mardi 22 novembre 2022

IL NOUS LAISSE SON HERITAGE


Avertissement : le lecteur qui prévoirait de lire le roman Héritage est avisé qu’il est fait ici état d’une évocation assez précise du livre au cinquième paragraphe de ce petit hommage, à charge pour lui de se dispenser provisoirement d’en prendre connaissance préalablement à cette lecture s’il désire que les points principaux du dénouement ne lui soient pas dévoilés précocement


    L’écrivain américain bien connu de science-fiction Greg Bear est décédé le 19 novembre 2022 à l’âge de 71 ans, de complications à la suite d’une opération du cœur. Il était un des principaux représentants de la "hard science fiction", courant privilégiant une certaine scientificité, popularisé aux États-Unis par des auteurs comme Hal Clement, Robert Forward, Gregory Benford ou David Brin, mais moins apprécié en France où, jusqu’à preuve du contraire, celui qui s’inscrit dans cette filiation n’a pratiquement pas de chance d’intéresser un éditeur. Le prestige de l’auteur américain lui avait cependant valu de voir 17 de ses romans traduit en français.

    Ayant commencé à écrire dès son adolescence, il doit mentir sur son âge pour obtenir la publication en 1967 de sa nouvelle Destroyers dans le magazine "Famous Science Fiction". Il devient jusqu’en 1982 chroniqueur littéraire pour un journal de San Diego, ville où il est né bien qu’ayant ensuite passé un certain temps au Japon, aux Philippines et en Alaska pour suivre les affectations de son père, un Marine. Il publie en 1979 son premier roman, Hegira,

    En 1983, année de son remariage avec la fille de l’auteur de science-fiction Poul Anderson, il obtient des récompenses majeures dans son domaine, deux prix Hugo et un prix Nebula pour ses nouvelles de 1983 Hardfought et Le chant des leucocytes (Blood Music). En 1985, il tire de cette dernière un roman, La musique du sang (Blood Music), qui lui vaudra d’être également reconnu en France. Cette œuvre engendrée par sa passion pour la science et ses innovations représente très certainement la première fiction à traiter des nanobiotechnologies. Dans ce roman, des machines intelligentes de taille infinitésimale sont injectées dans le corps humain pour soigner ses affections, mais elles deviennent rapidement hors de contrôle, appliquant leur propre programme, et finissant par contrôler le monde au point d'agir sur l'espace-temps pour contrer toute parade. On retrouvera une histoire très similaire aux dans un épisode particulièrement marquant de la série télévisée Au-delà du réel : l’Aventure continue (The New Outer Limits), Une nouvelle génération (The New Breed) réalisé en 1995 par Grant Rosenberg, dans lequel un malade du cancer guéri par les minuscules robots moléculaires voit avec terreur ceux-ci devenir incontrôlables, ne cessant jamais d'améliorer son organisme jusqu'à lui faire pousser une paire d'yeux supplémentaires derrière la tête, puis lui interdisant même de mettre fin à ses jours. Michael Crichton se saisira à son tour de la menace potentielle de la nanotechnologie s’émancipant de ses créateurs avec sa nuée menaçante et intelligente dans La proie (The Prey).


Couvertures américaines pour La musique du sang (Blood Music) ; celle de l'édition figurée en bas comporte un éloge par Poul Anderson devenu le beau-père de l'auteur.


Couverture française pour le roman et sa réédition en collection de poche en dessous.

Comme dans La musique du sang (Blood Music), l'épisode Une nouvelle génération (The New Breed) de la série télévisée Au-delà du réel : l’Aventure continue (The New Outer Limits) montre un personnage dont la peau se couvre de fins tentacules agencés par les "microchips" injectés dans l'organisme humain.

    1985 voit aussi la sortie de son roman Éon (Eon) qui rencontre un succès immédiat, contant la découverte d’un astéroïde comportant en son sein un passage intersidéral, la Voie, un dispositif créé par les humains du futur qui l’ont utilisé pour s’établir sur d’autres planètes, formant le réseau de l’Hexamone. Dans la suite parue en 1988, Eternité (Eternity), l’humanité est confrontée à des envahisseurs ayant fait irruption par un des passages ouverts, qui visent à s’accaparer toutes les connaissances de l’univers afin de créer une conscience ultime de nature divine à la manière de la vision de Teilhard de Chardin, et dont l’un s’empare quelque temps de l’esprit du personnage principal Olmy Ap Senon. Pour dépeindre physiquement les Jarts, l’auteur a visiblement été influencé par la formule selon laquelle un très ancien fossile présentait une allure réellement extraterrestre. D’abord interprété lors de sa découverte sur le site du Cambrien inférieur de Burgess Shale en Colombie britannique en tant que ver annélide, celui-là a fait par la suite l’objet d’une nouvelle description par le paléontologue Simon Conway Morris qui l’a renommé Hallucigenia, en soulignant par l’étymologie qu’il était le plus extravagant des étranges animaux inventoriés, avec ce qu’on suppose être une tête assez informe, une double rangée d’épines locomotrices ainsi que sept tentacules dorsaux et d’autres plus petits à l’arrière en amont de la longue queue. Sa morphologie générale n’est pas sans similitude avec la description donnée des Jarts par Greg Bear, bien que l’auteur l’a enrichie par un certain nombre d’ajouts : « Cela avait une grande tête en forme de marteau vertical de couleur gris-bleu percé par trois fentes horizontales. De la fente supérieure sortaient des tubes d’un blanc scintillant portant ce qui représentait peut-être des yeux noirs – et des deux inférieures s’échappaient de longues touffes de poils noirs. Derrière la tête surdimensionnée s’étirait un long thorax vert et lisse à peu près de la taille et de la forme du tronc humain. Des tentacules bifurqués d’un rose pâle, chacun aussi épais que le poignet d’Olmy et aussi longs que son bras, s’élevaient au long du dos telle une crête. À l’arrière, derrière les tentacules, se trouvait un faisceau de courtes barbes ou d’antennes rouges. Une épaisse queue relevée s’achevait par une forme en clairon d’un violet lumineux. Figurant sans doute le plus étrange de l’ensemble, sept paires de membres inférieurs ou de soutiens étaient alignés des deux côtés du corps, non pas des jambes ou des membres au sens traditionnel mais des poteaux ou de longues épines pointues, chacune de la couleur de l’obsidienne et tout aussi brillante. Sous la tête, ou peut-être émergeant de la région inférieure de la tête elle-même, se trouvaient deux assortiments de bras à plusieurs articulations, l’un incliné avec des appendices ressemblant remarquablement à des mains, l’autre avec des palpes roses translucides.». De nouvelles études, réalisées notamment grâce à l’apport d’un gisement fossilifère chinois similaire et en particulier à l’examen d’un nouveau spécimen, laissent cependant penser que l’animal aurait pu avancer sur ses appendices flexibles qui auraient pu être disposés par paires, à la manière d’autres espèces du site appelées lobopodes, et qu’ainsi les épines auraient en réalité représenté une protection dorsale – l’animal demeure cependant encore assez mystérieux pour qu’il subsiste un doute quant à ce qui doit être compris comme son avant ou son arrière. Si la nouvelle interprétation devait effectivement être retenue, Hallucigenia ne correspondrait pas à la vision qu’en avait Simon Morris et cette créature n’existerait plus en définitive sous cette forme nulle part ailleurs que dans la fiction de Greg Bear.

Fossile d'Hallucigenia du schiste de Burgess Shale et illustration en dessous proposant une reconstitution selon l'hypothèse de Simon Conway Morris, un animal des temps anciens dont l'allure générale est proche de celle des Jarts extraterrestres d'Eternité (Eternity).

