samedi 14 septembre 2024

LE TOUT PREMIER PREDATEUR ?


Reconstitution d'un nouveau venu dans les annales de la paléontologie par l'artiste Joschua Knüppe.

        Le site Sirius Passet au Nord du Groenland est riche en fossiles du début de l’époque cambrienne, soit l’âge de la diversification des animaux multicellulaires, comprenant les ancêtres lointains des espèces actuelles, ainsi que des formes éteintes et parfois difficilement classables.

Diorama du musée de Copenhague créé par la Société danoise 10tons reconstituant une fraction de l'écosystème de Sirius Passet remontant à un peu plus de 500 millions d'années et comportant parmi des éponges des espèces qui ne sont apparentées que de très loin aux Mollusques et aux animaux à pattes articulées.

        Les premières créatures macroscopiques qui existaient à la fin du Précambrien, désignées sous le terme de faune édiacarienne et dont la nature animale est parfois contestée, étaient des formes de vie beaucoup plus passives, s’alimentant selon toute vraisemblance par filtration. Au Cambrien, comme l’ont en premier révélé les schistes de Burgess Shale en Colombie britannique qui comportent des spécimens très bien préservés au travers de coulées de boue pétrifiées y compris des animaux à corps mous, on trouve déjà une adaptation à tous les modes de vie incluant la prédation. Parmi ces carnivores figurent certainement des vers annelés de la classe des Polychètes, d’autres vers de types actuellement presque éteints comme les Priapuliens, et déjà des Trilobites, le groupe d’animaux à pattes articulées le plus abondant jusqu’à ce que ses ultimes représentants s’éteignent au terme de l’ère paléozoïque, lors de la plus grande vague d’extinction de tous les temps à la fin du Permien – certains pensent d’ailleurs avoir remonté jusqu’à un trilobite primordial au temps du Précambrien, Praecambrium, lequel permettrait d’élucider leur apparition.


            Qui était la première terreur des mers ?

            Après avoir compris que certaines pièces fossilifères éparses n’étaient que les fragments d’une seule créature, des paléontologues avaient reconstitué un animal de belle taille pour l’époque cambrienne, Anomalocaris, ainsi dénommé "étrange crevette" en latin, car sa paire d’appendices préhensiles avait été interprétée comme l’empreinte d’individus d’un genre de crustacé nageur. Avec ces deux attributs qu’on pourrait assimiler à des "pattes mâchoires" et sa bouche circulaire coupante, l’Anomalocaris est devenu populaire dans les émissions de vulgarisation et leurs reconstitutions en image de synthèse, le présentant non sans raison comme le premier super-prédateur de l’Histoire de la vie, dominant les fonds marins de Burgess Shale. Avec ses soixante centimètres de long, il devait être un géant à son époque.

Belle figurine japonaise représentant un Anomalocaris avec ses deux pattes mâchoires aux allures d'"étranges crevettes".

        De probables parents de l’Anomalocaris aux appendices impressionnants comme Kerygmachela avaient d’ailleurs été mis à jour précédemment dans les dépôts de Sirius Passet qui requièrent présentement notre attention. Un autre parent devant mesurer une cinquantaine de centimètres qui vivait il y a 508 millions d'années a été décrit en 2021, nommé Titanokorys gaines, dont le nom d'espèce rend hommage à un des co-découvreurs, le Professeur Robert Gaines du collège californien de Pomona. 


Détail du diorama de Sirius Passet réalisé par le Studio 10tons, montrant au dessus de plusieurs types d'éponges aux couleurs variées un représentant de Kerygmachela en train de nager et sur la photo du bas, gros plan sur le prédateur mettant en valeur ses mâchoires susceptibles d'en remontrer aux monstres extraterrestres des films de science-fiction.

          Une découverte au début de l’année 2024 sur le même site va probablement détrôner ce roi du début du Cambrien, tardivement reconnu et célébré par la science. Le nouveau venu qui lui dispute l’ancienneté du titre est certes d’une conformation moins élaborée ; par ailleurs, il pourrait à sa différence être toujours représenté de nos jours par des descendants, ces derniers exerçant leur prédation impitoyable à plus petite échelle.

        Dans un article récent portant sur des animaux de petite taille mais franchissant le cap du visible ont été évoquées certaines des lignées actuelles dont les premiers représentants étaient durant cette période plus grands avant que, notamment sous l’effet probable de la compétition de groupes dominants, ils ne réduisent notablement leurs dimensions de manière à s’adapter à de nouveaux milieux comme la vie entre les grains de sable (faune interstitielle) ou le milieu planctonique, et c’est dans cet environnement miniature qu’on pourrait identifier de possibles parents de l’équivalent écologique plus ancien de l’Anomalocaris.

          La désignation elle-même de cette découverte contribue aussi à rétrograder la vedette récente des débuts du Cambrien ; tandis que cette dernière conserve l’appellation d’"étrange crevette" en raison des circonstances tortueuses de son identification comme indiqué plus haut, son prédécesseur en prédation a été baptisé Timorebestia, signifiant rien moins que "la bête de terreur", ce qui en conviendra impressionne davantage d’emblée.

Un modèle reconstituant Timorbestia.

        Les caractéristiques de cet animal de 30 centimètres, incluant son anatomie interne bien préservée, et notamment son ganglion ventral typique, permettent de le rattacher à l’embranchement assez inclassable des Chétognathes ou "vers-flèches, ces petits prédateurs très efficaces du plancton, grands consommateurs de larves de poissons et autres crustacés. Il ne représente pas le seul exemple du groupe pour l’époque, puisqu’on peut le rapprocher de Capinatator, également trouvé dans les schistes de Burgess Shale, lequel possédait pas moins de 25 crochets buccaux de chaque côté, ne laissant guère augurer d’échappatoire pour ses proies. A ceux-là s’ajoutent deux autres genres probables du Cambrien inférieur trouvés en Chine, Eognathacantha et Protosagitta.


Amiskwia est un fossile problématique du Cambien, certains le rapprochent des Chétognathes ou "vers-flèches" comme Timorebestia en croyant identifier une mâchoire, d'autres le considèrent comme une sorte de ver plat, un Némertien pélagique dont la morphologie ne procède que d'une convergence d'adaptation à la nage, d'autant que le genre Nectonemertes possède également une nageoire caudale et une paire de tentacules céphaliques, d'autres encore le considèrent comme un type totalement éteint. Ces trois belles reconstitutions ont été réalisées par les Studios Chase, un petit hommage à été rendu sur ce site à leur créateur, Terry Chase récemment disparu, en annexe de l'article du 20 mai 2024.

        Les paléontologues tendent actuellement à créer le groupe des Anomalocarides ou Radiodontes pour y placer Anomalocaris et les formes analogues comme Kerygmachela et Titanokorys, en estimant qu’il représente une lignée éteinte parallèle mais apparentée aux Arthropodes à pattes articulées comme les abondants Trilobites contemporains de ceux-là. Ces deux embranchements sont d’après les registres fossiles apparus il y a un peu moins de 530 millions d’années. Les fossiles d’animaux qu’on suppose apparentés aux Chétognathes auraient été identifiés dans des roches plus anciennes remontant à 538 millions d’années.

Un "ver-flèche" actuel du genre Spadella

        La chronologie comme la logique évolutive conduisent donc à penser que des "vers-flêches" de taille respectable régnèrent sur les mers primitives dans les premiers temps de l’évolution animale, jusqu’à être finalement évincés par des créatures plus sophistiquées et puissantes que furent les Anomalocarides. Il est possible que la poursuite des recherches à Sirius Passet et les investigations toujours plus précises de nouvelles strates susceptibles d’avoir miraculeusement préservé les corps mous d’êtres très anciens comme à Chenjiang en Chine qui a aussi livré sa moisson d’Anomalocaris, permettent de préciser encore davantage l’évolution du début du foisonnement de la vie animale. Il est d’ailleurs fort possible que les tous premiers prédateurs aient été les animaux pluricellulaires les plus simples, de véritables vers plats carnivores à l’anatomie plus rudimentaire que celle des "vers-flèches", ainsi que des méduses, quoique les nombreuses traces circulaires fossiles du Précambrien attribuées à ces dernières au sein de la faune dite édiacarienne, de l’Australie à la Russie en passant par Terre-Neuve, font actuellement l’objet de réinterprétations en tant que disques de fixation d’organismes sessiles.

Un ver plat marin de l'ordre des Polyclades, du genre Prosthecereaeus ; le prochain candidat avec les méduses pour représenter le premier prédateur pluricellulaire de l'histoire de la vie sur Terre ?

                 

              Un homologue dans la culture populaire ?

