samedi 20 septembre 2014

UN FOSSILE VIVANT VRAIMENT INATTENDU ?


Même si la densité de la vie est si grande dans les régions tropicales qu’on y découvre régulièrement de nouvelles espèces, il ne s’agit souvent que de variations de formes déjà connues, notamment des insectes qui vivent à proximité d’espèces végétales particulières, en raison d’un mimétisme destiné à permettre le camouflage au sein d’une végétation n’existant que dans une région très restreinte (une flore dite endémique), ou bien de la coévolution qui a amené l’émergence d’un Insecte spécifique propre à une Orchidée particulière, sélectionnant un seul type de pollinisateur. Des Vertébrés peuvent aussi être parfois découverts, comme tout récemment l’Olingo, ce parent du Kinkajou appartenant à la famille des Procyonidés, une famille de Carnivores du Nouveau monde dont le plus célèbre représentant est le raton-laveur.
C’est cependant dans l’océan, berceau de la vie animale, qu’on trouve la plus grande variété de types animaux. Si l’on excepte la faune microscopique des sols (pédofaune) qui inclut plus de diversité, les espèces rencontrées sur la terre ferme sont bâties sur un tout petit nombre de modèles, essentiellement deux, les Vertébrés (comportant Mammifères, Oiseaux, Reptiles et Batraciens) ainsi que les Arthropodes (incluant Insectes, Arachnides, Myriapodes (les « mille-pattes ») et quelques Crustacés représentés par les Cloportes), embranchements auxquels il faut ajouter certains Mollusques (Gastéropodes tels qu’Escargots et Limaces ) et les Annélides, au travers des vers de terre qu’ont ne voit qu’accidentellement à l’air libre.
Il en va tout autrement dans les mers, où peuvent être trouvés des représentants de groupes jalonnant les étapes de l’histoire de l’évolution animale sur notre planète, depuis des formes unicellulaires abondant dans le plancton comme les délicats Foraminifères et Radiolaires, des animaux primitifs tels que les Eponges (Spongiaires), Méduses et anémones de mer (Cnidaires), jusqu’aux précurseurs des Vertébrés, comme l’Amphioxus aux allures de poisson sans tête, et aux Poissons eux-mêmes – sans parler des Vertébrés retournés à la mer tels que tortues marines, serpents de mer, manchots, phoques, baleines et dauphins.
A côté d’une dizaine d’embranchements d’importance, on recense plus d’une vingtaine d’embranchements dits mineurs, ne comportant qu’un nombre restreint d’espèces actuelles et dont les liens de parenté sont discutés – on a eu l’occasion d’en évoquer quelques-uns dans des articles précédents comme les Cténaires ( comprenant les « groseilles de mer » et la « ceinture de Vénus »), les Kinorhynques au corps cuirassé et segmenté, les Loricifères dont certains vivent sans oxygène, les Némertiens ou vers rubanés ou encore les Pogonophores tentaculés et les « Hémichordés » (« vers à gland » et Ptérobranches).
C’est donc un potentiel nouvel embranchement qui est sur le point d’intégrer la classification zoologique, avec deux espèces voisines qui viennent d’être identifiées par le Docteur Jean JUST et ses collègues. Elles ont été placées dans le genre Dendrogramma, ce qui signifie « mesure d’arbre » en raison de leur ressemblance, vue du dessus, avec une coupe d’arbre montrant les cernes qui indiquent son âge. Les créatures prélevées sur le fond marin se présentent comme des champignons pourvus d’une bouche sur la partie supérieure, menant à un tube digestif, doté de nombreux diverticules.
Elles ne sont constituées que de deux couches de cellules, de la matière gélatineuse épaisse séparant la couche externe de celle de l’estomac - comme la «mésoglée» des Cténaires au sein de laquelle quelques cellules migrent pour constituer une timide amorce de troisième feuillet. Lors du développement embryonnaire, la plupart des animaux, hommes compris, se constituent à partir de trois couches cellulaires, ce qui devrait conduire à rapprocher ces nouveaux venus des autres espèces diploblastiques que sont, outre les Cténaires, les Cnidaires (méduses, coraux, hydres…) et les Eponges.


Une relique d’une époque qu’on croyait révolue ?
Cependant, ceux qui s’intéressent à l’histoire de la vie sont tentés d’établir un rapprochement avec certaines formes énigmatiques très anciennes de l’ère dite précambrienne. La faune d’Ediacara (dite aussi vendienne en se référant à un site russe où des formes semblables ont été trouvées) remontant à plus de 600 millions présente bien des créatures ayant une morphologie assez similaire, avec un corps aplati et certaines pourvues de sillons similaires internes comme sur un exemplaire très bien préservé de Dickinsonia

Reconstitution d'un Dickinsonia du Précambrien; traditionnellement, ces créatures sont perçues comme des formes rudimentaires, aspirant les nutriments au travers de l'épiderme, absorbés dans le corps applati, mais quelques exemplaires fossiles laissent voir à l'intérieur de l'animal un réseau que certains assimilent au tube digestif ramifié de certains vers plats marins (Turbellariés) et de quelques vers rubanés planctoniques (voir photo de l'un d'eux plus bas).

Des formes sessiles dotées d’un pédoncule, trouvées en Namibie et en Terre-Neuve, évoquent quelque peu aussi la silhouette générale du Dendrogramma, voire dans une certaine mesure, vu du dessus, les fossiles incroyablement anciens dégagés à Franceville au Gabon par l'équipe du professeur El ALBANI, à la symétrie quelque peu indiscernable, semblant eux aussi appartenir à un règne indistinct. Si les Dendrogrammatidés étaient apparentés à certaines de ces formes disparues, généralement considérées comme émanant d’une première tentative sans suite de l’évolution animale, sa permanence à notre époque serait une découverte encore plus étonnante que celle du Cœlacanthe..


Un autre organisme énigmatique à pédoncule éteint au Précambrien, Swartpuntia.

Cependant, cette perspective n’est pas si illogique, les espèces reliques, évincées par de nouvelles espèces, ayant tendance à survivre dans des niches marginales, souvent dans les profondeurs, où elles affrontent moins de concurrence. Il en va ainsi en effet du célèbre Cœlacanthe, parent marin des poissons dont les Vertébrés terrestres sont issus - d’autres parents peut-être plus proches mais moins célèbres, Dipneustes et Polyptères, « poissons à poumon », vivent eux en eau douce - qui s’est établi à plusieurs centaines de mètres de profondeur aux Comores et en Indonésie, mais aussi de bien d’autres rameaux de l’évolution animale principalement connus à l’état fossile dont on rencontre quelques descendants dans les abysses comme les Sclérosponges, une classe d’Eponges presque éteinte, la Néopiline, qui comporte quelques espèces semblant appartenir à une ancienne classe de Mollusques, les Monoplacophores ou Trybidiliacés, ou bien les Brachiopodes, à coquille bivalve mais dépourvus de tout lien de parenté avec les Mollusques, ou encore le genre Holopus, un type primitif au sein de la classe des Crinoïde («lys de mer »).
Les exemplaires de Dendrogramma ont été récoltés en 1986, mais les résultats de leur étude n’ont été communiqués qu’au début septembre 2014, afin de ne pas faire d’annonce prématurée. Il est vrai que le monde marin abonde en espèces atypiques, qu’on pourrait interpréter trop hâtivement. Dans l’article « Le tentacule d’ABYSS existe réellement », on a évoqué d’autres animaux gélatineux tels que les colonies de Siphonophores, les Cténaires et les Salpes. Le plancton comporte aussi d’atypiques Gastéropodes, les Hétéropodes et les Ptéropodes, et une « limace de mer » également évoquée dans le même article, Akera bullata, avec sa forme allongée et les deux lobes de son manteau, n’est pas totalement sans évoquer l’espèce de Dendrogramma qui présente un bord échancré. Les « pensées de mer » du genre Renilla, des « coraux mous » analogues aux "plumes de mer", ont une silhouette qui se rapproche des Dendrogramma avec leur pédoncule et leur aspect de palette, sauf que celle-ci porte de nombreux polypes. Certains animaux sessiles du précambrien qui ressemblent superficiellement à des « plumes de mer » mais sans polypes, les "Rangéiformes", ont été rapprochés des Cténophores en raison de leur anatomie interne malgré leur symétrie interne ternaire; la double symétrie bilatérale des Cténophores pourrait davantage se rapprocher des deux canaux binaires de Dendrogramma, d’autant qu’il existe d’ailleurs un Cténophore sessile actuel, Lyrocteis. Certains Némertiens (« vers rubanés ») qui vivent en haute mer (dits pélagiques) ont quant à eux un corps aplati en forme de feuille, translucide, et laissant voir les ramifications internes du tube digestif qui rappellent assez le nouveau genre, bien que celui-ci ait été à l’inverse trouvé sur le fond marin ; néanmoins, les Némertiens possèdent un fourreau avec une trompe. Enfin, une mystérieuse larve marine, Planktosphaera, qu’on rapproche des « vers à gland » est aussi pourvue de nombreux canaux internes, dérivés de la cavité générale et l’adulte n’a jamais été observé à ce jour, ce qui pourrait constituer une autre piste potentielle, même si, comme les Némertiens, il s’agit d’animaux à trois couches de cellules, ce qui nécessiterait alors d’envisager une simplification anatomique chez le nouvel animal au cours de son développement. Notons plus anecdotiquement que Dendrogramma pourrait se nourrir en piégeant des micro-organismes avec le mucus sécrété par ses lobes, de la même manière que les Protozoaires géants des abysses, les Xénophyophores.


