lundi 21 décembre 2020

RICHARD CORBEN, L'ART POPULAIRE PAR EXCELLENCE


Peu après Ron Cobb (voir hommage précédent), c’est un autre nom célèbre du monde des illustrateurs américains qui s’est éteint, le 2 décembre 2020 des suites d’une opération du cœur à l’âge de 80 ans. À l’instar du réalisateur Stuart Gordon disparu il y a quelques mois qui avait adapté Howard Phillips Lovecraft de manière exubérante en y mêlant l’érotisme et le grotesque, notamment dans Re-animator et Aux portes de l’au-delà (From Beyond) même si sa troisième incursion dans l’univers de l’écrivain, Dagon, demeurait durant une majeure partie du film dans une sobriété imprégnée d’une sourde angoisse (voir l’hommage au cinéaste au mois d'aôut : https://creatures-imagination.blogspot.com/2020/08/cetait-un-des-maitres-de-lempire.html), Richard Corben a notamment livré des œuvres célèbres inspirées d’un autre auteur renommé contemporain de Lovecraft, Robert E Howard, en y associant son propre penchant pour une nudité assez crue, avec ses femmes aux seins opulents similaires à des globes et ses héros masculins au crâne souvent chauve, au corps musculeux et totalement glabre tel celui des culturistes et ne dissimulant pas leurs attributs virils (même si l’auteur a toujours récusé tout lien avec la pornographie, contrairement à Gillon qui était parfois audacieux en la matière). Le dessinateur avait lui-même pratiqué cet entraînement physique destiné à accroître de manière spectaculaire la masse musculaire avant d’en abandonner la pratique par manque de temps.

Né le 1er janvier 1940 dans le Missouri, Richard Corben avait fait des études d’art, après s'être initié en autodidacte, réalisant un court-métrage inspiré des douze travaux d'Hercule en utilisant la caméra Super 8 de son père. Débutant sa carrière dans le domaine de l’animation, il avait été le responsable de l’animation du film Siegfried saves Metropolis récompensé dans le cadre d’un concours organisé en 1964 par le magazine Famous Monsters, réalisé par Madonna Marchant qu’il épousa l’année suivante et qui demeura sa femme durant toute sa vie.

Son univers à la sauvagerie inhérente servait à Richard Corben à évoquer aussi bien le monde barbare antique fictif imaginé par l’auteur du personnage de Conan le Cimmérien que celui décadent d’un futur post-apocalyptique comme celui de Den, au service duquel il livra aussi les adaptations en bande dessinées d’Un garçon et son chien (Vic and Bloodd’après la vision très sombre d’Harlan Ellison. Les bandes dessinées de Richard Corben sont aussi caractérisées par des couleurs vives, outrées, presque baveuses, résultat obtenu au travers de la superposition de plusieurs films, même s’il arriva comme pour son album Bloodstar que l’auteur délègue à d’autres la colorisation.

En dépit de l’allure quelque peu paillarde de ses dessins, loin des canons habituels de l’art consacré par le bon goût, Richard Corben recherchait fréquemment son inspiration dans des sources littéraires, adaptant des œuvres d’Edgar Allan Poe, d’Edgar Rice Burroughs, de William Hope Hodgson et d’Howard Phillips Lovecraft. Il avait fondé sa société Fantagor pour éditer ses oeuvres, mais ses revenus étant insuffisants, il avait aussi loué ses talents à de plus grandes compagnies telles que Marvel, D C Comics et Dark Horse, livrant quelques histoires de super-héros et ayant aussi à l'occasion repris le personnage maudit et ombrageux créé par Bernie Wrightson de la Créature du marais (voir hommage consacré à ce dernier en mars 2017 : https://creatures-imagination.blogspot.com/2017/03/il-avait-imagine-la-creature-du-marais.html ).

Le sombre héros et son complice canin d'Un garçon et son chien (Vic and Blood). 

Deux évocations lointaines des dinosaures sauropodes, en haut, une créature qui s'apparente à ce qu'aurait pu être un reptile mammalien à long cou, en dessous, les rangées de petits yeux de ces monstres rosâtres conférent à leur extrémité antérieure un petit aspect de Némertien (vers rubannés, évoqués sommairement dans l'article de septembre 2008 : http://creatures-imagination.blogspot.com/2008/09/le-tentacule-dabyss-existe-reellement.html).







