Un Nématode imaginaire pourvu de pattes, un être fantastique qu'a inspiré la méiofaune (les animaux marins microscopiques vivant entre les grains de sable) à Dominick Verschelde, mais qui représente une forme fossile fictive que rêvent de découvrir les chercheurs obnubilés par les analyses moléculaires, laquelle leur permettrait d'établir de manière plus probante leur postulat d'un chaînon manquant entre les vers nématodes et les animaux dotés de pattes à jointure externe comme les mille-pattes, comme expliqué dans cette seconde partie.
LA CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE DU VIVANT, INCONTESTÉE MAIS CONTESTABLE
2de PARTIE :
Quand la science recourt au bricolage
À présent que le lecteur s’est familiarisé avec un regard critique sur la classification du règne animal fondée sur la biologie moléculaire dans la première partie, "L'hippopotame est-il une baleine comme les autres ?" (1), on se propose dans cette seconde partie de l’entraîner plus avant sur le sujet, en démontant de manière plus approfondie les approximations de la méthode au travers de quelques exemples évocateurs, selon la logique d’un raisonnement que chaque lecteur même non averti devrait pouvoir être en mesure de suivre s’il veut bien accorder l’attention nécessaire au sujet.
Une méthode dont la dite rigueur n’exclue pas les approximations
On a précédemment vu que la biologie moléculaire qui se veut si rigoureuse et exacte aboutit à des résultats qui contredisent fréquemment les données rassemblées jusque-là par des méthodes plus classiques, et notamment que leurs résultats ne sont pas en phase avec la chronologie de la vie passée telle qu’établie avec une certaine constance et cohérence par les géologues comme par les paléontologues et qu’ils sont même nettement infirmés par les registres fossiles.
Cette approche nouvelle qui produit d’ailleurs souvent des résultats dissemblables en fonction des différentes études et des méthodes pratiquées produit aussi des regroupements tout à fait discutables.
Ainsi, les fourmiliers, les paresseux et les tatous sont traditionnellement rassemblés en dépit de l’hétérogénéité de leurs attributs dans l’ordre des Xénarthes, considérés comme membres d’une même lignée s’étant rapidement détachée du tronc des autres mammifères placentaires et ayant évolué uniquement en Amérique du Sud. La biologie moléculaire entérine habituellement cette singularité en en faisant un des rameaux de la classe des Mammifères, cependant, une étude de biologie moléculaire conduite par l’équipe d’Halliday considère que le tatou doit être inclus dans les Afrothères, des Mammifères africains évoqués dans la première partie de cet article, au côté de l’éléphant et du hérisson. Ces renversements complets empêchent d’avoir une vision claire de la différenciation des groupes de Mammifères.
La méthode, aussi contestable qu’elle soit, peut parfois pêcher en elle-même par un certain manque de rigueur. Xenoturbella est une créature marine vivant en eau profonde qui ne se distingue à priori guère d’autres vers plats dépourvus de tube digestif – absence que les biologistes moléculaires affirment à présent être un caractère dérivé et non originel. Des études moléculaires ont estimé qu’il était susceptible d’être rattaché à la base du rameau des Deutérostomiens (ceux dont l’orifice anal se forme dans l’embryon avant la bouche) qui mène à l’homme et comporte aussi les Échinodermes rassemblant oursins et "étoiles de mer" et les "vers à gland" (Entéropneustes) – voir l’article "Nos précieux cousins des profondeurs". À la différence des différentes analyses moléculaires plaçant Xenoturbella à l’origine de notre branche évolutive ou bien de la conception plus classique comme relique vivante des toutes premières formes composées de trois couches de cellules qui incluent l’ensemble des animaux modernes, une étude avait postulé que cette créature était un mollusque dégénéré, comme il en existe parmi les Gastéropodes, notamment ceux de la faune interstitielle qui vit entre les grains de sable et sont souvent simplifiés à l’extrême. L’examen moléculaire établissait plus précisément que les caractéristiques examinées concluaient à considérer Xenoturbella comme un Lamellibranche très modifié qui aurait à l’issue du stade larvaire planctonique conservé sa mobilité et aurait opté pour la mobilité sur le substrat marin – il est vrai qu’il existe effectivement quelques coquillages bivalves qui ont une coquille très réduite comme le taret perforateur de bois et même quelques formes assez atypiques pour en être totalement dépourvues. Cependant, il apparaît que les échantillons analysés, qui se rapportaient effectivement à des mollusques bivalves, émanaient selon toute vraisemblance non du ver plat lui-même mais de ses proies dont ces mollusques constituent en effet un mets de prédilection et dont il avait par conséquent absorbé les constituants. La même méprise s'est produite avec un groupe de parasites dont il sera question plus loin, les Myxozoaires, dont l'analyse de tissus contaminés par les microrganismes avaient conduit à leur attribuer certains gènes provenant en fait de leurs hôtes, le Bryozoaire d'eau douce Cristatella et le grand brochet. Cette focalisation sur l’infiniment petit indique que quand la partie exclue le tout, l’accessoire peut finir par occulter l’essentiel.
Les crabes apparentés à des vers intestinaux ?
Un des bouleversements majeurs de la classification des animaux sur la base moléculaire concerne la distribution en grands groupes. Traditionnellement, les animaux "modernes" pourvus de trois couches de cellules (par opposition aux plus primitifs tels que méduses et anémones de mer) sont distribués en trois groupes principaux autour desquels sont associé des phylums mineurs, selon la présence d’une cavité générale dénommée "cœlome". Ceux qui en sont dépourvus sont dit Acœlomates, il s’agit des vers plats (Plathelminthes) comme les planaires, les douves et les ténias. Les Cœlomates regroupent eux les animaux les plus complexes tels que les Mollusques, les Arthropodes à pattes articulées comme les Insectes et les Vertébrés comme l’Homme, chez lesquels une cavité générale se forme au sein de la couche moyenne de cellules dite mésoderme, remplie de liquide baignant les organes ancrés solidairement dans un ensemble cohérent. Une troisième catégorie englobe les Pseudocœlomates, chez lesquels existe une cavité plus rudimentaire héritée de la cavité originelle de l’embryon dans ses tous premiers stades (le blastocœle de la phase dite blastula) partiellement bornée par le mésoderme, le pseudocœlome, dans laquelle se trouvent présents des organes disposés isolément, avec un niveau d’organisation moindre ; leurs principaux représentants sont les Nématodes, un groupe important d’animaux vermiformes généralement de petite taille comme l’anguillule du vinaigre et qui comporte aussi un certain nombre d’espèces parasitant l’homme comme l’ascaris, l’oxyure, l’ankylostome, la trichine et la filaire de Médine.
