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lundi 25 septembre 2023

TRONCHE MEMORABLE

 

            Philippe Curval nous a quittés à l’âge de 93 ans le 5 août 2023. Homme affable, accessible, il était probablement l’un des deux écrivains français contemporains les plus renommés dans le domaine de la science-fiction avec Gilles d’Argyre connu sous le pseudonyme de Gérard Klein. Né Philippe Tronche le 27 décembre 1929 à Paris, son père l’intéresse très jeune à la science-fiction. Son goût pour le domaine le conduit à y participer en tant qu’auteur de nouvelles et de romans, créateur de publications ou encore pourvoyeur de critiques pour les revues spécialisées et « Le Monde ». Son éclectisme l’avait aussi amené à exercer les fonctions de visiteur médical itinérant, de journaliste, de contributeur à des journaux scientifiques, de photographe et auteur de collages et de photomontages utilisés aussi bien pour des couvertures de numéros de la revue « Fiction» que de publications et d’exposition sur de grandes toiles. A la manière d’Alexandre Jardin, il avait entrepris d’écrire en quatre volumes une histoire fantasmée de sa famille sous son vrai nom de Tronche, dont il avait achevé le deuxième malgré sa perte de mobilité suite à une mauvaise chute.

Illustration originale de Philippe Curval pour son roman Lothar Blues qui traite comme Les Humanoïdes de Jack Williamson et La Tour de verre de Robert Silverberg de la place des êtres artificiels conçus à l'image de l'homme dans la société de l'avenir. 

       Si son intérêt pour la science-fiction n’était pas exclusif, l’écrivain y revint périodiquement, intéressé aussi bien par le surréalisme que par l’interdisciplinarité des connaissances. Plusieurs de ses romans ont pour cadre le Marcom, construction européenne (marché commun en condensé). L’auteur déplorait d’ailleurs que la construction européenne s’éloigne de la démocratie en confiant le pouvoir décisionnaire davantage à la commission, oligarchie désignée par les gouvernements, qu’au parlement européen, émanation de la population au suffrage direct. Lors d’une conférence à Amiens, il rappelait que dans son roman de 1976 Cette chère humanité s’étant vu décerner le Prix Apollo l’année suivante, il avait notamment prédit, comme son confrère britannique Brian Adliss dans L’instant de l’éclipse, l'importance que revêtirait pour le continent européen le sujet d’une immigration croissante - l'actualité confirme sa projection avec l’arrivée sur l’île de Lampedusa à la mi-septembre 2023 de centaines d’embarcations ayant amené 11000 migrants issus d'Afrique subsaharienne. Les deux auteurs de science-fiction imaginent qu’en dépit des moyens technologiques, l’Occident finira par céder à la pression démographique des autres régions du monde (les "payvoides" pour pays en voie de développement chez Curval). L'auteur y évoque aussi les moyens artificiels de s’évader de la réalité par le biais du virtuel, donnant notamment son titre à son roman La forteresse de coton, phénomène qui s’est depuis développé au Japon au point qu’un couple y a été condamné pour avoir causé la mort de son nourrisson en le délaissant plusieurs jours de suite pour nourrir un animal virtuel, le Tamagotchi, et que le terme d’"otaku" y a été forgé pour désigner des individus totalement coupés de la réalité vivant dans un monde régressif fictif auxquels le réalisateur Jean-Jacques Beneix avait consacré un documentaire entier. Le dormeur s’éveillera-t-il évoque notamment de son côté la problématique des énergies renouvelables au travers de la contestation de la multiplication de panneaux solaires géants, illustrant ainsi qu’aucun mode de production d’énergie, fut-ce l’utilisation de la source gratuite et illimitée que représente le Soleil, n’est totalement sans incidence environnementale – en ce cas, on sait déjà que sans atteindre l’ampleur de la contestation de leur utilisation dans le roman, ceux-ci nécessitent l’extraction de minéraux rares entraînant d’irréversibles dommages sur les sites d’extraction, d’autant plus que le recyclage du matériel usagé n’est pour l’instant pas garanti.

            Très intéressé par l’avenir de la société, Philippe Curval le connecte aussi au thème des créatures extraterrestres qui nous intéresse tout particulièrement ici dans sa conférence "Politique de l’extraterrestre" tenue à Nancy les 14 et 15 mai 2001, contestant que le sujet appartienne à un genre de science-fiction ayant fait son temps (le lecteur de la trilogie ici consacrée au film The Thing se rappellera peut-être de quelle manière fort peu enthousiaste pour dire le moins Richard Matheson avait accueilli la proposition du Studio Universal d’écrire le scénario de l’adaptation sur grand écran de La Bête d’un autre monde (Who goes there ?) que réalisera John Carpenter). Il y rappelle la multiplicité des approches que permet ce thème, du spectre des conflits et de l’anticipation de la 1ère guerre mondiale chez H.G Wells au travers de La guerre des mondes (War of the Worlds) en 1898 à la peinture d’une irréductible altérité avec différentes espèces dépeintes dans L’Odyssée martienne (A Martian Odyssey) de Stanley Weinbaum, les Xiphéhuz éponymes de J H Rosny aîné ainsi que ses Zoomorphes des Navigateurs de l'infini, la menace des Seigneurs des sphères (Lords of the Psychon) de Daniel F. Galouye et l’Océan impénétrable de Solaris de Stanislas Lem, de la mise en valeur de l’individualisme américain menacé par le contrôle mental collectiviste par les envahisseurs des Marionnettes humaines (The Puppet Masters) de Robert Heinlein, selon un clivage qu’on retrouve d’ailleurs dans le film L’invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers) de Don Siegel de 1956 tiré d’un autre classique par Jack Finney, Graines d’épouvante, ou encore de la possibilité d’un échange entres espèces différentes comme l’amitié interplanétaire esquissée dans la nouvelle Le vieux fidèle (The Old Faithful) de Raymond Z. Gallun. Dans le cycle Hyperion de Dan Simmons, Philippe Curval y décèle une peinture du monde moderne, avec l’effondrement des repères traditionnels, l’hégémonie croissante de la technostructure, l’emprise potentielle de l’intelligence artificielle et la montée d'un islam hégémonique, même si ce dernier élément est probablement convoqué de manière plus évidente dans le roman Dune qu’il ne cite que pour mémoire.


