mardi 30 septembre 2025

CADAVRES EXQUIS PALEONTOLOGIQUES

QUAND L'HISTOIRE NATURELLE SE PIQUE DE FANTAISIE, 3ème partie


La Licorne de Magdeburg

    

    Des reconstitutions fantaisistes, à l'origine de mythes ?  

    La reconnaissance progressive des fossiles en tant que véritables restes d’animaux à l’issue de longues tergiversations rapportées dans le chapitre précédent n’a pas empêché l’élaboration de reconstitutions pas toujours très rigoureuses desquelles le fabuleux n’était pas absent, celui-là se mêlant à une étude de la nature qui n’avait pas encore totalement établi ses fondements, de sorte que, comme il fut déjà évoqué en janvier 2023 dans la première partie de cette série d’articles consacrés à la Fantaisie en histoire naturelle, « récits fantasques de voyageurs et taxidermie douteuse », la science médiévale était empreinte d’éléments mythiques.

     Il est fort possible que dans les époques reculées, les crânes d’éléphants nains qui vivaient sur les îles de Méditerranée comme la Sicile et Malte, probablement exterminés par les humains au début de la période historique, aient lors de leur découverte par les navigateurs suivants été interprétés comme ceux de cyclopes tel Polyphème dépeint par Homère dans L’Odyssée, le large orifice de l’insertion des muscles de la trompe évoquant une orbite unique, tandis que celles des yeux sont moins visibles et disposés latéralement. 


Sculpture en haut à gauche d'un cyclope mythologique tel celui mis en scène dans L'Odyssée d'Homère, juxtaposé avec le crâne d'un éléphant nain, Elephas falconeri dit aussi Paleoloxodon falconeri, reconstitué en dessous, qui vivait dans les îles méditerranéennes comme la Sicile, où comme le montre l'illustration du bas, il côtoyait le cygne géant Cygnus falconeri.

        Plus généralement, des os de grandes taille mis à jour par l’érosion des sols ont pu alimenter la croyance antique d’une race de géants largement répandue jusque dans la Bible avec le personnage de Goliath qui aurait été leur dernier représentant, et c’est ainsi qu'ont été identifiés dans des sites de la Grèce antique les restes de fémur d’un rhinocéros laineux dans l’acropole de Nichoria et le fémur d’un grand ongulé du Pléistocène dans le sanctuaire d’Héra à Samos. Une poterie de l’Antiquité grecque met en scène le combat du demi-dieu Hercule contre un monstre marin qui est représenté par un crâne squelettique évoquant quelque peu celui d’un reptile ancien. Certains auteurs pensent ainsi que des ossements de dinosaures ont pu alimenter la légende des dragons ; cependant, les restes d'animaux aussi anciens, remontant à l'Ere mésozoïque, généralement enfouis dans des couches profondes sauf en cas d'accident géologique, affleurent rarement à la surface, à l'exception de déserts comme celui de Gobi en Mongolie.


          Des squelettes de dragon faits de toutes pièces ?

    Des hommes de science ont alimenté plus ou moins délibérément ces rapprochements avec des créatures mythiques pour entretenir la propension populaire au Merveilleux. Le crâne d’un rhinocéros laineux fut découvert à Klagenfurst en Autriche en 1335 sur un emplacement qui était réputé être l’ancien repaire d’un dragon. Le crâne fut considéré comme validant la réalité de l’existence de l’animal fabuleux dénommé "Lindorm" et en 1583 la municipalité fit ériger une fontaine surmontée d’une statue à l’image du monstre mythique, pourvu de deux ailes, pour commémorer la découverte, installation toujours en place. 

Le crâne du rhinocéros laineux de la période glaciaire découvert en Autriche à Klagenfurst et la fontaine à l'effigie du dragon qu'il a inspiré.

        Au XVIIème, les habitants de la périphérie de Rome se plaignaient de crues, qu’ils imputaient à des monstres serpentiformes tapis dans le fond des rivières. En 1696, un ingénieur hollandais du nom de Cornelius Meyer se proposa de remédier au problème, mais il ne pouvait trouver d’ouvriers, ceux-ci étant effrayés par des rumeurs récentes affirmant qu’un dragon des environs censé avoir été tué des années plus tôt était en réalité toujours en vie. Le maître d’œuvre répondit à leur angoisse en trouvant miraculeusement les restes du monstre, dont il présenta par la suite une gravure dans son ouvrage Nuovi ritrovamenti Divisi in Due Parti consacré aux travaux d’édification des digues. En 2013, des créationnistes se saisirent de cette histoire ancienne pour tenter de démontrer qu’un reptile volant qu’ils attribuaient à l’espèce Scaphogathus crassirostris vivait encore au Moyen Âge, dans l’intention de contester la géochronologie admise et de valider à l’inverse leur vision d’une Histoire de la Terre bien plus brève en accord avec leur conception littérale de la Bible niant le processus d’évolution. Cette controverse amena deux auteurs, Phil Senter et Pondanesa D. Wilkins, à examiner de plus près la gravure du monstre de Meyer, établissant que le crâne figuré était celui d’un chien, la mandibule d’un second plus petit, la cage thoracique provenait d’un grand poisson, les vertèbres thoraciques d’un castor et les pattes d’un jeune ours, tandis que le bec, les cornes, les ailes et la queue étaient de pures fabrications, l’ensemble ayant été en partie recouvert d’une fausse peau. Le dragon malicieusement agencé par Cornelius Meyer ressemble étonnamment à celui nommé Dracunculus Monoceros qui figure dans un ouvrage de 1651 consacré à la nature mexicaine par Francesco Stelluti, réalisé un siècle après l’expédition de Francisco Hernandez d’après ses notes, Nova plantarum, animalium et mineralium Mexicanorium historia, à la différence qu’il possède une corne au lieu de deux, à tel point qu’on peut se demander si le prétendu découvreur n’en a pas eu connaissance et ne s’en est pas inspiré.

L'ingénieur Cornelis Janz Meyer aussi connu comme Cornelius Meyer, représenté au tournant de la décennie 1650 par le peintre Abraham van den Hecken, qui s'appuya sur la croyance populaire pour mieux la désamorcer de manière à pouvoir mener à bien ses projets. 



En haut, dessin du squelette de dragon prétendument trouvé par l'ingénieur Cornelius Meyer, en dessous, une reconstitution de l'aspect prêté à la créature de son vivant et en bas, son homologue mexicain et peut-être son modèle, figuré quelques décennies plus tôt par Francisco Stelluti.

        Un autre reste de rhinocéros laineux fut découvert en 1663 en Allemagne, dans une grotte située à proximité de Quedlinburg, obtenant une certaine renommée. Le scientifique prussien Otto von Guericke, créateur de la pompe à vide, postula que les vestiges de l’animal comportant un crâne, une corne, des côtes, des vertèbres dorsales et des os, étaient ceux d’une licorne. Après une illustration publiée en 1714 par le médecin Michael Bernhard Valentini basée sur les dessins de von Guericke, laquelle reproduit bien la forme du crâne d’un rhinocéros au-dessus du reste du squelette, le fossile fut à nouveau représenté en 1749 avec la même allure générale dans le traité posthume de géologie et d’histoire naturelle Protogaea du célèbre mathématicien et philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz qui estima que l’être était comme la licorne une véritable chimère en laquelle on pouvait reconnaître les parties de différents animaux. L’auteur justifia sa nature singulière en établissant un parallèle avec les expériences de laboratoire réalisées dans les éprouvettes, postulant que la nature expérimentait de la même manière en utilisant les volcans comme des fourneaux pour y façonner des œuvres merveilleuses – rappelons que la théorie de l’évolution n’avait pas alors été formulée. Liebniz ajoute que cette créature était marine en l’identifiant au narval à l’allure pourtant bien différente, ce cétacé dont le mâle est pourvu d’une très longue défense torsadée.