    Un troisième roman, indépendant, est venu compléter en 1995 les deux précédents, Héritage (Legacy), et c’est probablement parmi ceux de Greg Bear celui-ci qui retient le plus l’attention des lecteurs intéressés par la vie extraterrestre. Le personnage principal réminiscent des tomes précédents et narrateur, Olmy Ap Senon, est envoyé en mission secrète sur la planète Lamarckia sur laquelle se sont établis sans permission des colons en empruntant un passage de la Voie, afin de vérifier que leur activité ne met pas trop en danger la nature qu’ils ont investie. La vie qualifiée de "mégacytique" s’y présente sous la forme de gigantesques colonies constituées d’unicellulaires spécialisés, les scions, dont l’apparence va de végétaux parfois immenses (les "phytidées" et "arboridés") à diverses espèces animales se rapprochant d’arthropodes, de poissons (les "piscidés"), d’oiseaux (« aviaridés ») ou de vertébrés terrestres, certains maillons ayant pour fonction de recycler les déchets produits par les cadavres et il existe même une version biologique de la tempête océanique. Chaque écosystème est ainsi une entité multiple, dont les différentes castes asexuées sont agencées par des Reines à l’apparence d’urnes géantes auxquelles les scions mobiles ramènent les éléments utiles. Il n’existe donc pas à proprement parler de lutte pour la survie par élimination à chaque génération des moins bien pourvus sélectionnant les caractères les plus appropriés comme dans le paradigme darwinien, mais une lente adaptation progressive aux changements de l’environnement à la manière du transformisme précédemment postulé par le naturaliste Jean-Baptiste Lamarck, dont le nom est ainsi utilisé pour désigner la planète – même si l’écos recycle sans hésitation ses scions qui ne donnent pas satisfaction. Lorsqu’il arrive que deux écoï entrent en contact, leurs senseurs réalisent au travers notamment de petites piqûres des analyses chimiques pour examiner les capacités de leurs homologues et copier leurs caractéristiques innovantes si celles-là s’avèrent présenter un avantage fonctionnel. L’une des factions humaines rivales découvre qu’une Reine a ainsi suite à ce processus tenté d’imiter superficiellement la forme humaine, et le chef des sécessionnistes, Brion, rêve de la recréation de son épouse décédée, mais les écoï étant dépourvus d’ADN, les pseudo-humains ne peuvent revêtir qu’un semblant d’apparence externe et s’ils parviennent à articuler approximativement quelques mots, ils ne disposent pas d’une véritable intelligence faute d’un cerveau digne de ce nom. Alors que les exilés tentent de subsister en consommant certains scions, il semble que les écos soient en train de dépérir pour une raison inconnue. Brion prend l’initiative de soumettre à la forme de vie extraterrestre des plantes vertes et l’écos s’approprie alors la capacité de photosynthèse. Une fois pourvus de cette faculté qui leur confère une coloration verte, les scions d’allure végétale s’avèrent soudain être devenus incomestibles pour les humains. Olmy dévoile sa vraie identité et organise l’évacuation des humains dorénavant incapables de survivre sur Lamarckia, rendue à elle-même et dont la vie indigène a ainsi été involontairement sauvée par les colons de l’extinction qui semblait imminente au vu du dépérissement des Reines. Héritage laisse des questions irrésolues quant à la soudaine dégénérescence des écoï ainsi qu’à la raison pour laquelle les scions photosynthétiques ne peuvent plus être assimilés par les organismes humains, mais ce roman devrait néanmoins intéresser tous les amateurs de science-fiction portant quelque intérêt à la biologie et au vivant.

Couverture pour la réédition française en collection de poche d'Héritage (Legacy) figurant les scions de nature végétale qui ressemblent à des ballons.

    Ces trois romans dits du cycle de l’Hexamone ont largement contribué à la consécration de Greg Bear, même si on a pu lui reprocher un certain manque d’action voire des longueurs ; il est vrai que la séquence de la navigation dans Héritage utilise nombre de termes de marine dont seuls les pratiquants sont familiers et que la multiplication des personnages à bord évoqués peut un peu égarer là où Robert Silverberg dans sa description de l’errance d’un navire sur un océan extraterrestre dans La Face des eaux (The Face of the Waters) parvenait à maintenir une attention plus soutenue.

    Dans L’échelle de Darwin (Darwin’s Radio) en 1999 et sa suite Les enfants de Darwin (Darwin’s Children), Greg Bear imagine que des mutations génétiques se présentant comme une infection virale créent une nouvelle lignée d’humanité, et envisage les difficultés que crée la coexistence entre les deux branches. Il rejoint ainsi une problématique présente dans le roman de Gregory Benford et David Brin Au cœur de la comète (Heart of the Comet) en 1980, même si les nouveaux types humains y ont dans celui-ci été conçus génétiquement pour résister plus efficacement aux conditions de l’espace. On lui a par contre reproché d’avoir présenté l’Homme de Néandertal comme l’ancêtre de l’Homo sapiens, alors que les deux espèces sont habituellement considérées comme procédant de deux lignées s’étant séparées à partir d’ancêtres communs depuis un demi-million d’années. Son roman The Forge of God de 1987, prolongé en 1992 par Anvill of Stars, rejoint aussi le cycle amorcé par le premier en 1977 avec Dans l’océan de la nuit (In the Ocean of Night) au travers de la menace cosmique représentée par la venue de robots extraterrestres éradicateurs de formes de vie biologiques, dont on trouvait une illustration plus ancienne dans l’épisode La sonde (The Probe) de la série Star Trek. Il propose à l’occasion une théorie pour expliquer le paradoxe de Fermi, l’absence de signaux extraterrestres rapportée à la probabilité de l’existence d’un grand nombre de mondes susceptibles d’abriter une vie avancée, en suggérant que les autres civilisations pourraient estimer plus sages de demeurer discrètes afin de ne pas attirer l’attention de forces susceptibles de ravager les mondes. Un autre thème classique de science-fiction sur lequel l’écrivain s’est penché est celui des rapports entre la Terre et la colonie de Mars à la volonté émancipatrice dans L’Envol de Mars (Moving Mars) en 1993.

Fruits gigantesques pour une couverture non retenue pour la version américaine de L'Envol de Mars (Moving Mars).

    Greg Bear a aussi porté son attention sur les dinosaures avec Dinosaur Summer en 1998, qui se situe dans la continuité du roman Le Monde perdu (The Lost World) de Conan Doyle. L’histoire se déroule dans les années 1940. Le Venezuela a interdit toute exportation de dinosaures hors du plateau où ils ont été découverts par l’expédition du Professeur Challenger et les derniers ayant survécu hors du territoire sont ceux du cirque de dinosaures de Lothar Gluck qui va fermer suite à la baisse d’intérêt du public. Un adolescent de quinze ans convainc son père, reporter pour la revue "National Geographic", de rendre ces animaux à leur milieu d’origine à l’occasion d’une expédition à vertu initiatique à laquelle prennent part deux grands passionnés de dinosaures du monde du cinéma, les animateurs bien réels Willis O’Brien et Ray Harryhausen – pour les plus jeunes, voir le long hommage rendu à ce dernier en ces pages. Greg Bear a aussi servi officiellement de consultant scientifique pour son fils Erik qui a écrit le scénario de la bande dessinée Jurassic Park : Dangerous Games, dans laquelle l’Isla Nubar habitée par les dinosaures, qui ont été recréés par manipulations génétiques dans les romans de Michael Crichton adaptés au cinéma, est devenue le repaire d’un dangereux cartel de narco-trafiquants, infiltré par un agent de la CIA dont la couverture a été percée et qui doit aussi se garder des prédateurs du Mésozoïque ressuscités par la science.

Illustration pour le roman Dinosaur Summer par Tony DiTerlizzi en haut et bande dessinée Jurassic Park : Dangerous Games scénarisée par Erik Bear avec la participation de son père comme consultant.

    À l’instar de deux autres auteurs de hard science précités, Gregory Benford et David Brin, il avait écrit en 1998 un roman prolongeant le célèbre cycle sur la psychohistoire imaginé par Isaac Asimov, Fondation et Chaos (Foundation and Chaos) regroupé avec les contributions de ses deux collègues, respectivement Fondation en péril (Foundation’s Fear) et Le triomphe de Fondation (Foundation’s Triumph), dans le volume Le second cycle de Fondation (The Second Fundation Trilogy). Il avait aussi apporté sa contribution à l’univers de Star Trek en 1984 avec le roman Corona qui comme dans Créateur d’étoiles (Star Maker) d’Olaf Stapledon et L’étoile sauvage (Rogue Star) de Frederik Pohl, met en scène une étoile vivante, laquelle veut épurer l’univers en le ramenant à un état antérieur, et qui permet à l’auteur de détailler les mœurs des Vulcains aux premières lignes de la menace, ainsi qu’ à celui de La Guerre des étoiles (Star Wars) avec le roman Planète rebelle (Rogue Planet) en 2000, qui dépeint le jeune Jedi Anakin Sywalker en laissant présager l’instabilité psychologique sous-jacente qui le conduira à faire mauvais usage du pouvoir de la Force lorsqu’il deviendra Dark Vader.