Deux exemples opposés d'extraterrestres dans la science-fiction que cite Philippe Curval : en haut, l'explorateur Dick Jarvis regarde une forme de vie inquiétante sur Mars en compagnie d'un indigène avec lequel il a sympathisé et surnommé Tweel dans L'Odyssée martienne (The Martian Odyssey) de Stanley Weinbaum en 1934, ici figurés par l'illustrateur René Petillo ; en dessous, découverte sur le dos d'une femme d'un parasite extraterrestre venu de Titan contrôlant sa volonté, symbolisant la menace communiste au temps de la Guerre froide cherchant à s'infiltrer en Amérique du Nord dans Marionnettes humaines (The Puppet Masters) de Robert Heinlein en 1951 - l'année précédente, les époux Rosenberg avaient été arrêtés pour suspicion d'espionnage des Etats-Unis au profit de l'URSS et divulgation de secrets  d'importance stratégique.

            L’écrivain a lui-même mis quelquefois en scène des créatures d’outre-espace. Dans sa courte nouvelle de 1955, L’oeuf d’Eluo, il évoque l’infection d’un astronaute par une créature immatérielle qui s’extrait de son corps en s’incarnant dans une forme élaborée à partir des souvenirs emmagasinés dans l’esprit de sa victime, lecteur féru de science-fiction « Expansé tel un ballon, étonnamment gros par rapport à la taille de la coquille, le corps de la créature en forme de cône se terminait par une énorme ventouse. Sa peau, d'un rose obscène marbré de vert, se tendait en triangle sur chacun de ses flancs, masquant une aile repliée. Il palpitait doucement, frémissait par endroits et rejetait quelques glaires visqueuses par sa ventouse, en fonction de laquelle il semblait intégralement conçu. » Dans Un soupçon de néant en 1971, une drogue, le lidi, permet de matérialiser les rêves, et même la Mémoire électronique centrale qui encadre le système social solaire est dépassée par la profusion d’alter ego au sein de ce qui constitue dorénavant des univers alternatifs. L’enquêteur du gouvernement galactique Carlos Rodriguez est amené à faire équipe avec un ver des sables intelligent qui se nomme Clifford et ressemble assez à l’illustration réalisée pour Dune de Frank Herbert qui avait été reprise pour l’affiche de la première tentative sérieuse d’adaptation cinématographique par Alejandro Jodorowsky. Dans la conclusion de l’histoire, Rodriguez réalise que dans ce monde mouvant, quelqu’un est parvenu à changer son compagnon Clifford en chien.

Une représentation du monstre de la nouvelle L'Oeuf d'Eluo.

            Dans Les sables de Falun, des extraterrestres humanoïdes amphibies aux doigts palmés et pourvus d'un genre de carapace de tortue, les "hommes-coquillage", dont les colons volent les cristaux de la planète-océan offrant la possibilité de visualiser l'avenir, ourdissent une conspiration pour renverser le pouvoir totalitaire qui gouverne la galaxie grâce au trucage de la procédure des jeux électoraux - dans sa nouvelle de 1959 C'est du billard, l'auteur imaginait déjà qu'une compétition de billard électronique décide de la nomination de l'Empereur de la galaxie, et dans le film The Last Starfighter, c'est par un procédé identique qu'est sélectionné le meilleur pilote de chasse pour contrer des envahisseurs. Dans la suite de l’histoire, le héros Nils Aldenerer assiste une autre espèce humanoïde alliée, les Amériens au corps longiligne doté d’ailes, contre une invasion d’extraterrestres ressemblant à des bacilles géants qui les pétrifient en les vidant de leurs éléments nutritifs dans des scènes qui rappellent les attaques par la vessie volante connue sous le terme de la Mort vidant de leur essence vitale les extraterrestres humanoïdes du roman Star ou Psi de Cassiopée de Charlemagne Ischir Defontenay. Pourvus d'yeux non visibles, ils sont dépeints comme des cylindres gris, haut de deux mètres, larges de cinquante centimètres environ, et pourvus de minuscules dépressions d’où suintent des gouttelettes d’un liquide pâle transformant leur proie en nourriture assimilable. Il n'ont pas de cerveau localisé et se déplacent rapidement  grâce à « une sorte de réduction du moteur à gravité.»


Des Amériens pétrifiés par de redoutables envahisseurs dans le roman Les sables de Falun.