            Les marques de figurines japonaises sont promptes, même si elles n’en ont pas le monopole, à proposer aux collectionneurs les reproductions d’espèces très anciennes récemment découvertes. On pourrait facilement penser qu’il en va de même pour Timorebestia à la vision d’un petit modèle correspondant assez fortement à ce nouveau fossile. Il n’en est cependant rien, car il s’agit en fait d’une créature mythique, également de fraîche date.

       Même s’il est possible que Timorebestia se rattache au groupe des Chétognathes, sa morphologie très simple évoque celle d’un ver plat marin de l’ordre des Polyclades, avec ses pourtours ondulants d’allure festonnée et ses deux tentacules céphaliques. Cette forme élémentaire trouve donc une correspondance au sein du folklore contemporain.

             La cryptozoologie, discipline s’attachant à l’identification d’espèces encore inconnues, suscite généralement l’incrédulité en l’absence d’éléments matériels susceptibles de prouver de manière incontestable l’existence d’êtres supposés comme le Yéti et le monstre du Loc Ness, tels qu’une dépouille ou des photos nettes, celles qui sont présentées étant toujours trop floues pour que les institutions scientifiques officielles les valident. Le paradoxe est que l’existence supposée de la créature dont il est ici question ne repose justement que sur des enregistrements visuels, l’être étant trop immatériel ou rapide pour que l’œil humain le perçoive, tandis que la photographie et la vidéo en fixent l’image, ce qui explique la mention récente du phénomène.

Une photo tirée d'un enregistrement d'une précision exceptionnelle censé prouver l'existence d'une créature aérienne à la membrane ondulante.

        L’entité, surnommée "poisson du ciel" ("skyfish" en anglais), évoque une préfiguration de notre Timorebestia. En réalité, la représentation retenue de ces formes énigmatiques relève d’une libre interprétation du phénomène, sur les images parfois nettes, l’entité se présente la plupart du temps comme une forme lumineuse droite au contour spiralé. Elle est censée constituer un représentant d’une forme de vie inconnue vivant dans le ciel, une créature essentiellement aérienne, la stratosphère étant selon cette vision envisagée comme un écosystème propre tel que dépeint par Conan Doyle dans sa nouvelle L’Horreur des altitudes – Maurice Renard place aussi dans les hautes couches du ciel des araignées prédatrices dans Le péril bleu. Ce sont sans doute les mystérieux Ethéraux du ciel martien, semblant constitués essentiellement de faisceaux d’énergie multicolores, que Rosny aîné évoque dans Les naufragés de l’infini qu’on peut considérer comme leur plus proche équivalent.

Une figurine dont le créateur s'est attaché à reproduire l'allure dynamique de l'être hypothétique lui permettant de se mouvoir dans les couches supérieures de l'atmosphère.

     Aussi intrigante que cette forme éthérée puisse paraître de prime emblée, il apparaît peu douteux qu’il puisse s’agir d’autre chose que d’un phénomène optique. L’hypothèse la plus vraisemblable en attribue la source à des poussières ou au vol d’un insecte dont les multiples et très rapides battements d’ailes renvoyant la lumière se décomposent en se démultipliant grâce à la réactivité du matériel photographique qui en restitue ainsi plusieurs enregistrements simultanés.


Autre figurine représentant le "poisson du ciel" ; une silhouette mythique curieusement familière.

        Nous avons fréquemment dans les évocations que propose ce site l’occasion de constater que des espèces véritables ont inspiré des êtres légendaires et continuent souvent à servir de référence pour l’élaboration des créatures de fiction. Pour ce qui est de Timorebestia, la créature imaginaire a cette fois précédé la mise à jour du véritable animal auquel elle ressemble. De futurs articles continueront à esquisser des rapprochements entre les êtres réels et les êtres de fiction, avec le projet d’intéresser le lecteur à ce stimulant et parfois inattendu mélange des genres.

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Il avait été l’ami du plus célèbre extraterrestre de la télévision

L'acteur Benjamin Gregory Hertzberg dit Benji Gregory à l'âge adulte. 

        L’acteur Benjamin Gregory Hertzberg a été retrouvé décédé en même temps que son chien dans sa voiture sur un parking de l’Arizona le 13 juin 2024, à l’âge de 46 ans, vraisemblablement victime de la canicule ; la famille n’a annoncé son décès que le 11 juillet suivant. Né le 26 mai 1978 dans une famille d’acteurs, il était surtout connu pour son rôle de petit garçon dans la série ALF (acronyme d’Alien Life Form), dont la vedette est un petit extraterrestre velu et facétieux recueilli dans un foyer d’Américains de la classe moyenne avec lequel l’enfant noue une vraie complicité. La série avait été créée par Paul Fusco, qui ne parvint pas à intéresser à son projet le créateur du Muppet Show, Jim Henson, qui le perçut sans doute comme un concurrent, avant de reconnaître la qualité de son programme et d’en devenir par la suite l’ami. Benji Gregory servit le rôle de Brian Tanner durant toute la série au cours d’une centaine d’épisodes. Il se montra finalement soulagé lorsque celle-là prit fin, car il ne souhaitait plus participer de manière suivie à des séries. Il figurait aussi occasionnellement dans un épisode de séries telles que L’agence tous risques (The A-Team), La Cinquième dimension (The New Twilight Zone) dans l’épisode Croyez-vous encore au Père Noël ? (Night of the Meek) et Histoires fantastiques (Amazing Stories) dans l’épisode Le messager d’Alamo (Alamo Jobe), une histoire de décalage temporel comportant aussi dans la distribution William Boyett auquel on a rendu hommage ici précédemment. 


Gregory Benji et son ami extraterrestre

        Max Wright, qui était apparu brièvement dans Le fléau (The Stand), mini-série d’après Stephen King, décédé le 26 juin 2019 et Ann Schedeen (vue dans le film Embryo) jouaient ses parents. Finalement victime d’un cancer après une première rémission, certaines sources indiquent qu'en dépit des addictions à l’alcool et à la drogue dans lesquelles il était tombé, le premier avait bénéficié du soutien de son épouse née Linda Ybarrondo jusqu’à la disparition de celle-ci. Quant à l’interprète d’Alf pour les plans généraux, c’était Mihály Mészáros, dit Michu, qui se glissait dans le costume et était crédité en tant qu’"assistant de Alf", sa disparition le 13 juin 2016 avait été signalée à l’occasion de l’entretien avec Mario Giguere du Club des monstres.

Max Wright composait le personnage du chef de famille avec un mélange d’autorité et de bienveillance envers le naufragé de l’espace, invité imprévu devenu un membre à part de la famille Tanner.


Max Wright portant un masque anti-infectieux dans une fiction plus dramatique, Le Fléau (The Stand), mini-série télévisée d'après l'œuvre de Stephen King.


La famille formée dans la série Alf a tant marqué les spectateurs que sur internet, la photo publicitaire de la distribution sans le personnage extraterrestre est parfois présentée comme étant celle de l'épouse de l'acteur Max Wright et de leurs deux enfants - il s'agit en réalité d'Ann Scheeden, d'Andrea Elson et de Benji Bregory, les co-vedettes de la série cohabitant avec l'être velu de la Planète Melmac.

    Un autre acteur vient de disparaître, l'Afro-américain James Earl Jones qui s'est éteint le 9 septembre 2024 à l'âge de 93 ans. Il était connu au travers de la version originelle de la trilogie de La guerre des étoiles (Star Wars) pour avoir avec sa voix grave et caverneuse doublé dans la version américaine David Prowse qui endossait le costume de Dark Vador (Darth Vader) et était aussi renommé auprès des amateurs de Fantastique pour avoir incarné l'odieux sorcier Thulsa Doom dans Conan le barbare (Conan the Barbarian) qu'affrontait le héros interprété par Arnold Schwarzenegger et qui se métamorphosait en serpent gigantesque. Il était aussi entre autres apparu dans le film d'espionnage Octobre rouge (The Hunt for Red October), le thriller médical L'ambulance (The Ambulance) cité dans l'hommage au réalisateur Larry Cohen en avril 2019 et avait tenu le rôle du responsable d'un groupe enlevant une adolescente piégée par une secte et s'attachant à rompre son conditionnement dans le téléfilm en deux parties Signs dans lequel jouaient aussi Donald Pleasance et David Warner mentionné dans le long hommage à ce dernier en août 2022.

Le démiurge maléfique Thulsa Doom incarné par James Earl Jones dans le film Conan le barbare (Conan the Barbarian) s'apprête à se muer en gigantesque boa grâce aux effets spéciaux du technicien britannique Colin Arthur remplaçant sa tête par une réplique réaliste.

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Vulgarisation et imaginaire ; ne manquez pas les anciens articles de créatures et imagination en consultant le sommaire. 

jeudi 4 juillet 2024

PRODUCTEUR PROLIXE ET PYGMALION

LE PLUS TALENTUEUX DES OPPORTUNISTES, seconde partie


        On propose à présent au lecteur de revenir au titre de l’hommage à Roger Corman sur la période durant laquelle cet homme de cinéma a délégué à d’autres la tâche de réaliser des films tout en demeurant très actif dans le domaine.

