jeudi 31 mars 2011

UN POINT DE VUE SUR LES CRÉATURES VIRTUELLES DÉSORMAIS PARTAGÉ

Version mécanique des créatures coureuses de TREMORS 2: AFTERSHOCKS; un bel exemple de modèle soigné laissant admirer toute sa matérialité, retranscription la plus réaliste possible d'une forme de vie étrangère.

Après avoir rendu hommage, dans l'article initial, au grand créateur de monstres de cinéma Stan WINSTON, ce site ne pouvait faire moins que de poursuivre sur sa lancée, en honorant ceux qui se sont ingéniés à concevoir des êtres imaginaires tangibles, alors que le rouleau compresseur de l'imagerie numérique s'acharne à ringardiser les effets spéciaux traditionnels.

L'actualité cinématographique a donné plusieurs occasions récentes de revenir sur le clivage entre effets spéciaux physiques et trucages numériques. Il faut dire qu'un film aussi médiatique qu'AVATAR est emblématique, par ce qu'il révèle de l'évolution de James CAMERON, qui s'était fait connaître par des films de science-fiction s'ancrant dans une réalité très physique, un univers à la technique d'une matérialité pesante et hyperréaliste, à l'opposé de l'animation virtuelle dont il est à présent le promoteur extatique. On ne peut d'ailleurs que se féliciter que le scénario d'AVATAR ait incité son metteur en scène à appuyer les combats pour la préservation de l'environnement - contre la destruction de la forêt amazonienne, mais il aurait peut-être été d'autant plus suivi par son public s'il avait orchestré la création de végétaux et animaux extraterrestres plus vrais que nature faisant toucher aux spectateurs la sensibilité du monde vivant sous toutes ses formes, plutôt que de le plonger dans une simulation purement immatérielle, se rapportant davantage à celle des jeux vidéos, qui amènent le joueur à se complaire dans une déréalisation où même la violence devient en quelque sorte abstraite. La vogue du tout-virtuel a dématérialisé le cinéma, tournant le dos à un certain réalisme fantastique. Les effets spéciaux traditionnels sont comparables aux tours de magie: lorsqu'ils sont bien réalisés, le spectateur se laisse tromper par ses sens, bien qu'il sache que ce qu'il voit n'est pas réel. Les réalisateurs actuels ne sont pas aussi exigeants que les illusionnistes, ne se souciant guère que les trucages, des abstractions numériques, paraissent intrinsèquement artificiels.

Il arrive cependant que certains arguments à l'encontre du virtuel soient un peu discutables. Ainsi, quelques esprits critiques, dans la lignée du glorieux animateur Ray HARRYHAUSEN, fondent leur nostalgie pour la méthode d'animation image par image traditionnelle sur l'idée que celle-ci s'inscrirait dans un style plus poétique, davantage approprié au caractère onirique du fantastique, que l'animation "lisse" du virtuel qui l'a supplanté, censée être plus "réaliste". On se permettra une divergence d'opinion avec le Maître de l'animation en considérant ici, au contraire - comme on l'a notamment évoqué dans l'article "Un hommage purement virtuel" de novembre 2009 - que l'animation très fluide et très rapide de créatures, comme dans certaines scènes d'ANACONDA et de ses succédanés, ne retranscrit guère les mouvements d'êtres réalistes mais s'apparente au contraire à celle ayant cours dans les dessins animés.

