Le
metteur en scène d’origine allemande Wolfgang Petersen s’est
éteint à l’âge de 81 ans, victime d’un cancer du pancréas, le
12 août 2022 à Los Angeles. Il avait obtenu la citoyenneté
américaine, même s’il revint ponctuellement dans son pays natif
pour y tourner en allemand en 2016 son ultime œuvre, un remake de
son propre téléfilm de 1976 Braquage
à l’allemande (Vier
gegen die Bank),
un peu comme s’il refermait le livre de sa carrière. Il avait mis
en scène à quelques occasions notables des créatures imaginaires,
justifiant que l’on évoque ici sa carrière, notamment les
longs-métrages concernés.
Né
le 14 mars 1941 à Emden en Basse-Saxe, Wolfgang Petersen était le
fils d’un officier de marine. Il effectue ses études à Hambourg ;
il y réalise dans le cadre de l’école ses premiers films en
Super-8 et met en scène des pièces de théâtre. À l’Académie
du film et de la télévision de Berlin, il co-réalise un
court-métrage avec Holger Heims, qui deviendra le futur dirigeant de
l’organisation révolutionnaire terroriste Fraction Armée rouge.
Muni de ses diplômes, l’ancien étudiant est engagé à la
télévision allemande et y réalise notamment six épisodes de la
célèbre série policière Tatort (en
français Le
Lieu du crime) à
partir de 1971. En 1974, il dirige son premier film de
cinéma, Einer
von uns beiden (en
anglais, One
or the Other of us),
histoire de chantage d'un étudiant à l'encontre d'un professeur
d'université avec Jurgen Prochnow et Klaus Schwarzkopf (lequel a
incarné sept fois le Commissaire Finke dans Tatort),
film qui obtint deux récompenses nationales dont celle décernée
pour le meilleur jeune réalisateur.


L'affiche du film très remarqué Einer von uns Beiden avec en vedette Jurgen Prochnow et Klaus Schwarzkopf, et au dessous, le metteur en scène au côté du second.
1977,
l’année des amours transgressives
L’un
des épisodes de Tatort, Reifezeugnis (L'âge
du crime), que Wolfgang
Petersen réalise en 1977, sera particulièrement remarqué
puisque l’œuvre au format de téléfilm sera diffusée
internationalement en salles sous le titre Maturity
Certificate (en
français, L’amour
fou)
– y compris aux États-Unis où l’autre célèbre série
policière allemande Inspecteur
Derrick demeure
inédite en dépit de son passage à la télévision anglaise. Le
récit met au premier plan la jeune actrice Natassja Kinski, vedette
l’année précédente du film sans doute le plus sulfureux de la
société britannique Hammer, Une
fille pour le diable (To
the Devil a Daughter)
avec Christopher Lee et Richard Widmark basé sur un roman de Dennis
Wheathley qui se déclara choqué par l’adaptation qu'il qualifia d'"obscène". Si, à sa
différence, L’amour
fou ne
comporte pas véritablement de scènes érotiques même si on y
aperçoit la poitrine de l'actrice, son sujet est assez sombre. Un
lycéen, Michael Harms (Markus Boysen), veut imposer une
relation intime à sa camarade de classe Sina Wolf dont il a
surpris la liaison avec son Professeur Helmut Fichte (Christian
Quadflieg) ; la jeune fille accepte de mauvaise grâce
d'accompagner dans les bois celui qui la tient en son pouvoir et
apparemment de se donner à lui, mais tandis qu'il affirme avec
insistance qu'il tuera l’enseignant dont elle s’est éprise si
elle continue à le fréquenter, elle cherche une grosse pierre et s’en sert pour lui fracasser
le crâne pendant qu’il l’étreint, avant de déclarer à la police que le couple a été
attaqué par un violeur recherché. Elle commet l’erreur de
reconnaître à la morgue le prétendu coupable, mais l’enquête du Commissaire Finke (Klaus
Schwarzkopf) révèle par la suite que le criminel abattu ne pouvait pas physiquement se trouver sur les lieux au moment de la commission des faits, et
qu’elle a donc manifestement tout inventé. Elle tente alors de se
suicider près de la rivière où elle avait l’habitude de se
rendre avec le Professeur Fichte, mais le pistolet subtilisé à son
père s’enraye et elle renonce finalement à essayer de se noyer –
le travelling révélant derrière des fourrés la jeune fille
éplorée annonce quelque peu les mouvements de caméra au sein de la
forêt de L’Histoire
sans fin.
L’intrigue est soigneusement mise en scène. A la différence de la
série allemande contemporaine Inspecteur
Derrick qui
comporte généralement une dimension morale implicite, le réalisateur se défie d’un regard trop moralisateur ; la
jeune fille a tué mais son prétendant est dépeint comme un être
brutal, le Professeur Finke éprouve des difficultés à rompre, car
il s’est attaché à son élève, tandis que son épouse (Judy
Winter) se montre très compréhensive à l’égard de la jeune
fille, quant à l’assistant du commissaire, il ne se parvient pas à
condamner l’enseignant d’avoir cédé à la tentation, se faisant
finalement rabrouer par son supérieur pour ses propos complaisants
sur cette idylle clandestine avec la mineure. La diffusion un
dimanche soir à une heure de grande écoute de cette liaison entre
un enseignant et une jeune élève suscitera des réactions outragées
dénonçant comme licencieux et immoral cet épisode, qui n'en deviendra
pas moins un des plus populaires et rediffusés de la série.