    En 2011, la notoriété de Greg Bear en a fait le candidat idéal pour les producteurs du jeu vidéo Halo désireux de prolonger leur univers, requis pour détailler les origines de celui-ci sous la forme de trois romans, la trilogie Forerunner (Halo : Cryptum, Halo : Primordium et Halo : Silentium), le dernier paru en 2013, détaillant la civilisation des extraterrestres éponymes et leurs rapports avec les humains, ainsi que la lutte contre une espèce envahissante, celle des parasites ("The Flood"). L’écrivain était familier du jeu vidéo au travers de son fils et eut de nombreux échanges avec les créateurs du jeu pour intégrer sa vision au cadre déjà établi. À nouveau, les critiques se partagèrent entre ceux qui appréciaient la capacité de l’auteur à dépeindre une réalité cosmique et ceux qui trouvaient la lecture un peu fastidieuse.

Croquis d'un Précurseur de Forerunner par Greg Bear et une illustration finalisée de la même créature extraterrestre en bas.

Deux représentations d'un parasite de la série Halo, à laquelle Greg Bear a consacré trois romans avec sa trilogie Forerunner.

    Il avait par ailleurs écrit deux romans relevant de la Fantasy, The Infinity Concerto et The Serpent Mage. Greg Bear était aussi à l’occasion illustrateur de science-fiction. L’auteur ne faisait pas l’unanimité comme on l’a vu, certains comme les producteurs du jeu Halo considéraient qu’il était l’équivalent de Stephen King pour la Science-fiction et il fut distingué régulièrement dans le domaine, tandis que d’autres lecteurs mettaient en cause sa qualité de conteur – bien que les romans très longs soient devenus la norme avec des auteurs comme Dan Simmons. Ses compétences scientifiques étaient reconnues au-delà de la fiction, puisqu’il avait été consultant auprès de la société informatique Microsoft, de la NASA, de l’armée américaine, du département de la sécurité intérieure des États-Unis, de celui des relations internationales ou encore de l’association internationale pour la qualité de l’alimentation. Par sa culture scientifique et l’audace de ses visions, il demeurera en tous cas à n’en point douter comme un grand nom de la littérature contemporaine de science-fiction. 

Deux illustrations par Greg Bear.



site officiel de l'auteur : http://www.gregbear.com/


dimanche 11 septembre 2022

NUL N'EST PROPHETE EN SON PAYS

    Le metteur en scène d’origine allemande Wolfgang Petersen s’est éteint à l’âge de 81 ans, victime d’un cancer du pancréas, le 12 août 2022 à Los Angeles. Il avait obtenu la citoyenneté américaine, même s’il revint ponctuellement dans son pays natif pour y tourner en allemand en 2016 son ultime œuvre, un remake de son propre téléfilm de 1976 Braquage à l’allemande (Vier gegen die Bank), un peu comme s’il refermait le livre de sa carrière. Il avait mis en scène à quelques occasions notables des créatures imaginaires, justifiant que l’on évoque ici sa carrière, notamment les longs-métrages concernés.

    Né le 14 mars 1941 à Emden en Basse-Saxe, Wolfgang Petersen était le fils d’un officier de marine. Il effectue ses études à Hambourg ; il y réalise dans le cadre de l’école ses premiers films en Super-8 et met en scène des pièces de théâtre. À l’Académie du film et de la télévision de Berlin, il co-réalise un court-métrage avec Holger Heims, qui deviendra le futur dirigeant de l’organisation révolutionnaire terroriste Fraction Armée rouge. Muni de ses diplômes, l’ancien étudiant est engagé à la télévision allemande et y réalise notamment six épisodes de la célèbre série policière Tatort (en français Le Lieu du crime) à partir de 1971.  En 1974, il dirige son premier film de cinéma, Einer von uns beiden (en anglais, One or the Other of us), histoire de chantage d'un étudiant à l'encontre d'un professeur d'université avec Jurgen Prochnow et Klaus Schwarzkopf (lequel a incarné sept fois le Commissaire Finke dans Tatort), film qui obtint deux récompenses nationales dont celle décernée pour le meilleur jeune réalisateur.      

  


L'affiche du film très remarqué Einer von uns Beiden avec en vedette Jurgen Prochnow et Klaus Schwarzkopf, et au dessous, le metteur en scène au côté du second.

        1977, l’année des amours transgressives

    L’un des épisodes de TatortReifezeugnis (L'âge du crime), que Wolfgang Petersen réalise en 1977, sera particulièrement remarqué puisque l’œuvre au format de téléfilm sera diffusée internationalement en salles sous le titre Maturity Certificate (en français, L’amour fou) – y compris aux États-Unis où l’autre célèbre série policière allemande Inspecteur Derrick demeure inédite en dépit de son passage à la télévision anglaise. Le récit met au premier plan la jeune actrice Natassja Kinski, vedette l’année précédente du film sans doute le plus sulfureux de la société britannique Hammer, Une fille pour le diable (To the Devil a Daughter) avec Christopher Lee et Richard Widmark basé sur un roman de Dennis Wheathley qui se déclara choqué par l’adaptation qu'il qualifia d'"obscène". Si, à sa différence, L’amour fou ne comporte pas véritablement de scènes érotiques même si on y aperçoit la poitrine de l'actrice, son sujet est assez sombre. Un lycéen, Michael Harms (Markus Boysen), veut imposer une relation intime à sa camarade de classe Sina Wolf dont il a surpris la liaison avec son Professeur Helmut Fichte (Christian Quadflieg) ; la jeune fille accepte de mauvaise grâce d'accompagner dans les bois celui qui la tient en son pouvoir et apparemment de se donner à lui, mais tandis qu'il affirme avec insistance qu'il tuera l’enseignant dont elle s’est éprise si elle continue à le fréquenter, elle cherche une grosse pierre et s’en sert pour lui fracasser le crâne pendant qu’il l’étreint, avant de déclarer à la police que le couple a été attaqué par un violeur recherché. Elle commet l’erreur de reconnaître à la morgue le prétendu coupable, mais l’enquête du Commissaire Finke (Klaus Schwarzkopf) révèle par la suite que le criminel abattu ne pouvait pas physiquement se trouver sur les lieux au moment de la commission des faits, et qu’elle a donc manifestement tout inventé. Elle tente alors de se suicider près de la rivière où elle avait l’habitude de se rendre avec le Professeur Fichte, mais le pistolet subtilisé à son père s’enraye et elle renonce finalement à essayer de se noyer – le travelling révélant derrière des fourrés la jeune fille éplorée annonce quelque peu les mouvements de caméra au sein de la forêt de L’Histoire sans fin. L’intrigue est soigneusement mise en scène. A la différence de la série allemande contemporaine Inspecteur Derrick qui comporte généralement une dimension morale implicite, le réalisateur se défie d’un regard trop moralisateur ; la jeune fille a tué mais son prétendant est dépeint comme un être brutal, le Professeur Finke éprouve des difficultés à rompre, car il s’est attaché à son élève, tandis que son épouse (Judy Winter) se montre très compréhensive à l’égard de la jeune fille, quant à l’assistant du commissaire, il ne se parvient pas à condamner l’enseignant d’avoir cédé à la tentation, se faisant finalement rabrouer par son supérieur pour ses propos complaisants sur cette idylle clandestine avec la mineure. La diffusion un dimanche soir à une heure de grande écoute de cette liaison entre un enseignant et une jeune élève suscitera des réactions outragées dénonçant comme licencieux et immoral cet épisode, qui n'en deviendra pas moins un des plus populaires et rediffusés de la série.    

                                                                                         


Activité extrascolaire entre Sina Wolf (Natassja Kinski) et son professeur Monsieur Fichte (Christian Quadflieg) dans L'âge du crime (Maturity Certificate), en haut ; la jeune fille semble céder au chantage de son camarade, en bas, mais celui-là n'aura pas longtemps l'ascendant sur elle.


Madame Fichte (Judi Winter) conserve toute sa sympathie pour la jeune fille qu'elle connaît bien, même lorsqu'elle finit par apprendre qu'elle est la maîtresse de son mari (en haut) ; le commissaire Finke (Klaus Schwarzkopf) enquête sur la mort du lycéen et va être amené à conclure que la jeune fille témoin du crime n'en autre que son auteur.


Wolfgang Petersen dirige Natassja Kinski dans L'amour fou (Maturity Certificate) et orchestre une confrontation entre son personnage et le commissaire Finke joué par Klaus Schwarzkopf.