       L’illustration qu’avait fait paraître Leibniz servit de base au montage du squelette incomplet au Muséum d’histoire naturelle de Magdeburg, avec ses deux grosses pattes et son dos en pente raide surmonté d’une tête cornue, donnant l’impression d’une créature tronquée. La reconstitution finit par perdre toute crédibilité, mais en 2018, le spécimen fut utilisé pour un poisson d’avril initié par le bureau de l’État de Saxe-Anhalt en charge de la préservation des monuments historiques et de l’archéologie, qui annonça qu’une analyse génétique l’avait identifié comme appartenant à une espèce éteinte d’ongulé du Pléistocène nommée Monoceros mendaciloquus, dont les derniers représentants se seraient éteints à la fin du Moyen Âge, mais très peu de représentants du monde scientifique accordèrent crédit au canular. Une étude récente conduite par un professeur de l’université de Leiden, Thijs van Kolfschoten, redonne quelque crédit à l’interprétation de Leibniz du squelette en tant que chimère, mais naturellement constituée artificiellement par l’assemblage de pièces hétéroclites, celui-ci postulant effectivement que si le crâne est bien celui d’un rhinocéros laineux, la corne pourrait être une défense de narval, les deux membres et les clavicules appartiennent à un mammouth laineux tandis que le reste des ossements pourraient être issus d’une autre espèce toujours non identifiée.

Le squelette tronqué connu sous le nom de "Licorne de Magburg" au-dessous des croquis produits à la suite de sa découverte ; sur celui de gauche, on reconnaît bien l'allure d'un crâne de rhinocéros.

      En 1613, un chirurgien de Beaurepaire, Mazuyer, déclara avoir découvert les reliques d’un Géant, son assertion notamment confortée par un notaire, ce qui fut dénoncé comme une supercherie par son confrère Jean Riolan. En 1676, le naturaliste britannique Robert Plot découvrit probablement le premier vestige de dinosaure, un fémur du carnivore Megalosaurus, qu’il interpréta comme un fragment d’os de géant. Au siècle suivant, le médecin Richard Brookes se montra dubitatif en regardant le dessin que Plot en avait tiré et l’envisageant à l’aune de sa propre spécialité, le nomma Scrotum humanum en l’assimilant à une partie de l’appareil génital masculin auquel sa forme lui faisait songer. À la même époque, un forain présentait à travers la France une caisse contenant des ossements comme étant ceux du géant Theutobocus, roi des Teutons (en fait un Cimbre du 2ème siècle réputé de grande taille) tué par le Romain Marius à la bataille d’Aix-en-Provence. Le paléontologue Léonard Ginsburg identifia en 1984 à Paris une dent du Géant comme étant celle d’un Deinotherium, un parent de l’éléphant représentant un des plus grands mammifère terrestres jamais découverts.

Dessin du premier fragment d'os d'un dinosaure découvert en 1676.

      L’imprégnation des textes bibliques, considérés comme l’expression intangible de la vérité révélée, était encore si marquée chez les naturalistes du XVIIIème siècle que le savant suisse Johann Jacob Scheuchzer, qui après avoir cru que les fossiles se formaient dans la terre sous l’action d’un "suc lapidescent" s’était rangé à l’opinion de John Woodward dont il a diffusé l’œuvre selon laquelle il s’agit d’anciens organismes vivants, fut persuadé d’avoir trouvé à travers une partie de squelette les restes d’un homme noyé au cours du Déluge. Celui-là consistait en un crâne semi-circulaire et en une partie du squelette portant deux membres antérieurs terminés par des doigts. Dans son livre de 1726 intitulé Lithographia Helvitica, il appelle le fossile Homo diluvi ("l’Homme du Déluge"). Le célèbre Cuvier se rendit en 1812 au musée néerlandais de Haarlem qui l’avait acquis dix ans plus tôt, et en dépit de son adhésion à leur vision commune du Déluge, le paléontologue français établit qu’il ne s’apparentait pas à l’espèce humaine. Un fossile plus complet du même animal aurait permis à Scheuchzer de visualiser les deux pattes postérieures indiquant plus ouvertement qu’il s’agissait d’un être quadrupède ainsi que le prolongement de la colonne vertébrale sous la forme d’une queue. En 1831, ses affinités reconnues avec les Batraciens lui valurent d’être renommé Salamandra scheuchzeri, le nom d’espèce conservant le souvenir de son descripteur initial. L’animal fut associé aux grandes salamandres de Chine et du Japon, les plus grands amphibiens actuels qui atteignent près d’un mètre de long au sein de la famille des Cryptobranchidés, dans un genre nouvellement créé en 1837, Andrias, en tant qu’Andrias scheuchzeri – ce terme issu du grec andros, l’homme, conserve ainsi à jamais accolée au nom du savant suisse son interprétation anthropomorphe du fossile.

Squelette de la salamandre géante fossile considérée un peu hâtivement comme un être humain d'avant le Déluge biblique.


              Les Leviathan bibliques exhumés par le Dr. Koch ? 

         La découverte en 1799 du premier squelette de Mastodonte (Mammut americanum), un contemporain des mammouths également couvert de longs poils mais à la silhouette plus allongée avec lesquels il fut à l’époque confondu, puis sa présentation dans le musée de Philadelphie en 1806, avait fait sensation, amenant nombre de visiteurs prêts à débourser 50 cents supplémentaires pour pouvoir l’apercevoir dans le musée de Charles Peasle. Cette présentation lucrative incita Albert C. Koch, passionné par les fossiles, à ouvrir en 1836 un cabinet de curiosité comportant notamment des artefacts amérindiens et un reste de paresseux géant du genre Mylodon – ainsi que des ventriloques et des magiciens, les bénéfices lui permettant d’organiser des chantiers de fouilles, et à y présenter cinq ans plus tard un squelette de mastodonte deux fois plus grand que celui de Philadelphie. Averti en mars 1840 qu’un fermier avait trouvé dans le Missouri des restes d’un énorme animal, il se rendit sur place aussitôt en dépit d’une fièvre passagère et après avoir dirigé pendant quatre mois des travaux d’excavation, il revint à son musée avec un squelette de près de dix mètres de long et d’une hauteur de 4,50 mètres, soit le double d’un mastodonte véritable, muni d’une colossale paire de défenses, et il le présenta sous le nom de Missourium comme le "Léviathan du Missouri" en prétendant qu’il n’était autre que l’animal fabuleux cité dans le Livre de Job de l’Ancien Testament. Il s’agissait bien en réalité de restes de mastodonte, mais Koch avait additionné les ossements de plusieurs individus et encore accru la taille de la colonne vertébrale en y intercalant discrètement des pièces de bois. Il orienta aussi les épaules et le bassin de sorte de faire paraître encore plus grand le résultat, de même qu’il érigea les défenses sur les côtés et au-dessus du crâne au lieu de les positionner en avant et vers le bas telles qu’elles étaient orientées, de manière à rendre encore plus spectaculaire la présentation. 