Un autre argument parfois entendu déplore que les acteurs ne soient pas en présence des créatures lors du tournage, ce qui nuirait à la conviction de leur jeu. Le propos ne manque pas de fondement, mais se doit, pour être exact, d'être quelque peu nuancé. Faire tourner, comme pour AVATAR, des acteurs dans un entrepôt vide dépourvu de décors est effectivement particulièrement désolant; il vaut bien mieux que l'interprète soit immergé dans le plan et que la photographie saisisse l'ensemble de la scène sous un même éclairage, conférant de l'harmonie à la séquence, plutôt que de se contenter de combiner des éléments hétérogènes au travers du mixage informatique, postérieurement au tournage. Néanmoins, la complexité de l'animation traditionnelle des créatures, pour ce qui les concerne, a pour conséquence que les acteurs ne sont pas toujours sur le plateau lorsque celles-ci sont filmées. Dans les œuvres cinématographiques de Ray HARRYHAUSEN évoquées ci-dessus, il n'y a la plupart du temps sur le tournage que l'animateur pour guider les interprètes, dans l'attente de l'insertion des plans avec la figurine animée, seule une fraction de la créature étant conçue grandeur nature pour les plans rapprochés. Même dans le cas bien différent d'un film comme THE THING de John CARPENTER comportant des monstres animés en temps réel et à la même échelle que les acteurs, le temps nécessaire à la mise en œuvre des effets spéciaux implique que beaucoup de plans soient réalisés postérieurement au tournage principal, parfois en présence de doublures des acteurs - plans de dos, notamment, par le directeur de l'équipe technique ( appelé réalisateur de la seconde équipe, dont la charge est justement de faire en sorte que leur style se combine parfaitement avec les séquences déjà tournées ); il en va ainsi des différentes manifestations de la Chose entrevues dans ce film durant la scène se déroulant dans le chenil. Aussi, particulièrement dans les films comportant des trucages, il n'est pas toujours possible de tout filmer en direct; l'art du cinéma, par l'habileté de ses auteurs et la latitude qu'offre le montage, consiste justement à donner une impression de continuité entre des plans différents, passant par exemple de décors grandeur nature à des maquettes filmées de manière à suggérer une échelle identique. Ce qui fait, en la matière, la différence essentielle entre tous les films de monstres classiques - y compris les films conçus par Ray HARRYHAUSEN - et les productions truffées de trucages numériques, est que, indépendamment de la technique utilisée pour donner vie aux créatures qui apparaissent dans les premiers, celles-ci sont des modèles concrets, revêtus d'une texture véritable mise en valeur par l'éclairage, et non de simples programmes informatiques - ce qui rend plus naturel le passage de la portion de monstre en grandeur réelle à la figurine de Ray HARRYHAUSEN que lorsqu'à cette dernière se substitue une simple animation graphique immatérielle; à l'inverse, on éprouve une certaine gêne à la vision des séries de Tim HAINES telles que SUR LA TERRE DES DINOSAURES ( WALKING WITH DINOSAURS ) en raison du contraste entre des gros plans sur des marionnettes très réalistes et des animations informatiques pour les plans larges.

Les miniatures de Ray HARRYHAUSEN ( en l'occurence, LE CHOC DES TITANS ); un monde à échelle réduite, mais non moins tangible.

Le spectateur est évidemment abusé par la diversité de l'image numérique. Dans un certain nombre de cas, notamment dans les téléfilms, les informaticiens créent de toute pièce un modèle qui ressemble bien à ce qu'il est : un genre de personnage dessiné, ce qui finalement n'est pas si novateur par rapport à un film comme PETER ET ELLIOTT LE DRAGON, combinant un garçonnet réel avec un personnage dessiné par les graphistes du studio Disney - rappelons qu'il existe aussi quelques plans avec ce procédé dans le classique de 1956 PLANÈTE INTERDITE (FORBIDDEN PLANET), lorsque l'entité invisible se laisse partiellement entrevoir. Dans nombre de films, le procédé est plus fallacieux; une figurine est réellement sculptée avec le plus grand soin, puis celle-la est scannée et animée par infographie, comme avec les créations numériques de Phil TIPPETT sur des films tels que COEUR DE DRAGON (DRAGONHEART) et STARSHIP TROOPERS, et il arrive même, dans le cas par exemple de LA FIN DES TEMPS, (END OF DAYS) qu'une scène avec des effets spéciaux mécaniques soit réellement filmée avant d'être retouchée informatiquement. Ce que le spectateur peu exigeant tient pour réaliste réside en fait dans ce qu'il subsiste de la maquette d'origine, scannée puis animée infographiquement.

