dimanche 31 mai 2009

UN AUTEUR DES ANNEES 1930 MIS A L'HONNEUR

L'existence humaine est parfois tragiquement courte, comme l'a illustré tout récemment le décès à l'âge de 28 ans de l'acteur Heath LEDGER, acteur dans plusieurs films de Terry GILLIAM, dont LES FRÈRES GRIMM, décédé dans son sommeil d'un abus médicamenteux, comme avant lui le maquilleur français Benoît LESTANG ( article d'août 2008 ).
Certains écrivains ont aussi connu des carrières brèves, à l'image du Français Michel BERNANOS, auteur du cycle fantastique réputé LA MONTAGNE MORTE DE LA VIE, qui a mis fin à ses jours dans la forêt de Fontainebleau avant son quarantième anniversaire. Le créateur du personnage de CONAN LE BARBARE, Robert E. HOWARD, s'est lui donné la mort à l'âge de 30 ans après le décès de sa mère. L'infortune a aussi abrégé les carrières de d' autres auteurs. On sait qu'Howard Philip LOVECRAFT a disparu à l'âge de 47 ans des suites de la maladie. Un de ses inspirateurs, William Hope HODGSON, auteur de terrifiantes histoires maritimes, qui avait été incorporé comme artilleur durant la première guerre mondiale, a lui-même été victime d'un obus près de Ypres, en Belgique, à l'âge de quarante ans, dans ce conflit que LOVECRAFT qualifiait avec raison de "suicide de l'Europe". Il en va de même pour Stanley WEINBAUM, écrivain de science-fiction né en 1902, décédé le 14 décembre 1935, emporté par un cancer de la gorge à l'âge de 33 ans, carrière fulgurante, mais suffisante, pour, à l'instar de Robert HOWARD et William Hope HODGSON, avoir eu le temps de laisser une production significative et une trace mémorable dans l'histoire de la littérature d'imagination. Stanley WEINBAUM avait entamé des études de chimie, qu'il avait assez rapidement abandonnées pour se consacrer complètement à l'écriture. ( sa veuve a précisé qu'il s'investissait dans la littérature depuis l'âge de 20 ans, comme en attestent notamment ses poèmes et certaines ébauches; il avait abandonné ses études parce qu'il avait été mis en cause et exclu de l'université pour une tricherie, où il avait aidé un autre étudiant, décision à la suite de laquelle il avait, dans un sursaut d'orgueil, décidé de ne pas revenir ). H.P. LOVECRAFT loua son imagination lui permettant de concevoir des situations, des créatures et des psychologies réellement originales. Sa nouvelle la plus fameuse, L'ODYSSÉE MARTIENNE avait ainsi été choisie en 1970 par les plus grands écrivains de science-fiction pour figurer en tête de l'anthologie "The greatest SF stories of all time" constituée par l'Association des Écrivains de Science Fiction d’Amérique. On l'a comparé à Herbert George WELLS, avec lequel il aurait d'ailleurs partagé le sentiment que les récits de science-fiction, dont la qualité a pourtant assuré leur postérité, ne représentaient pas la part la plus "noble" de leur œuvre. Sa renommée valut même à un cratère martien d'être nommé en référence à son nom. En France, il était pratiquement le seul auteur issu des pulps des années 1930 à figurer dans les anthologies de science-fiction, et un roman avait paru, LA FLAMME NOIRE, un récit sur une terre post-apocalyptique sur laquelle des scientifiques devenus immortels combattent des mutants et œuvrent à la renaissance de l'humanité, en fait deux nouvelles refondues qui auraient été clairement destinées à être intégrées dans un cycle commun, le personnage principal étant déjà évoqué dans certains poèmes de ses débuts, et surtout dans le roman LE NOUVEL ADAM, dont les premiers jets sont largement antérieurs à l'écriture de LA FLAMME NOIRE.

