessimiste, en nous laissant à penser que, au cas où nous rencontrions un jour dans l'univers une autre civilisation, et même des êtres qui, à la manière du Dieu de l'Ancien testament, nous auraient créés à leur image, ce n'est pas pour autant que nous nous sentirions moins seuls.

D'un point de vue beaucoup plus anecdotique, on retrouve aussi dans PROMETHEUS la signature du metteur en scène sous la forme d'un petit gadget comique décoratif dénotant avec l'univers technologique plus glacial typique de la science-fiction, en l'occurrence le petit modèle enfantin de robot lumineux placé sur la table de billard à côté duquel l'androïde David dépose le verre avec lequel il va délibérément contaminer Holloway ( Logan MARSHALL-GREEN ), mari d'Elizabeth Shaw, qui rappelle les petits canards au mouvement perpétuel disposé sur la table servant au repas dans le vaisseau spatial d'ALIEN, ainsi que les petits automates et le récipient dans lequel tournoient des oranges dans un tourbillon de bulles vus dans l'appartement de J.F. Sebastian, le premier assistant du créateur d'androïdes de la Tyrrell Corporation de BLADE RUNNER.

Ridley SCOTT a par contre pris un peu de distance avec un féminisme parfois militant, notamment dans certains de ses films ne relevant pas du genre fantastique; dans PROMETHEUS, il esquisse un dualisme entre le personnage d'Elizabeth Shaw (Noomi RAPACE), femme forte et déterminée comme le réalisateur les affectionne - Ripley jouée par Sigourney WEAVER dans ALIEN l'ayant attesté dès le début de sa carrière, mais paraissant avant tout passionnée, humaine, et la responsable de la Compagnie, Vickers ( Charlize THERON ), la fille de Peter Weyland, paroxysme poussé à l'extrême de la blonde hitchcockienne glaciale, dénuée de scrupules et assez superficielle ( il faut dire que sa personnalité a pu être marquée par le fait que son géniteur semble lui préférer comme héritier putatif l'androïde de la compagnie, David, joué par Michael FASSBENDER ).

Illustration de production pour le ver géant et son apparition dans le film, avant qu'il ne déploie ses expansions à la manière du cobra. Cela faisait longtemps qu'une créature non humanoïde n'était pas apparue sur grand écran autrement que sous une forme générée par ordinateur. Le réalisateur Ridley SCOTT l'a animée lui-même, et le câble a ensuite été effacé en post-production. Lorsque la séquence dans laquelle la forme de vie inconnue ressort de la bouche de la victime, Milburn, à l'arrivée de l'équipe venu secourir leurs collègues, a été tournée, les acteurs n'étaient pas prévenus quant à ce qui allait survenir, et l'actrice Kate DIKIE a été réellement terrorisée, à la manière de Veronica CARTWRIGHT dans ALIEN au moment de la sortie de l'embryon parasite du corps de Kane, Ridley SCOTT ayant déjà procédé de même à l'époque.

Ridley SCOTT n'a pas voulu tenter le pari d'intéresser le public aux étranges humanoïdes tels qu'ALIEN semblait les présenter, supputant que les spectateurs préféreraient s'identifier à des extraterrestres à l'aspect essentiellement humain, et décidant donc que l'exosquelette du cadavre vu dans le premier film n'était que la combinaison spatiale des voyageurs du cosmos, celle-ci, sans le casque, pourrait presque représenter une variante des costumes des Fremen dans le film DUNE. Le film perd ainsi quelque peu en altérité avec la découverte de la statue à l'effigie humaine, le gigantesque visage présent sur l'affiche du film évoquant moins une civilisation extraterrestre que le portrait de l'acteur Tom CRUISE - qui devait d'ailleurs jouer dans l'adaptation du classique littéraire d'H.P. LOVECRAFT, LES MONTAGNES HALLUCINÉES ( AT THE MOUNTAINS OF MADNESS ), victime de la concurrence de PROMETHEUS... De fait la forme éléphantesque de la tête du Navigateur d'ALIEN ( le "space jockey") s'avère n'être qu'un casque et la trompe un tube respiratoire de l'équipement. Mais alors pourrait-on se dire, à quoi correspondent les deux cavités qui ressemblent à des orbites et dont l'emplacement ne recouvre nullement celui des yeux des Ingénieurs? Faudrait-il en conclure qu'il s'agit d'une simple exubérance esthétique, ce point aussi reste sans réponse. On ne saura pas davantage pourquoi la forme du vaisseau dissimulé sur la planète inconnue, similaire à celui conçu par GIGER pour ALIEN, s'écarte à ce point de celle de la soucoupe volante des Ingénieurs montrée dans le prologue, comme si elles avaient été agencées par deux civilisation à la technologie différant radicalement.

Le réalisateur ne lève par contre pas, en s'écartant du film original, un mystère d'ALIEN, relatif à la manière dont une créature au corps chitineux identique à celle qui saute au visage de Kane ( John HURT ) lorsque celui-ci s'approche trop près d'une structure organique en forme d'oeuf géant, a pu faire subir le même sort au pilote extraterrestre dont le cadavre est découvert figé sur le poste de pilotage, alors que la tête de l'humanoïde est beaucoup plus grande que celle de l'homme, le peintre suisse GIGER l'ayant inventé de manière à ce qu'elle corresponde parfaitement à la morphologie de sa victime humaine. Ridley SCOTT évite ainsi la difficulté qui avait été soulignée dans la petite illustration humoristique proposée dans l'article sur la préquelle en septembre 2009*.