Le tube digestif ramifié de ce ver rubané de haute mer (Némertien pélagique) nommé Pelagonemertes n'est pas sans rappeler celui du Dendrogramma, même si ce dernier semble être issu d'un modèle d'organisation plus primitif.


Un carrefour évolutif de plus en plus embouteillé…
En réalité, les animaux pluricellulaires (Métazoaires) primitifs ne sont pas circonscrits aux Eponges (Spongiaires), méduses, coraux (Cnidaires) et groseilles de mer (Cténaires). D’autres formes existent mais leur place dans l’évolution animale est assez délicate à établir et pour chacune est justement envisagé l’hypothèse d’une possible simplification secondaire. Ainsi, le groupe des Mésozoaires a ainsi été nommé car on les pensait représenter une étape intermédiaire à partir d’animaux unicellulaires (Protozoaires). Ces petits organismes au cycle complexe, constitués d’une couche cellulaire entourant un groupe de cellules plus spécialisées, se répartissent en Dicyémides (vivant dans le rein des pieuvres) et Orthonectides (parasites de divers animaux marins). Ils sont à présent souvent plutôt perçus comme des Métazoaires régressés, et peut-être non apparentés, les premiers pourraient être d’anciens Nématodes (groupe auquel appartiennent l’Ascaris et l’Ankylostome), les seconds issus de genres de douves, les adultes ressemblant d’ailleurs quelque peu à la larve ciliée de ces dernières.
Un autre petit animal très simple, Trichoplax, ressemble à une amibe faîte de deux couches de cellules superposées. Il a longtemps été pris pour une larve d’éponge avant de devenir l’unique représentant des Placozoaires, peut-être une forme rudimentaire de Cnidaire annonçant lointainement la méduse; certains ont même voulu faire de cette étrange créature aux cellules peu spécialisées un extraterrestre, à l'image d'une version miniature du monstre de DANGER PLANÉTAIRE (THE BLOB) - comme pour d’autres auteurs, les Tardigrades capables de survivre dans le vide absolu et donc ayant pu transiter dans l'espace, lesquels seront d'ailleurs portés à l’écran dans HARBINGER DOWN. Salinella n’est quant à lui constitué que d’une unique couche de cellules ciliées, mais pourvu curieusement de deux ouvertures, alors que le Trichoplax n’a aucun orifice, et que l’anus n’apparaît quant à lui que chez des animaux beaucoup plus organisés, les Némertiens. Certains doutent de son existence étant donné que seul le naturaliste FRENZEL l’a observé à la fin du XIXème siècle, devenant ainsi le « monstre du Loch Ness » des « invertébrés.. Tandis que le mystère demeure, une autre forme quelque peu analogue, Haplozoon, s’est quant à elle avérée être une colonie de Protozoaires flagellés parasites du groupe des Péridiniens.
La liste n’est pas exhaustive. Des parasites trouvés chez les poissons, les Myxozoaires, comportent un stade dit syncitial dans lequel le noyau se divise en un certain nombre d’autres, comme si la forme allait devenir pluricellulaire, mais la cellule elle-même ne se divise pas (la créature colloïdale géante de SOLARIS inventée par Stanislas LEM est d’ailleurs décrite comme syncitiale elle aussi). Un organisme pluricellulaire vermiforme parasitant une Ascidie découvert récemment, Buddenbrokia, paraît aussi être un animal pluricellulaire primordial, mais ses spores pluricellulaires se sont avérées très proches de celles des Myxozoaires, ce qui lui a valu d’être rapproché de ces simili-unicellulaires. En raison de la conformation du dispositif d’éjection spiralé des spores pluricellulaires qui rappelle celui des cellules urticantes des Cnidaires et suite à certaines analyses moléculaires, des chercheurs veulent voir en ces formes des méduses ou polypes très dégénérés; il est vrai que quelques espèces de Cnidaires parasites ont été répertoriées, néanmoins, un groupe de Protozoaires parasites, les Microsporidies (comme le Nosema étudié par PASTEUR qui parasite le ver à soie) était jadis classé auprès des Myxosporidies à cause de leur spore similaire quoique que celle-là soit composées d’une seule cellule, ce qui peut indiquer une simple convergence plutôt qu’un rapprochement, aussi, de la même manière que ces deux derniers groupes ont déjà été dissociés, cette analogie entre les spores pluricelullaires "à ressort" des Myxozoaires et de Buddenbrockia, et d'autre part les cellules venimeuses des Méduses et coraux, pourrait également être interprétée comme une simple convergence de forme.


Échantillonnage d'animaux primitifs de groupes méconnus. De gauche à droite et de haut en bas: Un Mésozoaire de la classe des Dicyémides présentant un aspect typique (certaines espèces ont une allure beaucoup plus informe); un Mésozoaire de la classe des Orthonectides, en l'occurrence une jeune femelle de Rhopalura, et à sa droite le stade informe (plasmode) caractéristique du cycle des Orthonectides, au sein duquel se développent les mâles et femelles de la génération sexuée; région antérieure de Buddenbrockia, l'animal de la série qui ressemble le plus à un ver, classé dans les Malacosporidies; en dessous, une cellule syncytiale de Myxobolus, un Myxozoaire, que les spores du début de son cycle ont conduit à rapprocher du précédent; Trichoplax, un Placozoaire, forme primordiale d'animal à deux couches de cellules; et enfin, un dessin de Salinella figuré par le naturaliste FRENZEL, qui est le seul à avoir observé le seul animal fait d'une seule couche cellulaire jamais découvert.

Par conséquent, la frontière entre animal unicellulaire et pluricellulaire est dorénavant parcellée d’une constellation de formes qui, aussi simples soient-elles, posent de complexes problèmes pour les interpréter, les situer les unes par rapport aux autres et reconstituer à travers elles cette étape majeure de l’histoire de la vie sur notre planète. Dendrogramma vient encore compliquer davantage cette généalogie ardue à établir mais passionnante.

L’inventaire zoologique toujours inachevé



Le scientifique Reinhardt KRISTENSEN arpentant le sol glacé hostile du Groenland; pas le genre d'endroit où l'on s'attendrait à découvrir un type d'animal totalement inconnu. Et pourtant...

Le nouvel organisme n’a plus jamais été découvert depuis sa capture initiale en 1986. Sa conservation dans l’alcool empêche de pouvoir procéder à des prélèvement d’A.D.N. valables. Même si les analyses moléculaires sont souvent contestables lorsqu’elles ne s’appliquent pas à des espèces proches, en raison du trop grand nombre de mutations intervenues qui faussent les comparaisons, une telle recherche aurait au moins permis de réduire la liste des hypothèses comme celle qui a envisagé que Dendrogramma ne représente que les écailles de certains vers marins annelés comme celles des « souris de mer » (par le passé, les mandibules, la bouche en forme de tranche d’ananas et le corps du plus ancien prédateur connu à l’état fossile, l’Anomolocaris, avaient initialement été interprétés comme des animaux distincts, respectivement un type de Crustacé, une forme de méduse discoïde et un concombre de mer).
Espérons que, si à la différence de nouveaux exemplaires toujours espérés de l’énigmatique Salinella, dont d’ailleurs le milieu naturel a disparu depuis, les chercheurs avaient la possibilité de trouver de nouveaux spécimens de Dendrogramma, ils sauraient se restreindre dans leurs prélèvements, pour éviter de mener à l’extinction une population peut-être rare, contrairement aux scientifiques qui ont causé la perte d’une espèce d’insecte très localisée et fait abattre pour leurs collections muséologiques les deux derniers Grands pingouins vivants, cet oiseau incapable de voler qui était pour les régions arctiques l’homologue des Manchots de l’hémisphère sud.