La classification actuelle est devenue inintelligible pour tout zoologiste classique ; ainsi, les vers rubanés (Némertiens) dépourvus de cavité générale, considérés comme les plus primitifs des animaux dotés d’un tube digestif complet comportant une bouche et un pôle excréteur principal à l’autre extrémité, qui voisinaient jusque-là avec les vers plats, se trouvent dorénavant selon la promulgation de la biologie moléculaire assignés avec les Mollusques et les vers annelés dans l’ensemble nouveau des "Lophotrochozoaires" – d’après le nom de la larve trochophore qu’on retrouve chez certaines espèces marines de Mollusques et de vers annelés (Annélides). Les Rotifères, petits animaux des mousses dotés de deux couronnes ciliées buccales, qui sont pourvus d’un pseudocoelome, sont dorénavant associés aux vers plats. Au sein de ces redistributions sauvages, on relève tout particulièrement le regroupement sous le nom imprononçable d’"Ecdysozoaires" des Arthropodes (insectes, araignées, scorpions, crustacés, mille-pattes, etc.) avec les Nématodes comme l’ascaris. Certaines similitudes au niveau de la première phase de multiplication des cellules dans l’œuf, dite en spirale, ont été avancées, mais le point principal mis en avant pour rassembler ces formes fort dissemblables est la couche de chitine qui recouvre leur corps et dont ils s’affranchissent sous forme de mue au cours de leur croissance, même si la cuticule transparente de l’Ascaris est sans commune mesure avec l’épaisse carapace des crabes et homards. La ressemblance paraît cependant accessoire, faisant fi d’autres critères autrement plus significatifs et notamment, en matière de développement justement, la présence d’un pseudocœlome qui paraît fort distinct de la cavité des autres animaux chez les Nématodes et groupes jusque-là apparentés comme les minuscules Rotifères des mousses et des eaux douces déjà évoqués, de même que la division du corps qui est absente chez les Nématodes chez lesquels il n’existe même pas réellement de région céphalique distincte du reste. Les biologistes moléculaires ont par ailleurs avancé que les "Ecdysozoaires" ancestraux étaient pourvus de pattes et que ce caractère majeur aurait été perdu chez les Nématodes et formes apparentées. La supposition paraît là aussi fort audacieuse, d’autant que les Nématodes représentent un groupe important qui comporte certes nombre de parasites d’animaux et végétaux mais aussi de nombreuses espèces libres, souvent microscopiques, vivant dans la mer, entre les grains de sable ou encore dans la terre humide, dont les premiers sont selon toute vraisemblance issus. Aussi, la simplification par effet du parasitisme paraît discutable s’agissant d’un groupe distribué dans les biotopes les plus divers, les ayant probablement colonisés avant de se spécialiser pour certains dans le parasitisme, et aucune trace de pattes ni embryonnaire ni fossile n’a jamais été mise en évidence chez ces animaux. De plus, d’autres formes considérées habituellement comme voisines, les microscopiques Gastrotriches ainsi que les Acanthocéphales parasites, se trouvent quant à elles rejetées du côté des Mollusques dans les Lophotrochozoaires, compliquant encore la compréhension des pseudocoelomates.
Chaînons manquants douteux de l'époque cambrienne
A défaut de pouvoir trouver le moindre fondement quant à l’existence des bien hypothétiques nématodes à pattes articulées, les biologistes moléculaires ont cru pouvoir annexer certains fossiles quelque peu problématiques du Cambrien. Le paléontologue Charles Walcott fut le premier à mettre en évidence des fossiles d’une faune remontant à la première époque du Cambrien, le début de l’Ère paléozoïque au temps où les premiers animaux organisés apparurent, en présentant une variété de formes qui allait se réduire par la suite. Parmi les fossiles extraordinairement préservés qu’il mit à jour en Colombie britannique figure ainsi l’Opabinia, avec un corps ressemblant à celui d’une crevette dépourvue de pattes, cinq yeux protubérants et une trompe s’achevant par une pince pourvue de dents comme des aiguilles. Par la suite, d’autres espèces devaient être identifiées comme l’Anomalocaris ("étrange crevette"), premier prédateur dominant, pourvu de deux mandibules préhensiles et d’une bouche circulaire tranchante. Il a depuis été trouvé des restes de pattes sur certaines des espèces apparentées comme Pamdbelurion ainsi que sur Diania (évoqué de manière plaisante dans l'article de janvier 2012) proche des Onychophores encore représentés aujourd’hui par les péripates aux allures de chenille des forêts humides, confirmant que certains des types disparus pourraient effectivement s’apparenter aux premiers représentants des Arthropodes. Cependant, ces fossiles n’indiquent pas particulièrement d’affinités avec les Nématodes. D’aucuns ont voulu rapprocher la bouche de certains de ces animaux à pattes rudimentaires dénommés "Lobopodes" ("aux pieds lobés") de celle des Pripauliens, un groupe ancien de vers marins presque éteint depuis le Cambrien et vraisemblablement apparentés aux Nématodes, mais le fait de posséder une bouche évaginable sertie de dents n’est pas un signe de parenté incontestable mais plutôt le fruit d'une adaptation fonctionnelle analogue, comme entre les tentacules buccaux des Sipunculiens, un groupe de vers marins non segmentés, et ceux des Holothuries ou "concombres de mer" ; si Cuvier pensait que les premiers étaient les ancêtres des seconds, il semble en fait que ces derniers soient des oursins modifiés et que ceux qui ressemblent le plus aux vers par la perte des ambulacres locomoteurs soient en fait les plus éloignés des formes ancestrales. Quant à la segmentation de la cuticule chez quelques Nématodes, elle n’est que superficielle.