Quelques créatures façonnées par Richard Corben pour illustrer des récits littéraires : en haut, plantes carnivores vigoureuses pour la couverture du monde de la mort (Deathworldd'Harry Harrison et de la flore martienne apparaissant dans les aventures de John Carter sur Mars inventées par Edgard Rice Burroughs, en dessous, créatures porcines inquiétantes de l'adapatation en bande dessinée de La maison au bord du monde (The House on the Borderland) de William Hope Hodgson, et en bas la créature que son apparence molle ne rend pas moins terrifiante de la bande dessinée Bloodstar inspirée de La vallée du ver (Valley of the Worm) de Robert E Howard.

    
Cette créature de taille plus modeste mais à l'apparence tout aussi remarquable apparaît dans la saga Den.

Autoportrait de l'artiste

Ces éléments, les personnages au physique stéréotypé, la nudité, la cruauté qui transparaissait régulièrement au sein de ces aventures baroques, les couleurs plutôt criardes des planches, faisaient par excellence de Richard Corben un représentant de l’art populaire. Il était devenu la figure emblématique du magazine de bandes dessinées Métal Hurlant et de sa version américaine Heavy Metal et il avait contribué au dessin animé réalisé en 1981 sous forme de long métrage composé de plusieurs séquences inspirées par l’univers des auteurs de la revue.


Ce personnage humanoïde sur la couverture d'un numéro de la version américaine de Métal hurlant ne semble pas particulièrement intimidé par le discours féministe omniprésent.

Après avoir apporté sa contribution au long métrage d’animation Métal Hurlant en 1981, Richard Corben s’aventura en 1989 à réaliser son propre film, Dark Planet, directement pour le marché de la vidéo. L’auteur ne se plaindra pas du peu de notoriété de l’œuvre, convenant qu’elle n’était pas très concluante. Force est de constater que cette tentative expérimentale est loin d’être réussie, suite assez décousue alignant des séquences fastidieuses sans réellement de signification. Quant à la créature de l’affiche, animée image par image, la texture et la couleur terne d’argile qui sont conférées à ses formes molles ne lui donne pas d’autre allure que celle d’une figurine en glaise s’agitant vainement, loin du titan effrayant et inébranlable qu’elle est censée représenter. 


La créature de Dark Planet pour le poster du film et son apparition à l'écran en dessous.


Poster réalisé par Richard Corben pour le film de série B Spookies.

Le surréalisme assez outrancier de Richard Corben dont le penchant pour les femmes charnues le rapproche de Frazetta, illustre avec le style hyperréaliste de Paul Gillon ou le trait d’allure un peu fantaisiste et onirique de Moebius la variété de l’esthétique de la bande dessinée, au sein du du Panthéon du neuvième art dans lequel il demeurera sûrement.


Richard Corben s'était vu attribuer de nombreuses récompenses pour sa carrière artistique.


Site officiel : http://www.corbencomicart.com/

Site dédié très complet : https://muuta.net/wp/sitemap/

Pour les lecteurs qui voudraient tenter l'expérience de visionner Dark Planet :

https://www.youtube.com/watch?v=KkfoeGfS63A


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Ce serviteur de l'Empire se fiait à son Etoile noire