Le chercheur danois Reinhardt KRISTENSEN entouré des quatre derniers grands types animaux découverts, qu'il a contribué à étudier : de haut à droite et de haut en bas, une vue au microscope électronique de Dendrogramma, le petit dernier qu'on vient d'évoquer, le Symbion fixé sur un filament branchial vu au microscope électronique, seul représentant des Cycliophores, un Loricifère, et à l’extrême droite en bas Limnognathia, seul représentant des Micrognathozoaires, courageux conquérant des mares boréales.
Parmi les chercheurs ayant étudié le Dendrogramma figure un zoologiste incontournable, le Professeur Reinhardt KRISTENSEN. En incluant le nouveau venu, ce spécialiste des Tardigrades a ainsi contribué à la découverte de rien moins que quatre nouveaux embranchements, après les Loricifères, petits animaux en forme de pot de fleur, dont quelques-uns trouvés plus récemment se sont développés dans un milieu sans oxygène, les Cycliophores fixés sur les branchies des langoustines, au cycle vital incroyablement compliqué, puis enfin les Micrognathozoaires, avec le Limnognathia rampant à la surface des glaces groenlandaises, pourvu d’une impressionnante mâchoire. Des états de service assez glorieux, à une époque à laquelle beaucoup pourraient s’imaginer que les différentes branches de l’évolution animale sont déjà établies et inventoriées.



Même si cette créature aplatie imaginée par Al FELDSTEIN (à qui on a rendu hommage en mai dernier en ces pages ) pour une histoire de la série de bandes dessinées WEIRD SCIENCE, THE MONSTER FROM THE 4TH DIMENSION, ressemble à un Placozoaire, il est sans doute un peu audacieux d'imaginer que le Trichoplax soit d'origine extraterrestre...

liens : 
Pour rappel, on a déjà évoqué sommairement évoqué les Cténaires et les créatures du précambrien :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2008/09/le-tentacule-dabyss-existe-reellement.html
http://creatures-imagination.blogspot.fr/2012/01/la-valeur-nattend-pas-le-nombre-des.html
http://creatures-imagination.blogspot.com/2009/02/charles-darwin-et-le-debat-sur.html
http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/07/la-vie-animale-sans-oxygene-est.html

Le présent article a notamment été précédé par cet autre que le lecteur intéressé pourra également lire :                                                http://fish-dont-exist.blogspot.com/2014/09/un-nouveau-casse-tete-pour-les.html

et la publication originale indiquée par le précédent, généreusement accessible en libre accès :
http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0102976




samedi 2 août 2014

C’ÉTAIT UN GENTLEMAN SANS FARD




Il est de coutume lorsqu'une personnalité disparaît de la célébrer par un concert de louanges; rarement cette unanimité aura été aussi justifiée que dans le cas du maquilleur Dick SMITH, disparu le 31 juillet 2014 à l'âge de 92 ans. L'homme était en effet considéré comme la référence incontournable du maquillage de cinéma à Hollywood et tous ceux qui exercent la profession considèrent qu'ils lui sont redevables tant il n'hésitait jamais à prodiguer ses conseils. Ainsi, s'il estima que le jeune John CAGLIONE ne montrait pas de dispositions particulières au maquillage et l'incita à envisager une autre profession, Dick SMITH, peut-être parce que lui-même avait commencé à s'exercer au maquillage en amateur sans s'imaginer avoir alors quelque talent en la matière, l'assura que, s'il persistait dans son projet, il lui apporterait son aide, tant et si bien qu'il en fit finalement son assistant.

Initialement, Dick SMITH avait envisagé une carrière de prothésiste dentaire mais après avoir craint la mort durant son service pendant la seconde guerre mondiale, il décida qu'il devait suivre la voie de son choix, le maquillage qu'il avait découvert dans un livre de la bibliothèque universitaire. Il adressa des photos de ses essais aux départements de maquillage des principaux studios de cinéma et reçut des courriers d'encouragement, mais aucune proposition d'embauche. Son père l'incita à intégrer l'univers de la télévision, où il acquit expérience et assurance, ayant bientôt des dizaines de personnes sous sa responsabilité.

Le jeune Dick SMITH au travail sur une version télévisée d'ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de 1955 (photo tirée de la galerie de maquillages de Dick SMITH sur la page internet : http://www.critique-film.fr/lart-de-dick-smith/ )

Dick SMITH a fait du vieillissement son domaine d'excellence. Il vieillira ainsi Dustin HOFFMAN pour LITTLE BIG MAN, Max Von SYDOW pour L'EXORCISTE (THE EXORCIST), Marlon BRANDO pour LE PARRAIN (THE GODFATHER), David BOWIE et Catherine DENEUVE - pour laquelle il réalise un faux buste fort impressionnant montrant la vie drainée de l'intérieur - pour LES PREDATEURS (THE HUNGER), F. Murray ABRAHAM dans le rôle de SALIERI pour AMADEUS qui lui vaut un Oscar du maquillage remarqué, ou encore Mel GIBSON dans FOREVER YOUNG. Il s'applique notamment à rendre crédible les couches de maquillage en y ajoutant des détails tels que des tâches de pigmentation.

Dick SMITH est également vénéré des amateurs de films d'horreur. Pour la télévision, il a changé Jack PALANCE en Mister HYDE en 1967 et créé une version du visage du PORTRAIT DE DORIAN GRAY particulièrement horrifiante. Dans L'EXORCISTE, on lui doit aussi  les joues dissimulant sous des poches le liquide poisseux vomi par Reglan (Linda BLAIR) ainsi que sa tête qui tourne à 360 degrés, les morts vivants décatis, dont celui sans nez, de LA SENTINELLE DES MAUDITS (THE SENTINEL) - voisinant avec d’authentiques phénomènes humains, les apparitions macabres du FANTÔME DE MILBURN (GHOST STORY), le corps à diverses étapes de décomposition de la jeune décédée venant tourmenter ses anciens amants, ou encore le visage monstrueux boursouflé de la malheureuse victime de la morsure d'un serpent géant de SPASMS, que tente d'arrêter le personnage interprété par Oliver REED qui est en connexion psychique avec la bête. Il a aussi conseillé Chris WALAS et Stephan DUPUIS pour les crânes parcourus de pulsation sous les effets de la télépathie sur SCANNERS de David CRONENBERG. Dans LA MAISON DE L'HORREUR (HOUSE OF HAUNTED HILL), il a eu l'occasion d'employer son concept non utilisé sur GHOST STORY de spectre de femme à grande bouche et sans yeux apparents.

Dick SMITH entouré de personnages emblématiques auxquels il a donné vie, la tête déformée d'AU-DELÀ DU RÉEL, le visage vieilli de l'acteur Dustin HOFFMAN pour LITTLE BIG MAN, une tête décharnée pour LA SENTINELLE DES MAUDITS, la fausse tête de Linda BLAIR pour la possédée de L'EXORCISTE et le visage composé pour permettre à l'acteur Hal HOLBROOK d'incarner pour un spectacle télévisé l'écrivain Mark TWAIN.

La contribution cinématographique dont Dick SMITH était le plus fier est à juste titre les métamorphoses du film AU-DELÀ DU RÉEL (ALTERED STATES) de 1980, évoqué en ces pages en novembre 2011 à l'occasion de la disparition du réalisateur Ken RUSSELL. A la suite d'expérimentations dans un caisson d'isolation, une drogue provoque, à la manière du récent LUCY de Luc BESSON, une résurgence d'une mémoire génétique ancestrale de l'humanité, qui s'incarne ici en de saisissantes métamorphoses, d'abord sous les traits d'un homme préhistorique, puis, lors d'une nouvelle session, au travers de la réduction à un état de matière primitive.

Premier surgissement des forces incontrôlées déchaînées dans son propre corps par le téméraire expérimentateur d'AU-DELÀ DU RÉEL, se manifestant sous l'épiderme; le trucage est réalisé par l'utilisation de poches gonflables dissimulées sous une peau en latex, procédé mis au point par le maquilleur en 1973 pour la gorge de Reagan dans L'EXORCISTE (Joe BLASCO a eu recours à la même technique pour la peau du ventre qui se soulève sous l'avancée des parasites dans FRISSONS (SHIVERS) de David CRONENBERG en 1976). 

Après une première sculpture exécutée par un autre artiste, Dick SMITH a réalisé ces trois sculptures illustrant la métamorphose de Jessup, interprété par William HURT, afin de montrer aux producteurs qu'ils pouvaient être réalisés sous la forme de trois costumes susceptibles d'être revêtus par l'acteur. 

Tournage de la séquence.

En dépit des apparences, Dick SMITH ne renoue pas avec son projet initial de prothésiste dentaire mais achève de sculpter une tête géante pour le personnage de Jessup dans AU-DELÀ DU RÉEL.

La tête démesurée était destinée à permettre une prise de vue en gros plan avec la caméra se dirigeant vers la bouche distendue.

Pour le dénouement, Dick SMITH a conçu différents costumes pour la compagne de Jessup, Emily (Blair Brown), elle-même entraînée dans le processus entropique alors qu'elle tente de secourir son mari. Une séquence la dévoilant sans peau ( voir http://creatures-imagination.blogspot.fr/2011/11/le-realisateur-dau-dela-du-reel.html ) a été supprimée, une autre montrant son corps entrant en fusion, puis couverte de croûtes séchées a aussi été édulcorée.