Comme en bon nombre d'autres domaines, le cinéma virtuel donne lieu à un unanimisme exaspérant, et il semble bien souvent que tout esprit critique ait été banni, tandis que l'on moque tous les effets spéciaux réalisés par des procédés traditionnels. Comme souvent avec les phénomènes de mode, ce discours a quelque chose d'aussi factice que les images qu'il encense. En effet, les amateurs d'effets spéciaux traditionnels conçoivent une vraie admiration pour leurs créateurs, connaissant au moins les noms des plus connus comme Ray HARRYHAUSEN ou les maquilleurs Rick BAKER, Stan WINSTON et Rob BOTTIN. Bien peu de zélateurs du virtuel pourraient sans doute en revanche citer les noms des principaux créateurs d'effets numériques du cinéma hollywoodien au sein de studios comme ILM. Cette prétendue admiration ne va pas jusqu'à la reconnaissance des individualités, preuve peut-être que les spectateurs ne les perçoivent pas autant comme des artistes que leurs remarquables devanciers.

Par ailleurs, y-a-t-il beaucoup de spectateurs pouvant affirmer sincèrement avoir été émus ou terrifiés par une créature virtuelle de l'écran, comme les monstres physiques pouvaient effrayer ( la créature d'ALIEN, les métamorphoses de THE THING, les loups-garous de HURLEMENT ) ou attendrir ( E.T. L'EXTATERRESTRE ). Qui, passé l'effet de surprise, a sincèrement été terrifié par un monstre virtuel ? Quel être numérique peut saisir comme la Reine pondeuse d'ALIENS tournant sa tête à la recherche d'une proie ?

Certains commentateurs expriment parfois leur regret devant l'éviction des vrais effets spéciaux, comme on a pu parfois le lire sur le site du Club des monstres, mais "Créatures et imagination" a été parmi les premiers à prendre systématiquement leur parti.

On se doutait bien qu'en raison de l'importance que revêt l'imaginaire et la science-fiction chez nos amis anglo-saxons, il devait bien exister un courant de puristes attachés à l'utilisation d'effets spéciaux physiques.

Un blog, dénommé explicitement Death to CGI, c'est à dire "mort aux images de synthèse", (http://deathtocgi.blogspot.com) affirme son opposition frontale à ces effets spéciaux insubstanciels, avec un ton décidé et parfois caustique. L'auteur reproche notamment à la version numérisée des Muppets de procéder de la volonté de l'industrie du divertissement d' accoutumer insidieusement les plus jeunes à l'imagerie virtuelle - voir : http://deathtocgi.blogspot.com/2010/04/cgi-acceptance-indoctrination-of-young.html. On ne saurait trop conseiller aux lecteurs anglophones de se rendre sur les pages de cet estimable homologue.

Un Cylon de GALACTICA faisant la manche pour un emploi ( sa pancarte explique qu'il a été remplacé par l'imagerie virtuelle ); une plaisante illustration mise en valeur par le site "Death to CGI".

Les lecteurs de "Créatures et imagination, les êtres réels et les êtres imaginaires" se rendront aussi avec profit sur le site P.E.G. Practical Effects (www.facebook.com/group.php?gid=165380038268). Celui-ci présente un très grand nombre de photos, constamment alimentées par les internautes, relatives aux trucages traditionnels ( incluant les deux photos rares de THE THING mises en ligne par "Créatures et imagination", dont celle commentée par James CUMMINS - voir hommage qu'on a consacré à ce dernier ), qui furent repérées dans l'article "les derniers grands créateurs déclarent forfait", ou dans sa reprise par le Club des monstres de Mario. On retrouvera des vues similaires à celles exposées en ces pages sur le forum (http://www.facebook.com/topic.php?uid=165380038268&topic=14327). Un article rend aussi compte des désillusions du maquilleur Rick BAKER, dont on s'était ici fait l'écho dans un article ironique en avril 2010 ("N'en dégoûtez pas les autres, Monsieur BESSON") - à lire à la page : http://www.facebook.com/topic.php?uid=165380038268&topic=16182.