        Dans la nouvelle Regarde fiston s’il n’y a pas un extraterrestre derrière la bouteille de vin, un extraterrestre de Tau Ceti capable de modifier sa masse et se présentant le plus souvent comme une forme aplatie couverte d’une fourrure jaune rase sans autre caractéristique apparente, aspire comme le Martien éponyme de la nouvelle Le vieux fidèle (The Old Ffaithful) de Raymond Z. Gallun et l’extraterrestre humanoïde d’Alaree de Robert Silverberg à s’afranchir de sa communauté trop fusionnelle à son goût. Exilé par les siens lui reprochant de tendre à une osmose avec d’autres espèces que la sienne, il demande à Decroux qui travaille sur la base spatiale de Kourou en Guyane française de le faire embarquer sur la prochaine fusée afin de lui permettre de se rendre à Proxima Centauri. Entre-temps, il s’insère dans le corps de son fils Philippe dont Decroux est très proche jusqu’à frôler l’ambiguïté - concrétisée dans L'homme à rebours - et propose que les trois s’unissent dans une même harmonie, à la manière de ce que laisse entendre son confrère Gérard Klein à la fin de sa nouvelle Le monstre proposant aussi qu’un couple rejoigne l’entité extraterrestre au sein de son organisme bouillonnant. Le père finit par accepter, mais lorsque son fils accède à sa mémoire dévoilant que la mère est morte dans un accident d’automobile très certainement imputable à son alcoolisme, il ne se sent plus digne de participer à cette fusion et en dépit du pardon de son fils, préfère le laisser partir seul avec l'être étranger. Dans l’épilogue, un humanoïde extraterrestre translucide de l’espèce Vegalyre également banni par les siens lui demande à son tour de l’envoyer vers Proxima Centauri, comme si la Terre était devenue un point de passage obligé telle la station spatiale secrète d’Au carrefour des étoiles de Clifford Simak.

        Dans Pas de bic et pas de bonbons, le reporter de L’étoile de la galaxie Volt Dalart est envoyé sur la planète Lageens par le bureau de la colonisation. Il y assiste à diverses manifestations stupéfiantes, un festival de chants imitant ceux des oiseaux, puis les Lageenois, des êtres informes et quelque peu évanescents, se dématérialisent pour se changer en filet mouvant et phosphorescent constituant un vrai spectacle visuel, apparaissent par la suite sous la forme de grandes créature tripodes à trompe arborant sur le dessus de la tête un masque à son effigie et enfin, les filets constituent une réplique finement ciselée de lui-même. Le narrateur réalise qu’après la venue des premiers explorateurs, on a fait appel à ses capacités de s’imprégner de l’atmosphère d’un lieu et de son empathie naturelle pour améliorer la communication non verbale avec les Lageenois, de telle sorte que ceux-là affinent leurs cérémonies ethnologiques en accord avec les attentes potentielles des futurs touristes. Craignant que son rapport ne profite aux agences touristiques et que cela aboutisse à polluer la culture des Lageenois, Dalart préfère le détruire, en accord avec les habitants ayant pénétré ses pensées qui lui implantent de faux souvenirs d’anthropophagie pour que ses supérieurs décident de classer ce monde comme dangereux – à noter qu’il s’agit d’anthropophagie et non de cannibalisme comme l’écrit l’auteur, le cannibalisme désignant la consommation de membres de sa propre espèce quelle qu'elle soit ; la précédente nouvelle comporte aussi deux erreurs scientifiques : les cafards figurent bien parmi les premiers animaux ayant conquis la terre ferme, mais ils sont apparus il y a environ 400 millions d’années et non 3 milliards d’années, de même, le pécari est zoologiquement trop éloigné du cochon pour permettre tout croisement entre eux.

Même si les Lageenois de Curval sont assez informes, évoquant des pommes de terre pourvues de tentacules, cette illustration de Roy Virgo n'est pas sans rappeler ces êtres assez indiscernables capables de se dématérialiser pour se changer en une myriades de lueurs scintillantes pour l'ébahissement de l'explorateur.

        En matière de créatures, son œuvre incontournable demeure Le ressac de l’espace qui obtint dès sa publication en 1962 comme centième parution livresque de la collection « Le Rayon fantastique » le Prix Jules Verne. Son sujet est très original et brillamment traité, celui de l’arrivée sur Terre d’une créature extraterrestre dénommée Txalq, qu’il qualifie de « caricature d’extraterrestre » dans sa réédition de 1975 pour mieux en souligner l’étrangeté, qui va de planète en planète en contrôlant les formes de vie dominantes pour les plier à ses desseins et qui va progressivement tenir toute l’humanité sous sa coupe.

    Certains individus, individualistes, artistes ou anarchistes, qui refusent l’utilitarisme et sont attachés à la libre créativité et à l’autonomie de la pensée, se sont soustraits à l’influence extraterrestre en demeurant à l’écart dans de vieux quartiers tandis qu’ailleurs, les humains se pliant aux injonctions du Txalq construisent une nouvelle civilisation à l’esthétique achevée, au sein de laquelle règne l’harmonie, se consacrant entièrement à la mise en œuvre d’un plan unique, au prix de leur volonté propre (une problématique qui évoque l’alternative de l’épilogue du feuilleton français Le mutant avec l'annonce d'une ère pacifiée au détriment de toute autonomie personnelle). On pourra trouver quelque antécédant de l’intrigue avec le film de Roger Corman de 1956 It conquered the world et son Vénusien dirigeant l’humanité pour en faire une civilisation plus organisée et aboutie, même si le conditionnement, la coercition et même la destruction qu’il emploie pour parvenir à ses fins amènent finalement son plus grand partisan humain à se rebeller contre lui et à chercher à l’anéantir. Dans le roman de Curval, le grand plan du Txalq se déroule de manière plus pacifique au travers d’une conversion de masse rendue possible par ses capacités télépathiques à laquelle semble se plier d’assez bonne grâce et presque naturellement l’immense majorité des humains, et même les plus rétifs finissent par s’interroger quant à l’opportunité qui s’offre de participer à l’édification de ce programme annonçant un monde enjolivé et apaisant. Le roman de Philippe Curval porte donc la science-fiction à la hauteur d’une réflexion philosophique sur les buts que peut se donner l’humanité ainsi que sur le phénomène d’asservissement volontaire – on a déjà vérifié au XXème siècle à quel point l’adhésion à une entreprise commune idéalisée pouvait aboutir à une obéissance absolue jusqu’à la commission des actes les plus effroyables, même si le projet du Txalq semble engendrer un monde édénique.