En dépit des prodiges accomplis sur le film dont il pouvait à juste titre s’enorgueillir, le chef maquilleur d'AU-DELÀ DU RÉEL a cependant été déçu de l'expérience, d'une part parce que certains costumes n'ont finalement pas été utilisés, et d'autre part en raison de la forte altération de ses costumes par les effets spéciaux visuels qui leur ont été appliqués en post-production pour illustrer le rayonnement énergétique qui entoure et manque de désintégrer les personnages. On peut se faire une idée plus précise du caractère organique dérangeant de la transformation finale dans l'épisode que la série "La magie des effets spéciaux" de Don SHAY a consacré à l'artiste :
 .

Dick SMITH n'était certes pas le seul maquilleur à travailler à l'amélioration de la qualité des produits de base utilisés et à dispenser ses conseils à ses collègues, à l'instar de Ben NYE, qui travailla sur des films comme LA MOUCHE NOIRE (THE FLY) et THE ALLIGATOR PEOPLE avec un assistant qui s'appelait également Dick SMITH, avant de créer en 1968 sa gamme proposée aux maquilleurs. Mais en écrivant un manuel en 1965 rendant accessible son expérience, ill a permis de vulgariser sa technique auprès de tous les aspirants maquilleurs, permettant un gain de temps très appréciable pour tous les grands maquilleurs qui sont devenus ses émules, à commencer par son élève éternellement reconnaissant Rick BAKER.

L'édition originelle du manuel de maquillage spécial de Dick SMITH, sous la forme d'un numéro hors-série de la revue "Famous monsters" de Forrest J. ACKERMAN, et la couverture d'une réédition avec une introduction de son apprenti Rick BAKER, devenu à son tour une référence dans le champ, mettant en valeur la figure de Quasimodo, le personnage fantastique qui a donné sa vocation à l'auteur lorsqu'il découvrit le secret du trucage dans un ouvrage à la bibliothèque universitaire. Les photos sur la créature de Frankenstein sont en ligne sur le site du Club des monstres de notre ami Mario :
http://www.clubdesmonstres.com/best/htm/franken_smith.html

Dick SMITH était très affaibli depuis un an, éprouvant beaucoup de mal à reconnaître les visages, mais la profession l'a cependant entouré d'attention et célébré, et il a pu assister à l'inauguration d'une étoile attribuée sur le Boulevard des célébrités d'Hollywood à son disciple Rick BAKER.

La satisfaction du maquilleur Todd MASTERS (NECRONOMICON, HORRIBILIS (SLITHER), série FALLING SKIES) recevant une réponse positive à sa demande d'obtention d'une étoile au nom de Dick SMITH sur le Boulevard des célébrités d'Hollywood, une procédure de longue haleine, toujours pendante.

Dick SMITH avec l'Oscar en 1984 reçu pour les maquillages d'AMADEUS. Il s'est aussi vu décerner en 2012 un Oscar d'honneur pour l’ensemble de sa carrière, une première pour la catégorie.

Kazuhiro TSUJI a réalisé ce buste géant pour rendre hommage à Dick SMITH. Les plus observateurs remarqueront que le maquilleur n'a que quatre doigts à la main gauche. Sur le tournage de sa première contribution au grand écran, MISTY, en 1959, il s'est accroché l'alliance en sautant d'un camion, et le doigt partiellement arraché fut gagné par la gangrène. Le chirurgien l'amputa entièrement et réarrangea la structure de la main de manière à ce que le petit doigt occupe la place de l'annulaire manquant, résultat que Dick SMITH désignera sous la plaisante appellation de "main de Mickey", par allusion aux quatre doigts de la main des personnages conçus par les studios de Walt DISNEY. 

Dick SMITH, dans "l'au-delà du réel" des effets spéciaux de maquillage, ses transformations à vue pour le film de Ken RUSSELL ont préfiguré les effets spéciaux conçus dans les années qui suivirent par son élève Rick BAKER (LE LOUP-GAROU DE LONDRES/AMERICAN WEREWOLF IN LONDON), et l'apprenti de ce dernier, Rob BOTTIN (HURLEMENT/THE HOWLING, JOHN CARPENTER'S THE THING).


Disparition du producteur israélien Menahem GOLAN le 8 août 2014 à Jaffa ; avec son cousin Yoran GLOBUS, il avait repris la société de production Cannon, produisant bien des films d'action comme RUNAWAY TRAIN; on leur devait aussi deux films de monstres réalisés par Tobe HOPPER : LIFEFORCE et le remake de L'INVASION VIENT DE MARS (INVADERS FROM MARS) pour lequel Stan WINSTON avait créé d'époustouflants Martiens.


SPIELBERG, TUEUR DE DINOSAURES...

La photo du scandale, bien connue des amateurs de science-fiction.

Pendant plusieurs semaines, une photo de JURASSIC PARK a suscité un déluge de commentaires. L"humoriste Jay BRANSCOMB a publié sur le site Facebook une photo du réalisateur Steven SPIELBERG posant devant le Tricératops malade robotisé du film, avec un appel à identifier l'individu ayant pris plaisir à abattre ce superbe animal. Un certain nombre d'internautes se sont déchaînés, s'alarmant que, s'il n'est pas mis fin à de tels actes, les Tricératops allaient finir par disparaître. Il est difficile de faire la part de l'indignation effective et de l'humour au second degré dans ce flot de réactions, mais il semble bien qu'un certain nombre de personnes aient réellement été animées par la consternation - certains ont aussi trouvé là l'occasion d'une réaction créationniste radicale niant que de tels animaux aient jamais existé, ou incriminant l'ancien président américain George W. BUSH qui pour une fois n'a aucune responsabilité dans l'histoire..

Fier du succès de sa mystification, Jay BRANSCOMB  a récidivé avec une photo de tournage des DENTS DE LA MER (JAWS) montrant SPIELBERG sur le requin géant, puis le concept a été décliné ad infinitum avec le corps sans vie de E.T. L'EXTRATERRESTRE, un autre de ses films, puis d'autres créatures comme le dragon porte-bonheur de L'HISTOIRE SANS FIN (THE NEVERENDING STORY), et même l'équipage de l'Entreprise de STAR TREK...

La confusion entre le Tricératops disparu depuis 65 millions d'années, et des espèces en danger comme son homologue actuel le Rhinocéros noir (la sous-espèce de l'Afrique de l'Ouest, malgré l'implication d'associations comme le W.W.F. et l'I.F.A.W, n'a pas survécu au début du nouveau millénaire) est révélatrice de la méconnaissance généralisée quant au monde vivant, qui ne fait pas partie de la culture dont les hommes instruits peuvent se targuer. Il est fort possible que pour un très grand nombre de personnes, un animal comme le mammouth, pourtant chassé par nos ancêtres, et les Dinosaures, ont pu se côtoyer, car ils sont renvoyés à la catégorie indifférenciée des "animaux préhistoriques" dans la représentation collective.

Mais l'émotion s'inscrit aussi à la suite de la série de photos sur lesquelles des chasseurs s'exhibent fièrement, devant de magnifiques créatures auxquelles ils se sont amusés à ôter la vie, ce qui suscite bien des réactions désapprobatrices (quant aux différentes espèces de requins, elles sont elles-mêmes menacées par la surpêche). Il y'a effectivement quelque chose de choquant à voir de magnifiques animaux comme des éléphants, abattus juste pour le plaisir, alors que beaucoup de ces créatures sont menacées d'extinction et que cette activité cruelle est en contradiction absolue avec la prise de conscience des effets destructeurs de l'homme qui, depuis la fin du Pleistocène, a entamé une entreprise massive d'extermination des espèces avec lesquelles il partage la planète. Néanmoins, nombre de ces chasseurs dépensent une forte somme pour être autorisés à réaliser ce safari, laquelle est injectée dans la préservation de réserves. La sauvegarde de la faune sauvage est décidément une problématique complexe..


