samedi 14 septembre 2024

LE TOUT PREMIER PREDATEUR ?


Reconstitution d'un nouveau venu dans les annales de la paléontologie par l'artiste Joschua Knüppe.

        Le site Sirius Passet au Nord du Groenland est riche en fossiles du début de l’époque cambrienne, soit l’âge de la diversification des animaux multicellulaires, comprenant les ancêtres lointains des espèces actuelles, ainsi que des formes éteintes et parfois difficilement classables.

Diorama du musée de Copenhague créé par la Société danoise 10tons reconstituant une fraction de l'écosystème de Sirius Passet remontant à un peu plus de 500 millions d'années et comportant parmi des éponges des espèces qui ne sont apparentées que de très loin aux Mollusques et aux animaux à pattes articulées.

        Les premières créatures macroscopiques qui existaient à la fin du Précambrien, désignées sous le terme de faune édiacarienne et dont la nature animale est parfois contestée, étaient des formes de vie beaucoup plus passives, s’alimentant selon toute vraisemblance par filtration. Au Cambrien, comme l’ont en premier révélé les schistes de Burgess Shale en Colombie britannique qui comportent des spécimens très bien préservés au travers de coulées de boue pétrifiées y compris des animaux à corps mous, on trouve déjà une adaptation à tous les modes de vie incluant la prédation. Parmi ces carnivores figurent certainement des vers annelés de la classe des Polychètes, d’autres vers de types actuellement presque éteints comme les Priapuliens, et déjà des Trilobites, le groupe d’animaux à pattes articulées le plus abondant jusqu’à ce que ses ultimes représentants s’éteignent au terme de l’ère paléozoïque, lors de la plus grande vague d’extinction de tous les temps à la fin du Permien – certains pensent d’ailleurs avoir remonté jusqu’à un trilobite primordial au temps du Précambrien, Praecambrium, lequel permettrait d’élucider leur apparition.


            Qui était la première terreur des mers ?

            Après avoir compris que certaines pièces fossilifères éparses n’étaient que les fragments d’une seule créature, des paléontologues avaient reconstitué un animal de belle taille pour l’époque cambrienne, Anomalocaris, ainsi dénommé "étrange crevette" en latin, car sa paire d’appendices préhensiles avait été interprétée comme l’empreinte d’individus d’un genre de crustacé nageur. Avec ces deux attributs qu’on pourrait assimiler à des "pattes mâchoires" et sa bouche circulaire coupante, l’Anomalocaris est devenu populaire dans les émissions de vulgarisation et leurs reconstitutions en image de synthèse, le présentant non sans raison comme le premier super-prédateur de l’Histoire de la vie, dominant les fonds marins de Burgess Shale. Avec ses soixante centimètres de long, il devait être un géant à son époque.

Belle figurine japonaise représentant un Anomalocaris avec ses deux pattes mâchoires aux allures d'"étranges crevettes".

        De probables parents de l’Anomalocaris aux appendices impressionnants comme Kerygmachela avaient d’ailleurs été mis à jour précédemment dans les dépôts de Sirius Passet qui requièrent présentement notre attention. Un autre parent devant mesurer une cinquantaine de centimètres qui vivait il y a 508 millions d'années a été décrit en 2021, nommé Titanokorys gaines, dont le nom d'espèce rend hommage à un des co-découvreurs, le Professeur Robert Gaines du collège californien de Pomona. 


Détail du diorama de Sirius Passet réalisé par le Studio 10tons, montrant au dessus de plusieurs types d'éponges aux couleurs variées un représentant de Kerygmachela en train de nager et sur la photo du bas, gros plan sur le prédateur mettant en valeur ses mâchoires susceptibles d'en remontrer aux monstres extraterrestres des films de science-fiction.

          Une découverte au début de l’année 2024 sur le même site va probablement détrôner ce roi du début du Cambrien, tardivement reconnu et célébré par la science. Le nouveau venu qui lui dispute l’ancienneté du titre est certes d’une conformation moins élaborée ; par ailleurs, il pourrait à sa différence être toujours représenté de nos jours par des descendants, ces derniers exerçant leur prédation impitoyable à plus petite échelle.