Dave Prowse sous l'armure impériale de Dark Vador

Le 28 novembre 2020 a disparu à l'âge de 85 ans un autre ancien adepte du culturisme. Né le 1er juillet 1935, l’acteur Dave Prowse a connu une fin de vie difficile, des problèmes d'arthrose lui ayant laissé les bras paralysés, il était également affecté par la maladie d'Alzheimer et avait eu le cancer de la prostate. Il assurait la vice-présidence d'une association pour l'insertion des handicapés. Un de ses trois enfants, Rachel, a indiqué qu'il avait succombé à la terrible épidémie du coronavirus chinois qui déferle depuis un an sur le monde. Il était surtout connu pour avoir endossé la costume de Dark Vador (Darth Vader en version originale) dans la saga de La Guerre des étoiles (Star Wars) créée par George Lucas, même si sa voix était doublée en version originale par l’acteur James Earl Jones (Thulsa Doom dans Conan le barbare de John Milius), et qu’il n’avait pas prêté ses traits au personnage démasqué à la fin du Retour du Jedi (Return of the Jedi), lequel avait été interprété par Sebastian Shaw. La frustration d'être ainsi limité dans son expression l'avait amené à critiquer George Lucas, lequel en rétorsion l'avait finalement interdit de toute participation aux manifestations officielles de la franchise. Il avait choisi ce rôle iconique de préférence à celui de Chewbacca, le comparse velu d’Han Solo, pour lequel Lucas avait à défaut engagé un infirmier en raison de sa grande taille, Peter Mayhew, disparu un peu plus tôt. Il avait aussi incarné, en 1971, le majordome à l’impressionnante musculature qui contraignait l’odieux Alex d’Orange mécanique (A clockwork Orange) dorénavant rendu inoffensif à déjeuner chez un écrivain dont il avait causé le décès de la femme, joué par Patrick McGee, alors qu’il commençait à réaliser chez qui il avait trouvé refuge, lequel, bien que libertaire, exerçait sur lui la plus machiavélique vengeance. Il avait aussi à deux reprises interprété pour la compagnie anglaise Hammer la Créature de Frankenstein, en 1971 dans Les Horreurs de Frankenstein (The Horror of Frankenstein) dans lequel il a le crâne rasé et en 1974 dans Frankenstein et le monstre de l’enfer (Frankenstein and the Monster from Hell), le dernier film de Terence Fisher dans lequel il joue Schneider, une brute simiesque que le baron Frankenstein incarné par Peter Cushing utilise comme cobaye de ses expérimentations démentes – les financiers avaient exigé qu’une figure monstrueuse figure dans le film, d’où les traits bestiaux et la pilosité hirsute dont fut gratifié le personnage. Parmi les autres apparitions de Dave Prowse figurent un minotaure dans la série Dr Who (The Time Monster) en 1971, un extraterrestre dans l’épisode The Beta Cloud de la série Cosmos 1999 (Space 1999) et le bourreau du Continent oublié (The People that Time forgot).

Dave Prowe dans le costume de l'hideux Schneider devenu le sujet des fort douteuses expériences du Docteur Frankenstein dans Frankenstein et le monstre de l’enfer, jouant de son physique imposant dans son incarnation tacite du domestique d'Orange mécanique et un autre rôle dans lequel il n'utilisait pas davantage sa voix mais qui lui a valu des admirateurs dans le monde entier pour s'être identifié au ténébreux Dark Vador maléfique de la trilogie originelle de La Guerre des étoiles.

Mentionnons aussi le décès subit le 9 novembre 2020 à Paris de Joseph Altairac, grande perte à la fois sur le plan intellectuel et humain. Après avoir écrit une biographie d'H.G. Wells en 1998 puis d'un autre auteur célèbre de science-fiction, A. E. Van Vogt, en 2000, ce passionné de Lovecraft avait en association avec Guy Costes livré en 2006 une somme sur les mondes imaginaires souterrains. Le duo s'était ensuite consacré dans le sillage de Pierre Versins à réaliser une encyclopédie recensant les oeuvres préfigurant la science-fiction dans la littérature francophone, "de Rabelais à Barjavel", Rétrofictions. En présentant son monumental ouvrage avec son co-auteur, il avait indiqué qu'il avait inclus au sein de cette proto-science-fiction Le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne parce qu'un Chinois y évoquait un genre de télévision, et Michel Strogoff du même auteur car on y trouvait un épisode de révolte des Tartares qui était fictif, ce qui le rapprochait de l'uchronie. Il avait par contre reconnu suite à ma demande de précision avoir ajouté Le passe-muraille de Marcel Aymé guidé par une certaine subjectivité, motivée par son intérêt pour la nouvelle bien qu'aucun élément explicatif de nature scientifique n'y figure effectivement. J'avais eu longuement le plaisir de discuter avec lui quatre ans plus tard, nous accordant notamment sur le paradoxe de l'origine de la science-fiction américaine qui s'est d'abord annoncée sous des atours fantaisistes mêlés de merveilleux avec un auteur comme E. R. Burroughs et son cycle de John Carter sur Mars, avant de s'ancrer davantage dans l'imaginaire scientifique à l'imitation des auteurs européens sous l'égide notamment de Jack Williamson. Personnage attachant trop tôt disparu, Joseph Altairac nous manquera. Sa disparition suit avec quelques mois celle de Jean-Pierre Moumon, un des fondateurs des conventions françaises de science-fiction, polyglotte et traducteur de romans de science-fiction scandinaves.

https://www.actusf.com/detail-d-un-article/joseph-altairac-nous-a-quitt%C3%A9s?fbclid=IwAR0m4ihva11LqJPu31hewVAOF6HJVS-URJzpvNSa3TUjPV2vqigRGvVn5DU

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/dmitry-glukhovsky-le-printemps-russe