L'année 2008 a remis à l'honneur cet auteur de l'âge d'or de la science-fiction américaine. Aux Etats-Unis, le prix de la "redécouverte Cordwainer Smith" * lui a été attribué; William Hope HODGSON en avait été précédemment gratifié en 2006. Un peu plus tôt, les éditions Coda** ont publié une édition française complète des nouvelles de l'auteur, "Une Odyssée martienne, intégrale des nouvelles", faisant suite à une première publication intégrale par les éditions de l'Age d'or l'année précédente, qui avaient proposé deux recueils de nouvelles de Stanley WEINBAUM traduites par Robert SOUBIE et enrichies de nombreuses notes, "La Péri rouge et autres histoires de science-fiction" ainsi qu' "Une odyssée martienne et autres histoires de science-fiction", de même qu' une réédition complétée de LA FLAMME NOIRE, ouvrages édités à compte d'auteur, investissement qui mérite d'être salué et encouragé***. L'autobiographie de Stanley WEINBAUM se lit avec une émotion particulière puisqu'il l'a écrit en juin 1935, pour "Fantasy Magazine", soit seulement six mois avant d'être emporté par la maladie. On peut noter que les éditions Coda ont choisi de présenter sous forme de cahier central les couvertures en petit format des différentes éditions des œuvres de Stanley WEINBAUM, ainsi que celles des magazines littéraires de l'époque au sein desquels ses nouvelles parurent initialement, et dont les couvertures n'illustraient pas toujours un récit de l'auteur; plus discutable est la mise en exergue pour la couverture du recueil lui-même d'une illustration de Virgil FINLAY certes attrayante, mais apparemment sans rapport avec une nouvelle de Stanley WEINBAUM. Robert SOUBIE propose quant à lui la première version intégrale de LA FLAMME NOIRE, toutes les versions précédentes ayant été expurgées d'environ douze mille mots, ainsi qu'un texte de Sam MOSKOWITZ narrant l'histoire étrange de ce roman. Un dernier roman, LE CERVEAU FOU, dont Robert SOUBIE vient d'achever la traduction, devrait paraître prochainement. On ne peut que saluer les initiatives des éditions de l'Age d'or et des éditions CODA, qui permettent pour la première fois au lecteur français d'accéder à l'œuvre de cet écrivain renommé, contribuant ainsi à réhabiliter une époque de la science-fiction américaine trop souvent déjugée d'emblée. La plus célèbre nouvelle de WEINBAUM traduite en français est incontestablement L'ODYSSÉE MARTIENNE selon l'appellation sous laquelle elle est traditionnellement connue (ou UNE ODYSSÉE MARTIENNE, selon le titre original, comme repris dans le recueil traduit par Robert SOUBIE), dans une veine qu'on pourrait rapprocher de celle de J.H. ROSNY AINE, en particulier de son roman LES NAVIGATEURS DE L'INFINI. Il s'agit d'un récit qu' un astronaute accidenté, Jarvis, fait à ses collègues de sa rencontre avec différentes formes de vie martiennes, racontée avec le naturel d'un récit de l'aventurier et ethnologue Paul-Émile VICTOR. La figure principale parmi celles-ci en est Tweel, bipède aux allures d'Autruche, pouvant aussi évoquer un Dinosaure coureur. L'auteur se montre bien plus imaginatif que tant de films hollywoodiens ultérieurs qui mettront en scène des extraterrestres à l'aspect humain - parfois même des starlettes en bikini - parlant souvent de surcroît un parfait anglais sans avoir jamais écouté la BBC... A l'opposé, Stanley WEINBAUM retranscrit avec réussite la tentative de communication du principal protagoniste avec ce "Vendredi" extraterrestre et la manière dont une certaine intelligibilité, certes limitée, parvient à s'établir entre les deux êtres. D'autres espèces parsèment le territoire traversé par le naufragé, représentées ci-dessous par différents artistes. Le succès de l'œuvre, et la brutale séparation entre l'humain et le Martien dans le dénouement, appelait une suite, ce qui fut réalisé avec LA VALLÉE DES RÊVES, laquelle fut également traduite en français dans les années 1980; l'auteur imagine que l'espèce des Martiens humanoïdes a pu visiter notre planète il y' a quelques milliers d'années, les explorateurs découvrant en effet des fresques rappelant celles observées dans l'Égypte antique, le long nez de l'extraterrestre se retrouvant chez la divinité Toth - qu'on pensait avoir été plus prosaïquement inspirée par l'Ibis et son bec courbé !.. LA VALLÉE DES RÊVES est en fait, comme le précise Robert SOUBIE, la version initiale de L'ODYSSÉE MARTIENNE, que l'auteur, insatisfait, avait repoussée, et qu'il a finalement reprise et travaillée à la demande de l'éditeur pour faire suite au succès rencontré par la célèbre nouvelle.