LES DINOSAURES REVIENNENT A PARIS, EN BONNE COMPAGNIE

En mai 2010, on avait évoqué deux expositions qui se tenaient conjointement dans la capitale française, présentant des dinosaures robotisés, émettant le souhait que des espèces disparues d'époques plus récentes soient à leur tour présentées en France. Le vœu a semble-t-il été entendu puisqu'une nouvelle exposition,"de l'ère des dinosaures à l'ère de glace" se tenant à Paris jusqu'au 31 août 2014, Porte de Versailles, Pavillon 6, présente cette fois, comme son intitulé l'indique, une section consacrée à la faune du Cénozoïque. Les enfants retrouveront donc leurs dinosaures favoris, présentés précédemment dans "le temps des dinosaures", mais pourront aussi découvrir d'autres animaux géants plus récents, dont certains ont côtoyé l'homme. Il y manque le Baluchitherium, le plus grand mammifère terrestre de tous les temps (évoqué dans l'article "la peoplisation du monde vivant") présenté dans des expositions similaires, mais on y trouve par contre le très grand parent de l'éléphant, le Deinotherium aux défenses en poignard. Egalement présent est l'oiseau géant Phorusrhacos bien connu des cinéphiles ayant vu L'ILE MYSTERIEUSE (THE MYSTERIOUS ISLAND), film évoqué dans l'hommage à Ray HARRYHAUSEN ou encore le caïman gigantesque Purussaurus. Bien d'autres animaux en démonstration ont vécu plus récemment, et comme rappelé dans le paragraphe précédent, les humains ont pris une part non négligeable à leur disparition : Megatherium, un paresseux qui, debout, atteignait 6 mètres de haut, Doedicurus et Glyptodon, équivalent colossal du tatou, Macrauchenia à trompe et Toxodon, ongulés sud-américains de groupes disparus cités dans l'article sur DARWIN, des oiseaux éteints des îles, le Dodo de l’île Maurice, victime des Hollandais, et le Moa de Nouvelle-Zélande éteint peu après l'arrivée des Maoris, très réussi, une grosse tortue à cornes, Meiolania, qui prospérait en Nouvelle Calédonie jusqu'à la venue des Canaques, un marsupial géant, le Diprotodon, et un énorme Varan, Megalania, qui vivaient en Australie jusqu'à l'arrivée des Arborigènes, ou encore le grand pingouin, équivalent des manchots antarctiques pour le Pôle Nord, massacré par les gens de mer. Même si tous les modèles, conçus par une société chinoise, Zigong, ne présentent pas un degré identique de réalisme, cette exposition offre une occasion d'émerveiller les plus petits et d'instruire utilement les plus grands, avant que certains animaux présentés comme l'ours polaire, le grand panda, l'antilope saïga à trompe et le fourmilier géant finissent à leur tour par disparaître faute de protection et de prise de conscience suffisante..

Deux représentants de groupes d'ongulés sud-américains éteints, le Toxodon et le Macrauchenia, et en-dessous, un très grand marsupial, le Diprotodon, ainsi que le Moa géant qui pouvait atteindre 3 mètres de haut. Tous ces animaux furent contemporains des hommes modernes et si leur pratique de la chasse avait été plus régulée, probablement ces créatures remarquables pourraient encore être vues vivantes dans des réserves et des zoos en place de leur reconstitution robotisée.

site de l'exposition : http://www.expo-dinosaureseredeglace.fr/

Pour ceux qui veulent voir ou revoir l'exposition, en voici un résumé en images :



ainsi que deux restitutions en temps réel, sur les animaux récents ( l'auteur a aussi réalisé une seconde partie sur les dinosaures: http://youtu.be/fUFF86a3z9s )



et sur l'ensemble de l'exposition :


N'hésitez pas à visionner avec vos enfants ou neveux, cela pourra les divertir, les instruire et même les alerter sur notre responsabilité écologique.

lundi 21 juillet 2014

Jerry GOLDSMITH, déjà dix ans



Consécration au Japon pour Jerry GOLDSMITH.

La disparition récente de l'artiste qui avait imaginé l'univers extraterrestre du film ALIEN, auquel on a rendu hommage en juin dernier, nous rappelle qu'il y'a exactement 10 ans, le 21 juillet 2004, nous quittait le compositeur Jerry GOLDSMITH qui avait contribué à conférer à l'oeuvre son atmosphère de mystère. Cet immense et si éclectique compositeur n'est pourtant pas encore reconnu à sa juste mesure, et même au sein de la musique de film, sa notoriété fait encore parfois curieusement défaut. Le lecteur pourra se reporter à l'article qui lui fut consacré en ces pages en juillet 2009, particulièrement centré sur son apport au fantastique et à la science-fiction.

Si ses compositions les plus citées sont généralement les plus violentes et les moins harmoniques comme LA PLANÈTE DES SINGES (PLANET OF THE APES) pour le film original et LA MALEDICTION (THE OMEN) qui lui valut d'obtenir ce qui sera scandaleusement son seul Oscar, contre cinq pour celui qui est généralement considéré comme son principal rival, John WILLIAMS, auteur comme nul lecteur ne l'ignore de musiques comme celles de LA GUERRE DES ETOILES, E.T. et JURASSIC PARK, Jerry GOLDSMITH est bien loin de s'être contenté d'agencer des staccatos déchaînés destinés à ponctuer les scènes d'action, comme on s'est attaché à le montrer dans l'hommage déjà évoqué.

On pourra à l'opposé juger d'un échantillonnage de ses partitions dans lesquelles affleure souvent une vraie sensibilité, voire même une certaine tendresse, sans pour autant refuser de viser à quelque originalité en s'affranchissant généralement des facilités mélodramatiques plus convenues, comme celle de DAD AND MOM SAVE THE WORLD présentée au sein de la compilation suivante : 


Alors que même Ennio MORRICONE vient de déclarer que la musique de film était un genre d'intérêt secondaire destiné à un public ayant une culture moyenne, les œuvres de Jerry GOLDSMITH nous laissent au contraire souvent à penser que loin d'une simple illustration sonore d'un film, une bonne composition peut s'apprécier indépendamment du support comme une oeuvre à part entière.

La disparition de ce compositeur remarquable fut une grande perte même s'il nous a légué un riche et brillant répertoire.

Des héritiers potentiels ?

Le lecteur attentif sait déjà que le fils de Jerry, Joël GOLDSMITH, qui exerçait dans la même discipline, n'a malheureusement survécu que peu de temps à son père.

Il semble à priori difficile d'imaginer la relève de ce compositeur inventif. 

Brian TYLER a repris sans en trahir son esprit son travail pour la musique de RAMBO IV, suppléant le maître défunt:


.

Dennis McCARTHY, quant à lui, notamment connu des téléspectateurs comme auteur de la musique du générique de la série V, a assuré la relève de Jerry GOLDSMITH pour certaines séries récentes de STAR TREK, concevant des compositions ne manquant pas de profondeur et recherchant aussi des harmoniques inhabituelles tout en se gardant de verser dans l’assonance, ce qui n'est pas sans évoquer les audaces de Jerry GOLDSMITH, qui s'attachait à tirer le meilleur parti des expérimentations d'Eric SATIE et de Claude DEBUSSY:



Jay CHATTAWAY, qui avait conçu la partition très mélancolique de PEUR BLEUE (SILVER BULLET) a aussi contribué non sans talent aux nouvelles séries télévisées STAR TREK, retrouvant la grâce qui imprègne certaines compositions du Maître disparu.



Un jeune compositeur, Jack MOIK, a aussi voulu laisser libre cours à l'influence que l'oeuvre de Jerry GOLDSMITH a exercée sur lui, pour la bande originale de NYDENION :


Des compositeurs à suivre, tout en continuant à honorer l'oeuvre remarquable de Jerry GOLDSMITH.





jeudi 10 juillet 2014

HARBINGER DOWN, en attendant le film..



Une créature inspirée par le scénario d'HARBINGER DOWN créée dans le cadre du concours.

Comme pour THE THING à l'époque, les créateurs d'HARBINGER DOWN, ce film rempli de monstres créés avec de véritables effets spéciaux concrets grâce au studio ADI, ont récemment lancé un concours pour que les artistes proposent leurs visions des créatures.


Les internautes sont incités à voter jusqu'au 18 juillet 2014 pour désigner le vainqueur. Choisissez les meilleurs... A vos votes...!




samedi 21 juin 2014

ALIEN DE NOUVEAU ORPHELIN




 Après la disparition du scénariste d’ALIEN, Dan O’BANNON qui avait imaginé l’histoire de la célèbre créature de l’espace, puis celle du spécialiste des effets spéciaux mécaniques qui avait agencé la tête du monstre extraterrestre, Carlo RAMBALDI, à la suite desquelles on avait consacré à l’époque un hommage en ces pages, c’est à présent l’artiste qui avait imaginé son apparence qui s’est éteint le 12 mai 2014 à Zurich, en Suisse, des suites d’une mauvaise chute à l’âge de 74 ans.