Couverture du roman laissant entrevoir les Zyrions ailés.



Dans le film It conquered the world de Roger Corman, le Docteur Paul Nelson (Peter Graves), à gauche sur la photo du haut, se montre rétif au projet de société idéale promise par la créature vénusienne dont le Docteur Tom Anderson (Lee Van Cleef) se fait le partisan résolu, avant de se ranger tardivement aux arguments de son ami et de décider de tuer l'extraterrestre (en bas).

La seule traduction du roman, l'édition roumaine, bien loin du récit de l'écrivain français, convoque l'image d'Arnold Schwarzenegger incarnant le terrible cyborg Terminator et une photo de Stargate

        Rien n’est cependant tout à fait simple dans cette œuvre dans laquelle on perçoit que la sympathie de l’auteur se partage entre les rebelles, souvent de doux rêveurs un peu marginaux et spécifiquement humains, et l’utopie concrétisée qu’apporte la civilisation des Txalqs permettant à chacun de se sentir utile et de s’épanouir à sa place en participant à une grande œuvre en tous points parfaite. En se plaçant dans une perspective plus lointaine, on réalise cependant que si le Txalq propose à ceux qui se mettent à son service une association qui s’apparente à une symbiose profitable aux deux parties, il se peut que cette reprogrammation de l’espèce humaine finisse par nuire à son élan vital, avec en fin de compte un résultat comparable à celui imputable aux envahisseurs de Graines d’épouvante (adapté plusieurs fois au cinéma sous le titre L’invasion des profanateurs de sépultures – en anglais, Invasion of the Body Snatchers) qui se substituent en l’imitant à la forme de vie la plus évoluée d’une planète puis selon l’auteur Jack Finney finissent par migrer après avoir détruit l’espèce indigène. Dans Le ressac de l’espace, le Txalq est accompagné à son arrivée sur la Terre par un serviteur Zyrion, une créature ailée à tentacules préhensibles qui représente l’espèce utilisée précédemment par son maître. L’auteur nous laisse entendre que celle-ci a été exploitée pour le bénéfice des Txalqs dans une apparente coopération puis a fait son temps, et on peut augurer que cela préfigure le destin des humains. L’écrivain l’a exprimé explicitement dans un texte faisant notamment allusion à son roman «[…] je décrivais en 1962 dans le Ressac de l'espace la symbiose proposée à des Humains par des extraterrestres télépathes et pacifiques, dénués de tous moyens physiques. Cela afin de construire une civilisation harmonieuse vouée à l'expression artistique où chaque espèce développerait ses qualités ontologiques. Mais la synergie imposée aboutit à la dégénérescence des espèces ». Sous la conduite du Txalq, l’humanité aurait peut-être atteint son apogée mais pour notre espèce dorénavant domestiquée, cela pourrait représenter son ultime moment de gloire avant sa régression une fois de nouveau livrée à elle-même et sa prévisible extinction. 

Txalq - à la différence de la description de Philippe Curval, l'extraterrestre n'a pas été doté d'yeux opaques afin de le rendre plus expressif pour les lecteurs compte tenu de son petit nombre de caractéristiques physiques. On peut aussi deviner au travers de son épiderme translucide le squelette interne sous forme de plaques coulissantes.

Zyrion, un serviteur des Txalqs sans lequel leurs maîtres seraient pratiquement impotents en dépit de leurs capacités.
Merci Monsieur Curval pour ce merveilleux roman. 



                   Philippe Curval participant à l'émission littéraire de Bernard Pivot.

https://www.courrier-picard.fr/id438084/article/2023-08-05/deces-de-philippe-curval-une-tronche-de-la-sf-francaise-disparait

‌La nouvelle L'Œuf d'Eluo en ligne : http://www.quarante-deux.org/recits/curval/livre/elduo.html

conférence de Philippe Curval à Amiens en 2014 : http://nemo2014.yolasite.com/resources/Philippe%20Curval.MP3

article sur la figure de l'extraterrestre chez Philippe Curval : http://journals.openedition.org/resf/531

Les extraterrestres dans la science-fiction vus par Philippe Curval : 

http://www.quarante-deux.org/archives/curval/divers/Politique_de_l%27extraterrestre/

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Il avait été un célèbre mutant de la télévision


L'acteur David McCallum, figure télévisuelle, qui fut également le premier mari de l'actrice Jill Ireland avant qu'elle ne se remarie avec son confrère Charles Bronson.

        Acteur et musicien, David McCallum, né le 19 septembre 1933 en Écosse, qui s’est éteint à l’âge de 80 ans le 25 septembre 2023, avait tourné dans un certain nombre de films d’aventures et d’espionnage et incarné notamment en 1965 Judas dans l’adaptation de la vie de Jésus (interprété par Max Von Sydow) dans La plus grande histoire jamais contée (The Greatest Story Ever Told) C’est cependant à la télévision qu’il était devenu familier au public. Il avait joué le rôle d’Henry Clerval dans le téléfilm de Jack Smight de 1973 Frankenstein : the True Story, probablement l’adaptation la plus fidèle du roman de Mary Shelley même si en dépit de ce que laisse entendre le titre, l’histoire est bien sûr une pure fiction. Son personnage y est témoin des expérimentations macabres du Docteur Frankenstein, comme l’animation d’une chimère constituée par une tête de renard sur un corps de serpent. Lorsqu’il périt accidentellement, le savant transfère son cerveau dans le corps de sa Créature faite d’un assemblage de morceaux de cadavres à laquelle il insuffle la vie, incarnation dévolue à Michael Sarrazin.