        Dans un article récent portant sur des animaux de petite taille mais franchissant le cap du visible ont été évoquées certaines des lignées actuelles dont les premiers représentants étaient durant cette période plus grands avant que, notamment sous l’effet probable de la compétition de groupes dominants, ils ne réduisent notablement leurs dimensions de manière à s’adapter à de nouveaux milieux comme la vie entre les grains de sable (faune interstitielle) ou le milieu planctonique, et c’est dans cet environnement miniature qu’on pourrait identifier de possibles parents de l’équivalent écologique plus ancien de l’Anomalocaris.

          La désignation elle-même de cette découverte contribue aussi à rétrograder la vedette récente des débuts du Cambrien ; tandis que cette dernière conserve l’appellation d’"étrange crevette" en raison des circonstances tortueuses de son identification comme indiqué plus haut, son prédécesseur en prédation a été baptisé Timorebestia, signifiant rien moins que "la bête de terreur", ce qui en conviendra impressionne davantage d’emblée.

Un modèle reconstituant Timorbestia.

        Les caractéristiques de cet animal de 30 centimètres, incluant son anatomie interne bien préservée, et notamment son ganglion ventral typique, permettent de le rattacher à l’embranchement assez inclassable des Chétognathes ou "vers-flèches, ces petits prédateurs très efficaces du plancton, grands consommateurs de larves de poissons et autres crustacés. Il ne représente pas le seul exemple du groupe pour l’époque, puisqu’on peut le rapprocher de Capinatator, également trouvé dans les schistes de Burgess Shale, lequel possédait pas moins de 25 crochets buccaux de chaque côté, ne laissant guère augurer d’échappatoire pour ses proies. A ceux-là s’ajoutent deux autres genres probables du Cambrien inférieur trouvés en Chine, Eognathacantha et Protosagitta.


Amiskwia est un fossile problématique du Cambien, certains le rapprochent des Chétognathes ou "vers-flèches" comme Timorebestia en croyant identifier une mâchoire, d'autres le considèrent comme une sorte de ver plat, un Némertien pélagique dont la morphologie ne procède que d'une convergence d'adaptation à la nage, d'autant que le genre Nectonemertes possède également une nageoire caudale et une paire de tentacules céphaliques, d'autres encore le considèrent comme un type totalement éteint. Ces trois belles reconstitutions ont été réalisées par les Studios Chase, un petit hommage à été rendu sur ce site à leur créateur, Terry Chase récemment disparu, en annexe de l'article du 20 mai 2024.

        Les paléontologues tendent actuellement à créer le groupe des Anomalocarides ou Radiodontes pour y placer Anomalocaris et les formes analogues comme Kerygmachela et Titanokorys, en estimant qu’il représente une lignée éteinte parallèle mais apparentée aux Arthropodes à pattes articulées comme les abondants Trilobites contemporains de ceux-là. Ces deux embranchements sont d’après les registres fossiles apparus il y a un peu moins de 530 millions d’années. Les fossiles d’animaux qu’on suppose apparentés aux Chétognathes auraient été identifiés dans des roches plus anciennes remontant à 538 millions d’années.

Un "ver-flèche" actuel du genre Spadella

        La chronologie comme la logique évolutive conduisent donc à penser que des "vers-flêches" de taille respectable régnèrent sur les mers primitives dans les premiers temps de l’évolution animale, jusqu’à être finalement évincés par des créatures plus sophistiquées et puissantes que furent les Anomalocarides. Il est possible que la poursuite des recherches à Sirius Passet et les investigations toujours plus précises de nouvelles strates susceptibles d’avoir miraculeusement préservé les corps mous d’êtres très anciens comme à Chenjiang en Chine qui a aussi livré sa moisson d’Anomalocaris, permettent de préciser encore davantage l’évolution du début du foisonnement de la vie animale. Il est d’ailleurs fort possible que les tous premiers prédateurs aient été les animaux pluricellulaires les plus simples, de véritables vers plats carnivores à l’anatomie plus rudimentaire que celle des "vers-flèches", ainsi que des méduses, quoique les nombreuses traces circulaires fossiles du Précambrien attribuées à ces dernières au sein de la faune dite édiacarienne, de l’Australie à la Russie en passant par Terre-Neuve, font actuellement l’objet de réinterprétations en tant que disques de fixation d’organismes sessiles.