Le célèbre zoologiste et paléontologue français, Georges Cuvier, avait par contre esquissé une piste intéressante, qui intéresse les Arthropodes. Bien que ne croyant pas à la théorie de l’évolution, il avait rapproché les animaux à pattes à jointure externe des vers annelés en les englobant dans sa classe des Articulés, y décelant une certaine proximité dans l’organisation, un plan commun élaboré par le Créateur. Si le rapprochement de la bouche de certains des parents éloignés des Arthropodes (encore que celle d’Opabinia, d’Animalocaris et des Lobopodes ont peu en commun pour un ensemble censé constitué un groupe charnière menant des Nématodes-Priapuliens aux animaux à pattes articulées) et la présence d’une cuticule paraissent des similitudes accessoires, bien des caractéristiques rapprochent ces derniers des vers annelés marins, dont sont dérivés les lombrics. Chez les Polychètes comme la Néréis, on retrouve en effet un grand nombre de traits communs, la segmentation du corps avec chaque anneau dont l’anatomie est comparable à celle des autres avec par exemple les néphridies, paire d’organes excréteurs, mais également les parapodes des annélides marins qui préfigurent les membres articulés de formes cambriennes comme Pambdelurion et Kerygmachela, les yeux composés, les antennes, les pièces masticatrices, voire les pièces cuticulaires chez certaines espèces sous forme des écailles des Néréis, des Aphrodites ("taupes de mer")… L’allure des espèces des différentes lignées rassemblées sous l’appellation de Myriapodes qu’on désigne familièrement comme les "mille-pattes" n’est pas sans évoquer des Annélides marins qui se seraient adaptées à la vie terrestre, mais ont retrouve aussi une morphologie similaire dans les formes les plus primitives des autres classes d’Arthropodes. Les Chélicérates auxquels appartiennent les Arachnides ont débuté par des formes plus allongées comme les Euryptérides ou "scorpions de mer" qui écumaient les océans au Silurien, et les mygales, les plus primitives des araignées, conservent encore une trace de segmentation de l’abdomen. On a découvert des formes primitives de Crustacés qui sont de vrais fossiles vivants il y a quelques années, d’abord les Céphalocarides en 1955, dont une paire de maxilles est similaire aux appendices du thorax, semblant confirmer que les pattes-mâchoires sont bien des membres qui se sont spécialisés, puis les Rémipèdes rencontrés à partir de 1979 dans des cavernes sous-marines de mers chaudes qui possèdent 32 segments identiques et évoquent beaucoup des myriapodes, y compris leurs crochets empoisonnés à la manière des scolopendres, et qui pourraient se rapprocher quelque peu des Crustacés les plus ancestraux du Cambrien comme Yohoia. Quant aux insectes, vraisemblablement descendants de Myriapodes, la forme actuelle qui s’y apparente le plus au point qu’on l’a souvent rangée en leur sein même s’il pourrait s’agir d’une branche latérale, est le protoure, petit animal aveugle qui vit sous terre et possède des pattes vestigiales sur les 3 premiers segments de l’abdomen, témoignant que ses ancêtres devaient posséder des paires supplémentaires. Les ordres d’insectes les plus achevés, ceux qui terminent leur développement à l’extérieur de l’œuf et qu’on appelle à métamorphose complète, possèdent des larves évoquant les vers annelés comme celles des mouches, abeilles, scarabées et les chenilles des papillons qui pour beaucoup ont des appendices locomoteurs assez simples. Même si les Crustacés sont un peu spécifiques en tant que "biramés", les formes les plus primitives possédant une double rangée d’appendices, à savoir les pattes et les rameaux branchiaux, tous ces éléments paraissent composer un tableau assez convaincant de l’histoire du groupe à partir d’ancêtres annélides, plutôt que de se figurer à l’inverse que les Nématodes en descendraient en abandonnant toutes les caractéristiques de leurs ancêtres, leurs appendices, leur organisation anatomique et leur plan de construction embryonnaire.
Quand l’arbre s’emmêle les branches
La modification de la position d’un groupe a dû passer beaucoup plus inaperçue du public qui s’intéresse à la zoologie, celle des Pentastomides ou Linguatulides ("en forme de langue", d’après le représentant le plus connu, Linguatula serrata). Ces parasites de poumons de Vertébrés terrestres, particulièrement de reptiles (serpents) et de mammifères carnivores (le parasite qui infecte une panthère dans le film Baby Blood, créé par Benoît Lestang auquel on a rendu hommage suite à sa disparition, semble s’y apparenter fortement) ont été récemment inclus dans les Crustacés. Ces animaux ressemblent à des vers superficiellement annelés, et leur bouche est entourée de quatre crochets – d’où leur dénomination alternative faisant référence à "cinq bouches", parfois portés par des protubérances chez les Céphalobénides qui leur conférèrent une analogie avec des doigts. Ces crochets ne sont pas un simple appareil fixateur comme chez certains ténias mais représentent la forme résiduelle des membres du stade larvaire, quatre courtes petites pattes terminées par des crochets, qui rappellent celles des "ours d’eau" ou Tardigrades, minuscules arpenteurs des mousses à la résistance exceptionnelle et qui évoquent eux-mêmes une version minuscule et raccourcie des péripates (Onychophores).
Jusqu’à présent, on considérait ces différentes formes dont les pattes annoncent celles des chenilles comme un groupe relique des premières étapes de l’évolution des Arthropodes, associant Tardigrades et Onychophores aux Linguatulides pour former les Pararthropodes ("autour des Arthropodes"). La biologie moléculaire a réassigné les formes parasites en en faisant une lignée de Crustacés, ce qui n’est plus guère contesté par la science officielle, bien que cette nouvelle affiliation paraisse fort douteuse. Il existe de nombreuses espèces de Crustacés parasites, dont les affinités apparentes sont souvent indiscernables chez la femelle adulte devenue une poche incubatrice. On trouve ces formes hautement dérivées notamment au sein de trois grandes lignées, chez les Acrothoraciques et les Rhizocéphales comme la Sacculine, qui se rangent parmi les Cirripèdes – groupe dont le représentant le plus connu est la balane, petit cône blanc des coquilles de moules, chez de nombreux groupes de Copépodes (les espèces plus typiques du groupe composent une bonne part du plancton) et chez les Entonisciens et Cryptonisciens membres des Isopodes auxquels appartiennent les cloportes et qui se rattachent aux Crustacés supérieurs (Malacostracés). Aussi bizarres que soient ces formes, y compris quelques Copépodes un peu analogues à des Tardigrades, les Corallovexidés, elles s’identifient indubitablement comme des crustacés au travers de la forme larvaire initiale, le nauplius, avant de se différencier en d’autres stades successifs chez certaines espèces, comme la larve zoé des crabes et crevettes. Les naturalistes de l’ancien temps, même sans adhérer au modèle de l’évolution, cherchaient des formes transitoires entre les différentes espèces dans le grand ensemble cohérent de la Création, et la lernée, parasite vermiforme fixé aux branchies de poissons grâce à ses mâchoires fusionnées en forme d’ancre, était ainsi perçue comme un chaînon manquant entre les vers annelés et les Crustacés, jusqu’à ce qu’on observe sa larve et qu’apparaisse alors incontestable qu’il s’agissait d’un crustacé très modifié par l’adaptation à son mode de vie, une forme spécialisée de Copépode. Or, les Pentastomides présentent comme indiqué plus haut une larve à allure de tardigrade sans rapport avec celles des espèces de Crustacés parasites, quelle qu’en soit la lignée. Contrairement à la larve trochophore observée chez les Annélides et Mollusques, la configuration de la larve est cette fois considérée comme dépourvue d’intérêt par nos classificateurs modernistes.