Henry Clerval regarde avec quelque réticence le fruit des expériences de son ami Victor Frankenstein qui restitue quelque semblant de vie à un bras amputé - le malheureux ignore qu'il sera à son corps défendant son prochain cobaye dans Frankenstein : The True Story.

        Ses rôles récurrents dans des séries en avaient fait un visage reconnu, celui qu’il prêta à l’agent russe Illya Kouriakine coopérant contre le crime international avec un équivalent américain joué par Robert Vaughn dans Des agents très spéciaux (The Man from UNCLE) de 1964 à 1968, et qu’il retrouva au cinéma en 1966 dans Un espion de trop et Un de nos espions a disparuL’espion au chapeau vert en 1967, Espions en hélicoptère en 1968 et au travers du téléfilm Le retour des agents très spéciaux en 1983. En 1975 et 1976, il est le Docteur Daniel Westin, héros éponyme de L’Homme invisible (The Invisible Man), qui suite à une expérience, disparaît à la vue de ses contemporains. De 2003 à 2023, il a incarné un médecin légiste, le Docteur Donald Mallard dans JAG puis NCIS : Enquêtes spéciales (NCIS : Naval Criminal Investigative Service).    

        Il était apparu dans deux épisodes d’Au-delà du réel (The Outer Limits), Le Sixième doigt (The Sixth Finger) en 1963 et La porte du passé (The Forms of the Things Unknown), ainsi que dans un de ceux de la nouvelle version, Au-delà du réel, l’aventure continue (The New Outer Limits), Des hommes de pierre (Feasibility Studies) en 1997 dans lequel le Docteur Joshua Hayward doit envisager de sacrifier au sein de sa petite communauté l’inoculation d’une maladie changeant en pierre provenant d’une autre espèce extraterrestre afin de préserver l’Humanité d’envahisseurs esclavagistes. Le sixième doigt présentait une autre transformation spectaculaire ; David McCallum y interprétait le Docteur Gwyllim Griffiths qui expérimentait sur lui-même une accélération du processus évolutif au point de devenir un mutant effrayant sa petite amie avec son cerveau hypertrophié et l’appendice surnuméraire du titre. Le maquilleur John Chambers, qui obtiendra un Oscar du maquillage en 1968 pour La planète des singes (Planet of Apes), a réalisé les stades successifs de l’audacieux scientifique, dont le faciès est devenu très célèbre parmi les amateurs de science-fiction. 


Le Docteur Griffiths au début de son expérience se prenant lui-même comme cobaye dans l'épisode Le sixième doigt (The Sixth Finger)


David McCallum entre les mains du célèbre maquilleur John Chambers en haut, et posant à ses côtés avec Verne Langdon.

David McCallum avec Laura Harris dans l'épisode Des hommes de pierre (Feasibility Studies).

Article de Starlog en anglais sur la participation de David MacCallum à Au-delà du réel sur le site des fans de l'acteur  : http://www.davidmccallumfansonline.com/Outer%20Limits.htm


mardi 22 novembre 2022

IL NOUS LAISSE SON HERITAGE


Avertissement : le lecteur qui prévoirait de lire le roman Héritage est avisé qu’il est fait ici état d’une évocation assez précise du livre au cinquième paragraphe de ce petit hommage, à charge pour lui de se dispenser provisoirement d’en prendre connaissance préalablement à cette lecture s’il désire que les points principaux du dénouement ne lui soient pas dévoilés précocement


    L’écrivain américain bien connu de science-fiction Greg Bear est décédé le 19 novembre 2022 à l’âge de 71 ans, de complications à la suite d’une opération du cœur. Il était un des principaux représentants de la "hard science fiction", courant privilégiant une certaine scientificité, popularisé aux États-Unis par des auteurs comme Hal Clement, Robert Forward, Gregory Benford ou David Brin, mais moins apprécié en France où, jusqu’à preuve du contraire, celui qui s’inscrit dans cette filiation n’a pratiquement pas de chance d’intéresser un éditeur. Le prestige de l’auteur américain lui avait cependant valu de voir 17 de ses romans traduit en français.

    Ayant commencé à écrire dès son adolescence, il doit mentir sur son âge pour obtenir la publication en 1967 de sa nouvelle Destroyers dans le magazine "Famous Science Fiction". Il devient jusqu’en 1982 chroniqueur littéraire pour un journal de San Diego, ville où il est né bien qu’ayant ensuite passé un certain temps au Japon, aux Philippines et en Alaska pour suivre les affectations de son père, un Marine. Il publie en 1979 son premier roman, Hegira,

    En 1983, année de son remariage avec la fille de l’auteur de science-fiction Poul Anderson, il obtient des récompenses majeures dans son domaine, deux prix Hugo et un prix Nebula pour ses nouvelles de 1983 Hardfought et Le chant des leucocytes (Blood Music). En 1985, il tire de cette dernière un roman, La musique du sang (Blood Music), qui lui vaudra d’être également reconnu en France. Cette œuvre engendrée par sa passion pour la science et ses innovations représente très certainement la première fiction à traiter des nanobiotechnologies. Dans ce roman, des machines intelligentes de taille infinitésimale sont injectées dans le corps humain pour soigner ses affections, mais elles deviennent rapidement hors de contrôle, appliquant leur propre programme, et finissant par contrôler le monde au point d'agir sur l'espace-temps pour contrer toute parade. On retrouvera une histoire très similaire aux dans un épisode particulièrement marquant de la série télévisée Au-delà du réel : l’Aventure continue (The New Outer Limits), Une nouvelle génération (The New Breed) réalisé en 1995 par Grant Rosenberg, dans lequel un malade du cancer guéri par les minuscules robots moléculaires voit avec terreur ceux-ci devenir incontrôlables, ne cessant jamais d'améliorer son organisme jusqu'à lui faire pousser une paire d'yeux supplémentaires derrière la tête, puis lui interdisant même de mettre fin à ses jours. Michael Crichton se saisira à son tour de la menace potentielle de la nanotechnologie s’émancipant de ses créateurs avec sa nuée menaçante et intelligente dans La proie (The Prey).