Jarvis, Tweel, et les tentacules de la Bête à rêves, qui fascine sa proie par une projection hypnotique, une belle illustration signée Robert PETILLO.
Comme dans LES NAVIGATEURS DE L'INFINI de J.H. ROSNY AINE, Stanley WEINBAUM imagine que la planète Mars est habitée par des créatures appartenant à différents règnes, comme l'illustre cet être semi-minéral ( extrait d'une adaptation en bande dessinée ).
Les créatures en tonnelet représentées respectivement pour l'édition russe et allemande ( à noter le petit air de famille de Jarvis avec le célèbre acteur Kevin McCARTHY ! )
Les créatures en forme de brins d'herbe mobiles, les Biopodes, ont enfiévré l'imagination sadique de l'illustrateur...

Cette illustration par Randolph Holmes d'une créature tentaculaire qui suscite des illusions pour piéger ses proies dans la bande dessinée PLANETE PAS NETTE (KILLER PLANET) renvoie directement à la Bête à rêve de L'ODYSSE MARTIENNE.

Stanley WEINBAUM avait aussi imaginé l'écosystème de Venus. Beaucoup d'auteurs se sont interrogés sur la manière dont la vie pluricellulaire pouvait se distinguer suivant les deux catégories essentielles des végétaux et des animaux, cherchant à définir des critères discriminants en dépit des multiples variations audacieuses du modèle végétal déclinées dans la science-fiction telles que la mobilité, la carnivorité, voire l'intelligence. Stanley WEINBAUM a très probablement proposé la plus originale et intéressante définition de la question dans sa nouvelle LES MANGEURS DE LOTUS. Il imagine qu'une espèce intelligente, pourvue d'une forme de conscience, s'est développée sur Venus à partir d'une lignée végétale, et que ce qui la différencie des véritables animaux comme leurs prédateurs tripodes est l'absence d'instinct de survie, occasionnant leur passivité et leur résignation pathétique quelque peu poignante face à leur situation de proies. Se défiant décidément de tout anthropocentrisme, l'auteur rappelle que l'omniprésence des Insectes ou des Nématodes - dont un naturaliste a écrit que ces vers minuscules sont si abondants et omniprésents que si toute matière disparaissait subitement à l'exception des Nématodes, on reconnaîtrait encore la forme des paysages, et même celle des arbres - pourrait, d'un certain point de vue, être considérée tout autant comme une réussite au plan de l'évolution que celle de l'homme. Le titre de MANGEURS DE LOTUS choisi originellement par le traducteur et anthologiste Georges GALLET, qui a le premier proposé le texte aux lecteurs français, occulte quelque peu l'acception originale: les Lotus auxquels se réfère WEINBAUM sont sans rapport avec la plante à fleurs bien connue, mais sont des fruits fantastiques, plus couramment désignés sous le terme de "Lotos", provoquant chez celui qui l'ingère une torpeur, comme le rapporte HOMÈRE dans un épisode de L'ODYSSÉE, lequel avait également également inspiré à Lord Alfred TENNYSON un poème publié en 1832. C'est la raison pour laquelle Robert SOUBIE a quant à lui choisi pour son recueil de restituer la référence de WEINBAUM au mythe grec, en optant pour le titre LES LOTOPHAGES.

Stanley WEINBAUM a contribué de manière notable à alimenter le bestiaire extraterrestre; on pourrait encore citer, à titre d'exemple, le ver monophtalme de la nouvelle FUITE SUR TITAN - titre aussi traduit par VOL SUR TITAN si on ne fait pas directement référence à la notion de course contre le temps qui imprègne l'histoire, représenté avec la bouche dilatée, conformément à la description, sur la couverture de l'édition Avon, ce qui lui confère superficiellement l'allure d'un Nématode du sol, l'Anguillule, pris au lasso du piège à nœud coulant d'un Champignon microscopique.

La nouvelle FUITE SUR TITAN ( FLIGHT TO TITAN ) a aussi été publiée sous le titre A MAN, A MAID AND SATURN'S TEMPTATION, titre qui évoque le récit biblique d'Adam et Eve au Paradis, et l' illustrateur, du nom de J. GAMA, y fait explicitement référence.