        La même année, Wolfgang Petersen fait à nouveau scandale en mettant en scène une autre romance, celle-là entre deux hommes, un prisonnier et le fils d’un gardien de prison dans La conséquence (Die Konsequenz), incluant notamment un baiser explicite qu’on retrouve sur certaines affiches du film. Il décide l’acteur Jurgen Prochnow, né la même année que lui et qu’il a dirigé dans l'épisode Jagdrevier de Tatort, d’abord réticent, d’incarner le personnage, en l’assistant de près sur le tournage. Celui-là déclarera plus tard qu'il risquait alors d'endurer une peine de prison pour atteinte à la morale publique. Le film suscitera la contestation mais vaudra aussi un nouveau succès d’estime à Wolfgang Petersen, recevant une récompense nationale, lequel n’était d’ailleurs pas davantage homosexuel que son acteur – il a eu une fille d’un mariage avec une actrice avant de se remarier en 1978 avec son assistante – même s’il prend clairement parti pour le couple hors-norme. 



Ernst Hannawald et Jurgen Prochnow (à droite) dans La conséquence.

         Un nouveau départ avec le Bateau

    Les Studios allemands Bavaria firent l’acquisition des droits d’adaptation cinématographique du livre The Styx écrit en 1972 par Lothar Günther-Buchheim, qui était correspondant de guerre dans un sous-marin en 1941. La production débute en 1976 avec la création de décors et d’un sous-marin pour les scènes extérieures, et deux réalisateurs américains se rendent successivement dans les studios, John Sturges puis Donald Siegel tandis que Robert Redford est pressenti pour le rôle principal, mais l’auteur s’oppose vigoureusement à la perspective d’une coproduction avec les Américains qu’il soupçonne de vouloir livrer un éclairage particulièrement à charge à l’encontre des militaires allemands. Le projet dorénavant privé de financement américain s’arrête, jusqu’à ce qu’en 1979, un nouveau producteur soit nommé à la tête des Studios Bavaria. Désireux de voir Le Bateau (Das Boot) aboutir, il décide de s’en tenir à un financement allemand, avec l’idée d’amortir les coûts en en tirant conjointement un film de cinéma et une mini-série télévisée en cinq épisodes, financée par des chaînes de télévision nationales, WDR et SDR. Wolfgang Petersen est choisi pour donner corps à l’adaptation, et durant plusieurs mois, il écrit deux versions du scénario, une pour le film et l’autre pour le format télévisé. Le metteur en scène est d’abord réticent à engager un acteur qu’il connaît bien mais qu’il croit trop jeune pour incarner le capitaine du bâtiment de guerre, Jurgen Prochnow, à la manière quelques années plus tard de John Carpenter pour The Thing qui aurait initialement plutôt vu Clint Eastwood dans le rôle principal que son ami Kurt Russell ; quelques essais démontrent que, dans les deux cas, l’acteur portant la barbe fait plus vieux que son âge, et le visage sévère du comédien allemand se prête en fait naturellement à interpréter le Commandant Heinrich Lehmann-Willenbrock endurci par les épreuves du combat. Les autres acteurs sont souvent des débutants, donnant au public allemand l’impression de découvrir de vrais anonymes jetés dans la guerre.

L'écrivain Lothar Günther-Buchheim (à gauche) à côté du réalisateur Wolfgang Petersen.

Jurgen Prochnow dans le rôle du capitaine du sous-marin.

         Le tournage en intérieur est éprouvant et même dangereux pour les interprètes de l’équipage, Wolfgang Petersen veillant à faire reproduire en studio sans artifices toutes les avanies subies par les marins, des violentes secousses aux trombes d’eau. Le technicien manœuvrant en mer le sous-marin miniature, enfermé dans l’espace réduit et étouffant de l’appareil dans lequel il respire difficilement et endure de graves troubles digestifs, manque plusieurs fois de couler avec son habitacle. Certaines scènes sont tournées en France, sur fond des bunkers du Port de la Rochelle, ce qui suscite quelque heurt avec la population locale ayant la sensation de revivre le traumatisme de l’Occupation, de sorte qu’un acteur vêtu de sa tenue militaire est pris à partie, malmené et sur le point d’être jeté à l’eau par un badaud. La réplique de sous-marin grandeur nature est fortement endommagée lors d’une tempête, mais des réparations de fortune avec des plaques en bois peint permettent de tourner la scène du retour au port, d’autant qu’à la fin du film, l’appareil est réellement censé avoir été endommagé au cours de sa mission. Le metteur en scène ne ménage pas sa peine et motive suffisamment ses acteurs pour qu’ils acceptent de tourner également durant le week-end.

    La version cinéma est finalement elle-même montée en deux versions alternatives, l’une correspondant au format classique, une seconde durant plus de cinq heures pour retranscrire davantage l’œuvre littéraire et l’évolution des personnages.

La promiscuité de la vie confinée à bord du bâtiment de guerre.

Wolfgang Petersen sur le tournage avec le sous-marin dans le port de la Rochelle.

        À nouveau, un film de Wolfgang Petersen dérangeait en Allemagne, car Le Bateau semblait mettre à l’honneur les marins engagés dans la guerre de conquête d’Hitler, allant au bout d’eux-mêmes pour accomplir leur mission, et il était alors convenu que l’œuvre représentait une tentative à peine voilée de réhabiliter le IIIème Reich ou du moins ceux qui s’étaient battus en son nom. Pourtant, en dépit du courage dont témoignent les personnages dont on suit au plus près les épreuves dans ce film prenant, le spectateur est invité à porter un regard critique sur ces militaires au travers du correspondant de guerre, le Lieutenant Werner (Herbert Grönenmeyer) qui est l’incarnation de l’auteur. Une scène particulièrement éprouvante montre le capitaine décidant de laisser se noyer les marins du navire qu’il a coulé, conformément aux ordres du chef de la Marine du Reich Karl Dönitz – il faut cependant indiquer que des Alliés avaient précédemment bombardé un vaisseau allemand alors qu’il s’exposait pour recueillir des naufragés anglais comme l’y enjoignaient les lois de la guerre, un acte insensé mettant fin à ce code de l’honneur maritime aussi bien qu’aux dispositions internationales. Le commandant obstiné campé par Prochnow est si investi dans sa mission qu’il trouve même Hitler trop velléitaire, tandis que son second, Philipp Tomsen (Otto Sander), désabusé, est devenu alcoolique. Les hommes qui ont triomphé de la mort, alors que la musique de Klaus Doldinger a illustré comme miraculeuse leur remontée des profondeurs au sein desquelles ils risquaient de périr broyés par la pression, sont finalement fauchés par le bombardement du port lorsqu’ils rentrent de mission à la Rochelle. On peut se demander si le commandant à l’agonie ne paraît pas plus intimement touché par la perte de son précieux sous-marin, comme en témoigne son regard dévasté en direction du navire en train de sombrer, que par leur agonie, tandis que l’un de ses hommes expire auprès de sa fiancée française qu’il avait tant craint de ne jamais revoir, ce dénouement tragique faisant paraître quelque peu dérisoire toute l’épopée maritime qui précède.


L'équipage du U-96 s'efforce de faire bonne figure, autour du commandant, au milieu, le Lieutenant Philip Tomsen, à gauche, et le correspondant de guerre, à droite.

Cependant, les épreuves finissent par user la détermination des hommes, désabusés dans cette guerre impitoyable.

    Il est peu dire que Le Bateau ne fit pas l’unanimité en Allemagne. Les anciens combattants reprochèrent le langage cru qu’on leur prête – sans parler de la scène de fête durant laquelle des marins hilares aspergent le sexe d’une prostituée avec du champagne. L’auteur lui-même partage l’avis moralisateur des critiques. En 1981, Lothar Günther-Buchheim, tout en reconnaissant le soin apporté à la vraisemblance des décors du film, estima que Wolfgang Petersen avait fait de son histoire un film d’action hollywoodien à bon marché et considérait lui aussi que la tonalité pacifiste de son livre avait pris à l’écran les atours d’un film de propagande allemand à la tonalité réaliste glorifiant la Seconde Guerre mondiale. Il retint cependant ses critiques à l'endroit de la version longue, et se montrera un peu plus clément lorsqu’il prendra connaissance de l’intérêt bienveillant que Le Bateau suscita chez l’ennemi d’hier, en Angleterre et aux États-Unis.

Poster réalisé par le talentueux Gary Meyer, décédé en 2021.

Lothar Günther-Buchheim semble aux anges au milieu du tournage du Bateau, pourtant il n'épargnera pas le metteur en scène.

        Ironiquement, ce sont en effet les Anglo-saxons, qu’il soupçonnait originellement de vouloir dépeindre de manière très critique l’équipage du sous-marin comme de détestables serviteurs zélés de l’entreprise nazie, qui firent le meilleur accueil au film, recevant avec plus de subtilité la vision implicitement contestatrice de la guerre qu’il induit. Au vu de cette réussite, Hollywood se proposa de recruter Wolfgang Petersen mais le cinéaste allemand déclina l’offre sur le moment, désireux de se consacrer à un nouveau projet atypique dans son pays.