Couvertures américaines pour La musique du sang (Blood Music) ; celle de l'édition figurée en bas comporte un éloge par Poul Anderson devenu le beau-père de l'auteur.


Couverture française pour le roman et sa réédition en collection de poche en dessous.

Comme dans La musique du sang (Blood Music), l'épisode Une nouvelle génération (The New Breed) de la série télévisée Au-delà du réel : l’Aventure continue (The New Outer Limits) montre un personnage dont la peau se couvre de fins tentacules agencés par les "microchips" injectés dans l'organisme humain.

    1985 voit aussi la sortie de son roman Éon (Eon) qui rencontre un succès immédiat, contant la découverte d’un astéroïde comportant en son sein un passage intersidéral, la Voie, un dispositif créé par les humains du futur qui l’ont utilisé pour s’établir sur d’autres planètes, formant le réseau de l’Hexamone. Dans la suite parue en 1988, Eternité (Eternity), l’humanité est confrontée à des envahisseurs ayant fait irruption par un des passages ouverts, qui visent à s’accaparer toutes les connaissances de l’univers afin de créer une conscience ultime de nature divine à la manière de la vision de Teilhard de Chardin, et dont l’un s’empare quelque temps de l’esprit du personnage principal Olmy Ap Senon. Pour dépeindre physiquement les Jarts, l’auteur a visiblement été influencé par la formule selon laquelle un très ancien fossile présentait une allure réellement extraterrestre. D’abord interprété lors de sa découverte sur le site du Cambrien inférieur de Burgess Shale en Colombie britannique en tant que ver annélide, celui-là a fait par la suite l’objet d’une nouvelle description par le paléontologue Simon Conway Morris qui l’a renommé Hallucigenia, en soulignant par l’étymologie qu’il était le plus extravagant des étranges animaux inventoriés, avec ce qu’on suppose être une tête assez informe, une double rangée d’épines locomotrices ainsi que sept tentacules dorsaux et d’autres plus petits à l’arrière en amont de la longue queue. Sa morphologie générale n’est pas sans similitude avec la description donnée des Jarts par Greg Bear, bien que l’auteur l’a enrichie par un certain nombre d’ajouts : « Cela avait une grande tête en forme de marteau vertical de couleur gris-bleu percé par trois fentes horizontales. De la fente supérieure sortaient des tubes d’un blanc scintillant portant ce qui représentait peut-être des yeux noirs – et des deux inférieures s’échappaient de longues touffes de poils noirs. Derrière la tête surdimensionnée s’étirait un long thorax vert et lisse à peu près de la taille et de la forme du tronc humain. Des tentacules bifurqués d’un rose pâle, chacun aussi épais que le poignet d’Olmy et aussi longs que son bras, s’élevaient au long du dos telle une crête. À l’arrière, derrière les tentacules, se trouvait un faisceau de courtes barbes ou d’antennes rouges. Une épaisse queue relevée s’achevait par une forme en clairon d’un violet lumineux. Figurant sans doute le plus étrange de l’ensemble, sept paires de membres inférieurs ou de soutiens étaient alignés des deux côtés du corps, non pas des jambes ou des membres au sens traditionnel mais des poteaux ou de longues épines pointues, chacune de la couleur de l’obsidienne et tout aussi brillante. Sous la tête, ou peut-être émergeant de la région inférieure de la tête elle-même, se trouvaient deux assortiments de bras à plusieurs articulations, l’un incliné avec des appendices ressemblant remarquablement à des mains, l’autre avec des palpes roses translucides.». De nouvelles études, réalisées notamment grâce à l’apport d’un gisement fossilifère chinois similaire et en particulier à l’examen d’un nouveau spécimen, laissent cependant penser que l’animal aurait pu avancer sur ses appendices flexibles qui auraient pu être disposés par paires, à la manière d’autres espèces du site appelées lobopodes, et qu’ainsi les épines auraient en réalité représenté une protection dorsale – l’animal demeure cependant encore assez mystérieux pour qu’il subsiste un doute quant à ce qui doit être compris comme son avant ou son arrière. Si la nouvelle interprétation devait effectivement être retenue, Hallucigenia ne correspondrait pas à la vision qu’en avait Simon Morris et cette créature n’existerait plus en définitive sous cette forme nulle part ailleurs que dans la fiction de Greg Bear.

Fossile d'Hallucigenia du schiste de Burgess Shale et illustration en dessous proposant une reconstitution selon l'hypothèse de Simon Conway Morris, un animal des temps anciens dont l'allure générale est proche de celle des Jarts extraterrestres d'Eternité (Eternity).