Activité extrascolaire entre Sina Wolf (Natassja Kinski) et son professeur Monsieur Fichte (Christian Quadflieg) dans L'âge du crime (Maturity Certificate), en haut ; la jeune fille semble céder au chantage de son camarade, en bas, mais celui-là n'aura pas longtemps l'ascendant sur elle.
Madame Fichte (Judi Winter) conserve toute sa sympathie pour la jeune fille qu'elle connaît bien, même lorsqu'elle finit par apprendre qu'elle est la maîtresse de son mari (en haut) ; le commissaire Finke (Klaus Schwarzkopf) enquête sur la mort du lycéen et va être amené à conclure que la jeune fille témoin du crime n'est autre que son auteur.
Wolfgang Petersen dirige Natassja Kinski dans L'amour fou (Maturity Certificate) et orchestre une confrontation entre son personnage et le commissaire Finke joué par Klaus Schwarzkopf.
La
même année, Wolfgang Petersen fait à nouveau scandale en mettant
en scène une autre romance, celle-là entre deux hommes, un
prisonnier et le fils d’un gardien de prison dans La
conséquence (Die
Konsequenz),
incluant notamment un baiser explicite qu’on retrouve sur certaines
affiches du film. Il décide l’acteur Jurgen Prochnow, né la même
année que lui et qu’il a dirigé dans
l'épisode Jagdrevier de Tatort, d’abord
réticent, d’incarner le personnage, en l’assistant de près sur
le tournage. Celui-là déclarera plus tard qu'il risquait alors d'endurer une peine de prison pour atteinte à la morale publique. Le film suscitera la contestation mais vaudra aussi un
nouveau succès d’estime à Wolfgang Petersen, recevant une
récompense nationale, lequel n’était d’ailleurs pas davantage
homosexuel que son acteur – il a eu une fille d’un mariage avec
une actrice avant de se remarier en 1978 avec son assistante – même
s’il prend clairement parti pour le couple hors-norme.


Ernst Hannawald et Jurgen Prochnow (à droite) dans La conséquence.
Un
nouveau départ avec le Bateau
Les
Studios allemands Bavaria firent l’acquisition des droits
d’adaptation cinématographique du livre The
Styx écrit
en 1972 par Lothar Günther-Buchheim, qui était correspondant de
guerre dans un sous-marin en 1941. La production débute en 1976 avec
la création de décors et d’un sous-marin pour les scènes
extérieures, et deux réalisateurs américains se rendent
successivement dans les studios, John Sturges puis Donald Siegel
tandis que Robert Redford est pressenti pour le rôle principal, mais
l’auteur s’oppose vigoureusement à la perspective d’une
coproduction avec les Américains qu’il soupçonne de vouloir
livrer un éclairage particulièrement à charge à l’encontre des
militaires allemands. Le projet dorénavant privé de financement
américain s’arrête, jusqu’à ce qu’en 1979, un nouveau
producteur soit nommé à la tête des Studios Bavaria. Désireux de
voir Le
Bateau (Das
Boot)
aboutir, il décide de s’en tenir à un financement allemand, avec
l’idée d’amortir les coûts en en tirant conjointement un film
de cinéma et une mini-série télévisée en cinq épisodes,
financée par des chaînes de télévision nationales, WDR et SDR.
Wolfgang Petersen est choisi pour donner corps à l’adaptation, et
durant plusieurs mois, il écrit deux versions du scénario, une pour
le film et l’autre pour le format télévisé. Le metteur en scène
est d’abord réticent à engager un acteur qu’il connaît bien
mais qu’il croit trop jeune pour incarner le capitaine du bâtiment
de guerre, Jurgen Prochnow, à la manière quelques années plus tard
de John Carpenter pour The
Thing qui
aurait initialement plutôt vu Clint Eastwood dans le rôle principal
que son ami Kurt Russell ; quelques essais démontrent que, dans les
deux cas, l’acteur portant la barbe fait plus vieux que son âge,
et le visage sévère du comédien allemand se prête en fait
naturellement à interpréter le Commandant Heinrich
Lehmann-Willenbrock endurci par les épreuves du combat. Les autres
acteurs sont souvent des débutants, donnant au public allemand
l’impression de découvrir de vrais anonymes jetés dans la guerre.

L'écrivain Lothar Günther-Buchheim (à gauche) à côté du réalisateur Wolfgang Petersen.
Jurgen Prochnow dans le rôle du capitaine du sous-marin.
Le
tournage en intérieur est éprouvant et même dangereux pour les
interprètes de l’équipage, Wolfgang Petersen veillant à faire
reproduire en studio sans artifices toutes les avanies subies par les
marins, des violentes secousses aux trombes d’eau. Le technicien
manœuvrant en mer le sous-marin miniature, enfermé dans l’espace
réduit et étouffant de l’appareil dans lequel il respire
difficilement et endure de graves troubles digestifs, manque
plusieurs fois de couler avec son habitacle. Certaines scènes sont
tournées en France, sur fond des bunkers du Port de la Rochelle, ce
qui suscite quelque heurt avec la population locale ayant la
sensation de revivre le traumatisme de l’Occupation, de sorte qu’un
acteur vêtu de sa tenue militaire est pris à partie, malmené et
sur le point d’être jeté à l’eau par un badaud. La réplique
de sous-marin grandeur nature est fortement endommagée lors d’une
tempête, mais des réparations de fortune avec des plaques en bois
peint permettent de tourner la scène du retour au port, d’autant
qu’à la fin du film, l’appareil est réellement censé avoir été
endommagé au cours de sa mission. Le metteur en scène ne ménage
pas sa peine et motive suffisamment ses acteurs pour qu’ils
acceptent de tourner également durant le week-end.
La
version cinéma est finalement elle-même montée en deux versions
alternatives, l’une correspondant au format classique, une seconde
durant plus de cinq heures pour retranscrire davantage l’œuvre
littéraire et l’évolution des personnages.
La promiscuité de la vie confinée à bord du bâtiment de guerre.
Wolfgang Petersen sur le tournage avec le sous-marin dans le port de la Rochelle.
À
nouveau, un film de Wolfgang Petersen dérangeait en Allemagne,
car Le
Bateau semblait
mettre à l’honneur les marins engagés dans la guerre de conquête
d’Hitler, allant au bout d’eux-mêmes pour accomplir leur
mission, et il était alors convenu que l’œuvre représentait
une tentative à peine voilée de réhabiliter le IIIème Reich ou du
moins ceux qui s’étaient battus en son nom. Pourtant, en dépit du
courage dont témoignent les personnages dont on suit au plus près
les épreuves dans ce film prenant, le spectateur est invité à
porter un regard critique sur ces militaires au travers du
correspondant de guerre, le Lieutenant Werner (Herbert Grönenmeyer)
qui est l’incarnation de l’auteur. Une scène particulièrement
éprouvante montre le capitaine décidant de laisser se noyer les
marins du navire qu’il a coulé, conformément aux ordres du chef
de la Marine du Reich Karl Dönitz – il faut cependant indiquer que
des Alliés avaient précédemment bombardé un vaisseau allemand
alors qu’il s’exposait pour recueillir des naufragés anglais
comme l’y enjoignaient les lois de la guerre, un acte insensé
mettant fin à ce code de l’honneur maritime aussi bien qu’aux
dispositions internationales. Le commandant obstiné campé par
Prochnow est si investi dans sa mission qu’il trouve même Hitler
trop velléitaire, tandis que son second, Philipp Tomsen (Otto
Sander), désabusé, est devenu alcoolique. Les hommes qui ont
triomphé de la mort, alors que la musique de Klaus Doldinger a
illustré comme miraculeuse leur remontée des profondeurs au sein
desquelles ils risquaient de périr broyés par la pression, sont
finalement fauchés par le bombardement du port lorsqu’ils rentrent
de mission à la Rochelle. On peut se demander si le commandant à
l’agonie ne paraît pas plus intimement touché par la perte de son
précieux sous-marin, comme en témoigne son regard dévasté en
direction du navire en train de sombrer, que par leur agonie, tandis
que l’un de ses hommes expire auprès de sa fiancée française
qu’il avait tant craint de ne jamais revoir, ce dénouement
tragique faisant paraître quelque peu dérisoire toute l’épopée
maritime qui précède.
L'équipage du U-96 s'efforce de faire bonne figure, autour du commandant, au milieu, le Lieutenant Philip Tomsen, à gauche, et le correspondant de guerre, à droite.
Cependant, les épreuves finissent par user la détermination des hommes, désabusés dans cette guerre impitoyable.
Il
est peu dire que Le
Bateau ne
fit pas l’unanimité en Allemagne. Les anciens combattants
reprochèrent le langage cru qu’on leur prête – sans parler de
la scène de fête durant laquelle des marins hilares aspergent le
sexe d’une prostituée avec du champagne. L’auteur lui-même
partage l’avis moralisateur des critiques. En 1981, Lothar
Günther-Buchheim, tout en reconnaissant le soin apporté à la
vraisemblance des décors du film, estima que Wolfgang Petersen avait
fait de son histoire un film d’action hollywoodien à bon marché
et considérait lui aussi que la tonalité pacifiste de son livre
avait pris à l’écran les atours d’un film de propagande
allemand à la tonalité réaliste glorifiant la Seconde Guerre
mondiale. Il retint cependant ses critiques à l'endroit de la
version longue, et se montrera un peu plus clément lorsqu’il
prendra connaissance de l’intérêt bienveillant que Le
Bateau suscita
chez l’ennemi d’hier, en Angleterre et aux États-Unis.