Il y a exactement un an, le 26 décembre 2019, s'éteignait le producteur de cinéma David Foster qui, avec Laurence Turman et sa compagnie Turman-Foster, avait joué un rôle déterminant dans la production du film de science-fiction et d'épouvante The Thing puisque, grand admirateur de la novella de John W. Campbell, Who goes there ?, il avait soutenu l'initiative d'adaptation de son ami le producteur Stuart Cohen, à défaut de son autre proposition relative à une invasion d'insectes. Son rôle fut déterminant puisqu'il lui permet d'obtenir le soutien financier fort utile à un projet aussi ambitieux du Studio Universal au nom de son président Ned Tanen, même si ce dernier préfera initialement confier la mise en scène au réalisateur de Massacre à la tronçonneuse (Texas Chainsaw Massacre) qu'à John Carpenter proposé par Cohen, qui n'avait pas encore été consacré par le succès d'Halloween puis l'excellente réception d'Assault (Assault on Precinct 13en Europe. David Foster recommanda également à l'instar du créateur d'effets spéciaux mécaniques Roy Arbogast le choix de l' artiste Dale Kuipers avec lequel ils avaient travaillé sur la comédie préhistorique Caveman comme concepteur artistique pour imaginer la "Chose" mais un accident totalement inattendu eut pour effet de le faire quitter le projet comme évoqué en ces pages dans l'hommage qui lui a été rendu, ainsi que dans le grand dossier en trois parties consacré au film, sur lequel on aura à nouveau prochainement l'attention de revenir, à la fois sur la version de Kuipers puis sur la conception du film en général.

David Foster au milieu prête ses traits à un des infortunés Norvégiens fuhitivement entrevus dans The Thing, autour du bloc de glace contenant la découverte qui causera leur malheur.

    Il avait envisagé de produitre la suite, The Thing 2, qui aurait vu la Chose parvenir jusqu'à l'océan, s'emparant de manchots et d'un cachalot, comme illustré à la fin du troisième volet du long hommage consacré en ces pages au film de John Carpenter.

Un manchot encore plus effrayant que ceux des Montagnes hallucinées d'Howard Philip Lovecraft, dessin de John Jagusak d'après un scénario de Todd Robinson pour The Thing 2.


David Foster sur la production de Short Circuit avec la co-vedete Johnny 5, le robot sentimental.


Prenez soin de vous, on espère retrouver les lecteurs encore plus nombreux à la prochaine parution.



lundi 19 octobre 2020

LE PLUS BRILLANT DES INGENIEURS RATES

   

Certains dessinateurs venus du monde industriel ont apporté leurs compétences à l'univers de la science-fiction cinématographique, comme Syd Mead sur Star Trek-le-film, Blade Runner, Tron et Aliens et Ralph McQuarrie sur Galactica et la trilogie originale de La Guerre des étoiles (Star Wars). Le Suisse Hans Rudi Giger s'est quant à lui rapidement détourné du dessin industriel pour devenir un artiste-peintre, n'en conservant qu'une imprégnation pour les univers mécaniques, les textures métalliques et une stupéfiante utilisation de l'aérographe. Ron Cobb était lui un parfait autodidacte mais comme ses trois confrères, il a mis son sens visuel au service du cinéma de l'imaginaire, avec tant d'inspiration et de soin que ses œuvres conceptuelles d'un niveau tout aussi abouti ne laissaient en rien transparaître son absence de formation technique qui l'incitait à se présenter comme un "ingénieur raté".

Décédé le 20 septembre 2020 en Australie à l'âge de 83 ans des suites d'une maladie neuro-dégénérative, Ron Cobb appartenait sans contestation possible à cette catégorie d’artistes émérites ayant apporté leur créativité aux grandes épopées imaginaires de la période la plus brillante du cinéma hollywoodien.

Comme beaucoup d’autres, Ron Cobb développe en autodidacte son goût pour le dessin dans sa jeunesse, passionné par les bandes dessinées mettant en scène des créatures monstrueuses comme celles des E.C. Comics et par la perspective de l’exploration de la Planète Mars, mais il va le cultiver en le poussant à la perfection, développant un style reconnaissable même si certaines illustrations pouvaient quelquefois faire songer à d'autres réalisées par ses plus brillants collègues,  dans des illustrations d'une finition parfaitement achevée.


UNE CARRIERE DE DESSINATEUR SATIRIQUE DE LA "CONTRE-CULTURE"

A l'âge de 18 ans, il parvient à être engagé chez Walt Disney comme dessinateur d'appoint pour lier les séquences importantes des dessins animés et se trouve ensuite chargé en 1957 de la mise en forme préparatoire du scénario de La Belle au bois dormant - dernière production du studio dont les personnages furent encore peints à la main sur les transparents appelés celluloïdes.