Le scénario est probablement l'élément le plus déconcertant de PROMETHEUS, tant il comporte de points obscurs. Dès le prologue, mettant en valeur un beau maquillage de l'humanoïde extraterrestre agencé par Connor O' SULLIVAN, bientôt gâché par sa substitution par un corps virtuel lors de sa mort, l'incohérence apparaît. Un des "Ingénieurs" se dévêt puis absorbe un breuvage qui altère sa structure génétique, avant de se jeter dans le vide, ce qui laisse entendre que par ce sacrifice, il va disséminer des acides aminés qui vont créer ou modifier la vie préexistante. La scène a tout d'un rite, mais son fondement scientifique paraît absurde: si ces êtres voyageant dans l'espace sont des experts de la génétique, le procédé pour transformer un monde paraît bien primitif et aléatoire, même si celui-ci semble devoir être interprété comme un acte mystique et sacrificiel, comme le laissent entendre les costumes de pénitents de ses compagnons dans des plans coupés ainsi que les déclarations de Ridley SCOTT.

Il n'est pas davantage expliqué comment l'espèce humaine est apparue, alors que les analyses génétiques révèlent que le patrimoine génétique de l'être humain et des Ingénieurs sont tellement similaires - là encore, il eût été plus logique de cloner directement des Ingénieurs ou même que ceux-ci colonisent eux-mêmes la Terre plutôt que cette manipulation hasardeuse qui correspond bien peu aux données de la science.

La compréhension du langage extraterrestre, comme dans nombre d'autres œuvres de science-fiction, paraît peu explicable puisqu' aucun code ne permet de le décrypter, ce qui n'empêche pas l'androïde de l'expédition d'en maîtriser rapidement les arcanes, au point de pouvoir s'adresser à un Ingénieur dans sa langue, attention qui n'est guère payée de retour... La brutalité meurtrière de l'Ingénieur est d'ailleurs aussi soudaine qu'inexpliquée; un dialogue coupé faisait comprendre que Weyland, tout à sa fascination pour la technologie, tenait à l'humanoïde extraterrestre des propos que celui-ci prenait pour de la condescendance à l'égard de sa civilisation qui était à l'origine de la création de l'humanité.

Gros plan sur la créature vermiforme sculptée par le maquilleur Waldo MASON, qui s'est aussi chargé du faux corps de l'actrice Noomi RAPACE pour la séquence dans laquelle elle extirpe de son corps une progéniture non humaine.

Concernant les motivations des Ingénieurs, il n'est pas indiqué pourquoi cette civilisation semble vouloir détruire l'homme après l'avoir créé, comme s'interroge l'héroïne, mais cela pourrait faire l'objet de la suite envisagée, qui pourrait s'intituler PARADISE, et nous en révéler davantage sur l'inquiétante civilisation des Ingénieurs. Ridley SCOTT a un temps envisagé que les Ingénieurs aient envoyé sur Terre l'un des leurs, Jésus Christ, et qu'ils veuillent punir sa crucifixion, mais le réalisateur a finalement reculé devant le risque de heurter la sensibilité des croyants les plus rigoureux aux États-Unis ( à ma connaissance, cependant, Jésus n'était pas glabre, et ne mesurait pas 2 m 50 de haut, mais pour ces experts de la génétique, la difficulté n'est pas insurmontable..).

La raison pour laquelle l'androïde David contamine un de ses coéquipiers avec une boisson infectée par un germe extraterrestre, à l'instar du whisky rendu mutagène par les chercheurs soviétiques dans LEVIATHAN, n'est pas totalement explicitée ( dans ALIEN, la trahison de l'androïde Ash s'explique par sa programmation lui commandant de ramener vivante la forme de vie inconnue probablement à des fins de recherche génétique, si nécessaire au détriment de l'équipage humain : "toute autre considération est secondaire. L'équipage peut être sacrifié."). Dans PROMETHEUS, rien n'est précisé, même si il est dit que Weyland, le commanditaire et financeur de l'expédition, a en lui toute confiance et qu'il lui suggère de se pencher sur les effets que la gelée noire pourrait avoir sur un organisme humain, pas plus qu'on ne sait en quelle mesure ses motivations sont liées à sa fascination pour le personnage historique Lawrence d'Arabie - et plus particulièrement pour son incarnation cinématographique par Peter O'TOOLE dans le film de David LEAN. Le spectateur en est réduit à des spéculations. Une scène coupée éclaircissait quelque peu l'énigme en montrant Vickers, la fille de Weyland, ordonnant à l'androïde de conduire des expérimentations sur le germe extraterrestre.

Une image-clé de PROMETHEUS : le personnage principal, Elizabeth Shaw (l'actrice suédoise Noomi RAPACE) en compagnie de l'androïde David (interprété par Michael FASSBENDER avec une froideur maniérée ), au milieu des réceptacles contenant la gelée noire mutagène, au cœur de la base extraterrestre; à l'arrière-fond, la statue représentant une tête géante scarifiée.

On pourrait aussi évoquer la psychologie un peu déconcertante des deux hommes égarés condamnés à passer une nuit dans le tumulus extraterrestre. Initialement si empressés de revenir au vaisseau tant l'angoisse les tenaillait alors que leur équipe investit les corridors extraterrestres, ils s'avancent sans aucune crainte devant la forme de vie inconnue qui se dresse devant eux. On peut certes supputer que la créature, dépourvue de toute défense apparente, puisse être perçue comme plus curieuse que menaçante, et que les nerfs éprouvés des deux astronautes se détendent pour laisser place à l'étonnement, mais la psychologie de Kane ( John HURT ) dans ALIEN, premier à s'éveiller de l'hibernation, aiguillé par la curiosité qui le conduit à descendre dans les tréfonds de l'épave du vaisseau et à entrer en contact avec un organisme qui s'avère mortel - l'œuf qui contient le face hugger, premier stade de l'"Alien" ) paraît plus cohérente; on ne sera pas trop sévère sur ce point toutefois, les individus n'étant pas toujours aussi rationnels que les auteurs de science-fiction guidés par la logique tentent de se les représenter.
Elizabeth Shaw était censée être stérile, cependant la gelée noire a engendré en son sein un embryon, qui ne représente pas réellement pour elle un « heureux évènement »; une nouvelle courte séquence avec des effets spéciaux traditionnels, les seuls susceptibles d'évoquer de manière crédible une forme de vie organique.