Poster réalisé par le talentueux Gary Meyer, décédé en 2021.
Lothar Günther-Buchheim semble aux anges au milieu du tournage du Bateau, pourtant il n'épargnera pas le metteur en scène.
Ironiquement, ce sont en effet les Anglo-saxons, qu’il soupçonnait originellement de vouloir dépeindre de manière très critique l’équipage du sous-marin comme de détestables serviteurs zélés de l’entreprise nazie, qui firent le meilleur accueil au film, recevant avec plus de subtilité la vision implicitement contestatrice de la guerre qu’il induit. Au vu de cette réussite, Hollywood se proposa de recruter Wolfgang Petersen mais le cinéaste allemand déclina l’offre sur le moment, désireux de se consacrer à un nouveau projet atypique dans son pays.
Le réalisateur avec la fameuse barre de direction du sous-marin.
Un
homme providentiel
Avec Le
Bateau,
Wolfgang Petersen avait prouvé qu’il n’était pas seulement un
metteur en scène accompli, capable de susciter un intérêt
international comme avec L’amour
fou,
mais qu’il avait aussi l’envergure nécessaire pour superviser
une production ambitieuse riche en difficultés techniques, avec
autant de réussite que les Américains auxquels il avait été amené
à se substituer, et les producteurs allemands sauraient s’en
rappeler si nécessaire.
Les
producteurs Dieter Geissler et Bernd Eichinger avaient convenu d’une
adaptation du roman L’Histoire
sans fin (Die
unendliche Geschichte),
très populaire auprès des enfants, avec l’auteur Michael Ende. Le
projet est dès l’origine tiraillé entre la volonté d’Eichinger
d’en tirer un film hollywoodien et son propre assistant Christian
Schneider rédigeant un script tenant davantage d’un film
spécifiquement européen au caractère plus expérimental. Un
nouveau scénariste, Herman Weigel, est engagé durant l’automne
1981. Lorsque le projet de L’Histoire
sans fin (en
anglais The
NeverEnding Story)
se révèle beaucoup plus cher et ambitieux que prévu, les
producteurs remplacent peu après le début du tournage en juillet
1982 le réalisateur prévu, Helmut Dietl, par Wolfgang Petersen,
confiant en sa capacité de maîtriser l’ensemble des aspects du
film incluant nombre d’effets spéciaux. À l’automne suivant,
l’écrivain Michael Ende prend connaissance du scénario et
s’indigne que son histoire s’oriente vers ce qui lui paraît être
une aventure disneyenne assortie d’une fantaisie stupide, selon ses
termes. Wolfgang Petersen parvient à suspendre son ire en
travaillant avec lui sur une nouvelle version du scénario, et ce en
dépit de l’hostilité du producteur Bernd Eichinger toujours
soucieux que le résultat trouve sa place auprès du marché
international et notamment de distributeurs américains.