    Un troisième roman, indépendant, est venu compléter en 1995 les deux précédents, Héritage (Legacy), et c’est probablement parmi ceux de Greg Bear celui-ci qui retient le plus l’attention des lecteurs intéressés par la vie extraterrestre. Le personnage principal réminiscent des tomes précédents et narrateur, Olmy Ap Senon, est envoyé en mission secrète sur la planète Lamarckia sur laquelle se sont établis sans permission des colons en empruntant un passage de la Voie, afin de vérifier que leur activité ne met pas trop en danger la nature qu’ils ont investie. La vie qualifiée de "mégacytique" s’y présente sous la forme de gigantesques colonies constituées d’unicellulaires spécialisés, les scions, dont l’apparence va de végétaux parfois immenses (les "phytidées" et "arboridés") à diverses espèces animales se rapprochant d’arthropodes, de poissons (les "piscidés"), d’oiseaux (« aviaridés ») ou de vertébrés terrestres, certains maillons ayant pour fonction de recycler les déchets produits par les cadavres et il existe même une version biologique de la tempête océanique. Chaque écosystème est ainsi une entité multiple, dont les différentes castes asexuées sont agencées par des Reines à l’apparence d’urnes géantes auxquelles les scions mobiles ramènent les éléments utiles. Il n’existe donc pas à proprement parler de lutte pour la survie par élimination à chaque génération des moins bien pourvus sélectionnant les caractères les plus appropriés comme dans le paradigme darwinien, mais une lente adaptation progressive aux changements de l’environnement à la manière du transformisme précédemment postulé par le naturaliste Jean-Baptiste Lamarck, dont le nom est ainsi utilisé pour désigner la planète – même si l’écos recycle sans hésitation ses scions qui ne donnent pas satisfaction. Lorsqu’il arrive que deux écoï entrent en contact, leurs senseurs réalisent au travers notamment de petites piqûres des analyses chimiques pour examiner les capacités de leurs homologues et copier leurs caractéristiques innovantes si celles-là s’avèrent présenter un avantage fonctionnel. L’une des factions humaines rivales découvre qu’une Reine a ainsi suite à ce processus tenté d’imiter superficiellement la forme humaine, et le chef des sécessionnistes, Brion, rêve de la recréation de son épouse décédée, mais les écoï étant dépourvus d’ADN, les pseudo-humains ne peuvent revêtir qu’un semblant d’apparence externe et s’ils parviennent à articuler approximativement quelques mots, ils ne disposent pas d’une véritable intelligence faute d’un cerveau digne de ce nom. Alors que les exilés tentent de subsister en consommant certains scions, il semble que les écos soient en train de dépérir pour une raison inconnue. Brion prend l’initiative de soumettre à la forme de vie extraterrestre des plantes vertes et l’écos s’approprie alors la capacité de photosynthèse. Une fois pourvus de cette faculté qui leur confère une coloration verte, les scions d’allure végétale s’avèrent soudain être devenus incomestibles pour les humains. Olmy dévoile sa vraie identité et organise l’évacuation des humains dorénavant incapables de survivre sur Lamarckia, rendue à elle-même et dont la vie indigène a ainsi été involontairement sauvée par les colons de l’extinction qui semblait imminente au vu du dépérissement des Reines. Héritage laisse des questions irrésolues quant à la soudaine dégénérescence des écoï ainsi qu’à la raison pour laquelle les scions photosynthétiques ne peuvent plus être assimilés par les organismes humains, mais ce roman devrait néanmoins intéresser tous les amateurs de science-fiction portant quelque intérêt à la biologie et au vivant.

Couverture pour la réédition française en collection de poche d'Héritage (Legacy) figurant les scions de nature végétale qui ressemblent à des ballons.

    Ces trois romans dits du cycle de l’Hexamone ont largement contribué à la consécration de Greg Bear, même si on a pu lui reprocher un certain manque d’action voire des longueurs ; il est vrai que la séquence de la navigation dans Héritage utilise nombre de termes de marine dont seuls les pratiquants sont familiers et que la multiplication des personnages à bord évoqués peut un peu égarer là où Robert Silverberg dans sa description de l’errance d’un navire sur un océan extraterrestre dans La Face des eaux (The Face of the Waters) parvenait à maintenir une attention plus soutenue.

    Dans L’échelle de Darwin (Darwin’s Radio) en 1999 et sa suite Les enfants de Darwin (Darwin’s Children), Greg Bear imagine que des mutations génétiques se présentant comme une infection virale créent une nouvelle lignée d’humanité, et envisage les difficultés que crée la coexistence entre les deux branches. Il rejoint ainsi une problématique présente dans le roman de Gregory Benford et David Brin Au cœur de la comète (Heart of the Comet) en 1980, même si les nouveaux types humains y ont dans celui-ci été conçus génétiquement pour résister plus efficacement aux conditions de l’espace. On lui a par contre reproché d’avoir présenté l’Homme de Néandertal comme l’ancêtre de l’Homo sapiens, alors que les deux espèces sont habituellement considérées comme procédant de deux lignées s’étant séparées à partir d’ancêtres communs depuis un demi-million d’années. Son roman The Forge of God de 1987, prolongé en 1992 par Anvill of Stars, rejoint aussi le cycle amorcé par le premier en 1977 avec Dans l’océan de la nuit (In the Ocean of Night) au travers de la menace cosmique représentée par la venue de robots extraterrestres éradicateurs de formes de vie biologiques, dont on trouvait une illustration plus ancienne dans l’épisode La sonde (The Probe) de la série Star Trek. Il propose à l’occasion une théorie pour expliquer le paradoxe de Fermi, l’absence de signaux extraterrestres rapportée à la probabilité de l’existence d’un grand nombre de mondes susceptibles d’abriter une vie avancée, en suggérant que les autres civilisations pourraient estimer plus sages de demeurer discrètes afin de ne pas attirer l’attention de forces susceptibles de ravager les mondes. Un autre thème classique de science-fiction sur lequel l’écrivain s’est penché est celui des rapports entre la Terre et la colonie de Mars à la volonté émancipatrice dans L’Envol de Mars (Moving Mars) en 1993.