        Dans son petit livret, Description of the Missourium, Albert Koch évoqua de manière fantaisiste l’animal, prenant des libertés avec les caractéristiques du squelette en dépeignant son Léviathan biblique comme un reptile aquatique aux pieds palmés et en suggérant qu’il devait être recouvert d’écailles « comme l’alligator ou peut-être le Megatherium » – à l’époque, on prêtait parfois une carapace aux paresseux géants en les rapprochant de leurs lointains parents les tatous. Après avoir vendu son musée en 1841, Koch fit une tournée européenne avec son spécimen à la manière de Barnum ; le célèbre paléontologiste britannique Richard Owen ("le Cuvier anglais") l’acquit en 1843 pour 1300 £ ainsi que le versement d’une rente annuelle de 650 $, et le fit remonter tel qu’était véritablement le squelette d’un mastodonte afin de le présenter au Muséum d’Histoire naturelle de Londres. Aucun paléontologiste sérieux n’a jamais adhéré à l’interprétation du "Léviathan reptilien" qui n’a existé qu’au travers de l’assemblage fallacieux de Koch. Par ailleurs, aucun mammifère d’une taille aussi considérable ayant vécu sur la terre ferme n’avait alors été découvert tel que le figurait le squelette retouché ; cependant, on découvrit en 1788 le reste du plus grand paresseux terrestre, le Megatherium précité pouvant atteindre 6 mètres de haut dressé, et un mammifère terrestre ongulé réellement gigantesque sera exhumé au début du XXème siècle, un énorme rhinocéros primitif sans corne qui vivait en Asie à l’époque où la végétation était plus abondante, le Baluchitherium (parfois assimilé au genre Paraceratherium dans les taxonomies récentes).


Dessin du squelette monté par Albert C. Koch de son "Missourium", en dessous, illustration montrant son gigantisme en le présentant à quelques pas d'un éléphant d'Asie, sa reconstitution basée sur la description qu'en donne son découvreur par l'illustrateur Tim Morris et en bas, diorama miniature figurant la vraie taille d'un mastodonte, prisonnier d'une mare de bitume le laissant à la merci de prédateurs comme le tigre à dents de sabre et le "loup terrible" (Canis dirus).

       Le passionné de fossiles, qui se faisait appeler Docteur, se fit une spécialité de présenter des squelettes d’animaux disparus rendus encore plus spectaculaires qu’ils étaient, puisqu’en 1845 il exhiba un nouveau squelette de "Léviathan reptilien", cette fois découvert en Alabama, qui avait tout du mythique Serpent de mer et qu’il baptisa Hydrarchos. Cet animal marin était censé surveiller ses proies en redressant un cou de cygne et porter des nageoires. L’animal mesurait plus de 34 mètres de long et 9 mètres de diamètre de son vivant selon l’auteur dans le fascicule qu’il lui avait consacré, Description of the Hydrarchos harlani – le nom d’espèce fut forgé d’après celui du paléontologue décédé Harlan qui avait découvert le premier Basilosaurus, un cétacé disparu, après qu’un autre naturaliste, Benjamin Silliman, qui croyait à l’existence des grands serpents de mer et avait authentifié dans un article public le squelette de Koch, lui avait demandé de ne plus l’associer à son nom une fois la fraude avérée, notamment dévoilée par le paléontologue anglais Gideon A. Mantell. En dépit de son allure serpentiforme ainsi que de l’existence de reptiles marins géants contemporains des dinosaures, la nature mammalienne du squelette était manifeste en raison de la double racine des dents que Koch lui-même avait relevée, identiques à celles d’un grand cétacé carnassier, le Basilosaurus précité ou Zeuglodon. Par ailleurs, comme pour le Missourium, la colonne vertébrale du monstre était constituée à partir de celles de plusieurs individus, peut-être six au total, aboutissant à une taille plus longue de deux tiers que le véritable animal. Entre-temps, Koch avait vendu son squelette au Roi de Prusse Frédéric Guillaume IV pour une rente annuelle. Le spécimen fut finalement confié à Johannes Müller du Musée royal d’anatomie de Berlin et connut le même sort que le Missourium, étant déconstruit pour que sa nature authentique de Basilosaurus lui soit rendue. Koch quant à lui ne se démontait pas si on peut dire, il entra en 1848 en possession d’un second squelette de Basilosaurus qu’il transforma à nouveau pour en faire un autre Hydrarchos un peu plus petit et reprendre une tournée en Europe, avant de le vendre au musée de St Louis, lequel le céda finalement au musée de Chicago qui devait disparaître dans le grand incendie qui embrasa la ville en 1871.

En haut, dessin du serpent de mer présenté par Albert C. Koch, au-dessous, sa représentation sur l'affiche de l'exposition comme un serpent de mer et en bas, une reconstitution actuelle grandeur nature du Basilosaurus, cétacé serpentiforme par le studio Blue rhino.

        Les présentations du Dr Koch furent dénoncées comme frauduleuses par la majorité des spécialistes anglo-saxons de sorte qu’à sa mort en 1867, il avait perdu tout crédit ; ses collaborateurs sur les chantiers reconnurent eux-mêmes que, contrairement à ses affirmations selon lesquelles il avait découvert les fossiles en l’état, les fouilles avaient exhumé de nombreuses pièces éparses, parfois sur une grande superficie. Les paléontologues allemands se montrèrent cependant plus indulgents en estimant que ce passionné de fossiles qui, comme Barnum, était avant tout un entrepreneur de spectacles, avait permis de conduire de nombreuses fouilles et que, bien que dépourvu de la rigueur de leur discipline, il avait tenté de reconstituer comme il l’avait pu ses spécimens, arguant que le très réputé Georges Cuvier avait lui-même éprouvé la nécessité de reconstituer des animaux disparus en assemblant des éléments provenant de plusieurs individus afin de pouvoir obtenir des squelettes complets. Son affirmation selon laquelle les mastodontes et les paresseux géants avaient été contemporains des Paléoindiens a quant à elle été confirmée, même si les pointes de flèches associées aux squelettes des animaux disposées par le décidément incorrigible Albert Koch étaient on ne peut plus récentes et vraisemblablement façonnées dans les réserves indiennes pour être vendues aux touristes.

Détail d'une peinture représentant, à droite, Albert C. Koch sur un site de mise à jour d'ossements gigantesques.


      Un chaînon manquant trop parfait de l'évolution humaine 

        Après les fossiles façonnés par des faussaires, squelettes de supposés chimère, dragons, licornes et Léviathans bibliques, on ne peut refermer, au moins provisoirement, cette série sur les faux en paléontologie des époques passées, qu’avec le crâne attribué à un de nos ancêtres, celui de L’Homme de Piltdown, la plus célèbre imposture de l’histoire de l’étude des fossiles. En 1912, l’archéologue amateur et collectionneur d’antiquités Charles Dawson prétendit que son équipe avait découvert en Angleterre des restes d’hommes de la Préhistoire, étudiés par Smith Woodward qui nomma le fossile Eoanthropus dawsoni ("L’homme de l’aube de Dawson"). Le spécimen avait tout d’une forme transitionnelle espérée par les évolutionnistes, avec son crâne bien développé, moderne, et sa lourde mandibule simiesque. Les méthodes de datation des années 1950 confirmèrent finalement les soupçons de ceux qui mettaient en cause l’authenticité et l’ancienneté de L’Homme de Piltdown. Le crâne s’avéra être celui d’un homme du Moyen Âge, la mandibule celle d’un orang-outan et les dents appartenir à un chimpanzé, l’ensemble ayant été vieilli artificiellement pour faire passer l’assemblage pour un fossile remontant au Pléistocène. Les hominidés de la Préhistoire semblent n’avoir en réalité véritablement accru leur volume crânien que lorsque la mâchoire s’est réduite du fait de l’invention du feu pour cuire les aliments et des outils qui rendaient la mastication plus aisée. Aucun fossile d’Eoanthropus n’a été découvert après le décès de Dawson en 1916 et l’antiquaire s’était déjà signalé pour avoir commis 38 faux en matière d’antiquité, sans parler d’une côte de mammouth, authentifiée par Smith Woodward, qui avait été travaillée de manière à être présentée comme une batte de cricket prêtée à l’homme fossile…


Le crâne hybride de L'Homme de Piltdown et au-dessous, reconstitution de son apparence sous la forme d'une sculpture.