            Au début des années 1970, Roger Corman finit par se lasser de la charge que représentait la mise en scène qui astreint à donner corps à une histoire dans le cadre des délais de tournage réduits et du budget limité, en reconnaissant que cette tâche requérait beaucoup d’énergie dont il ne sentait plus capable à son âge. Il décida par conséquent de ne plus demeurer au premier plan de la fabrication d’un film et de se cantonner à la production, fonction qu’il considérait comme beaucoup plus plaisante, se sentant davantage à son aise en tant que coordinateur veillant sur les aspects financier et logistique pour rendre possible l’existence d’un projet, même s’il était habituel qu’il intervienne pour en modifier divers aspects.


         L’accusation de cynisme

     Se concentrant dorénavant sur cette fonction, Corman multiplia les petites productions, parfois quelque peu répétitives, avec sa société New World Pictures qui devint alors la compagnie de production indépendante la plus prospère après la faillite de celle de L’AIP de Samuel Z. Arkoff avec laquelle il s’était parfois associé. Certains critiques n’y décèlent que du cinéma d’abattage, jouant facilement sur le sensationnalisme pour attirer un public d’adolescents et de jeunes adultes. Roger Corman assumait cette position, estimant, de la même manière que la compagnie anglaise Hammer dans les décennies précédentes, qu’il était nécessaire pour faire affluer les spectateurs dans les salles obscures de leur proposer des émotions fortes qu’ils n’éprouveraient pas devant leur poste de télévision. Il insistait ainsi pour que ses productions comportent de la violence, des plans sanglants comme ses films de gangsters tel Big Mama, des scènes sexuelles, et des cascades sans omettre d’exploiter le sujet de la drogue populaire dans les années 1970. Les films de Roger Corman de l’époque n’hésitent ainsi pas à aligner des viols de femmes notamment en milieu carcéral, des vengeresses impitoyables et des poursuites échevelées en voiture. Le producteur rejoignait ainsi les analystes des films de la Hammer en estimant qu’une scène d’horreur peut faire ressentir une impression extrême qui se rapproche de l’émoi sexuel. 


Roger Corman fait une apparition dans le film de gangster Big Mama.

        Les autorités déplorèrent à ce sujet avoir affaire à de véritables "guerres des voitures sur les autoroutes" dont les conducteurs défiant la police s’inspiraient de ses productions comme Lâchez les bolides (Grand Theft Auto) et Eat my dust, ce à quoi Roger Corman réagit en opportuniste cynique, exigeant aussitôt un script supplémentaire pour exploiter le sujet. On peut aussi légitimement considérer que le film Cockfighter de Monte Hellman qu’il produisit en 1974, traitant des combats de coqs, repose sur de bas instincts pouvant heurter la sensibilité du public. La plupart de ces films tournés très rapidement furent étrillés par les critiques, mais beaucoup rentrèrent largement dans leurs frais, puisqu’ils allaient au-devant de la demande du public. Sur un mode moins dramatique, il exigea que le réalisateur retourne une scène de La galaxie de la terreur (Galaxy of Terror) dans laquelle une jeune astronaute blonde d’allure élancée trouve la mort auprès d’un asticot métamorphosé en énorme créature vermiforme gluante, demandant à ce qu’en lui passant dessus, le monstre lui fasse perdre la totalité de ses vêtements et ordonnant qu’on verse toujours plus de liquide glaireux sur son corps dénudé en escomptant qu’il s’agirait d’une scène particulièrement remarquée, et il est vrai que celle-ci est la plus souvent commentée.



Une astronaute victime de l'apparente lubricité d'une monstruosité vermiforme ainsi que du producteur dans  La galaxie de la terreur (Galaxy of Terror) - nota : les plans plus dénudés notamment visibles sur le site Imdb ne sont pas montrés ici afin de s'efforcer de conserver une teneur tout public à ce site.

        Par ailleurs, Roger Corman avait produit officieusement en 1958 pour l’AIP de Samuel Z. Arkoff le film The Brain Eaters de son collaborateur Bruno Ve Sota apparu dans plusieurs de ses films, lequel était une évidente adaptation du roman de Robert Heinlein Marionnettes humaines (Puppet Masters) de manière non autorisée, conduisant l’auteur à envisager une action en justice à laquelle il ne renonça qu’en raison de la pauvre distribution du film à l’échelle du territoire des États-Unis. On remarque au sein de la distribution Leonard Nimoy, promis à un bel avenir. Avec un même manque de scrupules fut ressorti en vidéocassette en 1989 le film La petite boutique des horreurs (The Little Shop of Horrors), la représentation du célèbre Jack Nicholson occupant toute la jaquette alors que l’acteur qui débutait sa carrière n’y fait qu’une brève apparition.



La brève apparition de Jack Nicholson en patient masochiste de dentiste dans La petite boutique des horreurs (The Little Shop of Horrors) et l'exploitation assez éhontée de son image pour la sortie du film en vidéocassette laissant croire qu'il est le principal protagoniste du film.

        En 1980, il avait accordé à son ancienne collaboratrice Barbara Peeters la possibilité de réaliser Les monstres de la mer (Humanoids from the Deep) ; bien que membre de la Guilde des réalisateurs, on ne confiait à celle-ci aucun film, et, se mettant en infraction avec son statut, elle accepta l’offre. Elle souhaitait réaliser un thriller écologique portant sur l’apparition de créatures marines monstrueuses supposées descendre de cœlacanthes contaminés par des saumons transgéniques. Mais le jour où, empreinte de fierté, elle assista à la projection du film en compagnie de l’actrice principale Ann Turkel et de journalistes féministes, les deux femmes en ressortirent consternées, ce qui avait été monté étant fort différent du résultat attendu et elles estimèrent que la version finale reposait sur une version dégradante de l’image des femmes. Corman avait en effet à l’issue du tournage demandé à son assistant Jimmy T. Murakami, appelé la même année à diriger Les mercenaires de l’espace (Battle beyond the Stars), de rajouter des scènes de nudité et d’horreur, notamment un gros plan sur une tête décapitée lors de l’assaut d’une fête par les monstres, finalement censurée mais réintroduite dans les copies destinées à l’étranger ainsi que des agressions de femmes évoquant des viols par le maquilleur Rob Bottin revêtu d’un de ses costumes de monstre pour des scènes auxquelles il se plia avec réticence, confiant que cela ne lui paraissait pas une manière très décente de gagner sa vie. La réalisatrice n’était absolument pas informée de ces ajouts, les scènes dénudées à connotation sexuelle contredisant tout particulièrement sa sensibilité féministe. Elle exigea de Roger Corman qu’il retire le film de l’affiche ou à défaut qu’il supprime son nom du générique, mais celui-là lui répondit alors qu’elle devrait payer pour la retouche du générique et le tirage de nouvelles copies, ce dont elle n’avait pas les moyens financiers. L'un des auteurs de l'histoire, Martin B. Cohen, prit le parti du producteur en affichant une lecture contraire du féminisme oublieuse de la vision de la cinéaste, faisant valoir que les femmes ne devraient pas se limiter à des films intimistes et sentimentaux, mais devraient également pouvoir réaliser des films d’action comme Apocalypse Now et assumer de diriger des films d’horreur. Profondément meurtrie, Barbara Peeters quitta le monde du cinéma pour se tourner un temps vers la réalisation d’épisodes télévisés avant de disparaître totalement de la profession.






Barbara Peeters qui se voyait un destin de cinéaste, à la fois protégée et victime du système Corman et en dessous, une affiche de son film éloignée du style qu'elle voulait lui conférer.

            Recyclages

          Roger Corman entreprit aussi de distribuer les films du monde entier. Dès les années 1960, il racheta des films russes qu’il américanisait souvent. En 1960, après avoir distribué Le géant de la steppe (The Sword and the DragonIlya Muronets en version originale d’après le nom du héros éponyme qui vainc les conquérants mongols et leur dragon tricéphale) d’Aleksander Putshko, il sortit un deuxième film du cinéaste, Le tour du monde de Sadko (Sadko) qu’il distribua en 1962 sous le titre de The Magic Voyage of Sinbad, estimant le héros oriental plus évocateur pour le public américain. Il demanda ainsi à son jeune assistant Francis Ford Coppola de changer les noms des personnages et des lieux en rapport, de retrancher les passages chantés et d’ajouter une touche d’humour. Le héros se lance à la recherche de l’oiseau du bonheur censé apporter le bien-être à son peuple, mais celui-là n’est capable par son chant que de plonger les sujets dans un sommeil faisant provisoirement oublier les soucis et, après avoir dénoncé la propension à la barbarie de certains humains, le film débouche sur une morale proche de celle du conte Candide de Voltaire incitant à « cultiver son jardin », en enjoignant à trouver consolation auprès des proches dans l’ environnement immédiat.