Le réalisateur avec la fameuse barre de direction du sous-marin.

        Un homme providentiel

        Avec Le Bateau, Wolfgang Petersen avait prouvé qu’il n’était pas seulement un metteur en scène accompli, capable de susciter un intérêt international comme avec L’amour fou, mais qu’il avait aussi l’envergure nécessaire pour superviser une production ambitieuse riche en difficultés techniques, avec autant de réussite que les Américains auxquels il avait été amené à se substituer, et les producteurs allemands sauraient s’en rappeler si nécessaire.

    Les producteurs Dieter Geissler et Bernd Eichinger avaient convenu d’une adaptation du roman L’Histoire sans fin (Die unendliche Geschichte), très populaire auprès des enfants, avec l’auteur Michael Ende. Le projet est dès l’origine tiraillé entre la volonté d’Eichinger d’en tirer un film hollywoodien et son propre assistant Christian Schneider rédigeant un script tenant davantage d’un film spécifiquement européen au caractère plus expérimental. Un nouveau scénariste, Herman Weigel, est engagé durant l’automne 1981. Lorsque le projet de L’Histoire sans fin (en anglais The NeverEnding Story) se révèle beaucoup plus cher et ambitieux que prévu, les producteurs remplacent peu après le début du tournage en juillet 1982 le réalisateur prévu, Helmut Dietl, par Wolfgang Petersen, confiant en sa capacité de maîtriser l’ensemble des aspects du film incluant nombre d’effets spéciaux. À l’automne suivant, l’écrivain Michael Ende prend connaissance du scénario et s’indigne que son histoire s’oriente vers ce qui lui paraît être une aventure disneyenne assortie d’une fantaisie stupide, selon ses termes. Wolfgang Petersen parvient à suspendre son ire en travaillant avec lui sur une nouvelle version du scénario, et ce en dépit de l’hostilité du producteur Bernd Eichinger toujours soucieux que le résultat trouve sa place auprès du marché international et notamment de distributeurs américains.

      

Edition allemande de L'Histoire sans fin illustrée par Sebastian Meschenmoser.

Michael Ende, un écrivain qui n'est pas disposé à abdiquer son droit de regard sur l'adaptation de son roman le plus connu.

          Le film fait appel pour la conception artistique au brillant illustrateur de livres pour la jeunesse d’origine italienne Ul de Rico et aux techniciens d’effets spéciaux britanniques renommés Brian Johnson et Colin Arthur ainsi qu'à l'Italien Giuseppe Tortora qui comme ce dernier avait travaillé précédemment sur Conan le barbare (Conan the barbarian) – tandis que Steve Archer réalise les plans en vol du gentil dragon avec des modèles miniatures comme évoqué dans l'hommage à l'animateur. Toujours perfectionniste, Wolfgang Petersen qui devait réaliser le film durant trois mois, tournera en fait une année entière. Si la plupart des scènes furent filmées à Munich dans les Studios Bavaria, la scène de la plage sur laquelle chute le héros imaginaire Atreyu (Noah Hathaway) fut filmée à Almeria en Espagne et les plans de l’école et de la ville à Vancouver au Canada. Le film est une somptueuse plongée dans un monde imaginaire que découvre Bastien (Barrett Oliver) au travers d’un livre magique qui donne son titre au film, offrant au lecteur la possibilité d’entrer en contact avec les personnages imaginaires du récit, dans lequel s’incarne aussi des aspects plus sombres du psychisme, la mélancolie au travers de la tortue géante neurasthénique Morla qui n’attend plus rien de la vie (ses éternuements cataclysmiques sont même dus à son « allergie pour la jeunesse »), le désespoir avec les fatals marais de la mélancolie dans lesquels s’enlise et périt la monture d’Atreyu, Artax, et la propension à la destruction incarnée par le Néant qui ravage le monde de Fantasia et par le loup G'mork envoyé pour détruire tout sentiment d’espoir, sans oublier la séquence terrifiante des statues géantes de sphinx qui désintègrent les aspirants héros insuffisamment assurés. Une fois le monde de Fantasia complètement détruit, Bastien immergé dans sa lecture accepte de surmonter son incrédulité en répondant à la requête de la Petite Princesse qui s'adresse à lui au travers du livre magique, lui demande de ne pas renoncer au pouvoir transcendant de l'Imaginaire et de lui donner un nouveau nom - on suppose qu'il lui attribue le prénom de sa mère disparue - puis celle-là lui remet le bijou magique, l'Auryn, ornant également la couverture du roman, dont le pouvoir lui permet de recréer le royaume enchanté. La musique gracieuse de Klaus Doldinger illustre à merveille le film même si les producteurs demandèrent à Giorgio Moroder de retoucher différents morceaux dans un sens plus dynamique, et le film est riche en séquences chargées d'émotion, comme l'arrivée à la Tour d'ivoire et les séquences plus dramatiques.



Les adaptateurs de L'Histoire sans fin ont d'abord renoncé pour des raisons pratiques à porter à l'écran le Centaure à la robe tigrée représenté (en haut) par l'illustrateur Sebastian Meschenmoser pour l'édition allemande du roman, qui confie au jeune guerrier Atreyu la mission de combattre le Néant qui menace d'anéantir le monde merveilleux de Fantasia, puis ont aussi écarté la possibilité d'en charger la créature aquatique apparaissant dans le même plan (au milieu) en raison du poids qu'aurait représenté une baignoire emplie d'eau sur le plateau, optant pour une vision plus minimaliste en dotant un acteur d'une prothèse lui conférant un crâne allongé (en bas).


Préparation du décor de la Tour d'Ivoire dans laquelle se meurt la petite impératrice de Fantasia.

Le cinéaste aux petits soins avec l'escargot géant qui apparaît dans L'Histoire sans fin.



Wolfgang Petersen dirige ses jeunes acteurs, Barrett Oliver dans le rôle de Bastien, "l'enfant de la Terre", Noah Hathaway dans celui du petit guerrier Atreyu, chasseur de buffle pourpre des plaines (au milieu) et Tami Stronach qui incarne la petite Princesse de Fantasia.


Le réalisateur posant à côté de ses jeunes vedettes et en compagnie du producteur Bernd Eichinger. 
Barrett Oliver et Tami Stronach prennent la pose pour une photo publicitaire, chevauchant la version grandeur nature du dragon Falkor.


Tournage de la scène bouleversante de la mort de la monture d'Atreyu dans les Marais de la mélancolie.

Le Géant mangeur de pierre se lamente de n'avoir pas été en mesure "en dépit de ses bonnes grosses mains" de sauver ses amis emportés par le Néant.

Morla, la tortue géante neurasthénique. 

Dans cette illustration conceptuelle, l'artiste Ul del Rico assimile totalement G'mork - équivalent du loup Fernis ou Fernir, agent du Mal de la mythologie scandinave - au Néant dont il est l'envoyé, semblant en procéder directement en se formant en son sein brumeux tandis que dans le film, il est présenté comme une entité distincte.


Wolfgang Petersen avec Klaus Doldinger (à droite), le compositeur qui a largement contribué à faire naître l'émotion dans ses films Le Bateau et L'Histoire sans fin.

    Lorsque le film sort, l’auteur Michael Ende revient violemment à la charge, déplorant le remaniement de l’histoire par le metteur en scène postérieurement à leur réécriture en commun et exigeant que la production s’arrête ou que les auteurs changent le titre du film, mais son action en justice est rejetée. Il publie en mars 1983 un violent communiqué de presse, reniant le film comme étant une entreprise éhontée, un « mélodrame commercial, kitsch, empli de peluche et de plastique  », mais abandonne finalement sa campagne de dénigrement public en raison de menace d’un procès par les producteurs et il est contraint de signer une déclaration selon laquelle il s’engage à renoncer à toute poursuite à l’encontre du film. Si le reproche d’avoir minoré le rôle créateur de Bastien paraît excessif, puisque dans l’avant-dernière scène, c’est bien le jeune humain qui sur injonction de la petite princesse de Fantasia (Fantastica dans le livre) recrée le monde imaginaire pulvérisé par le Néant, d’autres observations portant sur le fond peuvent être reçues avec davantage d’attention.


Michael Ende revient, et il n'est pas content...