Mais l’anatomie comparée des larves n’est pas le seul obstacle à l’intégration des Linguatulides parmi les Crustacés. Ces derniers viennent du milieu marin, et on sait qu’au sein d’un groupe, les formes les plus primitives parasitent les lignées les plus anciennes, car ce sont celles qui sont apparues en premier. Ainsi, chez les Cestodes globalement désignés sous le terme de ténias, les ténias des poissons paraissent plus ancestraux que ceux des mammifères qui ont développé un système fixateur de crochets et ventouses sur la partie antérieure absents par exemple de la Ligule des poissons qui tient d’un simple ruban. Or tous les Pentastomides parasitent des Vertébrés terrestres, aucun adulte ne se rencontre chez un poisson. Il arrive bien que des larves se fixent sur des poissons, mais il s’agit là d’opportunisme, on en trouve aussi de la sorte chez des insectes, cela ne fait pas partie d’un cycle complexe établi comme celui de la douve du foie. Si les Pentastomides descendaient de Crustacés, on en trouverait très certainement dans le corps de poissons en tant que parasites adultes habituels, ce qui n’est pas le cas.
S’il fallait un dernier élément pour achever de convaincre le lecteur, des larves extraordinairement préservées de Pentastomides ont été dégagées de sites remontant au Cambrien (voir photo plus haut), soit l’époque à laquelle les grands plans d’organisation animale sont apparus. Les premières formes de Vertébrés, elles, n’étaient encore qu’en gestation, notamment représentées à l‘époque par de petits animaux filtreurs allongés dotés d’un prototype de colonne vertébrale comme le Pikaia, à la manière de l’actuel lancelet ou Amphioxus. On ne peut que spéculer sur ce que devenaient ces formes à l’issue de leur croissance, mais il est ainsi évident que ces larves sont pratiquement inchangées depuis plus de 500 millions d’années, soit bien avant qu’elles n’aient eu la possibilité de vivre au détriment d’un Vertébré, même marin et donc éventuellement de se modifier par adaptation de manière consistante. Aussi, bien avant que ce groupe zoologique mineur n’investisse les poumons des Vertébrés, leur larve était déjà similaire à celle de leurs représentants actuels. Leur spécificité et donc très ancienne et elles ont sûrement plus à voir avec les Tardigrades et les Onychophores, qui étaient alors marins, qu’avec les Crustacés. Avant la découverte de ces remarquables fossiles, on eut pu encore à la rigueur se ranger du côté des anciens zoologistes qui inclinaient à interpréter ces parasites comme des Acariens très modifiés par le parasitisme interne ; il est vrai qu’ils tiennent quelque peu de la "mite des points noirs", le Demodex follicularum, qui à l’instar du Sarcopte de la gale mais avec moins d’effets néfastes, creusent de petites galeries dans l’épiderme de la face, se nourrissant de matière sébacée juqu’à exploser – ils ont perdu leur anus – et dont le corps segmenté s’est allongé au point que les pattes ne sont plus que de petits appendices réduits à l’avant du corps, laissant entrevoir la silhouette de ce qu’auraient pu être les ancêtres de la Lingula serrata avant que d’ autres espèces du groupes comme les Céphalobénides, Porocephalus et Armilifer ne deviennent encore davantage vermiformes. Si on porte à présent notre attention sur les Tardigrades précités, il est intéressant de relever qu'un fossile de ces animaux trouvé sur le site sibérien d'Orsten datant du Cambrien moyen a été interprété par ses découvreurs comme une espèce parasite. Cet animal n'est donc pas l'ancêtre des Linguatulides puisque ce dernier groupe existait déjà au Cambrien comme évoqué, mais que le plus ancien Tardigrade connu soit un parasite contrairement à l'immense majorité des représentants actuels est intéressant, car ce mode de vie conduit à un possible rapprochement avec les énigmatiques vers parasites, n'interdisant pas d'envisager qu'en des temps encore plus reculées, les deux lignées aient pu effectivement remonter à une souche commune, ajoutant aux similitudes morphologiques un indice écologique. En tout cas, à ce jour, toutes les indications extérieures à la biologie moléculaire, soit embryologiques, paléontologiques et éco-biologiques, plaident contre l’annexion des Linguatulides aux Crustacés. Encore une fois, on fait fi de toutes les concordances et observations pour se fier à une vision mathématisée du vivant.
Des méduses unicellulaires ?