Edition allemande de L'Histoire sans fin illustrée par Sebastian Meschenmoser.
Michael Ende, un écrivain qui n'est pas disposé à abdiquer son droit de regard sur l'adaptation de son roman le plus connu.
Le
film fait appel pour la conception artistique au brillant
illustrateur de livres pour la jeunesse d’origine italienne Ul de
Rico et aux techniciens d’effets spéciaux britanniques renommés
Brian Johnson et Colin Arthur ainsi qu'à l'Italien Giuseppe Tortora qui comme ce dernier avait travaillé précédemment sur Conan le barbare (Conan the barbarian) – tandis que Steve Archer réalise les
plans en vol du gentil dragon avec des modèles miniatures comme
évoqué dans l'hommage à l'animateur. Toujours perfectionniste,
Wolfgang Petersen qui devait réaliser le film durant trois mois,
tournera en fait une année entière. Si la plupart des scènes
furent filmées à Munich dans les Studios Bavaria, la scène de la
plage sur laquelle chute le héros imaginaire Atreyu (Noah Hathaway)
fut filmée à Almeria en Espagne et les plans de l’école et de la
ville à Vancouver au Canada. Le film est une somptueuse plongée
dans un monde imaginaire que découvre Bastien (Barrett Oliver) au
travers d’un livre magique qui donne son titre au film, offrant au
lecteur la possibilité d’entrer en contact avec les personnages
imaginaires du récit, dans lequel s’incarne aussi des aspects plus
sombres du psychisme, la mélancolie au travers de la tortue géante
neurasthénique Morla qui n’attend plus rien de la vie (ses
éternuements cataclysmiques sont même dus à son « allergie
pour la jeunesse »), le désespoir avec les fatals marais de la
mélancolie dans lesquels s’enlise et périt la monture d’Atreyu,
Artax, et la propension à la destruction incarnée par le
Néant qui ravage le monde de Fantasia et par le loup G'mork envoyé pour détruire tout sentiment d’espoir, sans oublier la séquence
terrifiante des statues géantes de sphinx qui
désintègrent les aspirants héros insuffisamment assurés. Une fois le monde de Fantasia complètement détruit, Bastien immergé dans sa lecture accepte de surmonter son incrédulité en répondant à la requête de la Petite Princesse qui s'adresse à lui au travers du livre magique, lui demande de ne pas renoncer au pouvoir transcendant de l'Imaginaire et de lui donner un nouveau nom - on suppose qu'il lui attribue le prénom de sa mère disparue - puis celle-là lui remet le bijou magique, l'Auryn, ornant également la couverture du roman, dont le pouvoir lui permet de recréer le royaume enchanté. La
musique gracieuse de Klaus Doldinger illustre à merveille le film
même si les producteurs demandèrent à Giorgio Moroder de retoucher
différents morceaux dans un sens plus dynamique, et le film est riche en séquences chargées d'émotion, comme l'arrivée à la Tour d'ivoire et les séquences plus dramatiques.



Les adaptateurs de L'Histoire sans fin ont d'abord renoncé pour des raisons pratiques à porter à l'écran le Centaure à la robe tigrée représenté (en haut) par l'illustrateur Sebastian Meschenmoser pour l'édition allemande du roman, qui confie au jeune guerrier Atreyu la mission de combattre le Néant qui menace d'anéantir le monde merveilleux de Fantasia, puis ont aussi écarté la possibilité d'en charger la créature aquatique apparaissant dans le même plan (au milieu) en raison du poids qu'aurait représenté une baignoire emplie d'eau sur le plateau, optant pour une vision plus minimaliste en dotant un acteur d'une prothèse lui conférant un crâne allongé (en bas).
Préparation du décor de la Tour d'Ivoire dans laquelle se meurt la petite impératrice de Fantasia.
Le cinéaste aux petits soins avec l'escargot géant qui apparaît dans L'Histoire sans fin.
Wolfgang Petersen dirige ses jeunes acteurs, Barrett Oliver dans le rôle de Bastien, "l'enfant de la Terre", Noah Hathaway dans celui du petit guerrier Atreyu, chasseur de buffle pourpre des plaines (au milieu) et Tami Stronach qui incarne la petite Princesse de Fantasia.
Le réalisateur posant à côté de ses jeunes vedettes et en compagnie du producteur Bernd Eichinger.
Barrett Oliver et Tami Stronach prennent la pose pour une photo publicitaire, chevauchant la version grandeur nature du dragon Falkor.
Tournage de la scène bouleversante de la mort de la monture d'Atreyu dans les Marais de la mélancolie.
Le Géant mangeur de pierre se lamente de n'avoir pas été en mesure "en dépit de ses bonnes grosses mains" de sauver ses amis emportés par le Néant.
Morla, la tortue géante neurasthénique.
Dans cette illustration conceptuelle, l'artiste Ul del Rico assimile totalement G'mork - équivalent du loup Fernis ou Fernir, agent du Mal de la mythologie scandinave - au Néant dont il est l'envoyé, semblant en procéder directement en se formant en son sein brumeux tandis que dans le film, il est présenté comme une entité distincte.
Wolfgang Petersen avec Klaus Doldinger (à droite), le compositeur qui a largement contribué à faire naître l'émotion dans ses films Le Bateau et L'Histoire sans fin.
Lorsque
le film sort, l’auteur Michael Ende revient violemment à la
charge, déplorant le remaniement de l’histoire par le metteur en
scène postérieurement à leur réécriture en commun et exigeant
que la production s’arrête ou que les auteurs changent le titre du
film, mais son action en justice est rejetée. Il publie en mars 1983
un violent communiqué de presse, reniant le film comme étant une
entreprise éhontée, un « mélodrame commercial, kitsch, empli
de peluche et de plastique », mais abandonne finalement sa
campagne de dénigrement public en raison de menace d’un procès
par les producteurs et il est contraint de signer une déclaration
selon laquelle il s’engage à renoncer à toute poursuite à
l’encontre du film. Si le reproche d’avoir minoré le rôle
créateur de Bastien paraît excessif, puisque dans l’avant-dernière
scène, c’est bien le jeune humain qui sur injonction de la petite
princesse de Fantasia (Fantastica dans le livre) recrée le monde
imaginaire pulvérisé par le Néant, d’autres observations portant
sur le fond peuvent être reçues avec davantage d’attention.

Michael Ende revient, et il n'est pas content...
Il est douteux que l'auteur de L'Histoire sans fin soit venu comme ces deux jeunes femmes chevaucher le dragon Falkor dans les Studios Bavaria, concrétisation ultime de la vision ludique de son roman qu'il abhorrait…
L’épilogue
représente effectivement un cas plus sérieux de contestation par
l’écrivain. Pour Michael Ende, la liberté d'exercer son
imagination est certes essentielle, car elle permet de s'affranchir
du conformisme qui porte en germe le totalitarisme ; selon son
affirmation « même si elle ment un peu, la fiction est plus
réaliste que la réalité », le fantastique au sens large sert
par le biais de la métaphore à révéler une vérité profonde.
Toutefois, il souhaitait aussi, comme exprimé dans la seconde partie
du roman, indiquer qu’il ne fallait pas pour autant s'abandonner
complètement à la fiction jusqu’à perdre le contact avec la
réalité, et il se montra ainsi révulsé que dans l'épilogue, le
personnage féerique du dragon Porte-bonheur Falkor se manifeste dans
la vie de Bastien pour le défendre contre les vauriens qui le
malmènent, estimant absurde qu’un être imaginaire puisse apporter
son concours à un humain. Michael Ende soulève ainsi la question de
la délimitation que l'auteur d'un récit fantastique établit avec
le réel, défendant implicitement une conception selon laquelle les
éléments inventés revêtent d’autant plus d’intérêt que
l’écrivain s’attache à conserver une certaine ambiguïté quant
à leur nature comme au travers de la mise en abyme entre le
spectateur, le personnage de Bastien qui le représente et le héros
imaginaire Atreyu en lequel ce dernier se projette, maintenant à
distance du monde sensible dans lequel vit le lecteur sa création
dans un système de dualité, plutôt que de chercher à impliquer
celui-ci dans une fantaisie plus débridée et illusoire abolissant
tout frontière avec la fiction.