Alors que son contrat chez Disney prend fin, Ron Cobb débute une prolifique carrière de dessinateur satirique portant ses convictions libertaires, pacifistes et écologistes, activité qui ne suffit cependant pas à assurer sa subsistance, ce qui le conduit à exercer conjointement différents métiers comme facteur, assembleur dans une entreprise de fabrication de portes ou encore assistant d’un peintre d’une agence de publicité.

Passionné par la technologie, le dessinateur n'en questionne pas moins les conséquences sur l'environnement, comme avec ses personnages tentant désespérement de brancher télévision ou ordinateur dans un paysage totalement ravagé suite à une guerre totale.          

En 1960, il est incorporé dans l’armée américaine et reçoit durant deux ans la mission de faire parvenir des documents confidentiels dans la région de San Fancisco. Il s’engage pour une année supplémentaire afin d’éviter d’être réquisitionné par l’infanterie et s’il est bien envoyé au Vietnam durant une année, c’est en tant que dessinateur affecté au sein du service de communication des armées.

De retour aux États-Unis, Ron Cobb renoue avec sa vocation de dessinateur satirique, alimentant des publications anticonformistes réputées comme le "Los Angeles Free Press", où il est particulièrement remarqué durant la décennie et la suivante. Il réalise aussi à l’occasion des couvertures pour le premier magazine consacré au cinéma fantastique, "Famous Monsters of Filmland" de Forrest J. Ackerman, en alternance avec le fameux peintre Basile Gogos qui représentait les monstres d’Universal avec la texture affinée de la peinture classique à l’huile. En dépit de cette réussite, l’artiste ne parvient pas à vivre de ses rémunérations d’un montant trop modeste, ce qui l’oblige toujours à occuper divers petits emplois.


Des couvertures très travaillées de Ron Cobb pour le magazine de Forrest J. Ackerman, mettant en valeur les films Frankenstein - en fait sa créature - meets the Wolfman et Invasion of the Saucermen.

A l'issue de deux années de dépression qui le rendent totalement improductif à la toute fin des années 1960, le destin lui sourit avec l'appel d'une Australienne qui veut le recruter en 1972 et qui porte le nom de famille prédestiné de Love, laquelle deviendra son épouse.

Faisant suite à un premier recueil de ses dessins de presse publié en 1967, deux nouveaux paraissent en 1974 et 1976, respectivement The Cobb Book et Cobb Again. En France sont même éditées des éditions traduites, Tous copains, tous Américains (My Fellow Americans) témoignant de son intérêt pour la politique, l’écologie et les évolutions technologiques, et en 1978 Le livre de Cobb.

De retour aux États-Unis en 1973 avec sa femme Robin Love qui lui donnera un fils, Nicky, Ron Cobb est amené à travailler comme artiste conceptuel sur des films fantastiques, souvent célèbres. Le premier auquel il apporte son concours est Dark Star, projet écrit par Dan O’Bannon que leur passion commune pour la science-fiction avait amené à rencontrer à l'université et réalisé par john Carpenter, s’apparentant à une comédie de science-fiction, qui aura l’honneur d’une sortie en salles. Il en dessine le vaisseau spatial profilé sur un nappe au cours d'une conversation O’Bannon et les effets spéciaux créés par ce dernier seront remarqués.

      La navette imaginée par Ron Cobb pour le film étudiant avec lequel Dan O'Bannon fit ses débuts.

Sur La Guerre des étoiles (Star Wars : A New Hope), il réalise certains dessins conceptuels, en complément de ceux de Ralph McQuarrie qui a défini l’univers du film avec ses superbes peintures ayant finalement permis à son promoteur George Lucas d’obtenir le financement du film (voir hommage). Avec son trait précis, Ron Cobb propose sa version de certains personnages, notamment un client extraterrestre du bar pour la séquence dite de la Cantina, une créature aux contours gracieux d’aspect végétal tout à fait marquante, bien qu’elle n’aura pas l’honneur d’être concrétisée à l’écran, la production estimant plus facile de concevoir des costumes pour des créatures humanoïdes à l’exception d’un modèle mécanique figurant une mante religieuse géante brièvement entrevue.

Une superbe peinture de Ron Cobb dans laquelle il donnait cours à son goût pour les sauriens, laquelle selon son collègue William Stout inspira à Georges Lucas l'idée de son scénario de La Guerre des étoiles (Star Wars : A New Hope).