Un autre exemple accessible au niveau du simple microscope classique est celui de la position de certains organismes unicellulaires parasites désignés sous le terme général de Cnidosporidies mais qu’on estime souvent de nos jours comme un rassemblement de groupes non apparentés, les Microsporidies comme le genre Nosema qui décimait les populations de larves de Bombyx du mûrier des élevages de vers à soie que combattit avec succès le célèbre Louis Pasteur, et les Myxosporidies connues des aquariophiles, qui forment des gales parfois volumineuses sur la peau des poissons. Les deux se reproduisent par des spores, celles des seconds comportent plusieurs cellules et un des stades de ceux-là voit son noyau se diviser et se multiplier pour former ce qu’on dénomme un syncythium (trait prêté à la créature colossale du roman Solaris) ; on rapproche de ces derniers une petite créature vermiforme simple appelée Buddenbrokia – ces organismes ont été brièvement évoqués dans l’article Un fossile vivant réellement inattendu ? en septembre 2014. Les spores se distinguent de celles d’autres protozoaires parasites, comme le Plasmodium agent du paludisme transmis par l’anophèle, par la structure en forme de ressort qui se détend pour expulser le germe infestant de l’enveloppe qui le renferme. Celle-là ressemble au dard replié des cellules venimeuses des Cnidaires comme les méduses et autres anémones de mer qu’on désigne sous le terme de cnidoblastes, de sorte qu’avec l’appui de données fournies par la biologie moléculaire, des chercheurs n’ont pas été longs à inférer que ces formes étaient apparentées et que les Myxosporidies devenues l'embranchement des Myxozoaires n’étaient autres que des Cnidaires dégénérés par parasitisme, comme c’est peut-être aussi le cas des Mésozoaires ainsi désignés parce qu’on se les représentait traditionnellement comme intermédiaires entre unicellulaires et pluricellulaires comme évoqué dans le même article. L’hypothèse de Cnidaires simplifiés n’est pas en soi irrecevable, d’autant qu’on a découvert récemment au sein de ce dernier groupe qu’il existait quelques formes parasites qu’on ne soupçonnait pas auparavant même si elles demeurent bien reconnaissables comme représentantes de l’embranchement mais, si on met de côté les données moléculaires dont on voit qu’elles sont souvent largement discutables, on peut cependant considérer que la simple présence d’une structure repliée en forme de ressort portée par une cellule est un critère un peu court pour en inférer une parenté irréfragable, à fortiori quand on connaît l’extrême variété des structures dites organites qu’on trouve chez les Protozoaires. Pourquoi devrait-on écarter d’emblée la possibilité d’une simple homologie, d’une innovation apparue indépendamment dans deux lignées pour résoudre de la même manière fonctionnelle deux usages distincts ? Enfin, la théorie se contredit d’elle-même : si vraiment la présence de ce dispositif en forme de ressort est pratiquement à elle seule suffisante pour fonder une parenté entre les Myxozoaires des gales de poissons et l’ensemble des coraux, anémones et méduses qui constituent les Cnidaires en raison des cnidoblastes de ces derniers, pourquoi les Microsporidies sont-elles alors tenues à l’écart, renvoyées du côté des Protozoaires voire même parfois rapprochées des champignons, alors que la cellule de leur spore possède elle aussi un identique dispositif d’éjection, même si dans celle-là l’enveloppe n’est elle composée que d’une cellule ? À nouveau, on voit qu’un élément particulier est dit signifiant dans un cas quand l’analyse moléculaires permet d’établir une proximité, puis dédaigné dans le cas contraire, comme on l’a vu précédemment avec la forme "tardigradesque" de la larve des Pentastomides.
D'autres reclassements de parasites aussi problématiques
Les vers Acanthocéphales, parasites intestinaux notamment de poissons qui étaient traditionnellement apparentés aux Nématodes, sont à présent sur la base des analyses moléculaires englobés au sein des microscopiques Rotifères, alors que non seulement leur larve ne montre aucune trace des couronnes de cils entourant la bouche des adultes du groupe mais que leur trompe hérissée de crochets ne présente aucune concordance avec la mâchoire interne des Rotifères, le mastax – par ailleurs, il n'existe aucune trace des deux orteils communs aux Rotifères. Si les analyses moléculaires avaient confirmé la traditionnelle parenté avec les Nématodes en justifiant les rapprochements structurels sans considération sur leur origine anatomique comme pour le flagelle spiralé des Myxosporidies, les auteurs de l'étude auraient-ils invoqué un Nématode parasite vivant notamment dans l'intestin de poissons comme les Acanthocéphales (hôte analogue pouvant permettre d'envisager une origine évolutive commune on l'a indiqué pour les Pentastomides), Capillaria, chez lequel la queue du mâle bardée de rangées d'épines évoque de manière troublante la trompe cylindrique hérissée de crochets caractéristique de ce petit groupe ?... – après tout, un coquillage dénommé Viviparus commence son développement avec l'apparition de l'anus en premier comme chez les Vertébrés et autres deutérostomiens, à l'opposé des autres Mollusques qui voient d'abord se former la bouche, démontrant que ce schéma de formation de l'embryon peut être réversible. En abandonnant les méthodes éprouvées, on peut quasiment tout démontrer et son contraire.
De la même façon, les curieux Myzostomides, des parasites externes des lys de mer (Crinoïdes), sont parfois exclus des Annélides pour être rapprochés des vers plats avec lesquels ils présentent parfois une vague allure générale malgré la présence courante d’appendices rayonnant autour du corps et une trompe bien différente de celle que peuvent arborer certains des premiers. Cependant, là aussi, on fait fi de la larve typique d’Annélide, à commencer par le premier stade trochophore qu'on observe chez ce groupe, stade qui, comme on l’a vu plus haut, fonde pourtant un des plus importants rassemblements modernes de la zoologie. De surcroît, il existe parmi ces animaux des espèces qui présentent au contraire des formes typiques une allure totalement vermiforme, même si la segmentation disparaît à l’âge adulte comme c’est également le cas pour les Echiuriens comme la bonellie, célèbre pour l’extrême dimorphisme entre les deux sexes. On arbitre entre les ressemblances physiques sur la base des études moléculaires, qui se trouvent ainsi investies de la responsabilité de les considérer ou non comme pertinentes. Le lecteur ayant parcouru un des plus anciens articles, Nos précieux cousins des profondeurs, en novembre 2008, se souvient peut-être des animaux singuliers qu’il évoquait. Parmi les parents lointains des Vertébrés figurent "les vers à gland" comme le balanoglosse (classe des Entéropneustes) dont les parents de la classe des Ptérobranches sont sessiles avec des tentacules ramifiés qui leur valurent jadis d’être aussi nommés Axobranches. Certains estiment sur la base d’analyses moléculaires que ces derniers pourraient figurer au sein d’une des famille de "vers à gland", ce qui paraît assez douteux en raison des grandes différences morphologiques entre deux classes que quelques-uns avaient même proposé d’élever au rang d’embranchements distincts, de la même manière qu’il en est pour estimer que les ascidies profondément modifiées, qui se résument à un pharynx à deux siphons fixées à un rocher mais possèdent une larve évoquant lointainement un têtard avec des prémisses de colonne vertébrale, seraient plus proches des poissons que l’Amphioxus ou lancelet, alors que ce dernier évoque fortement les précédents malgré l’absence de crâne et de mâchoire, lesquels font aussi défaut chez le plus primitif des Vertébrés, la myxine, et alors que les proches parents de nos ancêtres découverts dans les roches cambriennes tels Pikaia et Cathymirus, présentent bien des affinités avec l’actuel lancelet qui est quasiment un fossile vivant témoin des origines de notre phylum. Une morphologie similaire n’est pas nécessairement une preuve de parenté mais à l’inverse, plus les morphologies sont différentes et plus il n’est pas déraisonnable d’en conclure que les deux lignées ont divergé depuis une longue période.
