jeudi 10 mai 2018

NOBLE A PLUS D'UN TITRE



       La famille de Noble Craig a fait part de sa disparition, survenue le 26 avril 2018. L’homme n’était pas connu du grand public mais a incarné plusieurs créatures marquantes au cinéma, en mettant à profit sa tragique condition.

          Encore très jeune, il fait partie des Américains dont la vie fut broyée lors de l’intervention au Vietnam. Au cours de l’année 1969, après seulement douze jours de présence sur le front, il saute sur une mine enfouie et perd ses jambes, un bras et la vision de son œil droit.

          En 1973, il apparaît une première fois à l’écran dans le film Sssnake le cobra (Sssssss) de Bernard L. Kowalski, incarnant un phénomène présenté dans un cirque, lequel s’avère être le résultat d’une effroyable expérience perpétrée par un savant fou, le Docteur Carl Stoner (Strother Martin), herpétologiste qui transforme ses étudiants en cobra. Noble Craig représente un stade inachevé de l’expérience, et le nouvel assistant du scientifique, David Blake (Dirk Benedict, future vedette des séries télévisée L’Agence tous risques (The A-Team) etGalactica), ne réalise pas à temps qu’il est le nouveau cobaye de son mentor – on retrouvera d’ailleurs un sujet très similaire l’année suivante dans Mutations de Jack Cardiff, à ceci près que l’attraction foraine dans laquelle est présentée l’expérience ratée du Docteur Nolter (Donald Pleasence) sur une étudiante qu’il a tenté d’hybrider avec un végétal, là encore dans la finalité de créer une « humanité nouvelle » plus adaptée aux périls de l’avenir, comporte cette fois l’utilisation de phénomènes humains réels, comme dans The Sentinel, et aussi bien sûr précédemment dans La monstrueuse parade (Freaks) de Tod Browning, à ceci près que dans ce dernier, il leur a été rendu leur dignité par le cinéaste.



                Il faut attendre 1985 pour que le cinéma fasse de nouveau appel aux services de Noble Craig à l’occasion d’une séquence saisissante, quintessence de la grande époque des effets spéciaux, dans le film Poltergeist II de Brian Gibson, où il endosse le costume d’un stade de «la Créature du vomi». Dans la suite du film de Tobe Hooper supervisé par Spielberg, basé sur un scénario de Michael Grais et Mark Victor – dont la contribution au premier film n’avait alors pas été reconnue – l’âme damnée d’un pasteur diabolique (incarné avec courage par Julian Beck, rongé par un cancer fatal) s’incarne en un ver dans une bouteille de tequila qu’ingurgite Steve Freeling (Craig T. Nelson), qu’il tente de posséder, avant d’en ressortir et de se transformer en une créature terrifiante, passant par un stade d’allure fœtal aux côtes encore non refermées, processus détaillé par l’artiste suisse H.R. Giger célèbre pour son travail sur Alien, et auquel l’équipe de Steve Johnson a conféré toute son étrangeté organique. Le moment où l’être s’arrête quelques instants et que l’écran s’attarde sur son regard d’un autre monde est vraiment impressionnant. 


Un stade d'incarnation monstrueuse de l'esprit maléfique de Poltergeist 2 , dans lequel se glissa Noble Craig et le résultat à l'écran.

                Son apparition dans Les aventures de Jack Burton (Big trouble in little China) réalisé en 1986 par John Carpenter est plus incidente. Glissé dans la peau d’un saurien géant aux yeux rouges hypertrophiés et aux membres grêle, il surgit d’une canalisation pour menacer un bref instant la petite troupe de Jack Burton (Kurt Russell) partie en quête du repaire de Lo Pan (James Hong).

             Avec le remake de The Blob réalisé en 1988 par Chuck Russell, Noble Craig revient à un personnage plus pathétique. Apparaissant à visage découvert, il incarne un soldat victime de l’arme biologique créée par l’armée, qui a dissout ses membres, avec lequel l’héroïne Meg Penny (Shawnee Smith) a un bref échange.  

               Il arbore ensuite brièvement les traits du croquemitaine revenu du monde des morts, Freddy Krueger, dans Freddy 5 - l'enfant du cauchemar (Elm Street 5 : the Dream Child), alors que l’effroyable personnage tente de posséder un enfant à naître, surgissant sur la poitrine d’Alice interprétée par Lisa Wilcox, Noble Craig était fixé sur elle grâce à des câbles. 

           Enfin, en 1989, dans la suite de ReanimatorBride of the Reanimator, réalisée par Brian Yuzna, il apparaît dans l’épilogue au milieu d’aberrations auxquelles Herbert West, l’expérimentateur pervers joué par Jeffrey Combs, a donné naissance en couplant des morceaux disparates de corps humains (jeu macabre qu’on retrouve aussi dans les films Frankenhooker de Frank Henenlotter l’année suivante et The Resurrected de Dan O’Bannon en 1990), étant affublé d’une poitrine féminine sur le dos et d’un pied à la place d’une main.

         Noble Craig ne fut cependant pas le seul disgracié auquel le cinéma eut recours pour incarner des personnages hors-normes à l’insu du spectateur, qu’on pense aux personnes de petite taille glissées dans la peau de E.T. L’Extraterrestre du film de Steven Spielberg en complément de versions mécaniques, à celle qui faisait bouger la queue de Jabba the Hutt dans Le retour du Jedi avant les tripatouillages infographiques demandés par George Lucas pour sa ressortie, aux trois culs-de-jattes qui ont donné vie aux drones de Silent Running de Douglas Trumbull, devenus les seuls compagnons de l’agronome désabusé interprété par Bruce Dern. De la même manière, Joe Carone qui perdit les deux membres supérieurs dans un accident industriel fut recruté pour doubler Richard Dysart, dont il arbore le masque dans la séquence de The Thing de John Carpenter au cours de laquelle le simulacre du corps de Norris arrache les bras du Docteur Copper alors qu’il lui applique un défibrillateur suite à un arrêt cardiaque.

          En dépit de son terrible sort, Noble Craig a témoigné d’une volonté de vivre qui force l’admiration, père attentionné de cinq enfants, conducteur émérite, s’adonnant à la réparation de tout véhicule à moteur, pratiquant le ski nautique, la plongée sous-marine, la natation dans l’océan, le chaut en parachute, il s’est efforcé de vivre plus intensément qu’un valide, donnant un exemple de volonté presque surhumaine. Une cérémonie d’hommage au Cimetière commémoratif des anciens combattants du Nevada du sud a été rendu le 24 mai 2018 à cet estropié de guerre qui vécut debout jusqu’à la fin de son existence remarquable. 

(source de la photo personnelle : http://bloody-disgusting.com/news/3497462/r-p-creature-performer-noble-craig-unsung-horror-icon/)