Il est par ailleurs possible de s'étonner qu'Elizabeth Shaw (Noomi RAPACE) parvienne à mettre hors de combat trois membres d'équipage qui tentaient de la neutraliser, au point qu'aucun ne s'élance à sa poursuite, et qu'elle soit ainsi ensuite, sans aucun passe ni code, en mesure de pénétrer dans l'appartement privé de la responsable de la Compagnie, Vickers ( Charlize THERON ), et d'utiliser son système médical sophistiqué, pour subir une césarienne afin de se faire retirer du corps l'embryon étranger que lui a malgré lui implanté son conjoint contaminé, alors que cette dernière interdisait son utilisation. Il faut aussi admettre que la créature, subissant le processus de décontamination biologique, non seulement n'est pas éliminée au terme du processus mais au contraire survit en devenant énorme, au point que Shaw la libère pour tenter d'échapper à l'Ingénieur qui tentait de la tuer. L'ingénieur lui-même a survécu sans encombres à la destruction de son vaisseau, ce qui, là encore, semble pourtant assez peu probable, en dépit de son revêtement biomécanique, et, malgré l'absence de l'atmosphère respirable pour les humains qui est maintenue au sein de la base extraterrestre, parvient à se déplacer sans son casque sans mal à l'air libre.

Apparemment, la créature née d'Elizabeth Shaw ne craint pas l'asepsie, puisqu'elle reparaît en pleine forme, pourvue d'une taille plus qu'impressionnante : dessins conceptuels, inspirés notamment pas la vision d'une pieuvre dans un bocal d'alcool.

L'illustrateur Neville PAGE, qui a été un des premiers artistes engagés sur PROMETHEUS, n'est pas parvenu à convaincre Ridley SCOTT de renoncer à la construction de toute créature concrète : sculpture de la créature issue de Shaw par l'équipe de Neil SCANLAN, qui a fondé son propre studio en 1996 après avoir travaillé avec Lyle CONWAY et avoir été un des fondateurs de la compagnie Creature Shop pour Jim HENSON où il est resté huit ans ( voir article sur Jim HENSON de mai 2010, "Le maître des marionnettes" ).

Gros plan sur le dessous du monstre recevant ses dernières retouches; dans le film, il est malheureusement retouché partiellement par les infographistes, perdant ainsi quelque peu de son réalisme.

La résurrection momentanée de la tête du pilote évoque la nouvelle d'Alfred Elton VAN VOGT, LE MONSTRE, dans laquelle des extraterrestres redonnent temporairement vie à des humains momifiés, de manière à reconstituer les différentes phases de l'histoire de notre espèce désormais éteinte avant de les renvoyer dans le néant une fois leur récit achevé. Dans PROMETHEUS, il ne s'agit pas de restituer la vie, mais seulement son apparence, de faire mouvoir les muscles pour comprendre leur fonctionnement en réactivant quelques instants le système nerveux. On pourra s'étonner que, même avec un influx électrique, des muscles desséchés puissent de nouveau s'agiter, et se demander aussi si la simple transmission de l'influx nerveux pourrait suffire à permettre la prolifération immédiate du germe extraterrestre qui l'a contaminé, alors que la physiologie n'est pas pleinement restaurée. La scène est impressionnante, mais pourrait là encore laisser penser que l'idée visuelle l'emporte sur la vraisemblance.

Fifield, contaminé par la gelée noire devait initier se muer en une sorte de lointaine ébauche de l'Alien, comme en témoignent cette illustration et cette maquette; la version finale le change finalement en une sorte de mort-vivant. C'est finalement de l'organisme éventré de l'Ingénieur attaqué par la créature tentaculaire issue du corps d"Elizabeth Shaw que sortira après un temps d'incubation la créature humanoïde d"allure inquiétante qui préfigure l'Alien du film sorti en 1979 - voir illustration à la fin de l'article.

On l'a évoqué plus haut, la biologie des créatures de PROMETHEUS est un peu confuse. Le cycle dépeint dans ALIEN et ses suites, avec le face hugger qui saute au visage et le chest buster se développant dans l'estomac, est abandonné, pour remonter aux origines de cette arme biologique. Il semble avéré qu'à l'origine des différentes manifestations se trouve la gelée noire mutagène agencée par les Ingénieurs. Une sorte d'asticot fugitivement entr'aperçu sur le sol de la base extraterrestre ( ce qui rappelle une scène de LA GALAXIE DE LA TERREUR, qui contient d'ailleurs aussi une pyramide extraterrestre**, peut-être inspirée par le script initial d'ALIEN* ) pourrait peut-être être à l'origine des créatures vermiformes après avoir été contaminé par la gelée noire - c'est une supposition du spectateur, aucune étape intermédiaire n'étant montrée à l'écran;  on apprendra finalement qu'une scène coupée montrait Milburn capturant un petit être anguilliforme (photo ci-dessous), ce qui pouvait à la fois indiquer l'origine des créatures avant que la gelée noire n'en fasse des formes dangereuses, et expliciter l'intérêt du biologiste pour les autres formes de vie, ce qui rendait plus intelligible son comportement apparemment incohérent évoqué plus haut. 