Il est douteux que l'auteur de L'Histoire sans fin soit venu comme ces deux jeunes femmes chevaucher le dragon Falkor dans les Studios Bavaria, concrétisation ultime de la vision ludique de son roman qu'il abhorrait…

    L’épilogue représente effectivement un cas plus sérieux de contestation par l’écrivain. Pour Michael Ende, la liberté d'exercer son imagination est certes essentielle, car elle permet de s'affranchir du conformisme qui porte en germe le totalitarisme ; selon son affirmation « même si elle ment un peu, la fiction est plus réaliste que la réalité », le fantastique au sens large sert par le biais de la métaphore à révéler une vérité profonde. Toutefois, il souhaitait aussi, comme exprimé dans la seconde partie du roman, indiquer qu’il ne fallait pas pour autant s'abandonner complètement à la fiction jusqu’à perdre le contact avec la réalité, et il se montra ainsi révulsé que dans l'épilogue, le personnage féerique du dragon Porte-bonheur Falkor se manifeste dans la vie de Bastien pour le défendre contre les vauriens qui le malmènent, estimant absurde qu’un être imaginaire puisse apporter son concours à un humain. Michael Ende soulève ainsi la question de la délimitation que l'auteur d'un récit fantastique établit avec le réel, défendant implicitement une conception selon laquelle les éléments inventés revêtent d’autant plus d’intérêt que l’écrivain s’attache à conserver une certaine ambiguïté quant à leur nature comme au travers de la mise en abyme entre le spectateur, le personnage de Bastien qui le représente et le héros imaginaire Atreyu en lequel ce dernier se projette, maintenant à distance du monde sensible dans lequel vit le lecteur sa création dans un système de dualité, plutôt que de chercher à impliquer celui-ci dans une fantaisie plus débridée et illusoire abolissant tout frontière avec la fiction. 







Michael Ende n'a pas supporté, selon Sebastian Meschenmoser qui a illustré la version allemande du roman L'Histoire sans fin, que Wolfgang Petersen recoure à un symbolisme trop explicite en transgressant la limite de l'imaginaire lorsque Bastien monté sur  Falkor, qui exauce son dernier vœu, effraie dans le monde réel les petits voyous qui le persécutaient en les conduisant à se réfugier à leur tour dans un vide-ordures. 


Deux moments du film dans lequel la réalité et l'imaginaire s'entremêlent finement. En haut, Bastien caché dans le grenier de son école et plongé dans la découverte du roman "L'Histoire sans fin" est brusquement sorti de sa lecture lorsqu'un orage éclate et qu'un éclair illumine la tête empaillée d'un loup arborant une expression féroce, comme si le redoutable G'mork qui pourchasse le héros du livre s'incarnait devant le jeune lecteur, rendant totale son identification à Atreyu - et à travers lui celle du spectateur, d'autant que le petit héros de Fantasia a perdu à l'écran sa couleur de peau verte qui lui conférait une allure plus exotique. En dessous, la jeune princesse de Fantasia implore Bastien de lui donner un nouveau nom pour réactiver le monde féérique atomisé par le Néant, se tournant vers la caméra et donc, au travers de Bastien, s'adressant directement au spectateur en le suppliant de ne pas renoncer à sa capacité à l'émerveillement. 


Un autre moment non dénué de profondeur du film intervient lorsque le sage gnome Engywook (Sydney Bromley) explique à Atreyu au sujet du défi du miroir : "Beaucoup ne ressortent pas indemnes de la confrontation avec eux-mêmes. Certains qui respirent la bonté découvrent qu'ils sont des êtres cruels. Certains qui croient être courageux réalisent qu'ils ne sont que des lâches. ." Une épreuve de vérité qui rappelle comment certains ont vu leur personnalité tristement changer depuis le bouleversement engendré par la pandémie de la COVID. Conformément au sujet de L'Histoire sans fin, la réalité est souvent rattrapée par l'imaginaire...

Bastien se voit au travers du miroir quand Atreyu se confronte à son reflet.

     Si l'on peut estimer fort recevables les observations de l'écrivain, il est néanmoins permis de considérer ses reproches comme assez excessifs, ceux-là rappelant le courroux injustifié de certains lecteurs de Dune de Frank Herbert à l'encontre du film de David Lynch qui en est pourtant une honnête adaptation. Wolfgang Petersen reconnut que les relations avec Michael Ende n'avaient jamais été de nature cordiale - il est d'ailleurs notable qu'il n'existe pas de photo publique montrant les deux hommes ni même de l'écrivain associé à la production du film, et qu'il ne pouvait que souhaiter qu'avant sa disparition en 1995, l'auteur ait fini par apprécier davantage l'adaptation cinématographique.  


Dessin satirique caricaturant Michael Ende, en le mettant à la place des vauriens effrayés par le dragon Falkor trouvant refuge dans la poubelle dans la dernière scène de l’adaptation cinématographique de son roman figurée au-dessus, et jouant sur son nom qui signifie "fin" en allemand, un mot d'ailleurs de la même famille que l'adjectif qui figure dans le titre original du livre.

Couverture d'une édition du roman ressortie après le film, illustrée par les photographies de quelques scènes et le symbole de l'Auryn en son centre ; n'en déplaise à Michael Ende, la notoriété de l'adaptation cinématographique lui a apporté une célébrité mondiale, particulièrement au Japon. 


Consécration pour le cinéaste que rencontre au-dessus de la version grandeur nature de Falkor le Président de la République fédérale allemande Richard von Weizsaecker lors de sa visite des Studios Bavaria en 1984.


Le metteur en scène en 2019, un petit air du dragon débonnaire qu'il a mis en scène dans L'Histoire sans fin.

  La réaction virulente de Michael Ende jusqu’au recours à l’action en justice a dissuadé durablement les producteurs de porter à l’écran la seconde partie du roman comme le souhaitait pourtant l’auteur. Le temps nécessaire pour trouver finalement un arrangement et le long processus d'écriture pour adapter scénaristiquement cette seconde partie contraignit à trouver de nouveaux interprètes correspondant à l'âge des personnages, à l’exception de celui du libraire Coreander, détenteur du livre magique, un rôle d'initiateur à l'évasion que reprend Thomas Hill dans ce second film, réalisé en 1990 par George Miller, L’Histoire sans fin II, (The NeverEnding Story II : the Next Chapter).

Thomas Hill avec le nouvel interprète de Bastien, Jonathan Brandis, dans le deuxième volet.

Le poster de la suite de l'adaptation cinématographique, L'Histoire sans fin II, dans laquelle Bastien victime d'un sortilège conçu par la Sorcière Xayide commence à perdre la mémoire et est menacé de se perdre à jamais dans le monde imaginaire.

    L'auteur se déclara à priori satisfait de cette nouvelle adaptation, faisant montre de plus de compréhension que pour le film de Wolfgang Petersen, estimant que même si l'histoire s'éloignait selon lui encore davantage de celle du roman, le nouveau long métrage en respectait davantage l'esprit. Il ne sera pourtant, par la suite, même pas fait mention de cette seconde adaptation sur le site officiel de l'auteur, sans parler même du dernier volet assez plaisant de la trilogie plus ouvertement destinée à la jeunesse, The NeverEnding Story III : Escape from Fantasia de Peter MacDonald en 1994, produit par Dieter Geissler qui avait toujours souhaité faire une trilogie, dans lequel des personnages imaginaires, un bébé mangeur de pierre et un arbre ambulant, traversent ouvertement le voile de Fantasia pour faire irruption dans la vie quotidienne de Bastien, mais il est vrai que cette transgression assumée n’était cette fois plus l’adaptation directe de l’œuvre de l’auteur, achevant certainement de le détourner à jamais de l’univers cinématographique. 

   Même après la disparition de l’écrivain, la productrice Kathleen Kennedy, qui avait envisagé en 2009 de produire une nouvelle adaptation "plus nuancée" du roman, y renoncera deux ans plus tard faute d’avoir pu obtenir un plein accord des ayants droit. Il aurait peut-être été intéressant de pouvoir découvrir une version alternative se réclamant d’une approche plus fidèle à la sensibilité de l’auteur – même s’il est à craindre que la magie en aurait été en grande partie absente si comme on peut le pressentir, Hollywood avait peuplé le film de créatures créées par ordinateur comme il nous y a tristement habitués depuis un quart de siècle au lieu des personnages conçus par Colin Arthur ; il semble toutefois que quelle que soit la sincérité dont se réclament les producteurs, la rupture soit définitivement consommée entre l’œuvre de Michael Ende et le monde du cinéma. Les enjeux du roman n'auront cessé de causer des tensions puisque, plus anecdotiquement, l'avocat de l'écrivain affirma après sa mort être devenu le détenteur des droits du livre jusqu'à ce que les héritiers mettent fin à cette revendication après une action en justice.

