lundi 21 décembre 2020

RICHARD CORBEN, L'ART POPULAIRE PAR EXCELLENCE


Peu après Ron Cobb (voir hommage précédent), c’est un autre nom célèbre du monde des illustrateurs américains qui s’est éteint, le 2 décembre 2020 des suites d’une opération du cœur à l’âge de 80 ans. À l’instar du réalisateur Stuart Gordon disparu il y a quelques mois qui avait adapté Howard Phillips Lovecraft de manière exubérante en y mêlant l’érotisme et le grotesque, notamment dans Re-animator et Aux portes de l’au-delà (From Beyond) même si sa troisième incursion dans l’univers de l’écrivain, Dagon, demeurait durant une majeure partie du film dans une sobriété imprégnée d’une sourde angoisse (voir l’hommage au cinéaste au mois d'aôut : https://creatures-imagination.blogspot.com/2020/08/cetait-un-des-maitres-de-lempire.html), Richard Corben a notamment livré des œuvres célèbres inspirées d’un autre auteur renommé contemporain de Lovecraft, Robert E Howard, en y associant son propre penchant pour une nudité assez crue, avec ses femmes aux seins opulents similaires à des globes et ses héros masculins au crâne souvent chauve, au corps musculeux et totalement glabre tel celui des culturistes et ne dissimulant pas leurs attributs virils (même si l’auteur a toujours récusé tout lien avec la pornographie, contrairement à Gillon qui était parfois audacieux en la matière). Le dessinateur avait lui-même pratiqué cet entraînement physique destiné à accroître de manière spectaculaire la masse musculaire avant d’en abandonner la pratique par manque de temps.

Né le 1er janvier 1940 dans le Missouri, Richard Corben avait fait des études d’art, après s'être initié en autodidacte, réalisant un court-métrage inspiré des douze travaux d'Hercule en utilisant la caméra Super 8 de son père. Débutant sa carrière dans le domaine de l’animation, il avait été le responsable de l’animation du film Siegfried saves Metropolis récompensé dans le cadre d’un concours organisé en 1964 par le magazine Famous Monsters, réalisé par Madonna Marchant qu’il épousa l’année suivante et qui demeura sa femme durant toute sa vie.

Son univers à la sauvagerie inhérente servait à Richard Corben à évoquer aussi bien le monde barbare antique fictif imaginé par l’auteur du personnage de Conan le Cimmérien que celui décadent d’un futur post-apocalyptique comme celui de Den, au service duquel il livra aussi les adaptations en bande dessinées d’Un garçon et son chien (Vic and Bloodd’après la vision très sombre d’Harlan Ellison. Les bandes dessinées de Richard Corben sont aussi caractérisées par des couleurs vives, outrées, presque baveuses, résultat obtenu au travers de la superposition de plusieurs films, même s’il arriva comme pour son album Bloodstar que l’auteur délègue à d’autres la colorisation.

En dépit de l’allure quelque peu paillarde de ses dessins, loin des canons habituels de l’art consacré par le bon goût, Richard Corben recherchait fréquemment son inspiration dans des sources littéraires, adaptant des œuvres d’Edgar Allan Poe, d’Edgar Rice Burroughs, de William Hope Hodgson et d’Howard Phillips Lovecraft. Il avait fondé sa société Fantagor pour éditer ses oeuvres, mais ses revenus étant insuffisants, il avait aussi loué ses talents à de plus grandes compagnies telles que Marvel, D C Comics et Dark Horse, livrant quelques histoires de super-héros et ayant aussi à l'occasion repris le personnage maudit et ombrageux créé par Bernie Wrightson de la Créature du marais (voir hommage consacré à ce dernier en mars 2017 : https://creatures-imagination.blogspot.com/2017/03/il-avait-imagine-la-creature-du-marais.html ).

Le sombre héros et son complice canin d'Un garçon et son chien (Vic and Blood). 