Fruits gigantesques pour une couverture non retenue pour la version américaine de L'Envol de Mars (Moving Mars).

    Greg Bear a aussi porté son attention sur les dinosaures avec Dinosaur Summer en 1998, qui se situe dans la continuité du roman Le Monde perdu (The Lost World) de Conan Doyle. L’histoire se déroule dans les années 1940. Le Venezuela a interdit toute exportation de dinosaures hors du plateau où ils ont été découverts par l’expédition du Professeur Challenger et les derniers ayant survécu hors du territoire sont ceux du cirque de dinosaures de Lothar Gluck qui va fermer suite à la baisse d’intérêt du public. Un adolescent de quinze ans convainc son père, reporter pour la revue "National Geographic", de rendre ces animaux à leur milieu d’origine à l’occasion d’une expédition à vertu initiatique à laquelle prennent part deux grands passionnés de dinosaures du monde du cinéma, les animateurs bien réels Willis O’Brien et Ray Harryhausen – pour les plus jeunes, voir le long hommage rendu à ce dernier en ces pages. Greg Bear a aussi servi officiellement de consultant scientifique pour son fils Erik qui a écrit le scénario de la bande dessinée Jurassic Park : Dangerous Games, dans laquelle l’Isla Nubar habitée par les dinosaures, qui ont été recréés par manipulations génétiques dans les romans de Michael Crichton adaptés au cinéma, est devenue le repaire d’un dangereux cartel de narco-trafiquants, infiltré par un agent de la CIA dont la couverture a été percée et qui doit aussi se garder des prédateurs du Mésozoïque ressuscités par la science.

Illustration pour le roman Dinosaur Summer par Tony DiTerlizzi en haut et bande dessinée Jurassic Park : Dangerous Games scénarisée par Erik Bear avec la participation de son père comme consultant.

    À l’instar de deux autres auteurs de hard science précités, Gregory Benford et David Brin, il avait écrit en 1998 un roman prolongeant le célèbre cycle sur la psychohistoire imaginé par Isaac Asimov, Fondation et Chaos (Foundation and Chaos) regroupé avec les contributions de ses deux collègues, respectivement Fondation en péril (Foundation’s Fear) et Le triomphe de Fondation (Foundation’s Triumph), dans le volume Le second cycle de Fondation (The Second Fundation Trilogy). Il avait aussi apporté sa contribution à l’univers de Star Trek en 1984 avec le roman Corona qui comme dans Créateur d’étoiles (Star Maker) d’Olaf Stapledon et L’étoile sauvage (Rogue Star) de Frederik Pohl, met en scène une étoile vivante, laquelle veut épurer l’univers en le ramenant à un état antérieur, et qui permet à l’auteur de détailler les mœurs des Vulcains aux premières lignes de la menace, ainsi qu’ à celui de La Guerre des étoiles (Star Wars) avec le roman Planète rebelle (Rogue Planet) en 2000, qui dépeint le jeune Jedi Anakin Sywalker en laissant présager l’instabilité psychologique sous-jacente qui le conduira à faire mauvais usage du pouvoir de la Force lorsqu’il deviendra Dark Vader.

    En 2011, la notoriété de Greg Bear en a fait le candidat idéal pour les producteurs du jeu vidéo Halo désireux de prolonger leur univers, requis pour détailler les origines de celui-ci sous la forme de trois romans, la trilogie Forerunner (Halo : Cryptum, Halo : Primordium et Halo : Silentium), le dernier paru en 2013, détaillant la civilisation des extraterrestres éponymes et leurs rapports avec les humains, ainsi que la lutte contre une espèce envahissante, celle des parasites ("The Flood"). L’écrivain était familier du jeu vidéo au travers de son fils et eut de nombreux échanges avec les créateurs du jeu pour intégrer sa vision au cadre déjà établi. À nouveau, les critiques se partagèrent entre ceux qui appréciaient la capacité de l’auteur à dépeindre une réalité cosmique et ceux qui trouvaient la lecture un peu fastidieuse.

Croquis d'un Précurseur de Forerunner par Greg Bear et une illustration finalisée de la même créature extraterrestre en bas.

Deux représentations d'un parasite de la série Halo, à laquelle Greg Bear a consacré trois romans avec sa trilogie Forerunner.

    Il avait par ailleurs écrit deux romans relevant de la Fantasy, The Infinity Concerto et The Serpent Mage. Greg Bear était aussi à l’occasion illustrateur de science-fiction. L’auteur ne faisait pas l’unanimité comme on l’a vu, certains comme les producteurs du jeu Halo considéraient qu’il était l’équivalent de Stephen King pour la Science-fiction et il fut distingué régulièrement dans le domaine, tandis que d’autres lecteurs mettaient en cause sa qualité de conteur – bien que les romans très longs soient devenus la norme avec des auteurs comme Dan Simmons. Ses compétences scientifiques étaient reconnues au-delà de la fiction, puisqu’il avait été consultant auprès de la société informatique Microsoft, de la NASA, de l’armée américaine, du département de la sécurité intérieure des États-Unis, de celui des relations internationales ou encore de l’association internationale pour la qualité de l’alimentation. Par sa culture scientifique et l’audace de ses visions, il demeurera en tous cas à n’en point douter comme un grand nom de la littérature contemporaine de science-fiction. 

Deux illustrations par Greg Bear.



site officiel de l'auteur : http://www.gregbear.com/