Le "Pot à colle" ou "Pâte à pain" selon la traduction, de LA PLANETE PARASITE, même s'il n'est pas le premier monstre informe, s'inscrit dans la lignée menant au "Blob" des films de science-fiction; la créature a un tel appétit qu'elle a une propension, lorsque la nourriture vient à manquer, à se digérer elle-même, comme le font certains animaux marins vermiformes, les Némertiens ( évoqués dans l'article "Le tentacule d'ABYSS existe réellement" ). Quant au métamorphe mimétique protoplasmique adoptant l'apparence de ses victimes, et même une combinaison de celles de plusieurs d'entre elles, évoqué dans LA PLANETE DES MARÉES, il annonce un autre archétype d'extraterrestre popularisé conjointement par John CAMPBELL dans LA BETE D'UN AUTRE MONDE ( nouvelle adaptée au cinéma par John CARPENTER sous le titre de THE THING ) qui présente les mêmes capacités. LA PLANÈTE DES MARÉES a été achevée par la sœur de Stanley WEINBAUM, Helen, suite à son décès prématuré - selon la veuve de l'auteur, Margaret WEINBAUM KEY, seul le canevas, soit à peu près deux ou trois cents mots, auraient été écrits par son mari ( raison pour laquelle Robert SOUBIE a décidé de ne pas l'inclure dans son intégrale des nouvelles ). La veuve de l'écrivain a confié en 1993 les manuscrits de son époux à la bibliothèque de l'université de Philadelphie.
Un explorateur aux prises avec un arbre Jack Ketch ( d'après le nom d'un bourreau anglais de Charles II connu pour ses exécutions particulièrement abominables ) aux intentions malignes, dans la nouvelle LA PLANÈTE PARASITE, qu'on trouve sur Venus, comme les formes végétales contemplatives des MANGEURS DE LOTUS, preuve que tous les plantes vénusiennes de Stanley WEINBAUM ne sont pas d'un commerce agréable - document fourni parle site de notre ami Jacques HAMON.
Au cours de sa brève carrière, Stanley WEINBAUM a abordé bien des thèmes, certains tout à fait avant-gardistes, comme ceux de l'immigration mexicaine massive aux États-Unis, le refroidissement de l'Atlantique Nord au cas où le courant chaud du Gulf Stream viendrait à être perturbé et les mouvements de population occasionnés par les bouleversements climatiques, ou bien encore le transgénisme, croisement entre espèces réalisé par manipulation génétique dans L'ILE DE PROTEE, un de ses nombreux textes posthumes.
Stanley WEINBAUM se dissociait de l'enthousiasme pour la science d'écrivains de son époque comme Hugo GERNSBACK, l'initiateur de la science-fiction américaine, en laquelle, malgré ses promesses, il voyait non l'avènement d'un monde meilleur, mais un instrument qui pouvait être bénéfique ou contestable suivant l'utilisation qui en était faite, comme le dit en 1972 l'un des protagonistes de l'adaptation cinématographique de SOLARIS de Stanislas LEM par Andrei TARKOVSKI : "Il appartient à l'homme que la science soit morale ou qu'elle ne le soit pas". Il était animé par la volonté de tirer le meilleur parti de la science-fiction, désirant que l'imagination, dont il était si bien pourvu, ne soit pas mise au service du seul divertissement, mais utilise sa pleine potentialité critique pour faire réfléchir aux enjeux de société, voire, ce qui peut paraître très ambitieux, proposer, au delà-de l'analyse, des solutions aux différents problèmes contemporains. Il reste à souhaiter que les textes d'autres auteurs de l'âge d'or de la science-fiction américaine puissent à leur tour être proposés aux lecteurs francophones curieux de découvrir une période trop souvent dévalorisée.
Un autre écrivain susceptible d'être ainsi redécouvert pourrait être Raymond Z. GALLUN, surtout connu chez nous au travers de la nouvelle LE VIEUX FIDELE, histoire d'un Martien fuyant sa société conformiste dominée par les mathématiques ( non, il ne s'agit pas de la France... ) et qui s'avère, comme chez WEINBAUM, faire preuve de plus de grandeur d'âme que ses interlocuteurs humains - nouvelle qui donna, comme L'ODYSSÉE MARTIENNE, lieu à une suite, elle demeurée inédite en France.
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NOTE : On remerciera ici Robert SOUBIE ayant eu, suite à la découverte de cet article, l'obligeance de nous apporter certaines précisions sur l'auteur, lesquelles ont été bien volontiers intégrées dans le présent article. Souhaitons qu'à son exemple, de nouveaux lecteurs de marque honorent de leur intérêt "Créatures et imagination", le site francophone sur les êtres réels et les êtres imaginaires. On peut lire en ligne sa traduction de L'ILE DE PROTÉE : http://www.astrosurf.com/soubie/stanley_g__weinbaum.htm
* Cordwainer SMITH est le pseudonyme d'un ancien diplomate américain, en poste au temps de la Chine nationaliste, Paul LINEBARGER, qui a écrit un cycle de récits sur le futur comme Robert HEINLEIN; sa nouvelle la plus connue est sans doute LA PLANÈTE SHAYOL. Sa fille a créé un site en sa mémoire :
http://www.cordwainer-smith.com/ ** http://www.editions-coda.fr/ *** http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=1040304