        Les créationnistes se délecteront de cette supercherie en faisant valoir que le fossile vivant le plus crucial, permettant de rattacher l’espèce humaine à la lignée des grands singes, était une falsification destinée à faire accroire l’existence d’un chaînon manquant déniant à notre espèce sa spécificité et son origine divine. Les doutes déjà exprimés à l’époque sur l’authenticité de la découverte ne pouvaient qu’alimenter la suspicion à l’encontre de la sincérité des évolutionnistes telle qu’elle s’exprima lors du célèbre "Procès du singe" qui se tiendra aux États-Unis à Dayton en 1925, lorsque des chrétiens fondamentalistes s’opposèrent à l’enseignement de la théorie de l’évolution en affirmant que celui-ci violait leur droit de voir assurés à leurs enfants des cours qui ne soient pas en contradiction avec leur vision littérale de la Bible à laquelle sont attachées un certain nombre de confessions protestantes et que défendent encore aujourd’hui un nombre non négligeable d’élus du Parti républicain. Lors du procès, des évolutionnistes avaient d’ailleurs évoqué la découverte de la dent d’un homme fossile dans un gisement du Nebraska datant du Pliocène, un reste en mauvais état qui se révélera finalement en 1927 appartenir à une espèce éteinte de pécari – ces suidés vivaient initialement en Amérique du Nord avant de s’établir en Amérique du Sud quand les deux continents furent reliés).

Des créationnistes américains s'organisant pour dénoncer l'enseignement de l'évolution jugé contraire aux textes bibliques autour du prédicateur T.T. Martin, très actif pour mobiliser lors de la procédure à Dayton en1925, et en dessous, photo extraite du Procès du singe (Inherit the Wind), adaptation de cet affrontement judiciaire réalisée en 1960 par Stanley Kramer, avec Spencer Tracy à gauche dans le rôle d'Henry Drummond, l'avocat du professeur d'histoire naturelle poursuivi par le procureur Brady (Fredric March), un évènement qui fut aussi représenté sur les planches.

        Une autre confusion se produisit lorsque le paléoanthropologue roumain Contantin S. Nicholaescu-Plopsor déclara avoir découvert dans la région d’Olténie les ossements fossiles d’une variété d’Homo habilis. Ceux-ci, consistant en deux fémurs et un tibia, furent présentés lors de la session scientifique du Centre des sciences sociales de Craiova le 21 février 1981, puis à l’occasion d’une conférence de presse le 13 mars 1981, comme étant les restes du plus ancien homme d’Europe remontant à 2 millions d’années et rebaptisé Australoanthropus olteniensis. Le chercheur belge Jean-Marie Cordy a en 1993 considéré que ces ossements étaient ceux d’un ours.

    Une nouvelle accusation quant aux « manipulations auxquelles recourent les évolutionnistes » aura lieu plus tard avec un peu moins de retentissement médiatique lorsque des paléontologues, trop heureux de commencer à découvrir enfin des fossiles de formes ancestrales de cétacés, proposeront trop hâtivement une reconstitution complète du Pakicetus, figuré comme présentant les caractéristiques d’un être amphibie, alors qu’il est apparu par la suite qu’il avait une allure traduisant l’agilité d’un petit animal terrestre – c’est en réalité son descendant l’Ambulocetus (étymologiquement "la baleine qui marche") dont la morphologie traduit une adaptation manifeste à la vie aquatique. Les créationnistes verront dans l’empressement des paléontologues à reconstituer cette étape évolutive, en spéculant à partir d’une simple portion de crâne au travers de laquelle le Pakicetus était initialement connu, la preuve d’une instrumentalisation des fossiles de manière à démontrer fallacieusement la transformation des espèces au cours du temps.

En haut, une des premières représentations de Pakicetus (la "baleine du Pakistan"), un des plus anciens représentants des Cétacés tel que figuré à l'initiative de paléontologues trop enthousiastes d'avoir enfin pu remonter jusqu'aux origines terrestres du groupe au travers de crânes ; en dessous, une reconstitution plus récente présentée dans un musée d'histoire naturelle en Italie basée sur la découverte de squelettes complets, démontrant qu'il se déplaçait parfaitement sur la terre ferme.

         En passant en revue les siècles au cours de ces deux derniers articles pour examiner de quelle manière la fantaisie a pu se mêler à l’interprétation des fossiles, nous sommes parvenus jusqu’au tout début du XXème siècle – même si certains historiens considèrent que celui-ci ne commence réellement qu’en 1914. Pour autant, il ne s’agit là nullement du terme de notre voyage dans la science facétieuse. La Révolution industrielle qui au cours du XIXème siècle augure le cadre de nos sociétés modernes n’a pas nécessairement mis un terme à une approche débridée des sciences naturelles alors qu’on les pratique ordinairement avec un esprit de sérieux qui paraît empreint d’austérité, encore accru par l’environnement technique au travers d’appareils de plongée et de microscopes toujours plus sophistiqués qui étendent les champs de découverte. Nous verrons dans la suite de cette série sur la fantaisie en histoire naturelle que la séquence réserve encore quelques épisodes singuliers dans une époque qui paraît avoir banni l’approximation dans le domaine de la connaissance.

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La reconstitution du "Missourium" par Tim Morris vient de cet article du cryptozoologue Karl Shuker :
http://karlshuker.blogspot.com/2021/07/kochs-monstrous-missourium-and-horrid.html
Karl Shuker a également traité en détail du second montage élaboré par Albert C. Koch :
http://karlshuker.blogspot.com/2021/07/kochs-monstrous-missourium-and-horrid_24.html

On peut aussi lire ces deux autres articles anglophones sur le sujet :
http://extinctmonsters.net/2013/10/16/the-chimeric-missourium-and-hydrarchos/


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PROCHAIN VOLET : Lorsque la presse à sensation s'empare de la science


jeudi 31 juillet 2025

LE MYSTERE DES "PIERRES FIGUREES"

QUAND L'HISTOIRE NATURELLE SE PIQUE DE FANTAISIE, 2ème partie


Les fossiles ont longtemps défié les interprétations des érudits.

         En février 2023 a été présenté ici le début d'une série d'articles retraçant comment, au travers des époques, l'Histoire naturelle a pu être mêlée à des interprétations fantastiques, un sujet qui s'impose naturellement sur ce site qui orchestre fréquemment au travers du thème des créatures l'évocation croisée et même la rencontre entre les aspects les plus étonnants du monde vivant et son prolongement au travers de l'imaginaire, depuis les anciens mythes et légendes jusqu'à la science-fiction. Cette série de sept articles a été rapidement interrompue par diverses actualités, notamment suite à des découvertes scientifiques et à des disparitions de personnalités en rapport avec les créatures imaginaires.

        Il est donc temps à présent de reprendre le fil de cette saga historique. La première partie a évoqué comment de l'Antiquité romaine à la Renaissance, les naturalistes soucieux d'être exhaustifs ont compilé dans leurs traités des erreurs d'observation et même des affabulations des voyageurs, jusqu'à parfois y inclure des êtres mythiques, et comment certains ont profité de la crédulité de ces auteurs pour concevoir délibérément des faux jusqu'à faire douter de l'existence d'un animal réel. Dans cette deuxième partie, on va délaisser les créatures vivantes autant que les êtres légendaires pour s'intéresser aux restes d'organismes conservés dans les couches géologiques et à l'énigme que cela a représenté au cours des âges pour certains de nos ancêtres.