Un échantillon biologique à manipuler avec précaution.

On ne sait pas réellement pourquoi, lorsqu'un homme est attaqué par un de ces vers, celui-ci meurt alors qu'une créature vermiforme miniature - simple analogie de forme? - issue directement de la gelée, se développant dans l'œil d'Holloway, compagnon d'Elizabeth Shaw, ne grandit pas mais répand la gelée noire dans l'organisme de l'infortuné trahi par l'androïde, et commence à le changer en un genre de zombie, à l'instar d'un explorateur infecté directement par le liquide dans l'antre des Ingénieurs, Fifield. On pourrait ajouter qu'on ne nous instruira pas davantage sur le processus transformant le germe implanté dans Elizabeth Shaw - en principe stérile - en embryon, puis en monstre tentaculaire - surnommé "trilobite" par la production en référence à de célèbres organismes fossiles - empruntant au mollusque et marginalement à l'arthropode ( les courts appendices de la face ventrale disposés régulièrement comme sur une créature au corps segmenté ).

Modèle conceptuel pour la créature fœtale, bizarrement pourvue d'un cordon ombilical, qui s'extirpe du corps de l'Ingénieur dans l'épilogue; son crâne effilé, aux allure de coiffe de lutin, plutôt que celui plus oblong de l'extraterrestre tel qu'il apparaissait initialement dans ALIEN, rappelle celui d'un concept proposé pour un soldat alien par l'artiste Constantine SEKERIS pour le film ALIENS VERSUS PREDATORS ( illustration trouvée sur le blog http://alienexplorations.blogspot.fr ).

On pourrait admettre au nom de la licence artistique quelques libertés avec la rigueur biologique quand aux évolutions des créatures - peut-être répondent-elles à un programme précis conçu par l'ingénierie génétique - et d'ailleurs le film MUTANT (FORBIDDEN WORLD)** montre semblablement un embryon humain combiné à une bactérie extraterrestre se muer en un monstre tenant partiellement de l'arthropode avec ses pattes articulées, mais les points évoqués précédemment, parmi d'autres, donnent l'impression à la manière du DRACULA de Francis Ford COPPOLA, d'un film associant différentes idées, explorant différents thèmes, mais juxtaposés sans la cohérence qui a permis à Ridley SCOTT de marquer la science-fiction avec ses deux classiques précédents. A la manière des écrits de VAN DANIKEN sur les "Anciens astronautes" dont il s'inspire, PROMETHEUS brasse élément mythiques et science-fictionnels sans convaincre réellement, laissant une impression mitigée en dépit de certains points positifs faisant fugitivement passer un souffle métaphysique, lorsqu'il ramène notre espèce à sa mesure modeste, entre les mécanismes souterrains des gènes à la base de la vie qui nous régissent à notre insu et l'immensité glaciale du cosmos.

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Certains commentateurs ont élaboré une analyse quelque peu heuristique du film, estimant notamment que le liquide noir pouvait servir à créer la vie mais que, mis en contact avec l'être humain, profondément mauvais, il se corrompait et engendrait des monstres. On lira ces analyses en anglais sur ces deux liens mais, aussi intéressantes que soient ces constructions, lesquelles ne sont d'ailleurs pas contradictoires avec les déclarations de Ridley SCOTT - voir quatrième lien ci-dessous - elles font appel à beaucoup de spéculations et de réinterprétations, à la manière de 2001, L'ODYSSEE DE L'ESPACE, qu'il valait mieux visionner après avoir lu la novelisation d'Arthur C. CLARKE. A défaut de davantage de clés livrées par le réalisateur dans PROMETHEUS, il n'est pas interdit de trouver malgré tout le film, tel qu'il fut projeté sans ses scènes coupées, assez incohérent.

liens :
analyses :
analyse liée aux références religieuses et mythiques :
entretien avec Ridley SCOTT :
Les francophones exclusifs disposent d'un forum monumental au sein duquel on retrouve au hasard des échanges les hypothèses formulées dans les essais indiqués dans les deux premiers liens ci-dessus :

NE PAS CONFONDRE... Non, ce n'est pas la face empreinte de mépris et de fureur de l'Ingénieur découvrant les intrus humains, mais Valdemort (de rire..), personnage maléfique de la série cinématographique HARRY POTTER. Toute ressemblance avec un extraterrestre présenté par Ridley SCOTT...

( concernant le compositeur d'ALIEN, partition brièvement reprise par Marc STREITENFELD dans PROMETHEUS au début du morceau "Friend from the past", le lecteur pourra retrouver l'hommage commémoratif relatif à Jerry GOLDSMITH proposé sur ce site en juillet 2009 ).

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A propos de Ridley SCOTT, BLADE RUNNER sortait sur les écrans le 25 juin 1982. A peine 30 ans plus tard, on apprend que l'interprète de l'enquêteur Holden qui démasque la vraie nature du répliquant Leon (Brion JAMES ) au début du film, Morgan PAULL, s'est éteint à 67 ans le 17 juillet 2012, victime d'un cancer de l'estomac. Il était aussi apparu en 1978 sous les traits d'un généticien dans THE SWARM, qui raconte l'histoire basée sur des faits réels relatifs aux attaques d'abeilles agressives dans le sud des Etats-Unis, créées par le croisement génétique d'abeilles d'Amérique du sud avec une espèce africaine agressive effectué par des apiculteurs imprudents. On indique ici bien volontiers l'adresse de son site officiel :
Les anglophones liront aussi cet entretien sur BLADE RUNNER dans lequel il rapporte que Ridley SCOTT a décidé de le choisir pour interpréter Holden, seul personnage qui ne s'était pas encore vu attribuer d'interprète, alors qu'en charge des répliques de Deckard, il donnait la répartie aux actrices passant le casting, et il précise aussi que la personne qui avait sa préférence pour interpréter Rachel, Nina AXELROD, fut tellement déçue qu'en dépit de sa préparation pour le personnage le réalisateur lui préfère Sean YOUNG, qu'elle renonça à toute velléité de tourner dans un film :
http://www.cultfilmfreaks.com/2010/03/morgan-paull-blade-runner.html

Morgan PAULL dans le prologue de BLADE RUNNER et Zalman KING dans LA GALAXIE DE LA TERREUR.