Le cas des Pentastomides a été plus particulièrement examiné car il est éclairant sur un certain refus de prise en compte des réalités, au risque des incongruités. Les changements dans la systématique procédaient habituellement d’évolutions dues à des études approfondissant leur sujet et s’appuyant sur de nouvelles découvertes, comme lorsque que Kowalkski a pu observer des larves d’ascidies dont l’allure générale évoquait celle de têtards et qui étaient pourvues d’une ébauche de colonne vertébrale, en déduisant comme on vient de l'évoquer dans le paragraphe précédent que ces formes sessiles à deux siphons généralement fixés aux rochers n’étaient pas assimilables à des Lamellibranches sans coquille comme elles étaient jusque-là considérées, rangées au sein des Molluscoïdes avec les Brachiopodes, coquillages bivalves depuis retranchés des Mollusques en raison de spécificités, et les lointains parents de ces derniers, les Bryozoaires, mais qu’elles se rapprochaient de la base du rameau menant à notre espèce. Avec la biologie moléculaire, les minutieuses recombinaisons ont cédé la place à une sorte de jeu de billard à deux coups, entraînant de soudaines et souvent incohérentes permutations. Certains retranchent des Mollusques au vu d'analyses moléculaires aussi bien les Lamellibranches que les Scaphopodes, des animaux à corps mou et à fins tentacules, enfermés dans une coquille en forme de défense d'éléphant et qu'on a tendance habituellement à considérer comme étant à la jonction des escargots et des Céphalopodes. L'animateur du blog d'anatomie comparé "The Pterosaurs Heresies", David Peters, d'ordinaire plus réservé sur la phylogénie moléculaire, approuve dans son article en ligne du 31 juillet 2021 cette dislocation de l'embranchement des Mollusques (4), faisant de celles dépourvues de coquille réunies sous le terme d’aplacophores et les chitons couverts par huit plaques articulées des parents des concombres de mer, rapprochant les Lamellibranches des vers phoronidiens, des parents des Bryozoaires habituellement considérés comme des Deutérostomiens, et envisageant les premiers Céphalopodes dont l’actuel Nautile comme un ancêtre de l’amphioxus qui conduit aux Vertébrés, séparés par d'hypothétiques fossiles transitoires, le siphon autour duquel s'organisent les cloisons de la coquille étant vu comme une ébauche primordiale de la notochorde ayant généré la colonne vertébrale (5), ce qui n'empêche pas aussi l'auteur d'envisager quelque parenté entre les branchies filtreuses des Lamellibranches et les cirres de l'amphioxus qui ont le même usage. Les remises en cause des fondamentaux de la classification zoologique au travers de la révolution moléculaire autorisent à présent les regroupements les plus audacieux et hasardeux. Les vers rubanés (Némertiens) ont été éloignés des vers plats avec lesquels ils entretiennent des affinités pour, comme on l’a vu, être reversés dans les Lophtrochozoaires avec les Mollusques, Bryozoaires et autres animaux plus organisés. Le hérisson africain voire le tatou se trouvent ainsi unis avec les éléphants, les plus primitifs des vertébrés, les Myxines, sont catapultés parmi les serpents dans certaines analyses moléculaires, les Nématodes sont devenus des Arthropodes apodes, les minuscules "ours d’eau" deviennent parfois parents des "dragons de la boue", de très petits vers qui constituent les Kinorhynques ou Echinodères cités dans l’article La peoplisation du monde vivant parce que couverts par une cuticule articulée mais totalement dépourvus de membres, les parasites de poumons du groupe des Pentastomides sont refondus dans les Crustacés, et tout cela sans grande discussion possible jusqu’à ce qu’une autre évaluation moléculaire vienne éventuellement redistribuer les cartes. Pour ceux très nombreux qui adoptent sans contestation les arbres phylogéniques et cladistiques actuels, le tableau d’ensemble de l’évolution animale devient assez embrouillé voire indéchiffrable et incompréhensible.
À trop vouloir convoquer l’intime pour fonder les classifications actuelles, on perd de vue le tout pour la partie, un peu comme si on réduisait le vivant à la chimie en niant ses spécificités. Or a à ce jour, personne n’a jamais été capable de créer ex nihilo une simple bactérie en dépit de titres racoleurs (des microbiologistes sont simplement parvenus à engendrer une nouvelle espèce de bactérie en transférant des gènes), de même que personne ne peut expliquer l’instinct de survie, cette force de résistance qu’on ne peut observer chez le plus élaboré des cristaux mais qui est présent chez la plus infime cellule vivante, confirmant que le passage de l’inanimé à l’animé n’est pas une différence de degré mais de nature. Encore une fois, à trop vouloir considérer le détail, on perd de vue l’essentiel.
Et l’homme, dans tout ça ?
La passion du théoricien de l'évolution Charles Darwin pour le rôle écologique des vers de terre suscita cette caricature d'Edward Liney Sambourne pour l'édition du 22 octobre 1881 du journal Punch.
Les champignons et les animaux se trouvent dorénavant réunis dans le groupe des Opisthokontes, sur la base de la conformation du flagelle postérieur qui propulse la cellule, au sein des unikontes (un flagelle) avec les amibes, s’opposant aux Bikontes (deux flagelles) renfermant les Flagellés et les végétaux. Chez l’être humain, cela se réfère au flagelle du spermatozoïde, comme si ses caractéristiques déterminaient l’organisme tout entier. Cependant, les cellules reproductrices ne sont chez les pluricellulaires que de simples gamètes, des productions qui contiennent certes le patrimoine génétique, mais qui ne sauraient à elles seules définir l'individu, à moins de considérer que le spermatozoïde devrait valoir à l'homme de figurer parmi les Protozoaires flagellés. Cela rappelle l'analogie douteuse déjà évoquée entre la cellule de la spore renfermant le germe des Myxozoaires et les cellules urticantes des Cnidaires. La forme des spermatozoïdes peut différer considérablement selon les espèces, comme pour les Nématodes chez lesquels, à l’exception notamment du genre Syringolaimus, la plupart sont non flagellés et dépourvus d’acrosome dispositif permettant de percer la paroi de l'ovule), et ils se déplacent de manière amiboïde sans que personne ne se sente incité à en faire les représentants d’un règne distinct. La variété des flagelles chez les Protozoaires conduit aussi à la prudence quant à considérer comme un facteur discriminant l'orientation de ceux-ci. D’ailleurs, la classification moderne a séparé nombre de Protozoaires flagellés des amibes représentantes des Rhizopodes, ces organismes étaient jusqu’à présent englobés dans le groupe des Rhizoflagellés en raison de formes intermédiaires telles que des amibes flagellées. Quant aux parents des amibes dotés d’une coquille complexe qui rappelle parfois celle des escargots et qui constituent d’importants sites fossiles permettant de dater les couches et souvent associés au pétrole, les Foraminifères, ils sont eux aussi totalement disjoints des précédentes dans la taxonomie moderne.