   Des prototypes du vivant dans la pierre ?

L'effrayant Maître des gnomes dans le film Oz, un monde extraordinaire (Return to Oz), une production Disney librement inspirée de l'œuvre de Frank L. Baum ; si ce personnage sous forme de rocher humanoïde dont on peut trouver quelque équivalent dans les péplums appartient incontestablement au domaine du Merveilleux, il n'aurait peut-être pas été estimé si fantaisiste dans les temps anciens lorsque nombre d'érudits étaient persuadés qu'au travers de processus géochimiques ou thermodynamiques la vie animale pouvait se former au sein du monde minéral, comme le déplorait le naturaliste suisse Johann Jakob Scheuchzer : "On adjuge au règne minéral ce qui appartient au règne végétal, ou à l'animal, de sorte qu'il étend ses limites plus loin qu'il n'est équitable."

        Pour le lecteur contemporain, il n’est pas douteux que les formes minéralisées telles que les coquillages et oursins qu’on trouve dans la pierre sont des restes d’animaux d’époques reculées. Au cours de l’Histoire, bien des esprits brillants se sont interrogés devant ce qui nous apparaît de nos jours comme une évidence, jusqu’à ce que la notion de fossile s’impose tardivement. Dans ce deuxième volet de la série d’articles consacrée à l’Histoire naturelle fantaisiste qui correspond particulièrement bien à la thématique de ce site qui fait se rencontrer la nature réelle dans toute son étrangeté et son accaparement par l’imaginaire, on se propose de retracer pour le lecteur ce cheminement laborieux au travers des croyances jusqu’à l’orée de la science paléontologique.

        Dans l’Antiquité, des présocratiques comme le savant Thalès, le philosophe Xénophane de Colophon, le conteur Hérodote, puis un peu plus tard l’historien Xanthos de Lydie, le savant Eratosthène ou encore le géographe Strabon envisageaient les fossiles inclus dans les roches en tant que vestiges d’animaux marins portant témoignage de l’existence d’une mer depuis longtemps asséchée ; au XII ème siècle, le Chinois Chu Hsi inclinait aussi à penser qu’il s’agissait d’animaux qui s’étaient solidifiés après avoir été remontés des profondeurs. Cependant, l’opinion longtemps la plus répandue, qui perdurait encore au temps de la Renaissance, avançait des explications plus insolites, postulant que ces pierres singulières étaient tombées du ciel, avaient été créées par la foudre ou bien avaient été formées spontanément dans le sous-sol ou dans les mers par un phénomène que Théophraste nommait "vis plastica", lequel reproduisait partiellement la forme d’êtres vivants par le jeu du hasard.

       Ces derniers pouvaient d’ailleurs eux-mêmes être générés dans certaines conditions à partir de matière inerte selon la théorie de la génération spontanée s’enracinant dans la philosophie grecque la plus ancienne depuis Anaximandre et reprise par le médecin et philosophe des X-XIèmes siècles Avicenne, toujours présente dans les esprits au XIXème siècle – la pérennité de cette représentation sera évoquée à de futures occasions. Même Aristote, auquel on a fait une allusion élogieuse dans la première partie de cette série d’articles, rejetait ce qui nous paraît dorénavant une évidence, en assurant que ces manifestations géologiques procèdent principalement de l’action de la chaleur et du froid s’exerçant dans le substrat, ou dans certains cas que des graines à l’origine d’animaux marins pouvaient tomber du ciel et se perdre dans le sol en donnant ces formes similaires à des organismes latents attendant de prendre vie – il avait vu plus juste en supputant que la Terre était autrefois entièrement recouverte par un océan. Ces conceptions peuvent aujourd’hui nous paraître de nature magique, mais il est vrai que la théorie de l’évolution avait alors été à peine pressentie par quelques présocratiques, et qu’aussi incongrue que semble être à présent la conception d’organismes complexes se formant spontanément sous certaines conditions, elle procède pour le naturaliste grec du souhait de trouver des causes naturelles susceptibles d’expliquer la génération d’organismes dans les cas les plus énigmatiques.

Buste à l'effigie d'Aristote, génie antique de la zoologie, mais qui a eu tendance à rendre copie blanche sur le sujet discuté des fossiles.

       Au XIIIème siècle, un des premiers grands naturalistes et également théologien, Albert le Grand, conciliait les deux explications antagonistes ; dans De Mineralibus, il explique que les fossiles peuvent représenter de vrais animaux dont les composants naturels ont été minéralisés, entraînant leur pétrification, mais précise aussi que lors de la formation d’une roche, le mouvement giratoire d’une vapeur demeurant captive en son sein serait susceptible de créer une forme similaire à celle d’un coquillage en attente d’un esprit vital pour l’animer selon le principe vitaliste d’Aristote, et en accord avec la théorie de la génération spontanée de la vie de son inspirateur Avicenne – lequel considérait par contre à la différence du savant grec de l’Antiquité que les fossiles se formaient par un fluide pétrifiant plutôt que par l’exhalaison de vapeurs, même s’il semble par ailleurs avoir établi une corrélation entre des fossiles d’animaux marins et la présence d’anciennes mers à l’endroit où on les a découverts, autre indication que ces différentes conceptions étaient alors estimées compatibles.

      Au XVI siècle, l’archéologue allemand Georg Bauer dit Agricola porta également son attention sur les restes préservés d’animaux avec son ouvrage de géologie De Natura fossilium paru en 1456 qui propose une typologie des matériaux extraits du sol (les fossiles dans l’acception large de l’époque), incluant les traces de la vie passée. L’auteur envisage la nature animale originelle de certains de ces objets tels les corps de petits animaux préservés dans la résine de même que des coquillages et des coquilles d’ammonite, un type de céphalopode éteint à la fin de l’ère mésozoïque en même temps que les derniers dinosaures, sans pour autant exclure qu’ils soient façonnés au sein du substrat ; quant aux fossiles d’oursins, il considère conformément à la vision de l’époque qu’il s’agit de pierres tombées du ciel.


Portrait de Georg Bauer dit Agricola et une édition de son ouvrage minéralogique.

Oursins fossiles dans l'ouvrage de Conrad Gesner, souvent considérés à l'époque comme des "pierres stellaires".

        Le célèbre naturaliste suisse Conrad Gessner fait à son tour paraître juste avant de décéder en 1516 un livre sur le sujet en complément de ses autres publications traitant d’histoire naturelle, De rerum fossilium, lapidum et gemmarum maximé. L’ouvrage présente avec une grande exactitude des illustrations de nombre de fossiles d’animaux, coquilles de bivalves, de gastéropodes, d’ammonites et de bélemnites (d’autres céphalopodes éteints apparentés aux seiches dont subsiste l’os interne), de crabe, d’oursins, de sections étoilées de tiges de crinoïdes qu’avait déjà évoquées Agricola et de dents de requins. L’interprétation que propose le savant de certaines de ces découvertes peut parfois sembler quelque peu approximative. Une dent de requin est identifiée comme étant le bec d’un merle alors même qu’il relève que sa partie inférieure évoque les racines d’une dent. Quant aux ammonites, s’il en rapproche des escargots certaines auxquels on pouvait effectivement les assimiler par analogie tant qu’on ne disposait pas d’informations sur l’animal qui occupait la coquille, une autre avec un long enroulement au diamètre plus constant est comparée à un serpent lové sur lui-même dont il prétend voir une tête bien inexistante. En dépit des nombreuses corrélations établies dans son traité par Conrad Gesner entre ces fossiles et des espèces animales, le naturaliste demeure assez évasif quant à la nature et à la formation de ces pièces remarquables.