Les drakkars de Sadko trahissent l'origine septentrionale du récit que Roger Corman a présenté comme inspiré des Contes des 1001 nuits dans la perspective de toucher davantage l'imaginaire grand public des spectateurs américains. 

Sadko et son poisson miraculeux.

       Toujours en 1962, Corman proposa aussi aux spectateurs américains Battle Beyond the Sun, film russe de 1959 aux décors très réussis, mais au rythme lent, narrant la course entre les deux grandes puissances pour arriver en premier sur Mars. Roger Corman supprima de l’œuvre toutes les connotations anti-américaines et demanda à Francis Ford Coppola d’y ajouter une scène surréaliste prenant place lorsque des astronautes s’échouent sur un astéroïde. Celui-là y inclut un combat entre deux créatures extraterrestres titanesques d’allure fort pittoresque, à laquelle le jeune réalisateur s’efforça de conférer une connotation sexuelle. Le résultat plût tant à Roger Corman qu’il fit réaliser l’affiche du film en mettant en premier plan les monstres, celle-là convoquant ainsi l’imagerie spectaculaire et colorée des magazines de science-fiction populaires surnommés pulps.



L'affiche de la version retouchée de Battle beyond the Sun, et une des deux créatures extraterrestres mises en scène par Francis Ford Coppola.

         Roger Corman acquit aussi La planète des tempêtes (Planeta Bur) tournée en 1962 par le cinéaste et créateur d’effets spéciaux russe Pavel Klushantsev, contant l’exploration d’une planète Vénus peuplée de dinosaures et de plantes carnivores, à l’issue de laquelle un robot trouve une fin pathétique dans une coulée de lave, les scientifiques postulant dans la conclusion que cette planète a suivi une évolution similaire à celle de la Terre et laissant augurer une présence possible d’êtres humains. Corman fit tourner de nouvelles scènes prenant place dans la station spatiale en engageant les acteurs américains Basil Rathbone et Faith Domergue (Les Survivants de l’infini / This Island Earth) et diffusa le résultat en 1965 sous le titre Voyage sur la planète préhistorique (Voyage to the Prehistoric Planet). Il n’hésita pas à sortir une nouvelle mouture du film en 1968 sous le titre Voyage to the Planet of Prehistoric Women dans lequel il avait fait inclure des séquences mettant en scène des femmes amazones adorant un ptérodactyle, parmi lesquelles une vedette de l’époque Mamie Van Doren, laquelle avait déjà tourné dans un film qu’il avait coproduit, Navy versus Night Monsters montrant l’invasion d’une station scientifique d’Amérique du sud par des plantes carnivores dégagées de la glace en Antarctique, d’après un roman de Murray Leinster.


Les végétaux anthropophages de The Navy versus Night Monsters avec Mamie Van Doren.

Scène d'exploration de La Planète des tempêtes, avec son monde peuplé de plantes carnivores et de reptiles de l'ère mésozoïque, distribué par Roger Corman sous le titre Voyage to the Prehistoric Planet, puis ressortie en tant que Voyage to the Planet of Prehistoric Women avec Mamie Van Doren (au premier plan sur la photo du bas).

       La société New World Pictures fit aussi l’acquisition du film italien Le continent des hommes-poissons (L'isola degli uomini pesce) qu’il distribua d’abord sous le titre de Something waits in Dark, puis de Screamers avant de finalement retrouver une traduction de l'intitulé original, Island of the Fishmen, en en renforçant le potentiel horrifique au travers de plans sanglants ainsi que de trucages par le maquilleur Chris Walas et d’un nouveau costume de monstre utilisé en gros plan. Il retrancha de la version d’origine une vingtaine de minutes montrant les rites vaudous effectués par une prêtresse, fit tourner un prologue dans lequel deux chasseurs de trésor joués par les acteurs américains Mel Ferrer et Cameron Mitchell trouvent une mort sanglante et substitua à l’être hybride mi-homme mi-poisson à un stade encore inachevé reposant dans une cuve du laboratoire une création de Chris Walas à l’apparence gluante. Il fit aussi réaliser une affiche y faisant allusion en présentant un écorché avec la légende « dans ce film, vous verrez un homme sans dessus-dessous » pour conférer à cette aventure exotique inspirée de L’Île du Docteur Moreau une aura de film d’horreur effrayant. Jim Wynorski, qui souhaitait relancer la carrière du film après un premier échec, remonta plusieurs fois la bande-annonce et y ajouta une actrice s’enfuyant, une autre à la poitrine dénudée et un monstre supplémentaire incarné par le maquilleur Rob Bottin.

L'actrice Barbara Bach au côté des créatures transgéniques du Continent des hommes-poissons (L'isola degli uomini pesce), importé par la société de Corman sous les titres Something waits in the Dark, Screamers et Island of the Fishmen.

L'affiche du Continent des hommes-poissons sous le titre de Screamers, avec son écorché en vedette.

          Toujours désireux d’exploiter un fillon profitable, Roger Corman produisit par ailleurs les remakes de ses propres films et productionsLe masque de le mort rougePiranhasThe Wasp Woman avec un Daniel J. Traventi marquant dans le rôle du Professeur ZinthropLes monstres de la mer sous forme d'un téléfilm, La course à la mort et deux moutures de Not of this Earthle premier sous le titre du Vampire de l’espace ; l'intrigue de Dead Space est aussi fortement calquée sur Mutant (Forbidden World).


Jennifer Rubin reprend le rôle-titre de La femme-guêpe (The Wasp Woman) tandis que Daniel J. Travanti compose un Dr Zinthrop aux allure de Vincent Price.

Costume de Greg Aronowitz représentant la transformation complète de la Femme-guêpe du remake de The Wasp Woman, avec des effets spéciaux plus ambitieux que ceux de l'original.

                  Un distributeur éclectique

          En dépit de son souci constant de rentabilité assumé, Roger Corman n’hésitant pas à se déclarer « 40% auteur, 60% homme d'affaires », le personnage était est un authentique cinéphile qui n’hésita pas à diffuser sur le sol américain des films d’auteurs pour public élitiste comme Le Septième Sceau (The Seventh Seal) du Suédois Ingmar Bergman, film sombre et allégorique avec la Mort incarnée disputant une partie d’échecs avec un chevalier du Moyen-âge, La vie d’Adèle H de François Truffaut, Fitzcarraldo de Roman Herzog, Le Tambour (Tin Drum) de Volker Schlöndorf, Amarcord de Frederico Fellini ou encore Derzu Usala du réalisateur japonais renommé Akiro Kurosawa. Il distribua aussi le dessin animé français La planète sauvage de René Laloux, basé sur le roman de Stefan Wul Oms en série, contant la rébellion d’humains contre de gigantesques extraterrestres humanoïdes qui leur refusent le statut d’être intelligents, ainsi que le second long métrage de David Cronenberg, Rage (Rabid) qui dépeint une épidémie vampirique.



Deux animaux extraterrestres bizarres basés sur des dessins de Roland Topor pour le dessin animé La Planète sauvage réalisé par René Laloux.

            Certaines de ces œuvres suscitèrent la controverse, tel le film suivant du cinéaste canadien, Chromosome 3 (The Brood), lequel pousse au paroxysme le thème des manifestations psychosomatiques. Le film fut jugé si choquant que la scène dans laquelle Nola Carveth (Samantha Eggar) lèche pour le nettoyer à la manière d’une femelle animale le rejeton issu de son corps par un phénomène anormal de procréation fut retranchée des versions anglaise et américaine. La coupure rendit cependant le film encore plus effroyable, car le passage sans explication au plan suivant montrant la génitrice avec sa bouche ensanglantée laissa à penser qu'elle avait mangé le fœtus, le réalisateur s'offusquant que cet acte d'anthropophagie apparent suggère une horreur excédant largement ce qu'il voulait montrer. Nonobstant cette altération et l'incompréhension qu'elle suscita chez les spectateurs, et en dépit de la quasi-unanimité des critiques indignés par ce qui leur parut un déballage répugnant, le film rencontra un grand succès commercial, s'avérant le second plus rentable de ceux distribués par New World Pictures en 1979. Corman manqua l'occasion de produire le film suivant de Cronenberg, puisqu'il rejeta le script de Telepathy 2000 que le réalisateur tourna finalement sous le titre de Scanners, se contentant donc également de le distribuer.




La scène censurée par les Anglo-saxons de Chromosome 3 (The Brood) dans laquelle Nola Carveth (Samantha Eggar) extrait d'une protubérance un fœtus conçu sans fécondation, et le lèche pour le débarrasser du sang qui le recouvre, dans une version de l'amour maternel qui horrifie son mari venu rechercher sa petite fille.