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Michael Ende n'a pas supporté, selon Sebastian Meschenmoser qui a illustré la version allemande du roman L'Histoire sans fin, que Wolfgang Petersen recoure à un symbolisme trop explicite en transgressant la limite de l'imaginaire lorsque Bastien monté sur Falkor, qui exauce son dernier vœu, effraie dans le monde réel les petits voyous qui le persécutaient en les conduisant à se réfugier à leur tour dans un vide-ordures.


Deux moments du film dans lequel la réalité et l'imaginaire s'entremêlent finement. En haut, Bastien caché dans le grenier de son école et plongé dans la découverte du roman "L'Histoire sans fin" est brusquement sorti de sa lecture lorsqu'un orage éclate et qu'un éclair illumine la tête empaillée d'un loup arborant une expression féroce, comme si le redoutable G'mork qui pourchasse le héros du livre s'incarnait devant le jeune lecteur, rendant totale son identification à Atreyu - et à travers lui celle du spectateur, d'autant que le petit héros de Fantasia a perdu à l'écran sa couleur de peau verte qui lui conférait une allure plus exotique. En dessous, la jeune princesse de Fantasia implore Bastien de lui donner un nouveau nom pour réactiver le monde féérique atomisé par le Néant, se tournant vers la caméra et donc, au travers de Bastien, s'adressant directement au spectateur en le suppliant de ne pas renoncer à sa capacité à l'émerveillement.
Un autre moment non dénué de profondeur du film intervient lorsque le sage gnome Engywook (Sydney Bromley) explique à Atreyu au sujet du défi du miroir : "Beaucoup ne ressortent pas indemnes de la confrontation avec eux-mêmes. Certains qui respirent la bonté découvrent qu'ils sont des êtres cruels. Certains qui croient être courageux réalisent qu'ils ne sont que des lâches. ." Une épreuve de vérité qui rappelle comment certains ont vu leur personnalité tristement changer depuis le bouleversement engendré par la pandémie de la COVID. Conformément au sujet de L'Histoire sans fin, la réalité est souvent rattrapée par l'imaginaire...
Bastien se voit au travers du miroir quand Atreyu se confronte à son reflet.
Si
l'on peut estimer fort recevables les observations de l'écrivain, il
est néanmoins permis de considérer ses reproches comme assez
excessifs, ceux-là rappelant le courroux injustifié de certains
lecteurs de Dune de
Frank Herbert à l'encontre du film de David Lynch qui en est
pourtant une honnête adaptation. Wolfgang Petersen reconnut que les
relations avec Michael Ende n'avaient jamais été de nature cordiale
- il est d'ailleurs notable qu'il n'existe pas de photo publique
montrant les deux hommes ni même de l'écrivain associé à la
production du film, et qu'il ne pouvait que souhaiter qu'avant sa
disparition en 1995, l'auteur ait fini par apprécier davantage
l'adaptation cinématographique.

Dessin satirique caricaturant Michael Ende, en le mettant à la place des vauriens
effrayés par le dragon Falkor trouvant refuge dans la poubelle dans
la dernière scène de l’adaptation cinématographique de son roman figurée au-dessus, et jouant sur son nom qui signifie "fin" en allemand, un mot d'ailleurs de la même famille que l'adjectif qui figure dans le titre original du livre.
Couverture d'une édition du roman ressortie après le film, illustrée par les photographies de quelques scènes et le symbole de l'Auryn en son centre ; n'en déplaise à Michael Ende, la notoriété de l'adaptation cinématographique lui a apporté une célébrité mondiale, particulièrement au Japon.