UNE ŒUVRE EMPREINTE DE SCANDALE
 Artiste suisse né le 5 février 1940 à Chur, Hans Rudi GIGER est fils d’un pharmacien d’allure assez austère dont le souhait de transmission de son officine ne dissuadera pas le jeune garçon passionné par le fantastique et l’art de se lancer dans des études artistiques à Zurich de 1962 à 1970. Même si le dessin industriel n’intéresse que modérément le jeune étudiant, sa formation lui permet de se familiariser avec des techniques comme le maniement de l’aérographe qui lui seront utiles pour le rendu de ses peintures. Décorateur figurant dans l’annuaire, il n’a jamais été contacté à sa grande satisfaction, préférant employer son temps à peindre des toiles, souvent inspirées de cauchemars personnels. Hans GIGER semble fasciné par l’extrême et l’interdit. Passionné par les armes à feu, il les forge lui-même au point d’avoir failli faire sauter l’atelier de préparation de son père alors qu’il coulait le plomb dans la cave, et il est passé près de la mort à plusieurs reprises alors que des proches lui tiraient dessus avec des armes censées être inoffensives. En dépit d’un certain intérêt pour le puritain auteur Howard Philip LOVECRAFT et ses entités cosmiques qui l’amènera à intituler « Necronomicon » certaines toiles – du nom du livre maudit imaginaire inventé par l’écrivain, auquel le peintre suisse semble accorder quelque réalité - les sources principales de son inspiration sont plus prosaïquement le sexe et la mort. S’il est bien un artiste qui donne corps à la rencontre supposée par les psychanalystes entre « Eros et Thanatos », c’est bien le peintre suisse, les deux se retrouvant souvent associées à l’accouchement, et occasionnellement à des connotations blasphématrices antichrétiennes. L’artiste est sulfureux et sa peinture détaillant un coït pour la couverture du groupe de rock « The dead Kennedys » exposée en 1978 à New-York a fait scandale, certains estimant qu’il relevait davantage de la pornographie que de l’art, même si la justice n’a finalement pas demandé l’interdiction de présentation au public. GIGER accumulait dans son garage des squelettes d’animaux et n’hésitait pas à se fournir auprès des bouchers en pièces osseuses pour confectionner ses artefacts, comme ceux de sa salle spéciale, « le train fantôme », où il emmenait souvent des jeunes filles avec des intentions que sa timidité l’empêchait souvent de concrétiser. Un autre élément encore des peintures de GIGER, qui n’est peut-être pas sans rapport avec sa formation, est l’inclusion d’éléments mécaniques, industriels, combinés à des formes plus organiques, les ossements se mêlant au métal pour forger un style qu’il a lui-même qualifié de « biomécanique ». On peut évoquer aussi qu’à la suite de la dépression et du suicide de sa première compagne, Li TOBLER, il fut reproché à GIGER d’avoir contribué à cette tragédie par l’univers morbide dans lequel il vivait.
LE RAPPROCHEMENT AVEC LE MONDE DU CINEMA
 S’intéressant à la culture populaire sous toutes ses formes, il réalisa aussi bien des couvertures de disques comme pour la chanteuse Blondie ( Debbie HARRY, qui interprétait par ailleurs la brune sophistiquée à la poursuite de laquelle s’élançait le personnage principal du film VIDEODROME de David CRONENBERG) que des tableaux, et envisagea aussi très rapidement les possibilités offertes par le cinéma. Son compatriote Fredi MURER qui avait fait un documentaire d’une durée de dix minutes sur ses tableaux, réalisa en 1968 SWISS MADE, sujet portant sur la terre vue par un extraterrestre, pour lequel GIGER construisit le costume comportant un casque intégrant une caméra ainsi qu’un second pour son animal de compagnie interprété par un chien. MURER réalisera par la suite un autre documentaire sur les visions de GIGER, PASSAGES, avant de partir pour l’Angleterre et de se tourner vers la réalisation de drames réalistes.


Un chien stoïque sous l'harnachement de SWISS MADE.
 Les circonstances permirent ensuite à l’intérêt manifesté par Hans R. GIGER pour le cinéma de trouver des débouchés plus fastueux; sa notoriété internationale incontestable va lui être apportée par la conception d’un monde extraterrestre pour le film de science-fiction ALIEN.

LA CONSÉCRATION EN UN FILM
 A l’origine lointaine de la séquence d’évènements qui l’ont conduit à appliquer son art à cette importante production, se trouve la volonté du cinéaste chilien Alejandro JODOROWSKI d’adapter au cinéma le roman de science-fiction de Frank HERBERT, DUNE. A l’époque, il envisageait de confier le rôle de l’Empereur de l’univers connu à une personnalité excentrique, le peintre surréaliste espagnol Salvador DALI. Ce dernier, qui connaissait Hans GIGER par l’intermédiaire d’un autre peintre, Robert VENOSA, présenta aux représentants de la production venus à Cadaquès certaines œuvres du peintre suisse qui fut ainsi engagé comme artiste conceptuel en charge notamment d’imaginer l’architecture baroque et inquiétante de la planète gouvernée par le Baron Harkonnen alors censé être interprété par Orson WELLES. Le projet trop coûteux fut abandonné puis repris par le producteur Dino de LAURENTIIS qui prévoyait d’en confier la réalisation au metteur en scène britannique Ridley SCOTT, pour le compte duquel GIGER poursuivit son travail.


GIGER en compagnie du peintre DALI à Cadaquès, ephémère empereur galactique.


Moissonneuse à épice pour le DUNE de JODOROWSKI imaginée en 1976 par H.R. GIGER; on notera le crâne allongée de l'effigie du baron Harkonnen qui couronne l'appareil, évoquant celui de d'autres de ses créatures, notamment celle de la toile Necronomicon IV, qui serviront de modèle pour la tête du monstre extraterrestre d'ALIEN.

 Alors que le film en était toujours à l’étape de développement, Ridley SCOTT s’intéressa à une autre entreprise, une histoire d’extraterrestre terrifiante imaginée par le scénariste Dan O’BANNON. Insatisfait des conceptions proposées pour concrétiser le monstre, Dan O’BANNON se souvint alors des peintures morbides de GIGER dont il était familier depuis la tentative d’adaptation de DUNE dont il était partie prenante en tant que créateur d'effets spéciaux et s’accorda avec Ridley SCOTT pour le recruter. Le peintre suisse aura la charge de concevoir tous les éléments extraterrestres du film, le planétoïde dont les rochers tourmentés sont basés sur des ossements, l’épave inconnue échouée à la silhouette étrange, aux formes courbes et à l’aspect organique, son pilote au corps ossifié, et les trois stades de développement du terrifiant passager clandestin qui décime l’équipe du Nostromo. Si le monstre adulte est pratiquement repris en l’état d’une toile préexistante, la première forme qui agrippe un explorateur trop aventureux pour ne plus le relâcher, le « face hugger », est passé par plusieurs révisions, d’abord un étrange animal aux longues pattes articulées et à la tête de dindon, puis le remplacement du corps par une sorte de ver annelé, la contamination de l’hôte se faisant non plus par la mâchoire en forme de tenaille mais par une sorte de trompe ventrale, enfin la quasi-disparition du corps lui-même, la créature étant réduite à une sorte de main osseuse dont les pattes apparaissent comme de longs doigts effilés, conservant la trompe ventrale inséminatrice. Initialement, la tête du monstre adulte devait être très morbide, GIGER ayant proposé que le squelette du crâne puisse être visible par transparence mais l’idée fut finalement abandonnée car le résultat ne fut pas jugé suffisamment satisfaisant.


Peinture de l'étrange épave extraterrestre.


GIGER devant la dépouille de l'explorateur extraterrestre victime de l'Alien dans le studio Shepperton à Londres.



Conceptions de GIGER non retenues pour les deux premiers stades du monstre extraterrestre, le face-hugger ("agrippe-visage") qui infeste la victime (haut) et le chest-burster qui se fraye le passage depuis les entrailles de l'hôte, inspiré par une dinde plumée, avant qu'on demande à l'artiste d'imaginer une forme foetale annonçant davantage l'adulte.

Hans GIGER dans sa demeure en Suisse tenant la tête de son monstre iconique, dont le crâne devait initialement aparaître au travers d'une coque translucide.

Les connotations sexuelles quant à elles ne sont pas nécessairement évidentes dans le film, bien qu’elles furent partie intégrante de l’élaboration de l’univers extraterrestre. Pour l’œuf contenant la forme infestante, GIGER avait basé l’ouverture sur la morphologie d’un sexe féminin. Afin d’éviter que ce caractère soit trop explicite, l’artiste a finalement démultiplié cette ouverture, de manière à ce qu’elle devienne cruciforme – l’épave conserve par contre trois orifices très organiques qui rappellent des ouvertures vaginales. Afin de rendre évident son caractère d’organisme inséminateur, l’artiste avait conféré au premier stade de l’extraterrestre deux énormes gonades, qui subsistent dans la version finale mais sous une forme édulcorée, des poches plus anodines. La tête effilée du monstre adulte lui conférant l’apparence profilée d’un dauphin provient d’une peinture préexistante dans laquelle le crâne oblong est explicitement calqué sur un sexe masculin avec sa partie oblongue terminale caractéristique venant coiffer l’arrière du crâne.
 La première partie d’ALIEN relative à l’exploration du vaisseau extraterrestre rend réellement justice à la vision de l’artiste, donnant une réalité tangible à ce monde radicalement différent du nôtre. GIGER se voit gratifié en 1980 d’un Oscar au même titre que les principaux responsables des effets spéciaux d’ALIEN. La réputation sulfureuse de l’artiste subsiste malgré cette consécration; le cadavre géant fossilisé du pilote extraterrestre vu dans le film est incendié par un fanatique religieux, alors même que la sculpture en tant que telle est pourtant exempte de connotation sexuelle ou antireligieuse.