"Etoiles tombées du ciel" : il s'agit en réalité d'encrines, des tronçons détachés du pédoncule de crinoïdes fossiles, des animaux fixés des profondeurs qu'on surnomme "lys de mer", dont on peut voir au second plan un tronçon plus complet.


Le naturaliste Conrad Gessner, une illustration représentant des coquilles fossiles et un extrait de son ouvrage De reum fossilium

En dépit de la qualité scientifique de ces dessins de fossiles, le célèbre botaniste italien du XVIème Ulisse Aldrovandi (évoqué dans le premier article de cette série en février 2023) n'est pas enclin à les considérer comme d'origine organique, estimant au contraire, par exemple, que le coquillage figuré en haut à gauche dans sa gangue n'a pas été pris dans la roche mais à l'inverse qu'il est en train de se former à l'intérieur du minéral.

Représentation partiellement zoomorphe de la bufonite, pierre censée être trouvée dans la tête des crapauds, présentée en 1648 dans un ouvrage d'Ulisse Aldrovandi.

    L’impossibilité générale de considérer les "pierres figuratives" en tant que restes de plantes ou d’animaux était si fortement ancrée dans les esprits en ces temps-là qu’un marchand ambulant de Westphalie qui contre quelques pièces montraient des spécimens de poissons pris dans des grès de la période crétacée fut en 1550 brièvement incarcéré dans la ville de Kampen aux Pays-Bas en tant que faussaire présumé, personne ne voulant croire que la roche puisse naturellement contenir de telles pièces rappelant autant de véritables poissons, avant qu’un juge plus conciliant ne le fasse libérer et expulser avec la boîte renfermant sa collection.

Un très beau fossile de brochet trouvé à Oehningen - aujourd'hui dans le Bade-Wurtemberg, que présente le naturaliste Johann Jakob Scheuchzer dans son opuscule de 1708 Les Doléances et revendications des poissons, dans lequel il défend l'idée que de tels restes trouvés dans la roche ne peuvent être que des fossiles de poissons d'avant le Déluge, mais il ne convainquit pas le malacologue anglais Martin Lister estimant que la nature des fossiles ne pouvait être rapportée à de vrais coquillages, méconnaissant ainsi le processus de minéralisation constitutif de la fossilisation, tout comme ses compatriotes Robert Plot et Edward Lhwyd persuadés de la "plasticité des roches" respectivement sous l'effet de "principes salins" dans l'esprit de l'alchimiste Paracelse et par imprégnation des roches par des semences d'animaux marins au travers de l'infiltration par des vapeurs originaires de l'océan.

Dans les temps anciens, les fossiles faisaient objet de nombre d'interprétations souvent extravagantes, même chez les savants ; au Moyen-âge, des fossiles comme celui de ce coquillage (Proschizophoria, un bivalve n'appartenant pas aux mollusques mais au groupe de Brachiopodes procédant d'une évolution convergente) ont pu être interprétés par les croyances populaires comme la marque dans des rocs de montagne de l'empreinte d'un sabot du Diable, classiquement représenté dans la lignée du Dieu Pan avec des pieds de bouc.

    Le célèbre médecin français Ambroise Paré, qui a, il est vrai, donné dans son ouvrage "Des monstres et prodiges" un apparent crédit à l'existence de nombreux êtres fabuleux à la suite des naturalistes médiévaux, alimente au XVIème siècle la croyance selon laquelle des animaux pourraient naître de la pierre ou au moins s'y trouver contenus à l'état vivant, en relatant la découverte à Meudon d'un « gros crapaud vif » contenu dans une pierre volumineuse, en précisant que selon le carrier, trouver différentes sortes d'animaux vivants dans des pierres n'est pas si rare. Il conclut : "On peut aussi donner raison de la naissance et vie de ces animaux : c’est qu’ils sont engendrés de quelque substance humide des pierres, laquelle humidité putréfiée produit telles bêtes." Le cryptozoologue (spécialiste des animaux mystérieux) Jean-Jacques Barloy indique dans son article "Rumeurs sur des animaux mystérieux" (accessible en ligne) qu'en 1851 encore, on aurait rapporté qu'un crapaud vivant avait été sorti d'un nodule de silex.


            L'émergence d'une meilleure compréhension des fossiles

    Ce sont deux artistes qui vont le plus clairement postuler que ces ressemblances ne sont en rien fortuites et qu’elles procèdent bien de la conservation de restes d’organismes réels. En 1590, Bernard Palissy écrit dans son Livre des pierres que les coquillages trouvés dans les sites fossilifères sont ce qu’il subsiste d’êtres aquatiques qui ont été pétrifiés au cours d’un processus naturel, retrouvant la logique de présocratiques cités au début de l’article. Léonard de Vinci évoque même dans ses carnets personnels les dépôts de boue charriée par les courants, emprisonnant des animaux et se changeant en pierre en gardant ainsi la trace de ces organismes ; c’est très exactement la façon par laquelle les gisements appelés "laggerstatten" ont préservé des créatures dépourvues de parties dures jusqu’à des méduses et à leurs tentacules si délicats, permettant notamment de découvrir nombre de formes anciennes qui seraient autrement demeurées à jamais inconnues comme la faune édiacarienne du Précambrien terminal appelé Protérozoïque et celle du début du Cambrien dite faune de Burgess Shale, au-delà des trilobites bien connus recouverts d’une carapace qui commençaient déjà à prospérer à l’époque. L’artiste italien de la Renaissance établit avec d’autant plus de certitude le lien entre de véritables animaux et leur préservation minéralisée qu’il note sur les fossiles les mêmes marques de développement que chez les premiers : « D’autres personnes non instruites déclarent que la Nature, ou le Ciel, les ont créées sur place par des influences célestes, comme si en ces mêmes lieux on n’avait pas également trouvé des os de Poissons ayant mis longtemps à croître, et comme si nous n’étions à même de mesurer sur les coquilles des clovisses [palourdes] et des escargots leurs périodes de croissance, comme on le fait sur les cornes des taureaux et des bœufs ».

Leonard de Vinci, un de ses croquis de fossiles (la flèche pointant une apparente colonie de bryozoaires) et en dessous Bernard Palissy. 

        L’idée de la vraie nature des fossiles commence à leur suite à se frayer un chemin chez les scientifiques. En 1616, le botaniste italien Fabio Colonna établit dans son ouvrage De glossopteris dissertatio que les glossoptères, ces "pierres de langue" trouvés dans les roches, que Pline l’Ancien croyait tombées du ciel ou de la Lune ou qu’on disait aussi parfois se former spontanément dans les roches, sont véritablement des dents de requin. L’évêque, anatomiste et géologue danois Niels Stensen approuva cette interprétation en précisant en 1667 qu’il existait une substitution au niveau de la composition, postulant ainsi le processus de minéralisation. Le savant anglais Robert Hooke, un des premiers à fabriquer des microscopes, et à ce titre requis pour valider la découverte pour la première fois d’organismes invisibles à l’œil nu par Anton Leeuwenhoeck, a observé en 1665 des coupes de bois pétrifié et en a conclu qu’il s’agissait bien d’authentiques fragments d’arbres anciens, en déduisant que les fossiles consistaient en les restes d’organismes vivants, tels les coquilles d’espèces marines trouvées en altitude suite aux soulèvements de terrains, incluant des formes depuis éteintes.

Pierres tombées du ciel figurées en 1845 dans l'ouvrage Hortus sanitatis du médecin allemand Jean de Cuba, qui se sont la plupart du temps avérées être des dents fossilisées de squales.