Conception de l'extraterrestre dit "Hammerhead" de La Guerre des étoiles (Star Wars : A New Hope) ; en haut, et l'apparition du personnage dans la scène du film, au milieu ; en bas, l'être végétal non concrétisé qu'il a imaginé pour la même séquence.


L'HOMME QUI FAILLIT CREER LES DEUX PLUS CELEBRES EXTRATERRESTRES DU CINEMA

Ron Cobb retrouve Dan O’Bannon de Dark Star pour l’adaptation du scénario que celui-ci a imaginé suite à des problèmes de santé (voir l’hommage qui lui a été consacré ) sur un film majeur de la science-fiction horrifique, Alien. L’artiste peut être considéré comme l'un des deux principaux concepteurs de l’univers visuel de ce grand classique, étant donné que la production ne parvint pas à choisir entre toutes les versions extravagantes du vaisseau spatial des humains proposées par le brillant peintre Chris Foss. Les délais de tournage se rapprochant, il fut décidé que les esquisses de la ligne générale du navire effectuées par Ron Cobb pour l'aider à concevoir de manière fonctionnelle les intérieurs du Nostromo et de sa navette le Narcissus, seront retenues pour définir son apparence extérieure.

En haut, le scénariste Dan O'Bannon avec Ron Cobb, à droite sur la photo. En dessous, dessins conceptuels pour la navette; son poste de pilotage et l'approche de la planète qui rappelle les très belles peintures astronomique d'Adolf Schaller.

A l'inverse c'est le Français Jean Giraud dit Moebius (auquel un hommage à été rendu en ces pages) qui concevra finalement l'aspect final des scaphandres, de la même manière que la vision du peintre suisse Hans Rudi Giger (également disparu, voir l'hommage qui lui a été aussi consacré) engagé pour créer l'apparence des éléments extraterrestres du film sera également préférée à ses travaux en la matière. Il est vrai qu'en dépit de la qualité de ses propositions, le monstre adulte ne présentait pas cette forme profilée témoignant à la fois d'une agilité et d'une meurtrière efficacité lui permettant de frapper de manière fulgurante dans l'obscurité qui en feront une des créatures les plus iconiques du cinéma, ainsi naturellement que son allure biomécanique, quintessence de l’inspiration gigeresque, qui frappera les esprits. Dan O'Bannon précisera que les monstres de Ron Cobb semblait issus d'un zoo alors que ceux de Giger tenaient davantage du cauchemar. C’est cependant lui qui suggéra l’idée que l’organisme renferme un fluide acide, compromettant la lutte contre la menace extraterrestre. Creatures et imagination aura l'occasion de revenir prochainement un peu plus en détail sur les conceptions des créatures effectuées pour Alien par Ron Cobb.

Illustrations conceptuelles de Ron Cobb pour l'exploration de l'épave extraterrestre, de la pyramide qui figurait dans une scène retirée du scénario et la découverte de son pilote momifié. En dessous, le concept proposé par Ron Cobb pour le monstre extraterrestre. Bien que non retenu, il a connu une petite postérité tardive avec la commercialisation d'une figurine à son image pour les collectionneurs, bien qu'occulté par l'agile créature biomécanique inventé par le peintre suisse Hans Rudi Giger avec lequel il pose en bas lors d'une petute collation.

L’artiste apporte aussi son inspiration perfectionniste à un autre univers radicalement opposé au précédent, celui de l’heroic-fantasy pour l’ambitieuse transcription sur grand écran par John Millius du personnage inventé dans les années 1930 par le novelliste et romancier Robert E. Howard, le héros du film éponyme Conan le barbare, "guerrier des âges farouches", relatant la saga d’un petit voleur dont les parents ont été massacrés qui va s’endurcir et son aspiration à la vengeance qui va en faire un héros vengeur au travers de la mystique de l’épée, que le dessinateur a créée. Ron Cobb a aussi conçu avec beaucoup de précision les décors de ce monde antique, de la "Roue de la torture" sur laquelle Conan (Arnold Schwarzenegger pour son premier grand rôle) est supplicié au palais investi par la troupe de l’assassin de sa famille, le sorcier Thulsa Doom (James Earl Jones – la voix originale de Dark Vador dans la trilogie Star Wars originale) qui y manifeste son paganisme zoolâtre. Son style s’adapte remarquablement à cette nouvelle thématique, semblant presque préfigurer celui que déploiera Brian Froud pour Dark Crystal.