On avait évoqué récemment le film LA GALAXIE DE LA TERREUR ( GALAXY OF TERROR ) pour la sortie d'une édition américaine avec des suppléments. L'année 2012 aura été tragique pour deux des acteurs.

L'interprète du rôle principal ( Baelon ), Zalman KING, acteur, producteur, réalisateur et scénariste de films érotiques ( NEUF SEMAINES ET DEMI, L'ORCHIDÉE SAUVAGE, etc.. ), qui fut d'ailleurs, avec James CAMERON, l'une des rares personnalités déclinant l'offre d'apparaître dans le documentaire réalisé sur LA GALAXIE DE LA TERREUR, s'était éteint au début de l'année, le 3 février 2012, à l'âge de 69 ans des suites d'un cancer.

On apprend à présent qu'une des actrices du film, Erin MORAN, ancienne vedette de télévision ( série HAPPY DAYS ), âgée de 51 ans, est actuellement sans domicile fixe, et en est réduite à pratiquer la mendicité avec son mari et sa belle-mère souffrante, de laquelle elle s'occupe avec dévouement, sur une aire de stationnement permanent pour caravanes dans l'Indiana. Son mari s'efforce de retrouver un emploi dans une chaîne commerciale. Cette triste déchéance rappelle celle de Margot KIDDER, connue comme la "fiancée de Superman" dans les films mettant en scène Christopher REEVES, ainsi que comme le personnage plus ambigu d'une des versions de MA FEMME A DISPARU (VANISHING ACT) au côté de Mike FARELL, Eliott GOULD et Fred GWYNNE, qui, souffrant de trouble bipolaire, avait été retrouvée en train d'errer comme une clocharde, avant de recouvrer une meilleure forme, selon l'intéressée grâce à la médecine naturelle.

Erin MORAN (au côté de Sid HAIG) dans LA GALAXIE DE LA TERREUR.

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Quand l'épouvante investit la réalité..

Concernant les personnes déshéritées, un sans-abri de Miami a eu le visage affreusement mutilé le 26 mai dernier lors d'une attaque semblant tout droit sortir du célèbre film de George ROMERO de 1968, LA NUIT DES MORTS VIVANTS ( NIGHT OF THE LIVING DEAD ). Malgré l'origine haïtienne de l'agresseur et le surnom qui lui a été donné de "Zombie de Miami", celui-ci n'avait rien à voir avec les zombies des films fantastiques, mais n'était qu'un dément sous l'emprise de la marijuana, premier cas spectaculaire d'une vague d'agressions similaires qui se produit actuellement sur la côte est des Etats-Unis, particulièrement en Floride, lesquelles semblent incriminer divers stupéfiants, notamment des drogues de synthèse, poussant certains individus à commettre des attaques cannibales sous l'emprise de la furie, comme on pensait n'en voir qu'au cinéma - confirmant après l'assassinat aveugle dans la nuit du 19 au 20 juillet de spectateurs venus assister dans un cinéma de Denver à la dernière mouture de BATMAN, par un diplômé de neurologie se prenant pour le personnage du Joker, que ce monde devient toujours plus fou. Le courage dont fait preuve la victime, déjà éprouvée par une vie difficile et une balle perdue reçue des années plus tôt, force l'admiration, rappelant la personnalité remarquable de "l'Homme éléphant" au XIXème siècle, popularisé par le film de David LYNCH. Même si bien des malheurs frappent les habitants de cette planète, Ronald POPPO mérite plus particulièrement, après une si incroyable infortune, qu'un tout aussi extraordinaire mouvement de solidarité lui permette de bénéficier des meilleurs soins possibles et de maintenir dans la meilleure condition son oeil rescapé. Près de 50% des fonds nécessaires ont été recueillis mais il ne reste qu'un mois pour compléter la somme. Quelques Français se sont déjà associés à la collecte. Il n'est pas interdit que, quand le fantastique est rattrapé par la réalité, ceux qui aiment ce genre se sentent plus particulièrement concernés par les situations qu'ils connaissent déjà par la fiction...

site de l'association :
ou site de l'hôpital (case : Designate to Mr. Ronald Poppo ) :
https://www.jmf.org/take-action-%20now/donations
( lien à copier sur le moteur de recherche pour ouvrir la page )


Dernière photo de Ronald d'avant la tragédie. Cet homme placide, jadis un étudiant brillant, qui a fini par se retrouver à la rue, n'attendait vraisemblablement plus grand chose de la vie, mais n'imaginait sans doute pas connaître un nouveau drame surgi des pires films d'horreur.. Il est à présent nécessaire que les chirurgiens lui redonnent un visage humain... et que le plus grand nombre d'internautes - ne serait-ce qu'en consentant au sacrifice du prix de quelques cafés ou cigarettes - contribuent à lui rendre un peu de foi dans l'humanité..