En France aussi, la nostalgie pour les trucages concrets se répand. L'auteur du site http://cinesfx.blogspot.com/ est détenteur d'une impressionnante collection d'ouvrages sur les effets spéciaux traditionnels, pour lesquels il affiche sa préférence exclusive; des photos intéressantes sont données en exemple. Voila qui est fort réjouissant, bien qu'un peu frustrant, nombre d'ouvrages étant à présent épuisés. A noter un petit article critique sur AVATAR à l'instar de celui lu en ces pages : http://cinesfx.blogspot.com/2009/12/avatartificiel-avatartificial.html.

Un ouvrage sur Carlo RAMBALDI, possession de l'auteur du blog Cinesfx.blogspot.com; l'heureux homme !

Voici par ailleurs quelques commentaires supplémentaires ( à la suite de ceux déjà reproduits dans l'article "Un hommage purement virtuel" de novembre 2009 ) émanant d'internautes anglo-saxons :
Le meilleur exemple est JURASSIC PARK. Le film tout entier aurait eu l'air ridicule avec des Dinosaures numériques dans les scènes rapprochées, comme celle incluant le Tricératops. Voir Laura DERN se lever et tomber aurait été lamentable, moins intime, avec l'utilisation d' images informatiques à la place de la version animatronique à la respiration spasmodique."


"Hollywood court maladivement après l'argent, de sorte que les responsables ressentent la nécessité d'en user pour le spectacle. Les trucages numériques ne sont pas nécessairement un mal absolu mais ils sont utilisés abusivement dans 90% des films. Si ceux-ci rapportent des bénéfices, les producteurs en créditent la quantité d'effets virtuels réalisés. C'est qu'ils ne se rendent pas compte qu'ils pourraient faire plus d'argent en en usant parcimonieusement. Considérez ainsi CONSTANTINE. L'enfer aurait paru réussi s'ils n'avaient pas utilisé excessivement cet effet de vent. Et le responsable des effets spéciaux se décerne un auto-satisfecit dans le supplément du DVD pour avoir si bien réussi ce trucage. Pas si bien que ça, en fait.

"Je viens juste de le revoir ( THE THING de John CARPENTER ) il y'a quelques nuits. CELA EST TOUJOURS UN SUMMUM, les gars! Je veux proclamer à tous à quel point les effets spéciaux sont TOUJOURS incroyables. La totalité de la scène de transformation de Vance (Norris) est une des meilleurs séquences d'effets spéciaux d'Hollywood. C'est intense et reste terrifiant jusqu'à ce que la tête soit détruite au lance-flamme. L'expression du visage tandis que la Chose est à l'extérieur de son corps, la manière dont la tête se traîne sous le bureau pour se dissimuler... Et il ne s'agit là que d'une scène. Comment pourraient-ils recréer quelque chose de comparable dans la préquelle* ? PAS d'IMAGES DE SYNTHESE!!!!Utilisez ce qu'a employé CARPENTER et restez classiques. Conservez l'aspect rugueux et brut. Naturellement, servez vous des techniques modernes, mais je veux savoir s'il y'aura du virtuel ou non. Rendez-nous Rick BAKER pour remplacer Stan WINSTON. CELA SUFFIRAIT LARGEMENT A M'ENTHOUSIASMER."

NB: Rappelons que si Stan WINSTON, disparu depuis ( voir l'article initial de ce blog ), a contribué aux trucages de THE THING, c'est toutefois Rob BOTTIN, à la tête d'une équipe de plusieurs dizaines de techniciens, qui a agencé la large majorité des métamorphoses du film ( voir article principal sur Rob BOTTIN, "Les derniers grands créateurs déclarent forfait" ) - ainsi que Roy ARBOGAST dans une certaine proportion . Une coopération entre Rick BAKER et Rob BOTTIN serait effectivement un choix pertinent pour la préquelle, mais leur participation conjointe à un projet est de toute manière d'autant plus hypothétique que les deux hommes se seraient brouillés depuis longtemps ( le second fut initialement l'apprenti du second ).

* Pour ceux qui en douteraient, voir le succédané de FACULTY avec la décapitation du personnage interprété par Famke JENSEN - on a par ailleurs déjà évoqué la préquelle de THE THING ("Retour annoncé de deux grands monstres", septembre 2009, ainsi que "La Chose se concrétise", septembre 2010).