    

 

Conan sacré Roi sur le dessin préparatoire de Ron Cobb qui n'est pas loin du style de Mike Ploog, en haut, l'installation très détaillée pour la "Roue de la souffrance" où les esclaves sont soumis à un rude traitement en dessous, l'artiste en Italie auprès de l'équipe engagée par Dino de Laurentiis pour concrétiser sa vision du temple barbare de Thulsa Doom où prend place le dénouement baigné par la musique mystique de Basil Poledouris. Comme Ralp McQuarrie dans L'Empire contre-attaque, l'illustrateur fait une très courte apparition dans le film.


METTEUR EN SCENE POTENTIEL D’E.T. L’EXTRATERRESTRE

A cette époque à laquelle il était en Italie à l’œuvre sur Conan le barbare, Steven Spielberg qui l’avait contacté fut tant séduit par son sens visuel et la manière très concrète par laquelle il envisageait que son projet Nightskies qu’ils évoquaient fut mis en scène, jusqu’aux angles de prises de vue, qu’il lui demanda de mener à bien le film, inspiré comme Rencontres du 3ème type par un témoignage ufologique, en l’occurrence la séquestration d'une famille par des humanoïdes extraterrestres. D'abord réticent, le concepteur se laissa convaincre d’en accepter la responsabilité, mais finalement Spielberg changea son projet pour en faire une histoire plus intimiste et moins coûteuse puisque réduite à la présence d’une seule créature sous le nouveau titre de E. T, l'Extraterrestre, qu'il tint finalement à réaliser lui-même. Ron Cobb accepta sans difficulté ce revirement, mais son épouse découvrira qu'un dédommagement financier important avait été prévu par contrat par le cinéaste, une somme ponctuelle ainsi qu'un pourcent des recettes dans le cas où il ne serait finalement pas amené à le mettre en scène, et il obtiendra ainsi d'Universal une partie des mannes de ce succès auquel il n'a finalement pas réellement contribué.

Dessin conceptuel d'un extraterrestre de Nightskies que Ron Cobb devait mettre en scène, version plus sombre de Rencontres du 3ème type qui devint finalement E.T. L'Extraterrestre.

Illustration représentant un ornithoptère pour un autre projet non abouti, la première tentative d'adaptation du roman Dune de Frank Herbert par le réalisateur chilien Alejandro Jodorowski auquel Chris Foss Moebius et Giger devaient aussi contribuer et qui seront réunis pour Alien. Porté par sa vision mystique, le cinéaste n'était pas enthousiasmé par les créations de l'artiste qu'il estimait trop empreintes de fonctionnalisme.

Le dessinateur a apporté sa compétence réputée à bien des films connus, comme la conception du "Vaisseau-mère" pour l’édition spéciale (la ressortie) de Rencontres du 3ème type (Close Encounters of the Third Kind), l'avion expérimental nazi dans Les aventuriers de l’arche perdue (Raiders of the Lost Ark) et Retour vers le futur (Back to the Future), étant amené à affiner l’esthétique de la voiture de la marque DeLorean transportant ses protagonistes dans différentes époques. Il a aussi prêté son concours à des productions plus modestes comme Robojox dont il définit l’aspect visuel des machines humanoîdes titanesques de combat, Space Truckers dont il imagine les cargos de l'espace et Life on Edge/Meet the Hollowheads, la seule réalisation du célèbre maquilleur et concepteur d’effets spéciaux Tom Burman, comédie loufoque qui adapte le surréalisme poussé à l’absurde du monde moderne de Brazil de Terry Gilliam au cadre domestique dont il agence l’univers surréaliste d’avant-garde, une demeure totalement convertie à la bio-ingénierie permettant à ses occupants interprétés par John Glover et Juliette Lewis de pouvoir obtenir tout ce dont ils ont besoin grâce à des tuyaux semi-vivants et autres dispositifs qui parsèment les cloisons. Ron Cobb a aussi contribué à imaginer les vaisseaux spatiaux de The Last Starfighter, qui seront pour la première fois réalisés en images de synthèse, et façonnera les stations sous-marines de The Abyss et de Leviathan, ainsi que les éléments technologiques futuristes d’Aliens,Total Recall et A l'aube du sixième jour (The 6th Day) ainsi que du dessin animé Titan A.E. avec toujours ce même soin qui laissait accroire qu’il avait une formation d’architecte accompli bien qu’il déplorait être un ingénieur raté, manque de qualification professionnelle que ceux qui faisaient appel à ses services, admiratifs de son talent, n’ont jamais songé à lui reprocher.

Conception de la base des colons dans Aliens avec en arrière-fond le processeur ayant pour tâche de modifier l'atmosphère.