A plusieurs reprises, Roger Corman a laissé échapper de belles occasions, comme le film suivant de David Cronenberg, Scanners, dont le scénario ne le convainquit pas et qu'il dût finalement se contenter de distribuer.

                   Un film de Larry Cohen, Meutres sous contrôle (Gold told to me) de 1976, fit également scandale, avec son messie d’origine partiellement extraterrestre incitant à commettre des meurtres. Il fut en effet jugé blasphématoire par le rapprochement qu’il suggérait de la religion avec le fanatisme, alors que le personnage joué par Richard Lynch évoque bien davantage le fondateur d’une secte que la figure de Jésus – le film préfigure le suicide collectif de la secte Guyana ordonnée par le Révérend Jim Jones deux ans plus tard. L’acteur principal Tony Lo Bianco, qui interprète l’enquêteur de la police, a même poursuivi en justice le réalisateur, estimant le film à la fois très mauvais et déshonorant. La polémique ainsi qu’un nombre d’entrées très décevant incita Corman à ressortir le film un an plus tard en le retitrant Demon, ce qui clarifiait le sujet et annonçait la nature maléfique du sinistre personnage, mais le succès commercial ne fut pas davantage au rendez-vous.




Un gourou exalté et psychopathe, Bernard Philipps joué par l'inquiétant Richard Lynch dans Meurtres sous contrôle (God told to me).

Le Lieutenant de police Peter J. Nicholas est effaré d'apprendre que le dément est son demi-frère et qu'ils ont tous deux des origines partiellement extraterrestres ; l'acteur Tony Lo Bianco qui l'incarne vient juste de disparaître ce 11 juin 2024 à l'âge de 87 ans.

                  Un producteur toujours prêt de ses sous

            Roger Corman produisit La course à la mort de l’An 2000 (Death Race 2000) réalisé par Paul Bartel d’après un sujet du scénariste Ib Melchior, une fable politique assez plaisante sur un divertissement cruel censé canaliser les foules, face à une farouche partisane de la République, descendante du révolutionnaire Thomas Payne, incarnée par Harriet Medin, drapée dans une dignité outragée, qui fait irrésistiblement penser à la personnalité française Marie-France Garaud, vibrante partisane du gaullisme qui vient de disparaître – pour l’anecdote, le régime dictatorial est dit avoir été édifié après « une guerre contre les Français ». Roger Corman a engagé dans le rôle principal du pilote Frankenstein aux cicatrices factices David Carradine, car Peter Fonda d’abord contacté refusa de tourner durant ses vacances d’été. Carradine est l’un des deux seuls acteurs auxquels Corman a dû concéder un pourcentage sur les recettes, ce qui contraria beaucoup le producteur bien que l'acteur tenta en vain de le réconforter en lui faisant valoir que s’il touchait 30 000 dollars sur la base de ses 10%, cela signifierait que lui-même en recevrait 300 000. Lorsque Sylvester Stallone qui incarne Joe Viterbo, un rival de Frankenstein, arborant d’ailleurs déjà le chapeau qu’il porte dans Rocky, devint célèbre, Roger Corman s’empressa naturellement de ressortir le film pour exploiter la notoriété nouvelle de l'acteur. David Carradine fut aussi embauché sur le film d’heroic-fantasy The Sorceress à la place de Chuck Norris initialement pressenti.





La course à la mort de l'an 2000 (Death Race 2000) avec en vedette David Carradine dans le rôle du pilote Frankenstein aux fausses cicatrices, Sylvester Stallone dans celui d'un de ses principaux concurrents, Joe Viterbo, un présentateur extatique qui évoque les histrions joués par l'acteur français Christian Clavier et l'opposante qui émet des émissions depuis une station clandestine, Thomasina Payne jouée par Harriet Medin.

        Le producteur était toujours résolu à profiter des modes pour sortir des succédanés plus modestes des grands succès en escomptant en recueillir une petite part. Il mit en chantier Piranhas, une coproduction destinée à profiter de la future sortie des Dents de la mer 2 (Jaws 2), ce que perçut le Studio Universal qui envisagea une action en justice à l’encontre de ce qui fut estimé comme du parasitisme, avant que Steven Spielberg ne signifie son opposition en assurant que ce projet ne nuirait pas à la suite. Roger Corman s’autorisa à retrancher 20 000 dollars du budget du film, qui passa ainsi de 970 000 à 770 000 dollars. Faute de moyens, l’équipe du film dut renoncer à utiliser l'animation image par image, et simula à défaut le mouvement des poissons fixés au bout d'une tige en déplaçant la caméra devant les modèles.




Piranhas : poster, l'attaque d'un des poissons carnivores, Kevin McCarthy dans le rôle du repentant généticien le Docteur Hoak et une créature hybride errant dans le laboratoire, seule utilisation de la technique d'animation image par image.

            Piranhas ayant représenté la plus rentable des productions New World, Roger Corman lança un autre film reposant sur un poisson anthropophage, Up from the Depths. Mécontent du scénario, il ordonna qu’on congédie son auteur, mais il n’en fut pas tenu compte et c’est donc la même plume inexpérimentée qui se chargea de réviser son script. Le tournage aux Philippines fut un fiasco, les costumes de plongée étant trop légers pour permettre aux interprètes d’atteindre le fond et la créature, bien que réalisée par de futures gloires des effets spéciaux, le maquilleur Chris Walas et son le spécialiste des effets mécaniques Robert Short, s’avéra incapable d’effectuer le moindre mouvement. Roger Corman réduisit la longueur du film de moitié. L’œuvre évita l’échec commercial, bien que les critiques la jugèrent unanimement ennuyeuse, dépourvue de relief comme d’action.


        Corman persista dans cette lignée avec un Piranhas 2, les tueurs volants (Piranhas 2 : the Spawning) réalisé en Italie en 1981 par James Cameron dont c’était la première mise en scène. Les redoutables poissons amazoniens avaient été cette fois pourvus par les généticiens de nageoires en forme d’ailes propres aux poissons volants, lesquels s’en prennent lors d’une soirée de dégustation de poissons à des plaisanciers dépeints avec quelque ironie. Les effets spéciaux de Giannetto de Rossi sont convaincants, bien qu’on n’y voit plus souvent des effets sanglants que les fulgurants poissons eux-mêmes, et l’affiche est d’une grande qualité plastique. Il est dit que Cameron, mécontent du montage effectué par le producteur exécutif Ovidio G. Assonitis qui l’avait évincé, serait retourné en Italie où il aurait retouché en catimini le découpage du film afin qu’il corresponde à sa vision. Il produisit aussi un pastiche des Gremlins de son ancien protégé Joe Dante avec Munchies.


L'affiche de Piranhas 2 : les tueurs volants (Piranhas 2 : The Spawing).

Un des petits monstres de The Munchies.

            De la même manière, Corman produisit The Bees portant sur de véritables attaques d'abeilles sauvages africaines importées par des apiculteurs pour profiter de la grande production L’inévitable catastrophe (The Swarm) d'Irwin Allen, mais les deux films furent de cuisants échecs commerciaux, Corman perdant 13 millions de dollars. L'auteur de l'histoire, Jack Hill, devait diriger le film au Mexique, mais il fut évincé par le producteur local Alfredo Zacharias.

            Corman eut davantage de chance avec Star Crash. Un producteur italien avait répondu à Luigi Cozzi qui proposait un sujet sur une croisière accidentée dans les anneaux de Saturne qu'il devrait plutôt faire un succédané de La Guerre des étoiles (Star Wars). Le film ne devant pas être distribué en Italie avant environ six mois, Cozzi parvint néanmoins à se procurer la novélisation et proposa un scénario approchant. Néanmoins, au vu du résultat final, le producteur décida de ne pas distribuer le film. Roger Corman en fit l'acquisition et Star Crash mettant en vedette Caroline Munro obtint un certain succès commercial.

            Le producteur a par contre laissé échappé un des plus grands succès de l’époque. Après deux premiers refus de la Twenty Century Fox, le scénariste Dan O’Bannon avait avec son associé Ronald Shusett proposé à Roger Corman le scénario dStar Beast que le premier voulait lui-même adapter à l’écran, et le producteur avait donné son accord, mais le contrat qu’il leur proposait exigeait que ceux-là financent une partie du budget fixé à 700 000 dollars, aussi le projet ne se fit pas. Grâce à la société Brandywine qui parvint enfin à convaincre la Twenty Century Fox, l’histoire finit par voir le jour sous le titre d’Alien, avec un budget qui passa progressivement d’un million à 10 millions de dollars. À défaut, Corman produisit ultérieurement La galaxie de la terreur (Galaxy oTerror), en espérant attirer dans les salles une fraction du public de Ridley Scott au travers de ce film d’épouvante spatiale qui n’est pas sans charme, de même qu’avec Mutant (Forbidden World) dans lequel une station spatiale est terrorisée par la créature à laquelle ont donné naissance par manipulations génétiques une équipe de chercheursLe producteur a d’ailleurs donné son aval au script d’Allan Holzmann qui souhaitait passer à la réalisation parce qu’il permettait de réutiliser un décor du film La galaxie de la terreur qui était encore en place, dans lequel l’aspirant metteur en scène tourna le prologue en recyclant également quelques plans d’explosion d’autres productions au vu du résultat qui enthousiasma Corman, le novice obtint son accord pour mettre en scène Mutant. Le décor modique de la station spatiale dans laquelle se déroule l’histoire reposait sur des emballages en polystyrène et des boîtes d’œufs, assemblés et repeints.