Le cadavre momifié du pilote extraterrestre d'ALIEN sur lequel GIGER avait travaillé, présenté au Cinéma égyptien sur Hollywood Boulevard à Los Angeles pour la première du film, une pièce d'histoire photographiée peu avant que des malfaisants y mettent le feu. 
DES RELATIONS OMBRAGEUSES AVEC LE 7EME ART
 Le peintre suisse continuait régulièrement d’œuvrer sur le développement de DUNE, définissant notamment l’aspect du Ver géant pourvoyeur de l’Epice sur Arrakis, lorsque Ridley SCOTT le prévint que le producteur Dino de LAURENTIIS, toujours insatisfait de l’évolution du projet, avait décidé de reprendre tout le processus avec sa fille Rafaëlla. Lassé devant la perspective toujours repoussée d’un tournage, Ridley SCOTT finit par se désengager du projet pour tourner BLADE RUNNER.


Un siège des Harkonnen, conçu en 1979 par GIGER et construit par Conny de FRIES, qui servit de modèle pour plusieurs bars, notamment à Gruyère en Suisse et à Tokyo au Japon.

Un ver géant d'Arrakis peint par GIGER en 1979.
 Ayant conservé son intérêt pour l’entreprise, et admirateur du cinéaste David LYNCH choisi par les producteurs de DUNE pour mener à bien le monumental projet, avec une équipe renouvelée d’artistes conceptuels, Hans GIGER se montra désireux de travailler avec le nouveau réalisateur, mais ses demandes restèrent sans suite. On lui laissera finalement entendre que David LYNCH aurait conçu de l’animosité à son égard en estimant curieusement que le petit monstre qui s’extirpe du corps de Kane dans ALIEN, le « chest burster » qui représente la forme fœtale de l’extraterrestre adulte, était indûment inspiré du rejeton monstrueux qu’il avait créé lui-même pour son film ERASERHEAD.
 GIGER fut chargé de concevoir l’esthétique et les créatures du film THE TOURIST que devait réaliser Brian GIBSON, dans lequel diverses espèces extraterrestres bannies de leurs mondes respectifs sont soumises à des expériences dans un hôpital de New-York. Le projet n’aboutit pas, le studio Universal préférant investir financièrement dans un projet concurrent E.T. L’EXTRATERRESTRE (E.T. THE EXTRATERRESTRIAL).
 Après l’expérience malheureuse de THE TOURIST, Brian GIBSON fit de nouvel appel à GIGER lorsqu’il se vit confier la réalisation de POLTERGEIST 2, un second épisode dans lequel la famille Freeling est tourmentée par des forces occultes, cette fois sous la forme d’un révérend maudit. Cette fois, le projet est l’occasion pour l’artiste de faire primer l’inspiration morbide, avec corps déformés et visages décharnés, sur les penchants libidinaux, et GIGER réalisa de nombreuses toiles consacrées aux différentes incarnations de l’âme damnée, sous forme d’ectoplasme, de ver maléfique s’introduisant dans une bouteille de tequila pour posséder de l’intérieur le père de famille dont il convoite l’âme radieuse de sa fillette, puis la forme en mutation qu’il devient une fois recraché, l’aberration semi-anthropomorphe en laquelle il se change, puis la « grande Bête » dont la tête est ornée de tentacules rappelant la gorgone et le tronc composé des visages torturées des âmes qu’il a entraînées avec lui. Son goût pour l’irrévérence religieuse trouve à s’illustrer au travers de son ultime incarnation, la créature se mettant la tête en bas et se changeant en une sorte de crucifix renversé. Cette dernière vision n’est cependant pas illustrée dans le film, et la première apparition grotesque et satanique du monstre, « la Bête de fumée » au travers de l’évocation ésotérique du prologue par le chaman indien apparaît à l’écran sous une forme très édulcorée; ces deux écarts d’avec son travail, auxquels on peut ajouter une vision plus tourmentée du monde de l’au-delà, un vortex constitué d’un enchevêtrement de bras, absente du film, rendirent Hans GIGER marri du rendu de sa collaboration au film, d’autant plus que son sculpteur attitré Conny de FRIES qui avait réalisé les modèles des monstres à partir de ses peintures n'avait pas obtenu d’autorisation pour venir travailler aux Etats-Unis sur la production .


Pour l'incarnation de l'âme maudite sous forme de ver, GIGER avait d'abord imaginé ce ver à mi chemin de la sangsue et de l'Ankylostome (un Nématode ) avant de lui ajouter un oeil malveillant à la demande de la production (en bas).

Expulsé par Steve Freeling, la créature surnaturelle se change en une abomination terrifiante par une métamorphose en temps réelle très bien restituée à l'écran par l'équipe des effets spéciaux.

Modèle de la Grande Bête, tête en bas, pour POLTERGEIST 2 sculpté par Conny de FRIES.

Conny de FRIES à droite, en discussion avec GIGER.



La dernière phase de la métamorphose de la Grande Bête, absente du film, conçue par GIGER comme un mélange de crucifix renversé et de totem dont les faces grotesques représentent les visages des âmes damnées victimes du révérend Kane.



Le concept de la "Bête de fumée", l'entité spectrale telle que GIGER l'avait imaginée, dont le corps n'est pas sans évoquer celui d'un parasite, le Schistosome ou "douve du sang".
 L’artiste suisse s’avoua d’autant plus frustré qu’alors qu’il se consacrait à POLTERGEIST 2, il apprit qu’une suite d’ALIEN était en chantier et que son auteur, le réalisateur James CAMERON, avec le concours du créateur d’effets spéciaux Stan WINSTON, avaient souhaité se passer de ses services afin d’appliquer à la créature leurs propres concepts, notamment en concevant la Reine, une créature hexapode géante inspirée de celle existant chez les insectes sociaux. GIGER maugréa alors au sujet de POLTERGEIST 2 qu’il n’était « pas au travail pas sur le bon film ».
 Si GIGER conçut un démon pour le film japonais TOKYO, THE LAST METROPOLIS en 1988, nombre d’autres contributions au domaine du cinéma n’aboutirent pas. Il espérait la même année travailler de nouveau avec Ridley SCOTT sur DEAD RECKONING, renommé THE TRAIN, une histoire de train transportant des corps en animation suspendue dans lequel une créature humanoïde avec un cerveau modifié génétiquement semait la destruction. Malgré ses esquisses, le film ne vit pas le jour – même lorsque rebaptisé ultérieurement ISOBAR, une forme de vie végétale transgénique substituée au mutant, que devait affronter Sylvester STALLONE, fut construite en vain par Rick BAKER.
 Le metteur en scène de série B, William MALONE, qui avait mis en scène des créatures visiblement très inspirées d’ALIEN dans SCARED TO DEATH et sa suite SYNGENOR, ainsi que dans CREATURE (initialement nommé TITAN FIND), approcha GIGER en 1990 et le convainquit de s’investir dans des projets censés restituer fidèlement à l’écran son univers cauchemardesque. Dans THE MIRROR, un miroir triangulaire mène à un monde de créatures biomécaniques qui veulent féconder une femelle humaine. THE DEAD STAR devait plonger le spectateur dans un monde démoniaque où les morts sont ressuscités, sous la supervision d’un Satan doté de plusieurs faces et de gigantesques cornes. La modestie des budgets alloués à William MALONE laissait cependant entrevoir peu d’espoir que ces projets fort ambitieux puissent se concrétiser.


Peinture de GIGER du démon cornu, au-dessus d'un corps féminin ressuscité, qui devait apparaître dans DEAD STAR, et croquis de l'entité extraterrestre biomécanique rendant la vie aux disparus.

Par ailleurs, GIGER ne parvint pas à intéresser à un projet assez déconcertant, THE MYSTERY OF SAN GOTARDO. Il était question d’une organisation militaire ayant créé par manipulations génétiques sous le tunnel du Saint Gottard une armée de soldats réduits à un bras et une jambe; un homme devait devenir amoureux d’un de ces êtres réduits à la portion congrue, qui avait développé une forme de conscience.

NOUVELLES ATTENTES ET NOUVELLES DÉSILLUSIONS
 Tout en poursuivant sa carrière au gré des créations artistiques diverses et des expositions, l’artiste n’avait en dépit de ses déconvenues pas perdu tout attrait pour le domaine cinématographique. Evincé d’ALIENS, Hans GIGER pensa l’heure de sa revanche venue lorsqu’il fut engagé sur la seconde suite en 1992. Le plasticien aspirait à renouveler le concept de sa créature pour ALIEN 3. Le scénario original qui imaginait que durant la phase d’incubation, la créature s’imprègne de certaines caractéristiques de son hôte, de telle sorte que la forme adulte présente une forme quelque peu hybride, poussa à envisager que l’Alien issu d’un animal adopte la posture quadrupède – quelques essais furent d’ailleurs réalisés par l’équipe des effets spéciaux d’Alec GILLLIS et Tom WOODRUFF sur des chiens, comme une lointaine réminiscence de SWISS MADE. Durant plus d’un mois, encouragé par l’assurance du metteur en scène David FINCHER que seuls des modèles robotisés, et non un figurant costumé, auraient la tâche de la représenter, GIGER conçut une créature élégante, d’allure féline, dotée de longues jambes. Il se montra désireux d’en livrer une conception féminisée, en lui prêtant des lèvres charnues féminines, afin que celle-ci délivre réellement « le baiser qui tue ». Il voulait aussi changer la mâchoire intérieure protractile en une langue bordée d’épines tranchantes. Enfin, après avoir tenté de justifier la présence des tubes dorsaux - originellement ajoutés pour s’écarter de la morphologie humaine - comme équilibrant la longue tête, le peintre fit connaître sa préférence pour leur suppression. Si sur ce point il sera entendu par les créateurs d’effets spéciaux d’Amalgamated Dynamics, David FINCHER choisit finalement pour l’essentiel la cohérence, la créature, en dépit de sa vélocité, restant proche de ses incarnations précédentes au cinéma, ce qui donna à nouveau à GIGER l’occasion de déplorer qu’on n’ait pas pris en compte ses différentes ébauches.
Face hugger royal dessiné par GIGER. 
 Version quadrupède du chest burster pour ALIEN 3 surnommée "Bambi alien", très différente de celui du premier film dont les membres n'étaient pas encore développés. 