lundi 2 juillet 2012

RAY BRADBURY, ENTRE POÉSIE ET SCIENCE-FICTION


L'écrivain Ray BRADBURY, né le 22 août 1920 à Waukegan, dans l'Illinois, s'est éteint le à l'âge de 91 ans le 5 juin 2012. Bien que son nom soit généralement associé à la science-fiction, il faisait partie de ces quelques auteurs comme Kurt VONNEGUT qui étaient davantage considérés comme de grands écrivains dignes de la "grande littérature", avec la reconnaissance qui s'y attache, que comme de stricts auteurs de science-fiction, désignation réputée moins prestigieuse, eux-mêmes s'attachant généralement à se dissocier du genre dans leurs déclarations et à professer leur peu d'intérêt pour la matière scientifique. Il est vrai que Ray BRADBURY s'était vu refuser ses textes par le directeur de la célèbre revue "Astounding stories", John CAMPBELL, grand découvreur de talents, qui estimait que ce qu'il écrivait "n'était pas de la science-fiction", et de manière générale son style était jugé "trop poétique" par les rédacteurs des magazines.

Après l'obtention de son diplôme dans un lycée de Los Angeles, il devient vendeur de journaux de rue pour gagner sa vie, et se cultive en fréquentant la bibliothèque. Même si il a lu dans sa jeunesse Edgar POE, Jules VERNE, H.G. WELLS et Edgar Rice BURROUGHS dont il avait à onze ans pastiché en écrivant une aventure de John Carter sur Mars, ses intérêts de lecteur adulte le portent à opter pour les œuvres des poètes et des écrivains "classiques" de la littérature anglo-américaine. Et cependant, c'est la revue "Super science stories" qui publiera son premier texte, PENDULUM, écrit en collaboration avec Henry HASSE - écrivain inconnu en France et à présent presque oublié, mais qui fut l'auteur d'un cycle futuriste volumineux, CHRONICLES OF THE SIX WORLDS ainsi que de nouvelles publiées par les pulps, dont l'une avait été choisie par Isaac ASIMOV pour figurer dans une anthologie. Selon les témoins de la scène, le jeune BRADBURY a été tellement enchanté de voir imprimé son texte qu'il aurait fini par embrasser fougueusement le magazine.

L'auteur dans son jeune temps

Certaines des œuvres de Ray BRADBURY ont acquis une immense notoriété, comme le roman FAHRENHEIT 451 (1953), dépeignant un futur proche dans lequel les livres ont été bannis, préfigurant l'épisode L'HOMME OBSOLÈTE ( THE OBSOLETE MAN ) écrit par Rod SERLING pour la série LA QUATRIÈME DIMENSION ( THE TWILIGHT ZONE ), et auquel François TRUFFAUT donna vie au cinéma en 1966 avec l'aide de la musique mélancolique de Bernard HERRMANN. Le récit n'a rien perdu de son actualité, avec le personnage de l'épouse, conditionnée par des émissions télévisées débilitantes dont elle ne s'abstrait que pour critiquer avec ses amies son mari féru de lecture, et l'omniprésence d'un discours médiatique se voulant consensuel dispensant le spectateur de tout raisonnement en lui imposant des formules préformatées expurgées de tout sens profond. On lira avec intérêt un résumé analytique réalisé par un auteur québécois qui révèle que le livre lui-même a été légèrement retouché au cours des rééditions pour éviter de choquer certaines catégories de lecteurs: http://www.erudit.org/culture/el1057873/el1060798/10684ac.pdf. BRADUBRY a aussi connu la consécration pour la série de nouvelles publiées en volume en 1950 sous le titre des CHRONIQUES MARTIENNES ( THE MARTIAN CHRONICLES ), adaptées sous forme de série télévisée avec Rock HUDSON en 1980, les fantomatiques habitants de Mars, qu'on suppose repoussés au loin par la colonisation de la planète par les Terriens, apparaissant en toile de fond d'histoires au ton nostalgique tournant principalement autour de la psychologie des nouveaux occupants, préfigurant quelque peu l'esprit de divers épisodes de LA QUATRIÈME DIMENSION dans lesquels le sens du merveilleux ne va pas sans une certaine causticité et un désenchantement quant à la nature humaine. Sa publication en français inaugura la célèbre collection "Présence du futur" chez l'éditeur Denoël. LA FOIRE DES TÉNÈBRES a aussi été transcrite à l'écran par Jack CLAYTON en 1983, après une première adaptation en 1972; son atmosphère provinciale, empreinte de nostalgie, sur l'enfance confrontée à de terrifiants secrets, annonce fortement les histoires de Stephen KING ; l'idée d'un cirque itinérant abritant un personnage maléfique aux pouvoirs surnaturels rappelle aussi les romans de Theodore STURGEON CRISTAL QUI SONGE et LE CIRQUE DU DR LAO de Charles FINNEY, adapté au cinéma; ce second récit avait d'ailleurs été choisi comme tête d'affiche d'une anthologie constituée par Ray BRADBURY, "The circus of Dr. Lao and other improbable stories".

Ray BRADBURY s'est lui-même impliqué directement dans l'univers audio-visuel, en transformant en scénario certaines de ses histoires, comme LA FÉE ÉLECTRIQUE ( I SING THE ELECTRIC BODY ) sous forme d''un épisode de la série LA QUATRIÈME DIMENSION (THE TWILIGHT ZONE) - devenu également un téléfilm en 1982, THE ELECTRIC GRANDMOTHER, en concevant la série RAY BRADBURY PRÉSENTE (RAY BRADBURY THEATRE), et a collaboré à divers films, écrivant notamment le scénario de l'adaptation cinématographique de MOBY DICK réalisé par John HUSTON, avec lequel il eut une relation difficile.