Consécration pour le cinéaste que rencontre au-dessus de la version grandeur nature de Falkor le Président de la République fédérale allemande Richard von Weizsaecker lors de sa visite des Studios Bavaria en 1984.
Le metteur en scène en 2019, un petit air du dragon débonnaire qu'il a mis en scène dans L'Histoire sans fin.
La
réaction virulente de Michael Ende jusqu’au recours à l’action
en justice a dissuadé durablement les producteurs de porter à
l’écran la seconde partie du roman comme le souhaitait pourtant
l’auteur. Le temps nécessaire pour trouver finalement un
arrangement et le long processus d'écriture pour adapter
scénaristiquement cette seconde partie contraignit à trouver de
nouveaux interprètes correspondant à l'âge des personnages, à
l’exception de celui du libraire Coreander, détenteur du livre
magique, un rôle d'initiateur à l'évasion que reprend Thomas Hill dans ce second film,
réalisé en 1990 par George Miller, L’Histoire
sans fin II,
(The NeverEnding
Story II : the Next Chapter).
Thomas Hill avec le nouvel interprète de Bastien, Jonathan Brandis, dans le deuxième volet.
Le poster de la suite de l'adaptation cinématographique, L'Histoire sans fin II, dans laquelle Bastien victime d'un sortilège conçu par la Sorcière Xayide commence à perdre la mémoire et est menacé de se perdre à jamais dans le monde imaginaire.
L'auteur
se déclara à priori satisfait de cette nouvelle adaptation, faisant
montre de plus de compréhension que pour le film de Wolfgang
Petersen, estimant que même si l'histoire s'éloignait selon lui
encore davantage de celle du roman, le nouveau long métrage en
respectait davantage l'esprit. Il ne sera pourtant, par la suite,
même pas fait mention de cette seconde adaptation sur le site
officiel de l'auteur, sans parler même du dernier volet assez
plaisant de la trilogie plus ouvertement destinée à la
jeunesse, The
NeverEnding Story III : Escape from Fantasia de
Peter MacDonald en 1994, produit par Dieter Geissler qui avait toujours souhaité faire une trilogie, dans lequel des personnages imaginaires,
un bébé mangeur de pierre et un arbre ambulant, traversent
ouvertement le voile de Fantasia pour faire irruption dans la vie
quotidienne de Bastien, mais il est vrai que cette transgression
assumée n’était cette fois plus l’adaptation directe de l’œuvre
de l’auteur, achevant certainement de le détourner à jamais de
l’univers cinématographique.
Même
après la disparition de l’écrivain, la productrice Kathleen
Kennedy, qui avait envisagé en 2009 de produire une nouvelle
adaptation "plus nuancée" du roman, y renoncera deux ans
plus tard faute d’avoir pu obtenir un plein accord des ayants
droit. Il aurait peut-être été intéressant de pouvoir découvrir
une version alternative se réclamant d’une approche plus fidèle à
la sensibilité de l’auteur – même s’il est à craindre que la
magie en aurait été en grande partie absente si comme on peut le
pressentir, Hollywood avait peuplé le film de créatures créées
par ordinateur comme il nous y a tristement habitués depuis un quart
de siècle au lieu des personnages conçus par Colin Arthur ; il
semble toutefois que quelle que soit la sincérité dont se réclament
les producteurs, la rupture soit définitivement consommée entre
l’œuvre de Michael Ende et le monde du cinéma. Les enjeux du
roman n'auront cessé de causer des tensions puisque, plus
anecdotiquement, l'avocat de l'écrivain affirma après sa
mort être devenu le détenteur des droits du livre jusqu'à ce
que les héritiers mettent fin à cette revendication après une
action en justice.
Wolfgang
Petersen dont les films se trouvaient davantage appréciés en
Amérique que dans son pays d’origine où les auteurs des romans
qu’il adaptait étaient fort critiques à son encontre, se laissa
finalement convaincre par les producteurs d’Hollywood. Une
troisième fois, après Le
Bateau et L’Histoire
sans fin,
il allait se révéler le sauveur d’un projet, tel l’Américain
John Frankheimer qui fut appelé à la rescousse en 1996 pour
terminer le second projet de remake de L’île
du Dr Moreau (The
Island of Dr Moreau)
avec Marlon Brando. Le tournage d’un film de science-fiction, Enemy
Mine tiré
du roman de Barry Longyear, mettant face à face un humain et un extraterrestre, deux antagonistes échoués sur une planète hostile, avait débuté en Islande sous la
direction de Richard Loncraine, auquel on devait notamment le film
d’épouvante Le
cercle infernal (Full Circle/The Haunting of Julia).
Les producteurs s’avisèrent que le film risquait de virer au
fiasco. Le tournage en extérieur en Islande avait été freiné par les conditions météorologiques, notamment des chutes de neige, et la production, estimant que la différence d'avec les scènes filmées en studio à Budapest était manifeste, avait commencé à douter du réalisateur victime des circonstances. La production est arrêtée jusqu'à l'arrivée de deux nouveaux responsables à la tête de la Twenty Century Fox qui décident d'essayer de limiter les pertes en menant à terme le projet et engagent un autre réalisateur habitué aux aléas des projets ambitieux. Après avoir examiné les potentialités du scénario, le metteur en scène allemand accepte de prendre la relève dès qu’il aura pu achever le tournage de L’Histoire sans fin, période durant laquelle le studio accepte de payer les deux interprètes principaux afin qu'ils demeurent disponibles jusqu'à cette échéance.


Couvertures pour le récit original de Barry Longyear.
Un des nombreux modèles réduits de vaisseaux spatiaux conçus pour le film – à la différence de The Last Starfighter qui proposa un peu auparavant les premiers engins créés en images de synthèse.
Wolfgang
Petersen retouche le scénario en supprimant une séquence de
flashback et se montre désireux d’utiliser des paysages côtiers
d’Afrique pour les plans larges en extérieur, les paysages
d’Islande traduisant trop pour lui leur origine
géographique, et la production lui accorde à défaut de tourner à
Lanzarote dans les îles Canaries. Dans son souci de perfectionnisme,
il demande à l'équipe des maquilleurs de Chris Walas de revoir
l'ensemble de leurs réalisations. Il estime le maquillage de
l’extraterrestre d'apparence trop caoutchouteuse et demande qu'on
lui confère une allure plus ouvertement reptilienne conformément à
la description de l'œuvre originelle. Chris Walas se montre réticent
à se plier à cette injonction, car il estime avoir vu déjà un
certain nombre d'hommes-lézards à l'écran – on peut penser à
Grig dans The
Last Starfighter ainsi
qu'à la série V
et
à un des chasseurs de primes de L'Empire
contre-attaque (Empire
strikes back),
connu sous le nom de Bossk, et il incline pour un faciès se
rapprochant plutôt de celui d'un batracien. Après plusieurs essais, il s'oriente vers
une combinaison entre le crâne d'un Néandertalien et la bouche du
poisson marcheur des mangroves d'Asie du Sud-est, le périophtalme, et il finit par sculpter un modèle de
la version finale directement sous la supervision du réalisateur.
Son assistant Stephan Dupuis crée pour suppléer à l'absence de nez
un cône dissimulé sous la saillie de la bouche pour permettre
l'arrivée d'air et ménage deux petites ouvertures dans le
masque camouflées en tâches noires. Wolfgang Petersen demande aussi
à l'atelier de Chris Walas de substituer aux formes de vie indigènes
de la planète Fyrine IV similaires à des arthropodes qui
avaient été retenues initialement, ressemblant à des cloportes et à
une larve de coléoptère géante inspirée de celle de la cicindèle,
des formes de vie plus originales, choisies après avoir envisagé
différentes options. Les créatures rampantes dont les carapaces
servent à constituer une habitation contre les pluies de météorites
se déplacent sur une sole ondulante au bord multilobé recouvert
d'une frange bilatérale de soies, et sont pourvues de deux groins en
plus de la bouche, de deux épais tentacules sensoriels et de trois
yeux. Le grand prédateur est lui finalement créé sous forme d'une
sorte de dragon aux allures de murène reptilienne à l'épiderme écailleux ; il se déplace à
l'aide d'extensions latérales qui ne sont pas montrées dans le
film, car, lorsqu'il quitte le puits
de sable dans lequel il piège ses proies à la manière de la
larve du fourmilion pour chasser les naufragés sous leur tente,
l'obscurité empêche alors d'apercevoir autre chose que sa gueule
vorace.