    Wolfgang Petersen dont les films se trouvaient davantage appréciés en Amérique que dans son pays d’origine où les auteurs des romans qu’il adaptait étaient fort critiques à son encontre, se laissa finalement convaincre par les producteurs d’Hollywood. Une troisième fois, après Le Bateau et L’Histoire sans fin, il allait se révéler le sauveur d’un projet, tel l’Américain John Frankheimer qui fut appelé à la rescousse en 1996 pour terminer le second projet de remake de L’île du Dr Moreau (The Island of Dr Moreau) avec Marlon Brando. Le tournage d’un film de science-fiction, Enemy Mine tiré du roman de Barry Longyear, mettant face à face un humain et un extraterrestre, deux antagonistes échoués sur une planète hostile, avait débuté en Islande sous la direction de Richard Loncraine, auquel on devait notamment le film d’épouvante Le cercle infernal (Full Circle/The Haunting of Julia). Les producteurs s’avisèrent que le film risquait de virer au fiasco. Le tournage en extérieur en Islande avait été freiné par les conditions météorologiques, notamment des chutes de neige, et la production, estimant que la différence d'avec les scènes filmées en studio à Budapest était manifeste, avait commencé à douter du réalisateur victime des circonstances. La production est arrêtée jusqu'à l'arrivée de deux nouveaux responsables à la tête de la Twenty Century Fox qui décident d'essayer de limiter les pertes en menant à terme le projet et engagent un autre réalisateur habitué aux aléas des projets ambitieux. Après avoir examiné les potentialités du scénario, le metteur en scène allemand accepte de prendre la relève dès qu’il aura pu achever le tournage de L’Histoire sans fin, période durant laquelle le studio accepte de payer les deux interprètes principaux afin qu'ils demeurent disponibles jusqu'à cette échéance. 


Couvertures pour le récit original de Barry Longyear.

Un des nombreux modèles réduits de vaisseaux spatiaux conçus pour le film – à la différence de The Last Starfighter qui proposa un peu auparavant les premiers engins créés en images de synthèse.

     Wolfgang Petersen retouche le scénario en supprimant une séquence de flashback et se montre désireux d’utiliser des paysages côtiers d’Afrique pour les plans larges en extérieur, les paysages d’Islande traduisant trop pour lui leur origine géographique, et la production lui accorde à défaut de tourner à Lanzarote dans les îles Canaries. Dans son souci de perfectionnisme, il demande à l'équipe des maquilleurs de Chris Walas de revoir l'ensemble de leurs réalisations. Il estime le maquillage de l’extraterrestre d'apparence trop caoutchouteuse et demande qu'on lui confère une allure plus ouvertement reptilienne conformément à la description de l'œuvre originelle. Chris Walas se montre réticent à se plier à cette injonction, car il estime avoir vu déjà un certain nombre d'hommes-lézards à l'écran – on peut penser à Grig dans The Last Starfighter ainsi qu'à la série V et à un des chasseurs de primes de L'Empire contre-attaque (Empire strikes back), connu sous le nom de Bossk, et il incline pour un faciès se rapprochant plutôt de celui d'un batracien. Après plusieurs essais, il s'oriente vers une combinaison entre le crâne d'un Néandertalien et la bouche du poisson marcheur, le périophtalme, et finit par sculpter un modèle de la version finale directement sous la supervision du réalisateur. Son assistant Stephan Dupuis crée pour suppléer à l'absence de nez un cône dissimulé sous la saillie de la bouche pour permettre l'arrivée d'air et ménage deux petites ouvertures dans le masque camouflées en tâches noires. Wolfgang Petersen demande aussi à l'atelier de Chris Walas de substituer aux formes de vie indigènes de la planète Fyrine IV similaires à des arthropodes qui avaient été retenus initialement, ressemblant à des cloportes et à la larve de coléoptère géante inspirée de celle de la cicindèle, des formes de vie plus originales choisies après envisagé différentes options. Les créatures rampantes dont les carapaces servent à constituer une habitation contre les pluies de météorites se déplacent sur une sole ondulante au bord multilobé recouvert d'une frange bilatérale de soies, et sont pourvues de deux groins en plus de la bouche, de deux épais tentacules sensoriels et de trois yeux. Le grand prédateur est lui finalement créé sous forme d'une sorte de dragon aux allures de murène reptilienne à l'épiderme écailleux ; il se déplace à l'aide d'extensions latérales qui ne sont pas montrées dans le film, car, lorsqu'il quitte le puits de sable dans lequel il piège ses proies à la manière de la larve du fourmilion pour chasser les naufragés sous leur tente, l'obscurité empêche alors d'apercevoir autre chose que sa gueule vorace.



Une créature de la planète désertique agite ses palettes locomotrices dans l'espoir de remonter la paroi en pente du trou dans lequel elle a chu, mais la langue du prédateur tapi s'élève du fond, prête à se saisir de sa proie. Grâce à la révision demandée par Wolfgang Petersen, la scène dégage une réelle impression d'étrangeté.


Willis Davidge est à son tour attaqué par le prédateur dont le sauve in extremis son ennemi en tranchant la langue armée de pointes redoutables.

    Face à l'humain joué par Dennis Quaid (future vedette de L’Aventure intérieure), l’acteur Louis Gossett Jr. donne vie à l'extraterrestre en lui conférant une singularité indéniable sous le masque mobile, dans ce beau film d’aventure épique qui représente une parabole pacifiste cette fois incontestable, avec ces deux êtres censés se haïr dans une guerre opposant leur peuple, alors que la malfaisance authentique est incarnée par de vils esclavagistes dont le chef est interprété par Brion James (Leon dans Blade Runner). Wolfgang Petersen accomplit une nouvelle fois sa mission avec succès, à l’issue de sept mois de tournage, au prix d’un doublement du budget, parvenant à faire d'un film à l'intrigue assez statique une œuvre sans faiblesses à laquelle la composition de Maurice Jarre confère presque par moment une tonalité mystique.

Wolfgang Petersen devant les décors de la planète aride dans les Studios Bavaria.


Le réalisateur dirige Dennis Quaid dans le décor reconstitué en studio (en haut) et à Lazarotte (en dessous).

L'acteur Dennis Quaid entouré du producteur d'Enemy Mine, Stanley O'Toole, et du metteur en scène.

Wolfgang Peter dans le décor recréé en studio à Munich avec ses deux interprètes principaux au naturel, Louis Gossett Jr. sans maquillage et Dennis Quaid sans sa combinaison spatiale.




Après plusieurs affrontements, l'humain (Dennis Quaid) et le Drac, Jeriba (Louis Gossett Jr.), finissent par coopérer et "regarder ensemble dans la même direction" comme dit l'adage populaire.

Les carapaces des créatures rampantes dévorées par le prédateur embusqué permettent aux deux rescapés de se bâtir un abri de fortune contre les météores.

Willis Davidge (Dennis Quaid) n'apprécie pas plus la nourriture indigène que lui tend le Drac que les portions alimentaires de l'extraterrestre. De multiples variations ont été envisagées pour cette créature, de l'insecte à l'escargot, l'équipe allemande avait imaginé une forme tentaculaire évoquant trois pieuvres entremêlées mais la version finale a renoué avec le concept d'une sorte d'asticot.

Le naufragé humain prend soin du jeune Drac, Baptisé Zammis, auquel l'être extraterrestre hermaphrodite a donné naissance.


          Hollywood, ou le risque de la banalisation ?

    Dorénavant, Wolfgang Petersen s’intègre parfaitement à la machine de production américaine. Il enchaîne les films d’action parfaitement maîtrisés, mettant des hommes aguerris aux prises avec des situations de crise, comme Dustin Hoffmann en médecin s’efforçant d’endiguer une épidémie du virus Ebola alors que l’armée menace d’user du moyen plus radical d’atomiser la population infectée dans Alerte ! en 1995 et Harrison Ford en président des États-Unis combattant dans son avion officiel des terroristes qui ont pris en otage sa famille en 1997 dans Air Force One – l’ancien président Donald Trump fera d’ailleurs son entrée pour annoncer sa victoire aux élections devant le parterre de ses partisans après que fut diffusée la glorieuse musique composée par Jerry Goldsmith pour le film. Fasciné depuis l’enfance par la puissance de la mer hanséatique, il montre à nouveau après Le Bateau le combat des hommes face à l’océan dans En pleine tempête en 2000 tiré d’une histoire vraie sur un groupe de survivants ayant affronté les éléments déchaînés – avec cette fois une vague créée virtuellement – ainsi que dans le film catastrophe Poseidon en 2006. Le réalisateur de L’Histoire sans fin n’abordera plus le Merveilleux dans la suite de sa carrière puisqu’en 2000, il finit par décliner la proposition de réaliser la première aventure cinématographique d’Harry Potter, ni la Science-fiction après la brève mais honorable incursion d’Enemy Mine puisqu’après avoir envisagé d’adapter au cinéma La stratégie Ender (Ender’s Game) d’Orson Scott Card, il se désiste finalement du projet en 2008.