lundi 18 mai 2009

DISPARITION DE JACK CARDIFF

Jack CARDIFF, disparu à l'âge de 94 ans le 22 avril 2009, était un directeur de la photographie, qui était aussi passé à la mise en scène et avait même été quelquefois acteur, polyvalence qui ne l'aurait pas empêché de remettre en place Sylvester STALLONE, la vedette du film RAMBO 2, lequel, désirant déplacer un projecteur, s'ingérait ainsi dans son art. Il avait reçu en 2001 un Oscar pour l'ensemble de sa carrière.

Né de parents artistes de music hall, il débute enfant dans des films muets anglais, puis devient cadreur lors de l'avènement du cinéma parlant. Il a participé en 1936 au tournage de LA VIE FUTURE (THINGS TO COME), qui bénéficiait de la contribution active du grand écrivain de science-fiction Herbert George WELLS, celui-ci écrivant lui-même le scénario du film d'après son roman utopique. Jack CARDIFF se voit confier l'année suivante la responsabilité de la lumière du premier film britannique en Technicolor. Il a travaillé avec Alfred HITCHCOCK et également assuré la photographie du célèbre THE AFRICAN QUEEN. Il fut l'orchestrateur de l'ambiance irréelle de PANDORA, variation librement inspirée de la légende du navire fantôme dite du Hollandais volant dirigée par Albert LEWIN. Dans le genre fantastique, il avait illustré d'autres histoires de femmes inquiétantes se défiant de la mort avec LA MALEDICTION DE LA VALLEE DES ROIS ( THE AWAKENING ) bénéficiant de l'interprétation de Charlton HESTON et LE FANTOME DE MILBURN ( GHOST STORY ) où l'esthétisme soigné voisinait avec des maquillages réalistes particulièrement morbides agencés par Dick SMITH qui retranscrivaient toutes les étapes de décomposition de la protagoniste vengeresse.

Jack CARDIFF a entre autres œuvré sur plusieurs réalisations de Richard FLEISCHER, notamment LES VIKINGS, film d'aventures historiques avec Kirk DOUGLAS, Tony CURTIS et Ernest BORGNINE, et sur deux de ses derniers films, des films fantastiques. Le premier, CONAN LE DESTRUCTEUR, suite de CONAN LE BARBARE de John MILLIUS, baigne dans une atmosphère de mystère et de sorcellerie, grâce également à la belle partition, grave et gracieuse à la fois, de Basil POLEDOURIS. Le héros Conan y affronte un démon païen qu'une reine maléfique assoiffée de pouvoir, incarnée par Sarah DOUGLAS, cherche à faire venir sur Terre en lui sacrifiant sa propre fille. On peut d'ailleurs se demander s'il ne faut pas imputer à l'absence de Jack CARDIFF sur la resucée de CONAN LE DESTRUCTEUR réalisée peu après par Richard FLEISCHER, KALIDOR, LA LEGENDE DU TALISMAN, le peu de magie qui s'en dégage cette fois.

CONAN LE DESTRUCTEUR, une épopée fabuleuse dans des lieux fantastiques ( ici l'arrivée au château de cristal d'un mage )
Dagoth, vaincu dans un fracassement d'éclairs par CONAN qui lui arrache sa corne magique, dont il tire sa force à l'image de la chevelure de Samson. L'illustrateur William STOUT avait au départ imaginé une sorte de Limace à tête d'insecte, aux bras griffus et malingres et au corps terminé par trois éperons, comme les extraterrestres du film DREAMCATCHER, mais la version finale élaborée par Carlo RAMBALDI ( voir l'article d'octobre 2008 sur cet artiste) qui n'en conserve que la corne est un humanoïde aux extrémités palmées, évoquant quelque peu un croisement entre les Profonds dépeints par LOVECRAFT dans la nouvelle LE CAUCHEMAR D'INNSMOUTH et la future MOUCHE du film de CRONENBERG.

Le second film, AMITYVILLE 3, qui comme le premier POLTERGEIST, convoque une équipe spécialisée dans l'enregistrement de phénomènes surnaturels, s'achève sur l'irruption d'un démon digne de Jérôme BOSCH, déjà entrevu fugitivement à la fin du volet précédent à l'issue d'une horrible possession. CARDIFF y fait régner une luminosité colorée et surnaturelle assez envôutante.