Une créature de la planète désertique agite ses palettes locomotrices dans l'espoir de remonter la paroi en pente du trou dans lequel elle a chu, mais la langue du prédateur tapi s'élève du fond, prête à se saisir de sa proie. Grâce à la révision demandée par Wolfgang Petersen, la scène dégage une réelle impression d'étrangeté.
Willis Davidge est à son tour attaqué par le prédateur dont le sauve in extremis son ennemi en tranchant la langue armée de pointes redoutables.
Face à l'humain joué par Dennis Quaid (future vedette
de L’Aventure
intérieure), l’acteur Louis Gossett Jr. donne vie à l'extraterrestre en lui conférant une singularité indéniable sous le masque mobile,
dans ce beau film d’aventure épique qui représente une parabole
pacifiste cette fois incontestable, avec ces deux êtres censés se
haïr dans une guerre opposant leur peuple, alors que la malfaisance
authentique est incarnée par de vils esclavagistes dont le chef est
interprété par Brion James (Leon dans Blade
Runner).
Wolfgang Petersen accomplit une nouvelle fois sa mission avec succès,
à l’issue de sept mois de tournage, au prix d’un doublement du
budget, parvenant à faire d'un film à l'intrigue assez statique une œuvre sans faiblesses à laquelle la composition de Maurice Jarre confère presque par moment une tonalité mystique.


Wolfgang Petersen devant les décors de la planète aride dans les Studios Bavaria.
Le réalisateur dirige Dennis Quaid dans le décor reconstitué en studio (en haut) et à Lazarotte (en dessous).
L'acteur Dennis Quaid entouré du producteur d'Enemy Mine, Stanley O'Toole, et du metteur en scène.
Wolfgang Peter dans le décor recréé en studio à Munich avec ses deux interprètes principaux au naturel, Louis Gossett Jr. sans maquillage et Dennis Quaid sans sa combinaison spatiale.
Après plusieurs affrontements, l'humain (Dennis Quaid) et le Drac, Jeriba (Louis Gossett Jr.), finissent par coopérer et "regarder ensemble dans la même direction" comme dit l'adage populaire.
Les carapaces des créatures rampantes dévorées par le prédateur embusqué permettent aux deux rescapés de se bâtir un abri de fortune contre les météores.
Willis Davidge (Dennis Quaid) n'apprécie pas plus la nourriture indigène que lui tend le Drac que les portions alimentaires de l'extraterrestre. De multiples variations ont été envisagées pour cette créature, de l'insecte à l'escargot, l'équipe allemande avait imaginé une forme tentaculaire évoquant trois pieuvres entremêlées mais la version finale a renoué avec le concept d'une sorte d'asticot.
Le naufragé humain prend soin du jeune Drac, Baptisé Zammis, auquel l'être extraterrestre hermaphrodite a donné naissance.
Hollywood, ou le risque de la banalisation ?
Dorénavant,
Wolfgang Petersen s’intègre parfaitement à la machine de
production américaine. Il enchaîne les films d’action
parfaitement maîtrisés, mettant des hommes aguerris aux prises avec
des situations de crise, comme Dustin Hoffmann en médecin
s’efforçant d’endiguer une épidémie du virus Ebola alors que
l’armée menace d’user du moyen plus radical d’atomiser la
population infectée dans Alerte ! en
1995 et Harrison Ford en président des États-Unis combattant dans
son avion officiel des terroristes qui ont pris en otage sa famille
en 1997 dans Air
Force One –
l’ancien président Donald Trump fera d’ailleurs son entrée pour
annoncer sa victoire aux élections devant le parterre de ses
partisans après que fut diffusée la glorieuse musique composée par
Jerry Goldsmith pour le film. Fasciné depuis l’enfance par la
puissance de la mer hanséatique, il montre à nouveau après Le
Bateau le
combat des hommes face à l’océan dans En
pleine tempête en
2000 tiré d’une histoire vraie sur un groupe de survivants ayant
affronté les éléments déchaînés – avec cette fois une vague
créée virtuellement – ainsi que dans le film
catastrophe Poseidon en
2006. Le réalisateur de L’Histoire
sans fin n’abordera
plus le Merveilleux dans la suite de sa carrière puisqu’en 2000,
il finit par décliner la proposition de réaliser la première
aventure cinématographique d’Harry
Potter, ni
la Science-fiction après la brève mais honorable incursion d’Enemy
Mine puisqu’après
avoir envisagé d’adapter au cinéma La
stratégie Ender (Ender’s
Game)
d’Orson Scott Card, il se désiste finalement du projet en 2008.


Dustin Hoffman dans un rôle dramatique dans Alerte ! (Outbreak) ; en dessous, l'acteur est au second plan derrière le réalisateur.
Wolfgang Petersen exprime précisément ce qu'il attend d'Harrison Ford dans le rôle du Président des Etats-Unis pris en otage dans son avion personnel qui donne son titre au film, Air Force One.
Le cinéaste avec Brad Pitt sur Troy et en dessous, un plan du film.
Wolfgang Petersen avec les principaux acteurs de Poseidon, dont Kurt Russell à droite.
Le
public anglo-saxon s’était montré le plus favorable à l’égard
de Wolfgang Petersen dans la première moitié de sa carrière, à
fortiori si l’on se rappelle de l’hostilité des écrivains de son
pays qu’il avait adaptés. Nul ne conteste la capacité démontrée du cinéaste à livrer
des films sans temps morts, à narrer une histoire riche en suspens
et en rebondissements, mais on lui reproche parfois de ne pas
insuffler de personnalité particulière à ses œuvres comme on le
dit souvent de son compatriote Roland Emmerich. C’est un peu comme
s’il avait confirmé l’avis alors manifestement injuste des auteurs
du Bateau et
de L’Histoire
sans fin,
qui le dépeignaient déjà à l’époque de ces adaptations comme
n’étant qu’un réalisateur de films d’action selon les
standards hollywoodiens. Ce cinéaste tranquille dont les œuvres de
la première partie de la carrière ont suscité la controverse
demeurera en tout cas sans doute à jamais associé au Bateau et
à L’Histoire
sans fin,
des films prestigieux qui, en dépit des avis négatifs des auteurs,
ont su transporter les spectateurs et resteront dans nos mémoires.