Les dents fossilisées de requin ont été l'objet de bien des interprétations les plus fantaisistes jusqu'à être enfin reconnues pour ce qu'elles sont.

     Pourtant, au XVIIème, un naturaliste réputé tel que John Ray, connu notamment en zoologie pour ses traités sur les poissons comme pour les reptiles, et qui admettait la transformation des espèces au nom d’un créationnisme continu, ne parvenait toujours pas à admettre que des fossiles comme les Ammonites puissent représenter les reliques de formes animales, car selon la Bible alors prise pour rigoureusement exacte dans son intégralité, le Créateur n’avait ajouté aucune nouvelle espèce postérieurement à la Genèse, pas plus qu’il n’en avait fait disparaître, donc ces coquilles sans comparaison avec la faune actuelle ne pouvaient émaner d’êtres ayant véritablement existé, leur allure ne rappelant ainsi selon lui que fortuitement celles d’authentiques formes vivantes. Au même siècle, le spécialiste britannique des fossiles Robert Plot continue également de considérer que la majeure partie d’entre eux ne procède que de la cristallisation de sels minéraux qui aboutit parfois fortuitement à évoquer des formes biologiques.

       Anciennes représentations et mystification

     Johann Adam Beringer, médecin de Würzburg dans l’actuelle Bavière affecté au service du Prince de Würzburg et du Duc de Franconie ainsi que doyen de l’université de Würzburg, passionné par l’histoire naturelle, considérait encore au XVIIIème siècle les fossiles comme des œuvres divines plutôt que comme des traces d’organismes vivants, les assignant à des prototypes façonnés dans la glaise par le Créateur. Il les collectionnait dans son cabinet de curiosité personnel tels que des bélemnites, des ammonites et des dents de requins, et il avait engagé trois jeunes hommes pour qu’ils lui en ramènent depuis un gisement proche. Ses employés lui apportaient régulièrement une prolifique collecte, comportant nombre d’animaux en relief enchâssés dans des pierres dont le naturaliste s’étonnait lui-même que celles-là soient juste de la bonne dimension pour les avoir préservés dans leur totalité. Quelques-uns étaient assez fantastiques comme une sorte de larve ou de limace semblant pourvue d’une tête de mammifère à chaque extrémité ainsi qu’une créature à queue de poisson ou de homard, dotée de deux tentacules céphaliques au-dessus de ses yeux ronds et pourvue de deux petits bras humains, lui conférant une allure proche de certains extraterrestres qui seront figurés dans les magazines populaires de science-fiction des années 1930.


Représentation des "fossiles" de Beringer, dont deux spécimens particulièrement pittoresques, et une des pièces d'origine.

        Beringer publia en 1726 son ouvrage Lithographiae Wirceburgensis incluant la reproduction de 204 spécimens sur 21 planches, faisant suite à une illustration tirée des Métamorphoses d’Ovide qui dans son esprit souligne vraisemblablement le caractère surnaturel de ses trouvailles. Il faut reconnaître qu’à l’époque, la discipline que de Blainville dénommera à la fin du XIXème siècle la paléontologie (Beringer parle de lithologie, étude des pierres) n’en était qu’à ses débuts, sans parler de la taphonomie, la science qui étudie les processus de fossilisation ; les seuls restes fossiles qui apparaissent en relief sont les parties dures qui ont été minéralisées comme le bois, les squelettes et les carapaces, tandis que lorsque les contours de l’organisme sont conservés comme pour les supposés lézards et grenouilles de Beringer, ceux-ci ne se présentent que sous la forme d’une empreinte plate – l’exemple du pangolin Eomanis du site éocène de Messel en fournit une illustration remarquable, combinant le squelette intact avec la silhouette foncée qui l’entoure comme un décalque du profil de l’animal tel qu’il était à sa mort. Néanmoins, Beringer fit aussi représenter encore plus audacieusement des corps célestes qui arboraient un visage à la manière de la Lune et du Soleil dans les films volontairement naïfs de Méliès du début du Xème siècle, ainsi que des écritures hébraïques censées avoir été gravées par Dieu à la manière des Tables de la Loi remises à Moïse selon l’Ancien Testament. Il considérait ces pierres comme des sortes de brouillons laissés par le Créateur.

Une planche de l'ouvrage de Beringer présente parmi de supposés fossiles d'escargots, limaces et vers ce qui fait irrésistiblement penser à un "ver à gland" ou Entéropneuste, lointain parent des vertébrés (voir article de novembre 2008), à une époque à laquelle ces animaux ne semblaient pas connus des naturalistes ; ce faux avéré constitue peut-être la première représentation de ces animaux.

Des modèles d'astres fossilisés, dans la lignée des encrines prises pour des étoiles tombées sur Terre, représentés dans l'ouvrage de Beringer, lunes, comètes et un soleil présentant une physiologie humaine.


Dessin d'une Lune anthropomorphe éborgnée par le vaisseau des Terriens se rapportant à une scène du Voyage dans la Lune de Georges Méliès de 1901, et en dessous un Soleil également doté d'une face humaine dans son Voyage à travers l'impossible en 1904, comme un écho lointain des planches les plus fantasmagoriques du livre de Johann Beringer.

        C’est seulement postérieurement à la parution de l’ouvrage qu’il réalisa qu’il avait été effectivement induit en erreur par des artefacts - une rumeur prétend qu'il aurait compris qu'il avait été mystifié lorsqu'il déchiffra son propre nom parmi les inscriptions hébraïques gravées dans la pierre. Il s’efforça de racheter les exemplaires de son ouvrage, mais n’en entama pas moins une action officielle à l’encontre des trois découvreurs, lesquels indiquèrent que les faux fossiles avaient été sculptés à l’initiative de deux collègues qui voulaient punir l’intéressé de « son arrogance et du mépris qu’il témoignait envers ses collègues », J. Ignatz Roderick et Georg von Eckhart. La carrière du naturaliste en pâtit, de même que ceux de ses deux malicieux et malveillants confrères, le premier dut quitter Würzburg et le second n’acheva pas son parcours universitaire.

Quelques-unes des sculptures qu'on a fait passer pour des fossiles auprès du Professeur Johann Adam Beringer. 

        Contrairement à John Ray et malgré son christianisme sans faille, le médecin et naturaliste britannique John Woodward écrivit dans son Essay toward a Natural History of the Earth paru en 1695 qu’il ne faisait pour lui pas de doute que ce qu’on appelait des "pierres figurées" étaient bien d’authentiques coquillages qui vivaient autrefois dans l’eau et dont la forme avait servi de moule ou de matrice pour le sable ou d’autres matières minérales qui en ont ainsi conservé la trace, animaux qui, pour ce qui concerne les espèces dont on ne trouve pas d’équivalents actuels, ont été remontés des profondeurs à l’occasion du Déluge, ce qui explique qu’on ne les voit pas ordinairement. Son ouvrage, traduit en latin par le Suisse Johann Jakob Scheuchzer, sera diffusé dans toute la communauté scientifique. Au XIXème siècle, même si un professeur pouvait encore déclarer en 1800 que les fossiles étaient une farce divine pour tester la foi, les controverses ne mettront finalement plus en cause l’origine biologique des fossiles mais porteront toujours sur la raison pour laquelle certaines espèces étaient notablement différentes des actuelles, les créationnistes imprégnés par la Bible comme Cuvier cherchant au fur et à mesure des découvertes à établir le nombre de déluges divins qui avaient pu amener à des renouvellements radicaux de la flore et de la faune, et les évolutionnistes invoquant la transformation graduelle d’espèces au fil du temps et l’extinction de certaines d’entre elles imputables à la compétition et à des catastrophes naturelles.