Deux évocations lointaines des dinosaures sauropodes, en haut, une créature qui s'apparente à ce qu'aurait pu être un reptile mammalien à long cou, en dessous, les rangées de petits yeux de ces monstres rosâtres conférent à leur extrémité antérieure un petit aspect de Némertien (vers rubannés, évoqués sommairement dans l'article de septembre 2008 : http://creatures-imagination.blogspot.com/2008/09/le-tentacule-dabyss-existe-reellement.html).







Quelques créatures façonnées par Richard Corben pour illustrer des récits littéraires : en haut, plantes carnivores vigoureuses pour la couverture du monde de la mort (Deathworldd'Harry Harrison et de la flore martienne apparaissant dans les aventures de John Carter sur Mars inventées par Edgard Rice Burroughs, en dessous, créatures porcines inquiétantes de l'adapatation en bande dessinée de La maison au bord du monde (The House on the Borderland) de William Hope Hodgson, et en bas la créature que son apparence molle ne rend pas moins terrifiante de la bande dessinée Bloodstar inspirée de La vallée du ver (Valley of the Worm) de Robert E Howard.

    
Cette créature de taille plus modeste mais à l'apparence tout aussi remarquable apparaît dans la saga Den.

Autoportrait de l'artiste

Ces éléments, les personnages au physique stéréotypé, la nudité, la cruauté qui transparaissait régulièrement au sein de ces aventures baroques, les couleurs plutôt criardes des planches, faisaient par excellence de Richard Corben un représentant de l’art populaire. Il était devenu la figure emblématique du magazine de bandes dessinées Métal Hurlant et de sa version américaine Heavy Metal et il avait contribué au dessin animé réalisé en 1981 sous forme de long métrage composé de plusieurs séquences inspirées par l’univers des auteurs de la revue.


Ce personnage humanoïde sur la couverture d'un numéro de la version américaine de Métal hurlant ne semble pas particulièrement intimidé par le discours féministe omniprésent.

Après avoir apporté sa contribution au long métrage d’animation Métal Hurlant en 1981, Richard Corben s’aventura en 1989 à réaliser son propre film, Dark Planet, directement pour le marché de la vidéo. L’auteur ne se plaindra pas du peu de notoriété de l’œuvre, convenant qu’elle n’était pas très concluante. Force est de constater que cette tentative expérimentale est loin d’être réussie, suite assez décousue alignant des séquences fastidieuses sans réellement de signification. Quant à la créature de l’affiche, animée image par image, la texture et la couleur terne d’argile qui sont conférées à ses formes molles ne lui donne pas d’autre allure que celle d’une figurine en glaise s’agitant vainement, loin du titan effrayant et inébranlable qu’elle est censée représenter. 


La créature de Dark Planet pour le poster du film et son apparition à l'écran en dessous.


Poster réalisé par Richard Corben pour le film de série B Spookies.

Le surréalisme assez outrancier de Richard Corben dont le penchant pour les femmes charnues le rapproche de Frazetta, illustre avec le style hyperréaliste de Paul Gillon ou le trait d’allure un peu fantaisiste et onirique de Moebius la variété de l’esthétique de la bande dessinée, au sein du du Panthéon du neuvième art dans lequel il demeurera sûrement.


Richard Corben s'était vu attribuer de nombreuses récompenses pour sa carrière artistique.


Site officiel : http://www.corbencomicart.com/

Site dédié très complet : https://muuta.net/wp/sitemap/

Pour les lecteurs qui voudraient tenter l'expérience de visionner Dark Planet :

https://www.youtube.com/watch?v=KkfoeGfS63A


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Ce serviteur de l'Empire se fiait à son Etoile noire