Un ver plat marin de l'ordre des Polyclades, du genre Prosthecereaeus ; le prochain candidat avec les méduses pour représenter le premier prédateur pluricellulaire de l'histoire de la vie sur Terre ?

                 

              Un homologue dans la culture populaire ?

            Les marques de figurines japonaises sont promptes, même si elles n’en ont pas le monopole, à proposer aux collectionneurs les reproductions d’espèces très anciennes récemment découvertes. On pourrait facilement penser qu’il en va de même pour Timorebestia à la vision d’un petit modèle correspondant assez fortement à ce nouveau fossile. Il n’en est cependant rien, car il s’agit en fait d’une créature mythique, également de fraîche date.

       Même s’il est possible que Timorebestia se rattache au groupe des Chétognathes, sa morphologie très simple évoque celle d’un ver plat marin de l’ordre des Polyclades, avec ses pourtours ondulants d’allure festonnée et ses deux tentacules céphaliques. Cette forme élémentaire trouve donc une correspondance au sein du folklore contemporain.

             La cryptozoologie, discipline s’attachant à l’identification d’espèces encore inconnues, suscite généralement l’incrédulité en l’absence d’éléments matériels susceptibles de prouver de manière incontestable l’existence d’êtres supposés comme le Yéti et le monstre du Loc Ness, tels qu’une dépouille ou des photos nettes, celles qui sont présentées étant toujours trop floues pour que les institutions scientifiques officielles les valident. Le paradoxe est que l’existence supposée de la créature dont il est ici question ne repose justement que sur des enregistrements visuels, l’être étant trop immatériel ou rapide pour que l’œil humain le perçoive, tandis que la photographie et la vidéo en fixent l’image, ce qui explique la mention récente du phénomène.

Une photo tirée d'un enregistrement d'une précision exceptionnelle censé prouver l'existence d'une créature aérienne à la membrane ondulante.

        L’entité, surnommée "poisson du ciel" ("skyfish" en anglais), évoque une préfiguration de notre Timorebestia. En réalité, la représentation retenue de ces formes énigmatiques relève d’une libre interprétation du phénomène, sur les images parfois nettes, l’entité se présente la plupart du temps comme une forme lumineuse droite au contour spiralé. Elle est censée constituer un représentant d’une forme de vie inconnue vivant dans le ciel, une créature essentiellement aérienne, la stratosphère étant selon cette vision envisagée comme un écosystème propre tel que dépeint par Conan Doyle dans sa nouvelle L’Horreur des altitudes – Maurice Renard place aussi dans les hautes couches du ciel des araignées prédatrices dans Le péril bleu. Ce sont sans doute les mystérieux Ethéraux du ciel martien, semblant constitués essentiellement de faisceaux d’énergie multicolores, que Rosny aîné évoque dans Les naufragés de l’infini qu’on peut considérer comme leur plus proche équivalent.

Une figurine dont le créateur s'est attaché à reproduire l'allure dynamique de l'être hypothétique lui permettant de se mouvoir dans les couches supérieures de l'atmosphère.

     Aussi intrigante que cette forme éthérée puisse paraître de prime emblée, il apparaît peu douteux qu’il puisse s’agir d’autre chose que d’un phénomène optique. L’hypothèse la plus vraisemblable en attribue la source à des poussières ou au vol d’un insecte dont les multiples et très rapides battements d’ailes renvoyant la lumière se décomposent en se démultipliant grâce à la réactivité du matériel photographique qui en restitue ainsi plusieurs enregistrements simultanés.


Autre figurine représentant le "poisson du ciel" ; une silhouette mythique curieusement familière.