L'adaptation en bande dessinée des CHRONIQUES MARTIENNES ne comporte pas les monstres spectaculaires que la couverture promet, pas plus que l'œuvre originale, mais fait seulement apparaître fugacement une forme de vie indigène vivant dans les canaux, le "poisson-anneau", d'après la description de BRADBURY : "Un poisson-anneau argenté flottait près d’eux, ondulait et se refermait comme un iris, instantanément, autour de parcelles de nourriture, pour les assimiler".n poisson-anneau argenté flottait près d’eux, ondulait et se refermait comme un iris, instantanément, autour de parcelles de nourriture, pour les assimiler".
A l'instar d'Isaac ASIMOV, Ray BRADBURY recourait peu aux créatures dans ses histoires, préférant opter pour un fantastique plus éthéré, dont la qualité poétique ne manquait d'être soulignée. Sa courte nouvelle LA LONGUE ATTENTE (THE ONE WHO WAITS), intégrée dans LES CHRONIQUES MARTIENNES, évoque une entité encore plus évanescente que les fantomatiques martiens, une force immatérielle attendant au fond d'un gouffre l'explorateur par trop téméraire.
La forme vaporeuse pourvue de conscience, de LA LONGUE ATTENTE, représentée en bande dessinée par Al WILLIAMSON.

Ray BRADBURY est cependant l'auteur du script "Atomic creatures" sur lequel, comme le relevait John CARPENTER lui-même, est basé le premier film de science-fiction comportant une forme de vie non humanoïde (suite à la volte-face des producteurs de LA CHOSE D'UN AUTRE MONDE déjà évoquée, sur laquelle on reviendra en août). Mis en scène par le célèbre réalisateur Jack ARNOLD, LE MÉTÉORE DE LA NUIT (IT CAME FROM OUTER SPACE), tourné pour être projeté en relief, est un des rares films de l'époque mettant en scène des extraterrestres qui s'avèrent finalement peu hostiles. Le film joue pourtant avec le climat d'inquiétude de la guerre froide entre Américains et Soviétiques, mais les simulacres extraterrestres apparaissant lors de scènes très inquiétantes filmées dans le désert jalonnés de cactus aux formes psychédéliques parfaitement mises en valeur, ne sont, contrairement à ceux de L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES trois ans plus tard, que des naufragés désireux d'utiliser des compétences humaines sans attirer l'attention, ayant remplacé les humains servant de main-d'œuvre, provisoirement ravis à leur famille, par des simulacres tandis que les originaux s'attellent à la réparation du vaisseau spatial.

L'antre des visiteurs, dissimulé dans un flanc de montagne.

Gros plan sur un des extraterrestres, enfin révélé.


Sa nouvelle LA SIRÈNE est portée en 1953 au cinéma sous le titre LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS (THE BEAST FROM 20000 FATHOMS), avec sa créature dinosaurienne (une espèce inventée surnommée Rhedosaurus) rendue à la vie, qu'animait son ami Ray HARRYHAUSEN, prenant le son d'une sirène d'un phare pour l'appel d'une femelle de son espèce. Cet espoir déçu condamnant à la solitude le protagoniste renvoie sans doute à d'anciennes expériences de l'auteur qui confiait dans sa jeunesse avoir éprouvé durement l'échec amoureux, comme dans les classiques LE BOSSU DE NOTRE DAME et LE FANTÔME DE L'OPÉRA qu'il avait vus enfant.


Un autre reptile géant des temps reculés évoqué par l'écrivain est le Tyrannosaure que chassent pour le plaisir des voyageurs du temps dans la courte nouvelle COUP DE TONNERRE (AS OUND OF THUNDER). L'intrigue est connue, un papillon écrasé par inadvertance suffisant à changer le futur, illustrant la théorie du "battement d'ailes de papillon à l'autre bout du monde qui crée un cataclysme", comme détaillé par le "physicien du chaos" interprété par Jeff GOLDBLUM dans JURASSIC PARK, autre film démontrant le danger d'employer des dinosaures dans un sens ludique. Adaptée tardivement au cinéma, en 29005, l'histoire a été compliquée par divers aller-retours temporels, l'un deux voyant la cité du futur envahie par des mauvaises herbes et investie par un groupe de babouins mutants anthropophages imaginés par le sculpteur Brian WADE ( mais réalisés numériquement ).

Adaptation d'UN COUP DE TONNERRE par Al WILLIAMSON

Autre adaptation en bande dessinée par un autre dessinateur célèbre, Richard CORBEN.

Tout récemment, CHRYSALIS, qui avait déjà eu l'honneur d'une dadaptation à la télévision italienne en 1979 (LA CRISALIDE, dans la série RACCONTI DI FANTASCIENZA) transférait au cinéma une nouvelle futuriste de l'écrivain, huis-clos à la manière de THE TERROR WITHIN, montrant des survivants essayant de recréer la vie végétale qui voyait l'un d'eux progressivement recouvert d'un étrange cocon verdâtre, l'œuvre permettant d'aborder le thème des rapports antre la science et la religion.