Sur la base de la génétique, il a été proposé que le genre Homo dans lequel s’inscrit notre espèce intègre aussi les chimpanzés, voire les gorilles et éventuellement l’orang-outan. Les hommes et les chimpanzés possèdent 99,4 % de gènes en commun, ce qui peut sembler significatif, mais il s’agit là encore d’une perspective quelque peu mathématique. On peut discuter effectivement à la rigueur de l’appartenance des grands singes au genre Homo, et prendre appui sur les grandes similarités des chromosomes est effectivement légitime mais le codage génétique pour aussi essentiel qu’il soit ne résume pas à lui seul la réalité d’un organisme dans sa complexité, son anatomie, son comportement, l’ensemble des spécificités qui font de lui une espèce particulière. D’ailleurs, sans remettre en cause l’existence de sexes constitués chez les Mammifères, on peut noter que le célèbre tueur en série français Francis Heaulme, lequel on en conviendra n’a rien de très féminin, est pourvu de deux chromosomes X au lieu de la paire XY qui en principe définissent génétiquement le sexe masculin. Cela apporte une nouvelle illustration qu’aussi fondamental que soit le code génétique, au point que quelques biologistes ne perçoivent les organismes vivants qu’en tant que simples vecteurs d’un codage à perpétuer au travers de leur incarnation provisoire (théorie dite du "gène égoïste"), un organisme doit pour être parfaitement décrit être considéré dans sa totalité et sa réalité observable, jusqu’à son comportement et non uniquement au travers des molécules qui en sont la composante la plus infime, quand bien même elles sont dépositaires du génome. Des systématiciens déplorent que certains spécialistes connaissent bien les caractéristiques moléculaires d’une espèce, mais ignorent à peu près tout du groupe auquel elle appartient.
Plus les organismes sont complexes et plus les recombinaisons génétiques multiples interdisent de se baser sur un trait chimique pour les définir et postuler des rapprochements. Ce qui pourrait être pertinent pour les Bactéries devient inadéquat pour les Métazoaires, qui développent souvent indépendamment les mêmes composés (comme les substances antigel, les glycopeptides, de certains poissons des mers polaires ou les organites d’animaux multicellulaires anaérobies qui ont modifié leurs mitochondries de la même manière que les bactéries des milieux anoxiques pour se passer de l'oxygène pour leurs réactions chimiques (voir à ce propos l’article La vie animale sans oxygène est possible de juillet 2010) ou encore la faculté d'homochromie permettant de prendre instantanément la couleur du milieu, acquise de manière diverse par des animaux aussi différents que les Caméléons, les Seiches et des poissons plats - certaines aptitudes intrinsèques des humains seraient aussi apparues de manière indépendante à partir de gènes différents dans des populations éloignées. De plus, le rythme de mutation de l’ARN mitochondrial n’est pas constant d’une lignée à l’autre, leur évolution est ainsi beaucoup plus rapide chez les éléphants, alors qu’on prétend établir sur de telles bases l’ancienneté de l’apparition d’un groupe dans l’histoire de la vie.
Disons-le clairement: ces nouvelles classifications, adoptées presque unanimement (y compris même sur Wikipedia qui manifeste pourtant d’ordinaire une certaine indépendance d'esprit, sous l'effet des corrections par les tenants de la discipline officicielle) sont incohérentes et invraisemblables, semblant plus procéder d'une mode que d'une stricte rationalité scientifique.
Les auteurs de ces arbres phylétiques basés sur les méthodes de la biologie moléculaire reconnaissent qu’ils corrigent à la marge leurs résultats. La nature, des cycles météorologiques aux singularités évolutives et à la variabilité individuelle, échappe bien souvent à un modèle intangible, qui postulerait des normes fixées une fois pour toute avec la rigueur du métronome – le lecteur francophone se rappellera peut-être ainsi avoir lu pour la première fois ici, dans l’article précité La vie animale sans oxygène est possible (2), l’évocation d’animaux pluricellulaires adaptés à un milieu anoxique, dont l’existence était jugée jusqu’alors contraire aux lois de la biologie. Mais justement, les hérauts de la méthode moderniste assurent que celle-là apporte la garantie de l’exactitude, à la différence des tâtonnements des disciplines classiques – celles-là même qui ont permis d’établir qu’en dépit de leur silhouette assez proche, les myxines sans mâchoire et les serpents sont situés très loin les uns des autres sur le plan évolutif contrairement à ce que présentent certains arbres fondés sur des données moléculaires...
On considère notamment de nos jours que les Nématodes sont des parents des Arthropodes et même en quelque sorte leurs ancêtres au nom de la cuticule qui les recouvre, mais étant donné que la chitine constitue aussi la matière première des ongles, l’homme devrait-il être considéré comme un lointain parent des insectes sur la base de ce critère ? Affirmer que ce revêtement cuticulaire est une caractéristique essentielle au détriment du reste, incluant le plan fondamental d’organisation, c'est un peu comme si on classait le taureau et le Tricératops dans le même groupe parce qu'ils ont des cornes, et l’hippopotame avec les cétacés en raison de certaines adaptations au milieu aqueux, sans se soucier véritablement des fossiles. Et si on trouve un jour un gène commandant un développement plus important des membres postérieurs, cela conduira-t-il à proposer de rassembler l’homme, la grenouille, le kangourou et les dinosaures bipèdes comme le tyrannosaure et l’iguanodon dans un même groupe ? Ou bien encore estimerait-on finalement que l'homme est plus proche de la grenouille que du singe si on trouve un enzyme commun ? On peut même aller encore plus loin dans le raisonnement : l’acide formique est commun aux fourmis et à l’ortie – sur la base de cette caractéristique chimique, quelqu’un osera-t-il un jour formuler qu’en dépit de toutes leurs différences, ces deux formes l’ont acquise d’un ancêtre commun qui nécessiterait qu’on les englobe dans un même clade ? On a aussi découvert récemment que des papillons du genre Heliconius qui déposent dans l'orifice de la femelle fécondée une substance répulsive pour les autres mâles, l'ocitomène, étaient capables de synthétiser eux-mêmes cette substance que produisent également des végétaux mais à partir d'un gène différent, confirmant la plasticité du vivant qui ne répond pas aux calculs d'apothicaires. On reproche suffisamment aux sciences naturelles de ne pas pouvoir se réclamer de lois simples, mathématiques, comme les phénomènes physico-chimiques des sciences dites "dures" ou "exactes" ; et il est vrai que parce que l’évolution n’est pas reproductible – l’extinction des dinosaures ne peut être recréée en laboratoire – et qu’elle comporte des éléments aléatoires comme la chute de l’astéroïde qui a anéanti ces derniers, soit un évènement éminemment accidentel, le paléontologue Stephen J Gould dénonçait la sélection par les mathématiques en estimant que les dispositions utiles pour une bonne compréhension du monde vivant avec le plus de pertinence se rapprochaient plutôt de celles nécessitées par l’étude de l’Histoire. Restituer le vivant dans sa complexité et son exactitude suppose en premier lieu une véritable prise en compte des réalités observables dans leur totalité plutôt que de s'en remettre simplement à des chiffres.