Dave Prowse sous l'armure impériale de Dark Vador

Le 28 novembre 2020 a disparu à l'âge de 85 ans un autre ancien adepte du culturisme. Né le 1er juillet 1935, l’acteur Dave Prowse a connu une fin de vie difficile, des problèmes d'arthrose lui ayant laissé les bras paralysés, il était également affecté par la maladie d'Alzheimer et avait eu le cancer de la prostate. Il assurait la vice-présidence d'une association pour l'insertion des handicapés. Un de ses trois enfants, Rachel, a indiqué qu'il avait succombé à la terrible épidémie du coronavirus chinois qui déferle depuis un an sur le monde. Il était surtout connu pour avoir endossé la costume de Dark Vador (Darth Vader en version originale) dans la saga de La Guerre des étoiles (Star Wars) créée par George Lucas, même si sa voix était doublée en version originale par l’acteur James Earl Jones (Thulsa Doom dans Conan le barbare de John Milius), et qu’il n’avait pas prêté ses traits au personnage démasqué à la fin du Retour du Jedi (Return of the Jedi), lequel avait été interprété par Sebastian Shaw. La frustration d'être ainsi limité dans son expression l'avait amené à critiquer George Lucas, lequel en rétorsion l'avait finalement interdit de toute participation aux manifestations officielles de la franchise. Il avait choisi ce rôle iconique de préférence à celui de Chewbacca, le comparse velu d’Han Solo, pour lequel Lucas avait à défaut engagé un infirmier en raison de sa grande taille, Peter Mayhew, disparu un peu plus tôt. Il avait aussi incarné, en 1971, le majordome à l’impressionnante musculature qui contraignait l’odieux Alex d’Orange mécanique (A clockwork Orange) dorénavant rendu inoffensif à déjeuner chez un écrivain dont il avait causé le décès de la femme, joué par Patrick McGee, alors qu’il commençait à réaliser chez qui il avait trouvé refuge, lequel, bien que libertaire, exerçait sur lui la plus machiavélique vengeance. Il avait aussi à deux reprises interprété pour la compagnie anglaise Hammer la Créature de Frankenstein, en 1971 dans Les Horreurs de Frankenstein (The Horror of Frankenstein) dans lequel il a le crâne rasé et en 1974 dans Frankenstein et le monstre de l’enfer (Frankenstein and the Monster from Hell), le dernier film de Terence Fisher dans lequel il joue Schneider, une brute simiesque que le baron Frankenstein incarné par Peter Cushing utilise comme cobaye de ses expérimentations démentes – les financiers avaient exigé qu’une figure monstrueuse figure dans le film, d’où les traits bestiaux et la pilosité hirsute dont fut gratifié le personnage. Parmi les autres apparitions de Dave Prowse figurent un minotaure dans la série Dr Who (The Time Monster) en 1971, un extraterrestre dans l’épisode The Beta Cloud de la série Cosmos 1999 (Space 1999) et le bourreau du Continent oublié (The People that Time forgot).

Dave Prowe dans le costume de l'hideux Schneider devenu le sujet des fort douteuses expériences du Docteur Frankenstein dans Frankenstein et le monstre de l’enfer, jouant de son physique imposant dans son incarnation tacite du domestique d'Orange mécanique et un autre rôle dans lequel il n'utilisait pas davantage sa voix mais qui lui a valu des admirateurs dans le monde entier pour s'être identifié au ténébreux Dark Vador maléfique de la trilogie originelle de La Guerre des étoiles.