        Nous avons fréquemment dans les évocations que propose ce site l’occasion de constater que des espèces véritables ont inspiré des êtres légendaires et continuent souvent à servir de référence pour l’élaboration des créatures de fiction. Pour ce qui est de Timorebestia, la créature imaginaire a cette fois précédé la mise à jour du véritable animal auquel elle ressemble. De futurs articles continueront à esquisser des rapprochements entre les êtres réels et les êtres de fiction, avec le projet d’intéresser le lecteur à ce stimulant et parfois inattendu mélange des genres.

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Il avait été l’ami du plus célèbre extraterrestre de la télévision

L'acteur Benjamin Gregory Hertzberg dit Benji Gregory à l'âge adulte. 

        L’acteur Benjamin Gregory Hertzberg a été retrouvé décédé en même temps que son chien dans sa voiture sur un parking de l’Arizona le 13 juin 2024, à l’âge de 46 ans, vraisemblablement victime de la canicule ; la famille n’a annoncé son décès que le 11 juillet suivant. Né le 26 mai 1978 dans une famille d’acteurs, il était surtout connu pour son rôle de petit garçon dans la série ALF (acronyme d’Alien Life Form), dont la vedette est un petit extraterrestre velu et facétieux recueilli dans un foyer d’Américains de la classe moyenne avec lequel l’enfant noue une vraie complicité. La série avait été créée par Paul Fusco, qui ne parvint pas à intéresser à son projet le créateur du Muppet Show, Jim Henson, qui le perçut sans doute comme un concurrent, avant de reconnaître la qualité de son programme et d’en devenir par la suite l’ami. Benji Gregory servit le rôle de Brian Tanner durant toute la série au cours d’une centaine d’épisodes. Il se montra finalement soulagé lorsque celle-là prit fin, car il ne souhaitait plus participer de manière suivie à des séries. Il figurait aussi occasionnellement dans un épisode de séries telles que L’agence tous risques (The A-Team), La Cinquième dimension (The New Twilight Zone) dans l’épisode Croyez-vous encore au Père Noël ? (Night of the Meek) et Histoires fantastiques (Amazing Stories) dans l’épisode Le messager d’Alamo (Alamo Jobe), une histoire de décalage temporel comportant aussi dans la distribution William Boyett auquel on a rendu hommage ici précédemment. 


Gregory Benji et son ami extraterrestre

        Max Wright, qui était apparu brièvement dans Le fléau (The Stand), mini-série d’après Stephen King, décédé le 26 juin 2019 et Ann Schedeen (vue dans le film Embryo) jouaient ses parents. Finalement victime d’un cancer après une première rémission, certaines sources indiquent qu'en dépit des addictions à l’alcool et à la drogue dans lesquelles il était tombé, le premier avait bénéficié du soutien de son épouse née Linda Ybarrondo jusqu’à la disparition de celle-ci. Quant à l’interprète d’Alf pour les plans généraux, c’était Mihály Mészáros, dit Michu, qui se glissait dans le costume et était crédité en tant qu’"assistant de Alf", sa disparition le 13 juin 2016 avait été signalée à l’occasion de l’entretien avec Mario Giguere du Club des monstres.

Max Wright composait le personnage du chef de famille avec un mélange d’autorité et de bienveillance envers le naufragé de l’espace, invité imprévu devenu un membre à part de la famille Tanner.


Max Wright portant un masque anti-infectieux dans une fiction plus dramatique, Le Fléau (The Stand), mini-série télévisée d'après l'œuvre de Stephen King.


La famille formée dans la série Alf a tant marqué les spectateurs que sur internet, la photo publicitaire de la distribution sans le personnage extraterrestre est parfois présentée comme étant celle de l'épouse de l'acteur Max Wright et de leurs deux enfants - il s'agit en réalité d'Ann Scheeden, d'Andrea Elson et de Benji Bregory, les co-vedettes de la série cohabitant avec l'être velu de la Planète Melmac.

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Vulgarisation et imaginaire ; ne manquez pas les anciens articles de créatures et imagination en consultant le sommaire. 

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