Dustin Hoffman dans un rôle dramatique dans Alerte ! (Outbreak) ; en dessous, l'acteur est au second plan derrière le réalisateur.


Wolfgang Petersen exprime précisément ce qu'il attend d'Harrison Ford dans le rôle du Président des Etats-Unis pris en otage dans son avion personnel qui donne son titre au film, Air Force One.


Le cinéaste avec Brad Pitt sur Troy et en dessous, un plan du film.

Wolfgang Petersen avec les principaux acteurs de Poseidon, dont Kurt Russell à droite.

    Le public anglo-saxon s’était montré le plus favorable à l’égard de Wolfgang Petersen dans la première moitié de sa carrière, à fortiori si l’on se rappelle de l’hostilité des écrivains de son pays qu’il avait adaptés. Nul ne conteste la capacité démontrée du cinéaste à livrer des films sans temps morts, à narrer une histoire riche en suspens et en rebondissements, mais on lui reproche parfois de ne pas insuffler de personnalité particulière à ses œuvres comme on le dit souvent de son compatriote Roland Emmerich. C’est un peu comme s’il avait confirmé l’avis alors manifestement injuste des auteurs du Bateau et de L’Histoire sans fin, qui le dépeignaient déjà à l’époque de ces adaptations comme n’étant qu’un réalisateur de films d’action selon les standards hollywoodiens. Ce cinéaste tranquille dont les œuvres de la première partie de la carrière ont suscité la controverse demeurera en tout cas sans doute à jamais associé au Bateau et à L’Histoire sans fin, des films prestigieux qui, en dépit des avis négatifs des auteurs, ont su transporter les spectateurs et resteront dans nos mémoires.




site officiel de l'écrivain Michael Ende : http://michaelende.de/
site allemand consacré au film L'Histoire sans fin : http://www.engywuk-und-urgl.de/

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Disparu le 22 septembre 2022 à l’âge de 79 ans, Peter Straub était un des plus célèbres écrivains d’épouvante américains contemporains. Il était notamment l’auteur de Julia (1975), narrant la hantise d'une demeure par l'âme d'une petite fille maléfique, qui connut une adaptation cinématographique deux ans plus tard avec Le Cercle infernal (Full Circle/The Haunting of Julia) ainsi que du Fantôme de Milburn (Ghost Story), roman de 1979 adapté également deux ans plus tard au cinéma, une histoire de vengeance d’outre-tombe pour laquelle le maquilleur Dick Smith avait créé des maquillages incroyablement morbides pour le personnage décati interprété par Alice Krige. Il avait aussi co-écrit deux œuvres avec son ami Stephen King, Le talisman (The Talisman) en 1986 et Territoires (Black House) en 2002. 


Peter Straub et la couverture allemande de son roman de Fantasy co-écrit avec Stephen King, Le Talisman (The Talisman).

Une manifestation cauchemardesque créée par Dick Smith pour le film Le Fantôme de Milburn (Ghost Story), qui fut coupée à la différence des apparitions vengeresses d'Eva Galli de plus en plus décomposée, si effroyables que l'on n'ose les proposer ici au lecteur non averti – le maquilleur réutilisera le concept pour La maison de l'horreur (House on Haunted Hill) en 1999.

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L’actrice Louise Fletcher a disparu le 23 septembre 2022 en France où elle résidait habituellement, comme une autre actrice américaine, Catherine Schell. Née de parents sourds, elle n’apprit à parler qu’à l’âge de huit ans auprès de sa tante. Elle figure dans des séries télévisées comme Les incorruptibles (The Untouchables) dans les années 1950. Après s’être consacrée à sa vie de famille, elle apparaît sur le grand écran au milieu des années 1970, son visage sévère la destinant naturellement à des rôles autoritaires. Son plus grand triomphe est l’infirmière inhumaine qu’elle compose dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew over the Cuckoo’s Nest) de Milos Forman en 1976, Mildred Ratched, qui persécute le criminel se faisant passer pour fou qu’interprète Jack Nicholson, au sein d’une distribution étonnante qui comporte notamment Brad Dourif, Christopher Lloyd, Vincent Schiavelli ou encore Will Sampson. Sa prestation ne lui vaut pas moins de trois prix. Si elle renoue avec la télévision, apparaissant dans des séries comme Urgences (ER), La Cinquième dimension (The Twilight Zone), Les Contes de la crypte (Tales of the Crypt) et Star Trek : Deep space Nine, elle poursuit conjointement sa carrière sur le grand écran, avec le très dispensable L’Exorciste 2 : L’Hérétique (Exorcist 2 : the Heretic) en 1977, Les envahisseurs parmi nous (Strange Invaders) en 1983 ainsi que Brainstorm, film que le réalisateur et créateur d’effets spéciaux Douglas Trumbull aura tant de difficultés à achever suite à la mort soudaine de l’actrice Natalie Wood, dans lequel Louise Fletcher dans le rôle de Madame Benjamin frappée par une crise cardiaque communique la vision ressentit à la survenue de la mort au travers d’une invention qui visualise les impressions ressenties ; ce film lui vaudra de se voir décerner un Saturn Award, un prix délivré au titre du cinéma fantastique et de science-fiction. Elle est en 1986 une institutrice terrifiante, Madame McKeltch, dans L’invasion vient de Mars (Invaders from Mars), remake d’un film des années 1950, dans lequel elle passe sous le contrôle d’extraterrestres qui lui ont placé un implant derrière la nuque ; on oubliera pas de sitôt la séquence dans laquelle son élève la surprend alors qu’elle avale une grenouille du cours d’histoire naturelle, ce qui prendra un relief ironique lorsqu’elle se trouve à son tour gobée par un extraterrestre glouton, une brute servant l’Intelligence suprême de Mars. En 1990, elle est un des personnages principaux du film de série B Shadowzone dans lequel elle piège involontairement au cours de recherches sur les rêves une créature interdimensionnelle redoutable ; elle parviendra finalement à la renvoyer dans son monde, ce qui ne l’empêchera pas d’en être la dernière victime. Dans un registre plus léger, elle faisait une apparition dans la comédie Le Noël de Denis la Malice (A Denis the menace Christmas) en 1997. Au travers de sa carrière diverse, Louise Fletcher aura incarné nombre de personnages féminins bien peu amènes aux apparitions remarquées.

Madame Benjamin va de manière imminente réaliser un enregistrement dramatique en livrant à l'invention de Brainstorm l'enregistrement de ses ultimes instants.

L'enseignante de L'Invasion vient de Mars (Invaders from Mars) manifeste un intérêt très particulier pour les grenouilles du laboratoire. 


Sous le contrôle de son maître extraterrestre, Madame McKeltch témoigne plus d'affection pour les serviteurs monstrueux de l'envahisseur que pour ses élèves, mais les créatures lui rendent bien mal ses égards.


Le Docteur Erhardt considère que la fin justifie les moyens au cours de ses recherches sur le monde des rêves, mais celle qui n'a guère d'égard pour ses cobayes humains finira elle-même par voir sa vie réclamée par l'entité multiforme qu'elle a involontairement extrait de son propre espace temps dans Shadowzone.

Indiquons aussi la disparition à l'âge de 95 ans de l'acteur américain d'origine italo-hispanique Henry Silva qui avait interprété un grand nombre de personnages criminels dont Sauveur Meccaci dans Le marginal face à Jean-Paul Belmondo. Il était aussi régulièrement apparu dans des séries comme Les Incorruptibles (The Untouchables) et Au-delà du réel (The Outer Limits) où il avait figuré dans deux épisodes. 



Henry Silva dans le rôle de Chino Rivera dans l'épisode Opération survie (The Mice) d'Au-delà du réel (The Outer Limits), un détenu qui se prête à une expérience de téléportation entre la Terre et la planète des Chromoïtes (matérialisation de l'extraterrestre en dessous).

Henry Silva dans le rôle du dictateur sud-américain Mercurio dans l'épisode Attraction pour touristes (Tourist Attraction) de la même série, admirant un fossile vivant découvert dans un lac, un prétendu ichtyosaure - loin du véritable animal qu'on put voir les lecteurs dans l'article de février 2009 consacré aux controverses sur l'évolution.

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