*
Disparu
le 22 septembre 2022 à l’âge de 79 ans, Peter Straub était un
des plus célèbres écrivains d’épouvante américains
contemporains. Il était notamment l’auteur de Julia (1975),
narrant la hantise d'une demeure par l'âme d'une petite fille
maléfique, qui connut une adaptation cinématographique deux ans
plus tard avec Le
Cercle infernal (Full
Circle/The
Haunting of Julia)
ainsi que du Fantôme
de Milburn (Ghost
Story),
roman de 1979 adapté également deux ans plus tard au cinéma, une
histoire de vengeance d’outre-tombe pour laquelle le maquilleur
Dick Smith avait créé des maquillages incroyablement morbides pour
le personnage décati interprété par Alice Krige. Il avait aussi
co-écrit deux œuvres avec son ami Stephen King, Le
talisman (The
Talisman)
en 1986 et Territoires (Black
House)
en 2002.


Peter Straub et la couverture allemande de son roman de Fantasy co-écrit avec Stephen King, Le Talisman (The Talisman).
Une manifestation cauchemardesque créée par Dick Smith pour le film Le Fantôme de Milburn (Ghost Story), qui fut coupée à la différence des apparitions vengeresses d'Eva Galli de plus en plus décomposée, si effroyables que l'on n'ose les proposer ici au lecteur non averti – le maquilleur réutilisera le concept pour La maison de l'horreur (House on Haunted Hill) en 1999.
*
Mise
à jour :
L’actrice
Louise Fletcher a disparu le 23 septembre 2022 en France où elle
résidait habituellement, comme une autre actrice américaine,
Catherine Schell. Née de parents sourds, elle n’apprit à parler
qu’à l’âge de huit ans auprès de sa tante. Elle figure dans
des séries télévisées comme Les
incorruptibles (The
Untouchables)
dans les années 1950. Après s’être consacrée à sa vie de
famille, elle apparaît sur le grand écran au milieu des années
1970, son visage sévère la destinant naturellement à des rôles
autoritaires. Son plus grand triomphe est l’infirmière inhumaine
qu’elle compose dans Vol
au-dessus d’un nid de coucou (One
Flew over the Cuckoo’s Nest)
de Milos Forman en 1976, Mildred Ratched, qui persécute le criminel
se faisant passer pour fou qu’interprète Jack Nicholson, au sein
d’une distribution étonnante qui comporte notamment Brad Dourif,
Christopher Lloyd, Vincent Schiavelli ou encore Will Sampson. Sa
prestation ne lui vaut pas moins de trois prix. Si elle renoue avec
la télévision, apparaissant dans des séries
comme Urgences (ER), La
Cinquième dimension (The
Twilight Zone), Les
Contes de la crypte
(Tales
of the Crypt) et Star Trek : Deep
space Nine,
elle poursuit conjointement sa carrière sur le grand écran, avec le
très dispensable L’Exorciste
2 : L’Hérétique (Exorcist
2 : the Heretic)
en 1977, Les
envahisseurs parmi nous (Strange
Invaders)
en 1983 ainsi que Brainstorm,
film que le réalisateur et créateur d’effets spéciaux Douglas Trumbull aura tant
de difficultés à achever suite à la mort soudaine de l’actrice
Natalie Wood, dans lequel Louise Fletcher dans le rôle de Madame
Benjamin frappée par une crise cardiaque communique la vision
ressentit à la survenue de la mort au travers d’une invention qui
visualise les impressions ressenties ; ce film lui vaudra de se
voir décerner un Saturn Award, un prix délivré au titre du cinéma
fantastique et de science-fiction. Elle est en 1986 une institutrice
terrifiante, Madame McKeltch, dans L’invasion
vient de Mars (Invaders
from Mars),
remake d’un film des années 1950, dans lequel elle passe sous le
contrôle d’extraterrestres qui lui ont placé un implant derrière
la nuque ; on oubliera pas de sitôt la séquence dans laquelle
son élève la surprend alors qu’elle avale une grenouille du cours
d’histoire naturelle, ce qui prendra un relief ironique lorsqu’elle
se trouve à son tour gobée par un extraterrestre glouton, une brute
servant l’Intelligence suprême de Mars. En 1990, elle est un des
personnages principaux du film de série B Shadowzone dans
lequel elle piège involontairement au cours de recherches sur les
rêves une créature interdimensionnelle redoutable ; elle
parviendra finalement à la renvoyer dans son monde, ce qui ne
l’empêchera pas d’en être la dernière victime. Dans un
registre plus léger, elle faisait une apparition dans la comédie Le
Noël de Denis la Malice (A
Denis the menace Christmas)
en 1997. Au travers de sa carrière diverse, Louise Fletcher aura
incarné nombre de personnages féminins bien peu amènes aux
apparitions remarquées.

Madame Benjamin va de manière imminente réaliser un enregistrement dramatique en livrant à l'invention de Brainstorm ses ultimes instants.
L'enseignante de L'Invasion vient de Mars (Invaders from Mars) manifeste un intérêt très particulier pour les grenouilles du laboratoire.
Sous le contrôle de son maître extraterrestre, Madame McKeltch témoigne plus d'affection pour les serviteurs monstrueux de l'envahisseur que pour ses élèves, mais les créatures lui rendent bien mal ses égards.
Le Docteur Erhardt considère que la fin justifie les moyens au cours de ses recherches sur le monde des rêves, mais celle qui n'a guère d'égard pour ses cobayes humains finira elle-même par voir sa vie réclamée par l'entité multiforme qu'elle a involontairement extrait de son propre espace temps dans Shadowzone.
Indiquons aussi la disparition à l'âge de 95 ans de l'acteur américain d'origine italo-hispanique Henry Silva qui avait interprété un grand nombre de personnages criminels dont Sauveur Meccaci dans Le marginal face à Jean-Paul Belmondo. Il était aussi régulièrement apparu dans des séries comme Les Incorruptibles (The Untouchables) et Au-delà du réel (The Outer Limits) où il avait figuré dans deux épisodes.
Henry Silva dans le rôle de Chino Rivera dans l'épisode Opération survie (The Mice) d'Au-delà du réel (The Outer Limits), un détenu qui se prête à une expérience de téléportation entre la Terre et la planète des Chromoïtes (matérialisation de l'extraterrestre en dessous).
Henry Silva dans le rôle du dictateur sud-américain Mercurio dans l'épisode Attraction pour touristes (Tourist Attraction) de la même série, admirant un fossile vivant découvert dans un lac, un prétendu ichtyosaure - loin du véritable animal qu'ont pu voir les lecteurs dans l'article de février 2009 consacré aux controverses sur l'évolution.
*