Indubitablement, il y'a une certaine humidité dans la cave de la maison maléfique d'AMITYVILE 3 : l'invitation au bain vue par les auteurs du film; plutôt réfrigérant ! La créature a été conçue par John CAGLIONE, déjà auteur de celle d'AMITYVILLE 2; le célèbre maquilleur Dick SMITH avait initialement tenté de décourager CAGLIONE de percer dans le domaine, doutant de ses capacités, mais il accepta nonobstant de lui prodiguer ses conseils, ce qui lui réussit plutôt bien puisque le maquilleur contribua avec Christopher TUCKER - ELEPHANT MAN, LA COMPAGNIE DES LOUPS - au maquillage des acteurs interprétant nos ancêtres dans LA GUERRE DU FEU, lequel valut au film un Oscar pour ses effets spéciaux de maquillage. 

  Parmi les quelques films dirigés par Jack CARDIFF en personne, l'un d'eux relève pleinement de notre domaine. Il s'agit de MUTATIONS, réalisé en 1973. Donald PLEASANCE, barbu - en dépit de la jaquette de la vidéo, exécutée par un artiste qui a dû travailler sur une photo de l'acteur, mais sans s'être renseigné sur le film* - incarne le docteur Nolter, un universitaire et chercheur qui aspire à créer une forme de vie supérieure associant la mobilité de l'animal à l'autosuffisance photosynthétique du végétal. Il n'hésite pas à expérimenter ses théories sur des humains, de jeunes adultes enlevés par son acolyte Lunch ( Tom BAKER, l'un des interprètes du DOCTEUR WHO dans la série du même nom ), qui ne parvient pas à accepter son faciès contrefait et à qui Nolter a promis une reconstruction chirurgicale de la face en échange de sa collaboration.

Un chercheur et son curieux végétal; mieux vaut ne se fier à aucun des deux.

Le film débute de manière assez saugrenue, tout en annonçant le annonçant le caractère assez trouble et malsain du film. Une jeune fille qui se promène dans un parc réalise qu'elle est suivie avec insistance par un nain. Elle presse le pas, mais le poursuivant accélère son allure. Un second nain apparaît et se met aussi à la pourchasser, jusqu'à ce qu'elle soit capturée avec l'aide de Lunch et livrée aux expérimentations de Nolter. Comme FREAKS, MUTATIONS fait appel à de véritables phénomènes humains, les résultats ratés de Nolter, grotesques préfigurations des avatars du transgénisme, étant présentés parmi d'autres "aberrations de la nature" dans le cirque de Lunch; cependant, contrairement au réalisateur Tod BROWNING qui voulait faire partager aux spectateurs son empathie pour les disgraciés, montrant leurs sentiment et leur fraternité, MUTATIONS les emploie de manière plus contestable, comme élément participant du climat d'étrangeté du film. Aussi, le spectateur assiste-t-il à leur défilé avec une certaine distance; plus poignant est le bref dévoilement de la victime méconnaissable de Nolter sous l'œil goguenard de quelques étudiants qui sont bien loin d'imaginer que ce qu'ils prennent pour un canular n'est autre que leur amie disparue pour laquelle ils se font tant de souci. Tandis qu'une jeune fille s'effeuille pour prendre son bain, son fiancé, cobaye malgrè lui des terribles errements du savant fou, s'effeuille pour de vrai en s'introduisant par la fenêtre de sa dulcinée, l'infortuné produit d'expérience ayant les bras recouverts d'un feuillage transgénique - créé par le maquilleur Charles E. PARKER, engagé d'ordinaire sur des films plus traditionnels; dans la grande tradition de FRANKENSTEIN, le monstre engendré par la vanité scientifique viendra finalement demander des comptes à son créateur. La réalisation n'est peut-être pas particulièrement remarquable mais le film baigne dans un climat de malaise persistant, agrémenté de quelques scènes fort angoissantes, comme la découverte sous un chapiteau par un étudiant soupçonneux du corps hideux et suffocant de la créature à l'agonie son ancienne condisciple, bientôt suivie d'une éprouvante poursuite nocturne dans le cirque désert.

Jack CARDIFF, directeur de la photographie reconnu, et aussi auteur d'un petit film d'épouvante empli de créatures effroyables.

(* l'éditeur français de la vidéo avait toutefois prévenu sur la jaquette en annonçant : illustration non contractuelle !.. )