POST SCRIPTUM : A noter que cette importante prise de position de Stephan Jay Gould est le seul élément d'importance qui faisait défaut dans la rubrique nécrologique consacrée au paléontologue dans le quotidien « Le Monde », qui indiquait à l’inverse d’autres points moins significatifs comme son équipe de football américain préférée. Je m’en étais étonné et le responsable de la rubrique m’avait répondu que cette observation était fort intéressante et que l’on ferait paraître ma lettre en complément dans le courrier des lecteurs dès que possible, ce qui n’advint jamais. Les points de vue critiques sur les sciences naturelles, aussi fondés soient-ils, trouvent difficilement la place à laquelle ils pourraient prétendre.
- - - - - - - - - - -
Disparitions : Jacques Perrin est un acteur français décédé le 21 avril 2022 à l'âge de 80 ans, qui est apparu au cinéma dès 1946 et était encore à l'écran l'année de sa mort. Officier de réserve de la Marine, il est notamment célèbre pour ses rôles dans des films de Pierre Schoendoerffer relatifs à l'armée tels que La 317 ème section, L'Honneur d'un capitaine et Le crabe-tambour. Son intérêt pour la préservation de la nature l'avait conduit à produire des films sur le monde animal, Le Peuple singe en 1989, Microcosmos : Le Peuple de l'herbe en 1996, évènement qui parvint à intéresser au monde des insectes un grand public qui ne regardait pas habituellement les documentaires animaliers - comme espère y parvenir ce site en attirant à l'occasion l'attention d'un lectorat varié sur la diversité du vivant et la nécessité de le protéger, ou encore L'odyssée du loup en 2019. Il en avait co-réalisé lui-même un certain nombre, sur les oiseaux, Le Peuple migrateur en 2001, adapté sous forme de série sous le titre Les Ailes de la nature l'année suivante, deux sur les animaux marins, Océans en 2009 et Le peuple des océans en 2011, et un sur les forêts européennes, Les saisons, en 2016. A la suite des émissions de Jacques-Yves Cousteau, Nicolas Hulot et David Attenborough, Océans alertait particulièrement sur la responsabilité de l'être humain en matière d'extinctions d'espèces. Une séquence émouvante mettait en scène Jacques Perrin avec son jeune fils regardant les dépouilles naturalisées d'animaux disparus tels que le phoque moine des Caraïbes, une des rares espèces de la famille ayant élu domicile dans les mers chaudes, et le Grand Pingouin, bien connu des auteurs de récits maritimes du XIXème, le seul pingouin ayant perdu l'usage du vol, représentant pour les régions arctiques l'équivalent des manchots des terres australes ; s'y ajoutait une reconstitution de la vache marine géante, la rythine, dont quelques milliers de survivants ayant réchappé de l'extermination par les Amérindiens avaient trouvé refuge dans la mer glaciale à l'Est de la Sibérie, et qui furent en à peine un quart de siècle massacrés jusqu'au dernier dans de terribles conditions après la découverte de ces créatures remarquables suite à l'échouage de la Seconde expédition Béring. Jacques Perrin avait aussi soutenu le chef Raoni en tentant de s'opposer en vain au barrage de Belo Monte au Brésil. "Créatures et imagination" se devait donc de saluer la mémoire de ce défenseur du monde vivant.
On avait évoqué en ces pages le film Au-delà du réel (Altered States) de 1981 au moment du décès du réalisateur Ken Russell, puis du maquilleur Dick Smith. C’est à présent son interprète principal, William Hurt, qui disparaît le 13 mars 2022 à l’âge de 71 ans, victime du même mal qui a emporté le maquilleur Stan Winston à qui furent dédiés les premiers articles de ce blog. L'acteur avait prêté ses traits au Docteur Jessup, un chercheur qui expérimentait des drogues psychédéliques dans un caisson d’hibernation comme dans le roman originel de Paddy Chayefski, même si les effets mutagènes étaient nettement plus prononcés à l’écran bien que les métamorphoses agencées par Dick Smith dont il a été fait état dans l’hommage au maquilleur furent en partie coupées ou bien occultées par des trucages visuels les rendant plus abstraites, jusqu’à ce que le savant grisé par ses découvertes manque de peu de se dissoudre dans le Néant. William Hurt avait enduré patiemment les longues séquences de préparation nécessitées par les différentes transformations de son personnage. Fils d’un haut fonctionnaire, ce natif de Washington avait passé sa jeunesse dans des pays lointains où son père avait été en poste. Il avait débuté sa carrière au théâtre, notamment dans des adaptations de Shakespeare. Au-delà du réel avait marqué sa première apparition au cinéma. Il y sera notamment distingué pour son rôle dans Le baiser de la femme araignée (Kiss of the Spider Woman) en 1985. Dans les années 1990, il renoue avec la science-fiction à l’occasion de Dark City en 1998, de l’adaptation sur grand écran de la série familiale Perdu dans l’espace gâchée par la pléthore de trucages virtuels en 1998 et surtout d' A. I. Intelligence artificielle (Artifical Intelligence A. I.), le projet inabouti de Stanley Kubrick finalement réalisé par Steven Spielberg d'après une nouvelle de Brian Adliss, dans lequel il apporte une certaine humanité non totalement dépourvue d’ambiguïté au créateur de l'enfant cybernétique à la recherche de ses origines. Il tourna aussi pour David Cronenberg mais dans un film sans rapport avec le genre, A History of violence, avant d’apparaître dans des films de super-héros, actuellement incontournables à Hollywood.