Mentionnons aussi le décès subit le 9 novembre 2020 à Paris de Joseph Altairac, grande perte à la fois sur le plan intellectuel et humain. Après avoir écrit une biographie d'H.G. Wells en 1998 puis d'un autre auteur célèbre de science-fiction, A. E. Van Vogt, en 2000, ce passionné de Lovecraft avait en association avec Guy Costes livré en 2006 une somme sur les mondes imaginaires souterrains. Le duo s'était ensuite consacré dans le sillage de Pierre Versins à réaliser une encyclopédie recensant les oeuvres préfigurant la science-fiction dans la littérature francophone, "de Rabelais à Barjavel", Rétrofictions. En présentant son monumental ouvrage avec son co-auteur, il avait indiqué qu'il avait inclus au sein de cette proto-science-fiction Le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne parce qu'un Chinois y évoquait un genre de télévision, et Michel Strogoff du même auteur car on y trouvait un épisode de révolte des Tartares qui était fictif, ce qui le rapprochait de l'uchronie. Il avait par contre reconnu suite à ma demande de précision avoir ajouté Le passe-muraille de Marcel Aymé guidé par une certaine subjectivité, motivée par son intérêt pour la nouvelle bien qu'aucun élément explicatif de nature scientifique n'y figure effectivement. J'avais eu longuement le plaisir de discuter avec lui quatre ans plus tard, nous accordant notamment sur le paradoxe de l'origine de la science-fiction américaine qui s'est d'abord annoncée sous des atours fantaisistes mêlés de merveilleux avec un auteur comme E. R. Burroughs et son cycle de John Carter sur Mars, avant de s'ancrer davantage dans l'imaginaire scientifique à l'imitation des auteurs européens sous l'égide notamment de Jack Williamson. Personnage attachant trop tôt disparu, Joseph Altairac nous manquera. Sa disparition suit avec quelques mois celle de Jean-Pierre Moumon, un des fondateurs des conventions françaises de science-fiction, polyglotte et traducteur de romans de science-fiction scandinaves.

https://www.actusf.com/detail-d-un-article/joseph-altairac-nous-a-quitt%C3%A9s?fbclid=IwAR0m4ihva11LqJPu31hewVAOF6HJVS-URJzpvNSa3TUjPV2vqigRGvVn5DU

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/dmitry-glukhovsky-le-printemps-russe



Il y a exactement un an, le 26 décembre 2019, s'éteignait le producteur de cinéma David Foster qui, avec Laurence Turman et sa compagnie Turman-Foster, avait joué un rôle déterminant dans la production du film de science-fiction et d'épouvante The Thing puisque, grand admirateur de la novella de John W. Campbell, Who goes there ?, il avait soutenu l'initiative d'adaptation de son ami le producteur Stuart Cohen, à défaut de son autre proposition relative à une invasion d'insectes. Son rôle fut déterminant puisqu'il lui permet d'obtenir le soutien financier fort utile à un projet aussi ambitieux du Studio Universal au nom de son président Ned Tanen, même si ce dernier préfera initialement confier la mise en scène au réalisateur de Massacre à la tronçonneuse (Texas Chainsaw Massacre) qu'à John Carpenter proposé par Cohen, qui n'avait pas encore été consacré par le succès d'Halloween puis l'excellente réception d'Assault (Assault on Precinct 13en Europe. David Foster recommanda également à l'instar du créateur d'effets spéciaux mécaniques Roy Arbogast le choix de l' artiste Dale Kuipers avec lequel ils avaient travaillé sur la comédie préhistorique Caveman comme concepteur artistique pour imaginer la "Chose" mais un accident totalement inattendu eut pour effet de le faire quitter le projet comme évoqué en ces pages dans l'hommage qui lui a été rendu, ainsi que dans le grand dossier en trois parties consacré au film, sur lequel on aura à nouveau prochainement l'attention de revenir, à la fois sur la version de Kuipers puis sur la conception du film en général.

David Foster au milieu prête ses traits à un des infortunés Norvégiens fuhitivement entrevus dans The Thing, autour du bloc de glace contenant la découverte qui causera leur malheur.

    Il avait envisagé de produitre la suite, The Thing 2, qui aurait vu la Chose parvenir jusqu'à l'océan, s'emparant de manchots et d'un cachalot, comme illustré à la fin du troisième volet du long hommage consacré en ces pages au film de John Carpenter.

Un manchot encore plus effrayant que ceux des Montagnes hallucinées d'Howard Philip Lovecraft, dessin de John Jagusak d'après un scénario de Todd Robinson pour The Thing 2.


David Foster sur la production de Short Circuit avec la co-vedete Johnny 5, le robot sentimental.


Prenez soin de vous, on espère retrouver les lecteurs encore plus nombreux à la prochaine parution.