Dan O'Bannon, heureux que son scénario Star Beast proposé à Roger Corman soit finalement produit aux studios Shepperton par la Twenty Century Fox sous le titre d'Alien (en haut) ; en dessous, son croquis pour la pyramide extraterrestre comme celle qui apparaît dans le film La galaxie de la terreur (Galaxy of Terror) au côté du créateur d'effets spéciaux Robert Skotak (en bas).





Une partie non réalisée d'Alien reprise par Roger Corman à défaut d'avoir validé le projet d''O' Bannon ; dessin du storyboard d'Alien révisé par le crayon du réalisateur Ridley Scott, en haut, et en dessous, l'escalade de la pyramide dans La galaxie de la terreur (Galaxy of Terror) sous la conduite du Commandant Ilvar (Bernard Behrens).



Le décor du vaisseau de La Galaxie de la terreur (en haut, avec Ray Walston à gauche) est recyclé pour le prologue de Mutant (Forbidden World) en dessous, avec le pilote Mike Colby (Jesse Vint) appelé à intervenir sur la base scientifique de la Planète Xarbia où des généticiens ont hybridé un embryon humain avec un germe extraterrestre, en gestation dans un cocon après avoir fait sa première victime (photo du bas).


L'androïde SAM-104 au côté du monstre ayant atteint sa pleine taille et gros plan sur sa tête au-dessous, dont les bosses rappellent celle des premiers stades de développement de la tête chez les embryons de vertébrés.



Le Docteur Barbara Glaser (June Chadwick, vue dans la seconde saison de la série V) victime de la pointe caudale de la créature avec laquelle elle espérait pouvoir coexister, un emprunt manifeste à la scène d'Alien dans laquelle l'astronavigatrice Lambert (Veronica Cartwright) est visiblement empalé par l'appendice similaire du monstre extraterrestre - avec une connotation sexuelle puisque que son corps est retrouvé dénudé, même si le plan de l'extrémité du monstre extraterrestre devait à ce qu'il paraît initialement accompagné la mort de Brett (Harry Dean Stanton).

            Parmi tous les jeunes passionnés de cinéma gravitant autour de Roger Corman, Don Opper avait demandé à le rencontrer pour lui consacrer un sujet universitaire. Se liant avec Aaron Lipstadt originaire comme lui de Chicago, ils convinrent de réaliser un film ensemble et découvrirent en ces circonstances le scénario d’Androidportant sur des créateurs de robots d’aspect humain ignorant qu’ils en sont eux-mêmes – une idée qui fut aussi envisagée dans une ancienne version du scénario de Blade Runner, leur concepteur Tyrell devait se trouver dans un caisson cryogénisé tandis que la bio-ingénierie l’avait remplacé par un double parfait (voir dessin dans l’hommage à Joe Turkel qui l’interprète). Les deux passionnés en firent part à Corman en lui proposant de financer eux-mêmes la moitié du budget et celui-ci accepta en voyant l’intérêt de tourner dans les décors de Mutant qui étaient encore en place, et leur demandant d’en tirer le meilleur parti en les filmant avec recul et certains angles appropriés pour donner l’impression de davantage d’espace. Le producteur obtint aussi la participation de Klaus Kinski, aspirant sans doute à un rôle plus calme après avoir joué dans Fitzcarraldo d’Herzog – un film également distribué par la société de Roger Corman. Ce dernier avait une idée très arrêtée pour sa promotion, et le diffusa en tant que film d’aventures spatiales. La sortie fut un échec et Don Opper comprit qu’au vu de la part réduite d’action qu’il comportait, les spectateurs ne pouvaient qu’être déçus par le décalage d’avec la publicité. Il racheta alors les droits d’Android, la société New World Pictures se contentant de le distribuer, et avec un label plus approprié, le film reçut un accueil bien meilleur par la suite. Comme pour l’intrigue qui allait devenir Alien, le jugement du célèbre homme de cinéma avait occasionnellement été pris en défaut.


La révolte de Max 404 (Don Opper) dans Android contre le créateur comme dans Blade Runner, mais cette fois, l'ingénieur Daniel (Klaus Kinski) s'avère lui-même une création cybernétique.

                A l’approche de la vague de films de science-fiction sous-marins de la fin des années 1980, Corman est parvenu à sortir le modeste Lords of the Deep avant Abyss de James Cameron, qui narre aussi une rencontre sous l’océan avec des créatures extraterrestres ressemblant à des raies. Il a été dit que Corman aurait obtenu une copie du script de The Abyss et qu’il aurait alors produit le film en urgence pour profiter des retombées du succès attendu – en réalité, le scénario de Lords of the Deep avait été écrit dès 1982, même s’il paraît évident que l’effet d’aubaine a soudain conduit à le mettre en chantier. Roger Corman a par ailleurs été producteur exécutif sur House de Steve Miner, un excellent film horrifico-humoristique sur un écrivain hanté par ses souvenirs de la guerre du Vietnam et la disparition inexpliquée de son jeune fils, puis sur un autre de ses films, Warlock dans lequel Julian Sands incarne un sorcier diabolique traversant le temps – suite aux difficultés de l’époque de la société de Roger Corman, le film n’a été diffusé qu’en 1991 avec l’intervention de Brian Yuzna.


Rencontre sous-marine avec une raie extraterrestre dans Lords of Deep.


William Cobb (William Katt) confronté à d'incroyables manifestations surnaturelles dans House de Sean Cunningham.

Georges Wendt joue le voisin serviable de Roger Cobb auquel celui-là lui demande de tenir sa canne à pêche pour tenir le fil qui est tendu depuis le placard par une force surnaturelle dans la comédie horrifique House dont Roger Corman fut le producteur exécutif.

    Dans les années 1980 et 1990, Roger Corman produisit un certain nombre de productions de science-fiction de série B qui sans être majeures ou même toujours marquantes enrichissent l’offre pour les amateurs du genre, sont correctement filmées et montées et, en dépit de la modicité des budgets, parfois servies pas des acteurs bien connus comme Klaus Kinski dans Android en 1981 et Roddy McDowall dans Alien Intruder (Unknown Origin) en 1995. Les effets spéciaux y sont de grande qualité, un certain nombre ayant été conçus par le maquilleur attitré John Carl Buechler avant qu’il ne passe chez l’émule et concurrent Charles Band. L’artiste assura la responsabilité des dinosaures carnivores de taille moyenne de Carnosaur, le Deinonychus sculpté par Mike Jones et une version miniature du tyrannosaure par Jeff Farley, tandis que Kenneth J. Hall réalisait une version mécanisée grandeur nature de ce dernier tout à fait valable. Le producteur exigeait pour les films de science-fiction qu'il produisait des « monstres toujours plus grands que l’héroïne », contrairement à son émule Charles Band, mais il est vrai que ce dernier s’est en grande partie spécialisé dans les films parodiques.



Roddy McDowall figure à l'affiche d'Alien Intruder (Unknown Origin).


Ce film à petit budget qui dépeint l'attaque d'une station sous-marine par une forme de vie extraterrestre empreinte beaucoup à ses prestigieux modèles, avec son parasite tentaculaire qui passe d'un hôte à l'autre comme dans The Hidden (photo du haut) et l'ambiance de paranoïa qui s'empare de la station sous-marine dans une atmosphère qui rappelle celle de The Thing - il y a même un quasi-sosie du personnage de MacReady interprété par Kurt Russell dans ce dernier, à l'exception d'un crucifix en médaillon.

Kenneth J. Hall devant son modèle de tyrannosaure grandeur nature pour Carnosaur.

Roger Corman au côté de son jeune homologue Charles Band.

Roger Corman fait une apparition dans le film Body Bags de John Carpenter (évoqué dans l'hommage à l'acteur David Warner).