LA CRISALIDE

La singularité de Ray BRADBURY ne se limite pas à son rapport un peu atypique aux genres de l'imaginaire, si on en juge par les tentatives des critiques de le situer politiquement, comme cela avait déjà été le cas pour un autre célèbre écrivain de science-fiction Robert HEINLEIN. Certains en font un auteur d'une gauche non marxiste, critiquant les dérives d'un monde productiviste, de l'appât du gain de la société moderne et de la déculturation qui l'accompagne toujours davantage, viscéralement attaché au pacifisme, dénonçant explicitement le racisme, et décèlent même au travers des Martiens évanescents des CHRONIQUES MARTIENNES le souvenir des Amérindiens acculés aux réserves par les colons anglo-saxons venus s'établir et asservir la nature, ce qui en ferait presque un précurseur des mouvements de contestation de la société de consommation des années 1970. D'autres au contraire décèlent dans l'attachement au mode de vie traditionnel une forme de nostalgie pour une société plus provinciale et rurale, qui serait davantage harmonieuse conformément à la thèse du sociologue TÖNNIES, et l'écrivain confesse d'ailleurs son peu d'attirance pour le progrès et la science, ce qui pousse certains à en faire un conservateur, ce qui pourrait encore être étayé par sa dénonciation prémonitoire du discours "politiquement correct" dans FAHRENHEIT 451 visant à éradiquer, comme dans nombre d'universités américaines actuelles, l'étude de toute œuvre et toute considération qui pourrait pousser même indirectement une minorité à se sentir offensée. La décoration de l'écrivain par la médaille nationale des arts en 2004 des mains du président George BUSH junior, qui a décidé de l'invasion de l'Irak en présentant de fausses preuves de l'implication du dictateur Saddam HUSSEIN dans des actes terroristes internationaux, est quelque peu ironique quand on pense à la préparation de l'opinion à une "guerre propre", sans morts, dans FAHRENHEIT 451, préfigurant les attaques ciblées censées épargner les civils et l'interdiction de publier des photos des corps de soldats américains tués au combat notamment lors de la seconde guerre du Golfe - l'écrivain avait d'ailleurs initialement exprimé son insatisfaction de voir une allusion au titre de ce roman dans celui d'un documentaire de Michael MOORE présentant un réquisitoire à ce sujet. D'autres font encore valoir que, finalement, Ray BRADBURY pourrait être apolitique, et ses considérations n'émaner que de la réflexion d'un poète - après tout, un écrivain exprime avant toute chose un regard individuel au travers de ses élaborations artistiques et il est souvent réducteur de vouloir l'assigner à une catégorisation partisane.

Ayons une petite pensée pour le créateur de monstres Ray HARRYHAUSEN, qui après le rédacteur du magasine "Famous monsters", Forrest ACKERMAN, perd avec le volubile Ray BRADBURY un second ami très cher. Suite à un accident cérébral, Ray BRADBURY passa les dernières années de sa vie dans un fauteuil roulant, mais s'efforça de conserver son apparente légèreté. En 2012 encore, il contribuait à l'adaptation au cinéma en tant que court-métrage sous le titre RAY BRADBURY'S KALEIDOSCOPE de sa nouvelle KALÉIDOSCOPE, dont le romantisme désabusé se concrétise par la pensée d'un astronaute en chute libre qui se réconforte en se disant qu'au moins sa mort participera du renouvellement du cycle de l'écosystème de sa planète. Auteur en marge des genres, assez inclassable politiquement, reconnu par une élite à laquelle il s'est toujours attaché à ne pas appartenir, c'est un personnage singulier empreint de bonhomie et de charme qui disparaît après avoir conquis une place non discutée dans l'imaginaire du XXème siècle, paradoxalement tout particulièrement auprès de ceux qui sont plutôt réticents au fantastique. Une étoile sur le boulevard d'Hollywood des célébrités en 2002 et un astéroïde portant son nom consacrent définitivement son succès.



Astronaute changé en étoile filante dans une bande dessinée de Wally WOOD inspirée officieusement de l'œuvre de Ray BRADBURY, les nouvelles KALEIDOSCOPE et ROCKET MAN. BRADBURY a écrit une lettre ironique expliquant qu'il n'avait pas encore reçu le versement des droits d'adaptation et qu'il espérait que l'éditeur William GAINES y remédierait. Ce dernier prit bien la chose, lui envoya les 50 dollars requis, et une série de nouvelles adaptations en bandes dessinées, cette fois officielles, débuta...

Réticent devant l'emprise croissante de la technologie, Ray BRADBURY a toujours refusé que soit proposée une version numérisée de ses livres, mais il avait néanmoins son site internet officiel : http://www.raybradbury.com/

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Signalons en passant la disparition d'un acteur qui s'est notamment illustré dans les séries télévisées en incarnant des personnages patibulaires. Richard LYNCH, acteur américain d'origine irlandaise ( il avait la double nationalité ), a été découvert sans vie à son domicile le 19 juin 2012, à l'âge de 76 ans. Son visage particulier provient d'un accident survenu alors que, sous l'effet de la dogue, il s'était immolé; il apporta son expérience à un documentaire contre l'usage des drogues. On l'a vu dans des épisodes de BUCK ROGERS AU XXVème SIECLE, GALACTICA, MANIMAL - y incarnant un agent de l'est inquiétant, STAR TREK-THE NEXT GENERATION,...

Richard LYNCH ne se remet pas de la mort de sa famille dans NECRONOMICON et, comme le Comte Dracula mis en scène par COPPOLA, renie Dieu dans son ire.

Au cinéma, on l'avait vu notamment interpréter le souverain maléfique de L'ÉPÉE ENCHANTÉE ( THE SWORD AND THE SORCERER ), un film d'heroic-fantasy d'Albert PUYN, ainsi qu'un homme bouleversé dont la courte apparition est assez inoubliable dans NECRONOMICON, s'adonnant à l'occultisme dans le fol espoir de faire revivre les siens, et l'avènement de puissances monstrueuses ne dissuadera pas pour autant un autre désespéré de tenter la même funeste expérience.

Richard LYNCH disparaît après 40 ans de carrière. Son fils unique, né d'un premier mariage, Christopher LYNCH, qui avait suivi les traces de son père, l'avait précédé dans la tombe, victime en 2005 d'une pneumonie.