Sculpture anthropomorphe moderne de Jane Vaskevich à partir de fragment de roche, qui peut nous évoquer les anciennes croyances qui n'établissaient pas de coupure radicale entre le monde minéral et les êtres vivants. 

        Le débat enfin tranché, refermant une parenthèse de plusieurs milliers d’années durant laquelle on avait, par d’antiques croyances quelque peu exubérantes ou au nom de la religion, notamment au temps de la Renaissance sous l’égide d’un protestantisme attaché à une vision littérale de la Bible, dénié que les fossiles conservent les traits d’animaux ayant vécu dans les temps anciens, n’allait pas mettre un terme aux interprétations fantaisistes des traces animales fixées dans la pierre, comme on aura l’occasion de le constater non sans amusement dans les prochains chapitres de cette évocation.

Cette belle illustration de l'artiste Una Woodruff représentant des "pierres figurées" évoque vraisemblablement l'opportunité qu'offrent les restes conservés dans les roches pour permettre de reconstituer les êtres du passé au travers de la paléontologie, mais nombre d'érudits des époques passés y auraient vu une représentation de la formation au sein de la matière minérale d'ébauches constituant finalement des animaux parfaitement vivants.

        A SUIVRE : Le prochain chapitre de cette série portera sur les "cadavres exquis de la paléontologie", avec d'autres anecdotes et créatures extravagantes.

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    Évoquons pour mémoire la disparition de quelques personnalités associées aux créatures imaginaires. L'acteur américain Michael Madsen est décédé d’un arrêt cardiaque à l'âge de 67 ans. Apparu dans de nombreux films d'action notamment de Quentin Tarantino, même s'il avait décliné le rôle de tueur à gage de son Pulp Fiction, il avait aussi interprété le héros des deux premiers films de la saga La Mutante (Species) dans le rôle de Preston Lennox, en 1995 sous la direction de Roger Donaldson, puis en 1998 dans la première suite réalisée par Peter Medak, y affrontant de terrifiants hybrides constitués d'un mélange d'ADN humain ainsi que de gènes extraterrestres, dont l'apparence avait été imaginée par le peintre suisse Hans Giger reprenant sa vision dite biomécanique qui l'avait rendu célèbre à l'occasion d'Alien, et que le studio de Steve Johnson s'était attaché à concrétiser pour l'écran. Il était aussi apparu dans le film Sauvez Willy (Free Willy) en 1993 dans le rôle de Glen Greenwood qui avec sa compagne aide leur fils adoptif à sauver une orque en captivité. Sa sœur Virginia est aussi actrice (Electric Dreams, le prologue de DuneCandyman).

Michael Madsen joue dans La Mutante 2 (Species 2) un mercenaire engagé pour contrer la menace extraterrestre, ici face au monstre "Patrick", construit par le studio d'effets spéciaux de Steve Johnson.

        Le célèbre catcheur Terry Eugene Bollea dit Hulk Hogan est décédé le 24 juillet 2025 en Floride à l'âge de 71 ans. Célèbre pour sa moustache blonde en fer à cheval qui lui donnait une allure de viking, il était apparu dans un certain nombre de fictions comme Rocky III : l'oeil du tigreGremlins 2 : la nouvelle génération (Gremlins 2 : the new Batch), et avait obtenu le rôle principal dans le film de science-fiction Space commando en compagnie de Christopher Lloyd, Shelley Duval et d'un autre catcheur dit The Undertaker, dans lequel apparaissait un mutant créé par Bill Corso pour le studio Steve Johnson Fx, une figure de série B assez reconnue pour qu'une figurine en kit de la créature soit proposée aux amateurs. Sur la scène de la lutte, Hulk Hogan avait détrôné André le Géant, alors invaincu depuis quinze ans, qui avait quant à lui figuré dans le film Princess Bride et endossé dans certains plans le costume du monstre Dagoth dans Conan le destructeur (Conan the Destructor). Ce site avait évoqué en août 2015  la disparition d'un troisième catcheur, Roddy Pipper.

Appelé à la rescousse par le directeur du cinéma (incarné par Paul Bartel), Hulk Hogan menace les Gremlins qui perturbent une projection en faisant des ombres chinoises sur l'écran dans Gremlins 2 : Une nouvelle génération (Gremlins 2 : The New Batch). en 1990

Hulk Hogan en 1991 dans le film Suburban Commando.

Le mutant du film Suburban Commando


Jean-Pierre Putters, à droite, faisait découvrir en 1982 sa revue Mad Movies au réalisateur d'Evil Dead Sam Raimi, lequel se montre visiblement enthousiaste.

      Le journaliste français Jean-Pierre Putters s'est lui éteint à 69 ans, le 10 mai 2025, soit le lendemain du décès du maquilleur Greg Cannom quatre fois oscarisé auquel l'article précédent a consacré un assez long hommage, mais on ne l'a appris que dans la seconde partie du mois de juillet, car il avait demandé à son épouse que sa disparition ne soit pas rendue publique, à l'image de l'humilité qu'il avait toujours manifestée. Débutant dans la vie professionnelle comme mitron, il consacrait le temps où il ne travaillait pas en boulangerie à lire, notamment les écrits de philosophes célèbres, ce qui contribua à structurer sa pensée pour ses analyses sur les films, sa passion du cinéma l'ayant conduit à créer un fanzine qui deviendra un magazine national réputé, Mad Movies. Les créatures monstrueuses n'étaient pas rares dans la publication - il sortira même une série de livres qui leur était dédiée, "The Craignos Monsters", et il obtint des entretiens avec de grands créateurs d'effets spéciaux, à l'exception de Rob Bottin qui répondait très rarement à la presse. Il avait en 2013 délaissé sa revue pour en créer une autre plus généraliste, "Metaluna", et semblait avoir progressivement perdu son intérêt pour le cinéma - même s'il prêtait son concours à de petits films d'horreur parodiques, pour s'adonner principalement au plaisir de jouer de la guitare et de composer des chansons. 

Jean-Pierre Putters tenant fièrement un des ses ouvrages consacrés aux créatures du cinéma fantastique.

    Probablement que les films récents standardisés, à la photographie souvent sombre et laide, et rendus abstraits par leur profusion d'imagerie virtuelle avaient fini par l'éloigner de la production actuelle, et ce n'est pas le présent site qui lui donnera tort. Même si son long compagnonnage avec le cinéma de l'imaginaire avait depuis longtemps pris fin, il demeurera assurément durant encore une longue période un modèle d'autodidacte et une figure marquante et cultivée ayant défendu le cinéma fantastique de la grande époque, et il nous appartient avec des moyens certes plus modestes*, au Club des monstres de notre ami québécois Mario Giguère, qui partage avec le disparu une dilection pour l'humour au second degré (on se rappelle de la chronique de Jean-Pierre Putters qui non sans ironie relevait le détournement d'affiches pour commercialiser jaquettes ou DVD d’œuvres souvent plus obscures et sans grand rapport) ainsi qu'au blog Créatures et imagination, de poursuivre l'entreprise de ce héraut de l'imaginaire en défendant les films qui nous ont fait rêver, leurs créatures fascinantes et leurs créateurs.

Jean-Pierre Putters tenant son ouvrage autobiographique Mad... ma vie.

*d'autant qu'après plusieurs faux espoirs, l'Histoire de l'imaginaire à l'écran proposée par l'auteur de ce blog, qui suppléerait en un volume très complet aux tomes des "Craignos Monsters" depuis longtemps épuisés, n'est toujours pas publiée - avis aux éditeurs courageux qui pourraient au moins déjà dans un premier temps le proposer en ligne aux amateurs intéressés.

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