Extraterrestres qui, comme ceux de 2001, L'odyssée de l'espace et ceux assez proches de Ghosts of Mars, n'apparaitront pas dans le film Les aventuriers de la 4ème dimension (My Science Project).

Extraterrestres pour The Last Starfighter.

Vue arrière de la voiture de Retour vers le futur (Back to the Future) comportant à l'arrière le moteur à uranium alimentant le "convecteur temporel" inventé par le Docteur Emmett Brown qui lui permet de voyager d'une époque à l'autre.

Robots pour le film Robojox (évoqué dans l'article précédant rendant hommage au metteur en scène Stuart Gordon).

Bases sous-marines, celle d'Abyss (The Abyss) en haut, et Leviathan (les deux autres images).

Monstre vorace conçu par des savants fous dans une station sous-marine dans The Rift, évoqué dans l'hommage au réalisaeur Juan Piquer Simon.


Installations établies sur Mars pour Total Recall et leur réalisation sous forme de maquettes sur un vaste plateau.

Ville souterraine de Total Recall qui rappelle un peu la ville futuriste conçue par Syd Mead pour Blade Runner, la précédente adaptation à grand budget d'une histoire de l'écrivain Philip K. Dick.

Engin de forage de Total Recall.

Véhicule de transport et une station spatiale qui évoque le style de Moebius pour Space Truckers.

Concept de Ron Cobb pour un extraterrestre du film sud-africain District 9 en 2009 ; il lui sera préférée une conception nettement plus insectoïde qui sera pour la plupart des plans réalisée par infographie. Il a aussi oeuvré avec William Stout sur The Descendant, projet non abouti qui devait mettre en scène une créature cuirassée souterraine, préfiguration de Tremors.   

Un Vogon, caricature de burocrate pour une tentative non financée de 1982 d'adaptation sous forme de série télévisée du roman de Dougal Adams Le Guide du routard galactique (Hitch Hiker's Guide to the Galaxy). Une nouvelle adaptation vera finalement le jour, sous forme de long métrage pour le cinéma, le personnage sera aloprs créé par le studio Creature Shop fondé par Jim Henson. Il avait en 2012 apporté sa contribution à la conception visuelle de l'adaptation cinématographique d'un autre classique de l'imaginaire, John Carter on Mars d'Edgard Rice Burroughs.

Ron Cobb avait proposé à Warner Bros un scénario pour une comédie de science-fiction, Atoll, et avait en 1987 écrit avec son épouse scénariste celui de l’épisode Helter Shelker de La Cinquième dimension (nouvelle mouture de la série The Twilight Zone) s’inspirant du roman homonyme relatif à l’enquête consacrée aux assassinats planifiés par le tueur Charles Manson.

Surtout renommé pour ses illustrations empreintes de technologie futuriste,Ron Cobb avait imaginé l'aspect des deux créatures de l'espace les plus célèbres de l'histoire du cinéma, le monstre d'Alien et l'être qui allait devenir E. T. L'Extraterrestre, mais ses concepts ne furent pas retenus, tout comme la plus originale de ses propositions pour La guerre des étoiles.  Il avait aussi créé d’autres formes de vie extraterrestres fort originales indépendamment de ses engagements cinématographiques, reproduites ci-dessous.







Même s’il arrivait que le nom de Ron Cobb n’apparaisse pas toujours au générique, il a contribué de manière essentielle à définir l'univers visuel du cinéma de l'imaginaire à son apogée, son influence demeurera définitivement associée à certaines des plus belles pages de son histoire.


Site officiel : http://roncobb.net/

L'acteur Mark Hamill a rendu hommage à ce grand concepteur du cinéma de l'imaginaire : 
https://www.cinemablend.com/news/2555223/mark-hamill-pays-tribute-to-star-wars-designer-ron-cobb


Articles détaillés :
http://seri-z.blogspot.com/2014/11/ron-cobb-01-science-science-fiction.html
http://seri-z.blogspot.com/2014/12/ron-cobb-05-alien.html
http://seri-z.blogspot.com/2019/10/ron-cobb-aaarg-6.html

Articles détaillés pour Anglophones :
http://seri-z.blogspot.com/2020/06/ron-cobb-dan-obannon-intw-1979.html
https://alienseries.wordpress.com/2016/01/31/crew-logs-ron-cobb/

entretiens :
http://thebehindthescenes.blogspot.com/2012/01/ron-cobb-interview-designing-conan.html

Hommages précédents aux personnalités évoquées :