    Le producteur qui était fier de sa compagnie New World Pictures et s’était promis de ne pas la vendre céda finalement en 1983 à une proposition à laquelle il ne put résister, lui laissant le poste de consultant pour deux ans et s’engageant à distribuer les films qu’il produirait avec sa nouvelle société New Horizons. L’accord se termina cependant devant la justice, Corman estimant n’avoir pas reçu le pourcentage requis pour ses films, et les trois avocats qui avaient racheté sa compagnie affirmant qu’il avait de nouveau entrepris de distribuer ses films, créant une concurrence et une confusion préjudiciables. Il créa officiellement sa société de distribution Concorde en 1985.



Corman au siège de sa société New Horizons.

      Roger Corman revint finalement une ultime fois à la mise en scène avec La résurrection de Frankenstein (Frankenstein Unbounden 1990, qui orchestre une rencontre entre le Docteur Frankenstein inventé par Mary Shelley et un scientifique du futur mettant au point une nouvelle arme de destruction, interprété par John Hurt. Cette ultime réalisation qui confronte l’homme de science à sa responsabilité ne révolutionne pas l’histoire des adaptations du roman, mais bénéficie de l’interprétation du célèbre acteur britannique. La Créature exige du Docteur qu’il rende la vie à la fiancée du savant qu’il a tuée par vengeance pour qu’il lui crée une compagne, préfigurant sur ce point la version réalisée par Kenneth Branagh quatre ans plus tard, avec laquelle il a aussi en commun le ton de morale désabusée du dénouementEn dépit d’un accueil souvent très favorable des critiques, les résultats ont été si décevants que la Twenty Century Fox qui distribuait le film l’a rapidement retiré des salles de cinéma au profit d’une ressortie en vidéo, et de la même façon, Warner Bros qui devait se charger de son exploitation en Angleterre s’est rapidement désistée au profit d’une petite compagnie.


Corman avec John Hurt sur le tournage de Frankenstein Unbound.

Corman avait envisagé la vogue pour les super-héros avec Joan Severance incarnant le personnage éponyme de Black Scorpion dans une série faisant suite à deux téléfilms, mais celle-ci s’arrêta après 22 épisodes. Il produisit aussi une adaptation des 4 Fantastiques, qui demeura inédite.

    

 Corman sur Black Scorpion.

Dans sa dernière période, le roi de la débrouillardise de la série B finit malheureusement par tomber dans la facilité de l’imagerie virtuelle en produisant une pléthore de petits films de monstres en images de synthèse pour Sy-Fy Channel comme Sharktopus et Dinocroc vs Supergator. Cette fois, le tour de force procédant de l’ingéniosité laissait la place comme chez Lucas et Cameron à un fantastique dématérialisé.

  Néanmoins, Roger Corman, parfois surnommé le roi du cinéma fauché, fut fréquemment honoré à partir des années 1990. La vente des droits d’une partie de ses productions entraîna par contre une action en justice de deux fils qui désiraient les exploiter, et le père expliqua qu’il ne s’agissait que d’une partie des œuvres, certaines ayant fait l’objet d’un remake comportant le même titre.


Le livre autobiographique dans lequel Roger Corman se targue de sa réputation de gestionnaire intraitable dans les affaires.

            Un bon samaritain intéressé

 Au cours de sa carrière, Roger Corman aura combiné à la fois une approche artisanale du métier et une productivité industrielle. Il laisse un héritage varié et demeurera un personnage controversé. Certains le perçoivent comme un opportuniste très attaché à l’argent, payant les gens le moins possible sous le prétexte de leur permettre d’obtenir une première expérience dans le domaine cinématographique, et produisant à la chaîne des films s’appuyant sur les sentiments les plus bas convoquant la violence et la nudité comme ceux reposant sur des infirmières et des étudiantes tels que The Hot Box et Nurse Night Call. L’amateur de science-fiction aurait cependant tort de se priver des variations qu’il a rendues possible au fil de ces décennies.

Force est de constater que nombre de ses anciens collaborateurs sont à la fois reconnaissants pour les opportunités qu’il leur a offertes, leur permettant de débuter dans le métier en dépit souvent de leur absence d’expérience, mais considèrent conjointement qu’ils ont aussi été d’une certaine façon exploités par le producteur et que, tirant profit de ce premier viatique, ils se sont souvent empressés de chercher ailleurs des engagements mieux rémunérés.

Il n’empêche que pour beaucoup de ceux qui auraient rêvé de faire eux-mêmes du cinéma, à un poste ou un autre, Roger Corman demeure celui qui a donné leur chance à des jeunes de pouvoir concrétiser leur passion, et nombre de ceux qui travaillèrent pour lui à différents titres, de la conception artistique au montage des bande-annonces, ont pu diriger des films chez Corman ou même devenir ensuite des cinéastes reconnus. On peut notamment citer Francis Ford Coppola déjà évoqué, James Cameron qui a contribué à façonner les vaisseaux spatiaux et décors de La galaxie de la terreur avant d’opter finalement pour une science-fiction déréalisée oublieuse de son souci de réalisme précédent, Joe Dante qui appris le montage par son travail sur les bandes-annonces et a le projet depuis 2020 de lui consacrer un film, The Man with Kaleidoscope Eyes, Marin Scorcese ou encore Jonathan Demme qui lui fit faire une apparition dans Philadelphia et Le silence des agneaux (The Silence of the Lambs). La productrice Gale Ann Hurd (AliensTremors…) a affirmé qu’il est le seul producteur de sa connaissance qui souhaitait sincèrement que ses collaborateurs aient du succès, et même davantage encore que lui. Peut-être encore plus que ses films eux-mêmes, Roger Corman est une figure qui aura marqué le cinéma et dont beaucoup se souviendront avec sympathie.


Roger Corman avec le jeune Ron Howard, acteur de sitcoms auquel il offrit avec Lâchez les bolides (Grand Theft Auto) en 1977 la première possibilité de devenir réalisateur, débutant ainsi une carrière de cinéaste poursuivie avec SplashCocoonWillow ou encore Apollo 13). 

James Cameron (debout) et Robert Skotak sur la conception des effets spéciaux de La galaxie de la terreur (Galaxy of Terror).

Roger Corman avec le réalisateur Jonathan Demme qui lui a donné un rôle dans Le silence des agneaux (The Silence of the Lambs).

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Deux petites production de New World Pictures ont été évoquées précédemment :

http://creatures-imagination.blogspot.com/2011/10/une-etoile-dans-la-galaxie-de-la-serie.html

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Disparition de l'acteur Donald Sutherland 

Donald Sutherland dans le rôle d'un inspecteur de l'hygiène bientôt appelé à découvrir l'existence d'une plus grande menace visant les habitants de San Fancisco dans L'invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers) en 1978.

        On se doit ici de dire quelques mots d'un autre disparu, l'acteur canadien Donald Sutherland, le 20 juin 2024 à Miami à l'âge de 88 ans. Il avait déjà affronté victorieusement la mort à plusieurs reprises. Durant son enfance dans une ferme du New Brunswick au Canada, le futur acteur d'ascendance anglaise, écossaise et allemande avait souffert d'une fièvre rhumatismale touchant aussi bien les voies respiratoires que les articulations, d'une hépatite et d'une poliomyélite. En 1968, alors qu'il tournait en Yougoslavie De l'or pour les braves (Kelly's Heroes), il fut atteinte par une méningite de la moelle épinière qui le conduisait aux portes de la mort faute d'antibiotiques et tomba dans le coma durant lequel il dit avoir aperçu le tunnel bleu décrit par nombre de ceux qui ont vécu une expérience de mort approchée, comme y est confronté le personnage joué par son fils Kiefer Sutherland dans L'expérience interdite.

Donald Sutherland incarne le Sergent Dan Candy, un officier de la police de son pays dans Alien Thunder en 1974, une tragédie tirée d'une histoire vraie portant sur une poursuite opposant le représentant des autorités à un Indien Cree qui s'est rendu coupable de meurtre à l'encontre de son collègue, joué par Kevin McCarthy, un acteur qu'il recroisera quatre ans plus tard à l'occasion du remake de L'invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers), voir ci-dessous. 

        Inscrit à l'Académie de musique et d'art dramatique de Londres, le jeune Donald Sutherland commence à monter sur les planches. Vers le milieu de la décennie, il débute à l'écran dans des films et téléfilms anglais et on peut le voir dans des productions d'épouvante comportant Christopher Lee comme Le château des morts-vivants (Castle of the Living Dead) en 1964 et l'année suivante dans le film à sketchs Le train des épouvantes (Dr Terror's House of Horror) mise en scène par le directeur de la photographie de la Hammer, Freddie francis. Il tourne ensuite dans quelques épisodes de séries britanniques comme Le saint et Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers).  

Donald Sutherland dans l'épisode Le dernier des sept (The Superlative Seven) de la série Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers) ; l'acteur a dû avoir le même regard interloqué lorsqu'il a vu accidentellement dans sa loge l'actrice Tallulah Bankhead totalement dévêtue, dont c'était le dernier rôle, ce qui l'a amenée à cette réplique assez laconique : "Quel est ton souci, chéri ? Tu n'as jamais vu une blonde nue auparavant ?"