Maquette de l'Alien quadrupède de GIGER.
 En 1994, GIGER reçut la mission de dessiner la voiture du super héros pour BATMAN FOREVER, lui donnant une forme de chromosome; trop audacieux sans doute, le concept ne sera pas utilisé.
 Avec LA MUTANTE (SPECIES), GIGER entrevit une nouvelle opportunité de porter à l’écran une de ses créations féminines biomécaniques fantasmatiques, au travers de l’histoire de cette créature issue d’un zygote humain mêlé avec de l’A.D.N. extraterrestre, capable de changer soudain son apparence en une forme effrayante. Steve JOHNSON qui supervisait les effets spéciaux de maquillage pour la compagnie Boss film de Richard EDLUND, appréhendait les contacts avec GIGER, ayant déjà occupé la même fonction au temps de POLTERGEIST 2, et se rappelant les récriminations de l’artiste suisse. Aussi demandait-il à ses collaborateurs de filtrer les appels, ne consentant à recueillir que de temps à autre les longues doléances du concepteur visuel depuis la Suisse.


 Une rencontre entre l'artiste suisse et le créateur d'effet spéciaux Steve JOHNSON ( à gauche), que GIGER est venu visiter sur le tournage du film ANACONDA.

La créature la plus originale du film, celle apparaissant dans le laboratoire qui est composée à 100% d’A.D.N. extraterrestre, n’a cependant pas été conçue par GIGER mais imaginée entièrement par Steve JOHNSON lui-même, s’ingéniant avec succès à lui appliquer une apparence cohérente avec le style biomécanique de l’artiste.
 Les sentiments de GIGER sur le rendu de sa création furent mitigés. Il se montra particulièrement satisfait de la version mécanique translucide de la mutante Sil portant à sa bouche l’extrémité extensible d’un mamelon. La première étape de la métamorphose de la jeune Sil en femme adulte lui déplut par contre ; au lieu des vers sortant de la peau de la jeune fille, qu’il avait même sculptés en silicone et envoyés à Hollywood, l’équipe des effets spéciaux préféra des tentacules créés par ordinateur à la place. Une fois les extensions réunies, celles-ci constituent un cocon, réalisé par l’équipe de Steve JOHNSON à l’aide de sachets plastiques chauffés et soudés, lequel eut davantage son assentiment. La conception d’images par ordinateur fut aussi utilisée pour représenter Sil pour certains plans, ainsi que pour donner vie à son rejeton, ce que GIGER désapprouva fortement, estimant à juste titre que ce procédé faisait perdre beaucoup en réalisme et qu’on aurait très bien pu utiliser les costumes et les versions mécaniques pour réaliser les scènes – il faut dire qu’à l’époque Steve JOHNSON était le premier maquilleur à se montrer séduit par les effets spéciaux engendrés informatiquement, avant de devenir par la suite l’un de ses plus grands détracteurs, proclamant sur son site « rubber rules » ( « il n’y a pas mieux que le caoutchouc-latex» ).


 GIGER décela dans LA MUTANTE la possibilité de conférer son ampleur maximale à sa vision d’un train infernal, dont la forme de chaque wagon était basée sur un crâne gigantesque, dont il avait déjà réalisé une version dans sa propriété, et qu’il avait en tête lorsqu’il œuvrait sur le projet de Ridley SCOTT non concrétisé, THE TRAIN. Dans LA MUTANTE, ce véhicule surréaliste apparaît dans des cauchemars de Sil renvoyant à une mémoire génétique. GIGER se consacra à la construction du train et du décor à Zurich, en Suisse, mais le film n’en conserve à son grand regret qu’un bref plan.


 Egalement échaudé par une rétribution financière qu’il estimait ne pas correspondre à ce qu’il lui était dû ainsi que par l’absence de son nom sur la brochure présentant l’équipe du film lorsque celui-la fut projeté au Festival de Deauville, GIGER déclara amer qu’il ne voudrait plus rien avoir  à faire avec une éventuelle suite du film à moins qu’on ne lui proposât de renouveler complètement le concept. Il se retrouva ainsi engagé pour imaginer une version masculine du monstre pour LA MUTANTE 2 (SPECIES 2). Encore une fois, cependant, il se montra déçu par le résultat bien que l’équipe de Steve JOHNSON ne ménagea pas ses efforts pour animer la marionnette géante translucide représentant la créature quadrupède surdimensionnée qui rappelle le sphinx légendaire.

GIGER au travail sur LA MUTANTE 2.
 Le peintre suisse s’était quelque peu tenu éloigné du cinéma durant ces dernières années. Il eut cependant récemment le plaisir de rencontrer de nouveau Ridley SCOTT, qui le consulta pour la préparation de PROMETHEUS, le film conçu comme une préquelle d’ALIEN pour lequel l’artiste fit quelques esquisses. Il se montra touché que le réalisateur reconnaisse l’importance de son approche esthétique dans la création de l’univers bâti autour d’ALIEN.


Hans GIGER retrouve Ridley SCOTT discutant des concepts artistiques de PROMETHEUS.




Deux dessins de la dernière collaboration de GIGER au cinéma, sur le film PROMETHEUS : la créature vermiforme "hammerpede" et le foetus mutant.

GIGER a imposé son style biomécanique dans les différents arts. Au cinéma, son travail sur ALIEN a suscité bien des émules à commencer par les films de William MALONE. Le guerrier du futur de SCARED TO DEATH et SYNGENOR est très proche de l’Alien, de même que l’extraterrestre de CREATURE. Celui de DARK UNIVERSE n’est pas en reste. Le monstre adulte de MUTANT (FORBIDDEN WORLD) évoque un peu une synthèse d’Alien avec sa gueule dentée sombre et ses pattes articulées qui sont analogues à celles du face hugger du film de Ridley SCOTT. Quand aux créatures de L’INVASION DES COCONS (DEEP SPACE), leur évolution n’est pas sans convoquer certains éléments des phases imaginées par GIGER, avec les nouveaux nés aux nombreuses pattes articulées, et l’adulte à la peau anthracite, à l’énorme gueule carnassière et au crâne allongé. La pyramide de LA GALAXIE DE LA TERREUR évoque celle d’ALIEN (même si elle renvoie davantage à celle dessinée par Chris FOSS qu’à celle plus ovoïde peinte par GIGER). Des vaisseaux spatiaux organiques apparaissent quant à eux dans des films comme LIFEFORCE, L’INVASION VIENT DE MARS (INVADERS FROM MARS) et BUCKAROO BANZAI. Il n’est pas jusqu’au pistolet apparu au travers même de la chair sur la main de Max Renn (James WOODS) dans VIDEODROME de CRONENBERG qui n’évoque pas l’esthétique biomécanique de GIGER, déclinée par la suite dans des productions extrême-orientales comme le film japonais TETSUO. L’art de GIGER était apprécié au Japon, et il y fit construire les décors de plusieurs bars. L’un d’eux accueillait les fauteuils des Harkonnen créés pour la tentative d’adaptation de DUNE par Ridley SCOTT ; il fut finalement fermé après que la mafia japonaise en eut fait un de ses lieux de rendez-vous privilégiés, illustrant ainsi que l’univers de GIGER était toujours sulfureux...
 Considéré comme amical en privé, plutôt réservé en public, GIGER a aussi laissé l’image d’un artiste exigeant, difficile à satisfaire car très attaché à une parfaite restitution de son art notamment au cinéma, ce qui amena Steve JOHNSON a lui rendre un hommage pour le moins ambigu, tant son admiration se mêlait au souvenir de la tension latente de leurs collaborations professionnelles. GIGER sera en tout cas parvenu à ce que son œuvre soit reconnue et respectée aussi bien dans le monde des galeries d’art que dans celui du cinéma fantastique hollywoodien, et il demeurera encore longtemps à n’en point douter une référence.





site officiels : 
http://www.hrgiger.com/
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musée Giger :
http://www.hrgigermuseum.com