          Au cinéma, on le voit notamment dans Les douze salopards (The Dirty Dozen) en 1967, mais c'est surtout la série militaire humoristique MASH en 1970 qui le rend célèbre dans le rôle d'un capitaine sarcastique, un rôle qui convient bien à ses convictions pacifistes. Il milite ainsi contre l'engagement américain dans la guerre du Vietnam aux côtés de l'actrice Jane fonda avec laquelle il a eu liaison, puis plus tard contre la malencontreuse invasion de l'Irak qui plongea encore davantage le monde dans le chaos. Il avait aussi soutenu la candidature de Barack Obama, quoiqu'il ne pouvait lui-même voter, étant de nationalité canadienne et ayant par ailleurs résidé trop longtemps hors de son pays d'origine pour être davantage autorisé à y exercer le droit d'y exprimer un suffrage. Dans un des films antimilitaristes les plus éprouvants, Johnny s'en va en guerre (Johnny got his Gun) en 1971, il joue le Christ en personne rendant visite à un soldat aveugle et paralysé, une incarnation controversée puisque devant un tel malheur, le personnage divin finit par renoncer à lui porter secours. Parmi un très grand nombre de rôles souvent remarqués, il incarne un des bandits de La grande attaque du train d'or (The First Great Train Robbery) en 1978, un célèbre séducteur au teint blafard rattrapé par les ravages de l'âge dans le rôle-titre du Casanova de Fellini en 1978 ou encore en 1991 l'informateur dans JFK d'Oliver Stone alléguant l'existence d'un complot du lobby militaro-industriel derrière l'assassinat du Président John Kennedy. Il compose un personnage particulièrement odieux dans le rôle du directeur de prison Drumgoole dans Haute-sécurité (Lock out) en 1989, qui veut se venger avec une cruauté illimitée d'un détenu joué par Sylvester Stallone qui s'était évadé de l'ancienne prison qu'il dirigeait pour pouvoir assister à l'enterrement de son père en dépit de l'opposition du fonctionnaire, se jurant de le briser définitivement au travers d'un plan retors et machiavélique n'hésitant pas à trahir et sacrifier des vies dans ce but, glaçant au point d'apparaître encore plus inhumain que son sinistre homologue joué par Bob Gunton dans Les évadés (Shawshank Redemption).


Donald Sutherland en directeur de prison sadique et rancunier dans Lock Out et en indicateur dans JFK.

        Au premier plan de célèbres invasions extraterrestres

        L'acteur était aussi apparu dans quelques œuvres ayant trait à l'imaginaire qui lui valent d'être ici cité de droit. Il avait été en 1992 le prescripteur de la jeune chasseuse de vampire éponyme de Buffy, tueuse de vampires (Buffy, the Vampire Slayer) incarnée par Kirsty Swanson - l'amour impossible de Gary Hobson dans la série Demain à la Une (Early Edition) avant que Sarah Michael Gellar ne reprenne le rôle dans une série télévisée tandis que son mentor était joué par Anthony Stewart Head. Il avait joué en 1998 dans Virus réalisé par le créateur d'effets visuels John Bruno (Poltergeist) le Capitaine Robert Everton, dont l'équipage du navire était la proie de robots extraterrestres réalisant de macabres assemblages cybernétiques avec leurs victimes, à la manière des Borgs de la série Star Trek qui étaient apparus sur grand écran deux ans plus tôt dans Star Trek : First Contact.

          Comme l'actrice Julie Christie - qui tournera en 1977 dans Generation Proteus (Demon Seed), film dans lequel elle est littéralement violée par un ordinateur, Donald Sutherland avait donné son accord en 1975 pour figurer dans une nouvelle version de La Chose d'un autre monde (The Thing from another world), à une époque à laquelle l'idée de transcrire à l'écran une vision plus fidèle de la nouvelle originelle de John W. Campbell Who goes There ? commençait à cheminer dans les esprits, un retour à la paranoïa au centre de l'histoire dans laquelle un être extraterrestre infiltre une équipe de chercheurs au Pôle Sud. Le projet était à l'époque selon toute vraisemblance sous l'égide du producteur John Ptak, qui avait confié le sujet aux scénaristes Hal Barwood et Matthew Robbins, futurs auteurs du film Le Dragon du lac de feu (Dragonslayer), mais rien ne semblait réellement en voie de concrétisation. Stuart Cohen qui souhaitait depuis plusieurs années adapter lui aussi l'histoire en obtint les droits avec l'aide de la production Turman-Foster et des studios Universal.

        Si la candidature de Donald Sutherland pour ce qui devint The Thing de John Carpenter disparut du projet dès l'esquisse la plus lointaine de l'entreprise, c'est à l'occasion d'un autre remake d'un classique des années 1950 réalisé en 1978 par Philip Kaufman sous le titre L'invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers) que Donald Sutherland est cette fois devenu populaire auprès des amateurs de science-fiction. Dans le rôle de Matthew Bennell, il assure le rôle principal d'un inspecteur des services d'hygiène qui est amené à réaliser qu'une partie des habitants de New-York ont été remplacés par des copies végétales d'origine extraterrestre. Avec son regard bleu clair interrogatif, il traduit l'insolite de la situation, se faisant l'interprète du spectateur devant la révélation progressive de l'épouvante, qui culmine notamment lors d'une scène d'effets spéciaux impressionnante agencée par le maquilleur Tom Burman lorsque durant un moment de repos dans son jardin, il échappe de peu à son double qui s'est constitué pour le supplanter. Il croise aussi brièvement la vedette du film original tiré du roman de Jack Finney, incarnée par Kevin McCarthy (voir l'hommage qui lui fut consacré, "Le dernier être humain de Santa Mira"), dans un implicite passage de relai.

Donald Sutherland dans L'invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers), au sommet de la distribution qui comporte aussi Leonard Nimoy (Mr Spock de Star Trek), Jeff Goldblum (future vedette de La Mouche (The Fly), Jurassic Park et Independance Day, et Veronica Cartwright (Alien).

Un environnement végétal se révélant soudain moins apaisant.

Un double en formation issu d'une fleur géante se rapproche de Matthew Bennell endormi.

Donald Sutherland résume l'argument du film en posant assoupi à côté de son double presque achevé conçu par le studio Burman.

Matthew Bennell interpellé dans la rue par un homme effrayé qui tente d'avertir les automobilistes d'un terrible péril, son homonyme le Docteur Bennell joué par Kevin McCarthy dans le film originel de 1956 (*) - la situation clôturait d'ailleurs le film avant que les producteurs ne décident d'ajouter un épilogue pour rassurer les spectateurs quant à l'intervention des autorités.

Donald Sutherland et Kevin McCarthy posant ensemble durant le tournage.

Le personnage joué par Donald Sutherland vit au côté d'une amie interprétée par Brook Adams les mêmes étapes de descente dans l'épouvante que son prédécesseur joué par Kevin McCarthy.

        Donald Sutherland est à nouveau un des rôles de premier plan dans une autre film traitant d'infiltration extraterrestre et de paranoïa, également adapté d'un roman de science-fiction, celui-là de Robert Heinlein, Les marionnettes humaines (The Puppet Masters), sous le titre des Maîtres du monde (Robert Heinlein's Puppet Masters) réalisé par Stuart Orme en 1995, après une première adaptation non officielle, The Brain Eaters, citée plus haut dans l'hommage à Roger Corman. Donald Sutherland, au port impérial, y joue le chef des services secrets américains, Andrew Nivens, qui tente d'endiguer la mise sous coupe réglée des Etats-Unis par les manipulateurs qui contrôlent leur hôte en se fixant sur leur nuque. Afin de contrer leur entrisme, les agents finissent dans le roman par se dévêtir complètement pour démontrer qu'ils sont totalement exempts de parasite extraterrestre, une option que les studios Disney qui ont produit le film ont évidemment écartées d'emblée. Avec ses créatures très organiques créées par le studio de Greg Cannom, le film fut un des derniers succès populaire du cinéma de science-fiction à peu près exempt de trucages infographiques, ce qu'on salue particulièrement ici en complément de l'hommage à Donald Sutherland, un acteur de qualité qui a parfois servi quelques-uns des classiques qu'on affectionne ici.

Donald Sutherland dans Les maîtres du monde (Robert Heinlein's Puppet Masters).

Andrew Nivens et son assistante jouée par Julie Warner démasquent un des parasites qui contrairement à celui du roman démontre une belle capacité à fendre les airs.

*Voir l'hommage consacré à Kevin McCarthy, "La disparition du dernier être humain de Santa Mira" : 
https://creatures-imagination.blogspot.com/2010/10/disparition-du-dernier-etre-humain-de.html

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