lundi 20 mai 2024

UN CREATEUR MECONNU DE LA CREATURE D'ALIEN

       

Le créateur d'effets spéciaux Roger Dicken montre au scénariste Dan O'Bannon le petit monstre dénommé Chestburster sur le tournage d'ALIEN.  

            Le monstre du film ALIEN est incontestablement la créature de l'espace la plus connue du cinéma de science-fiction après le visiteur de E.T. L'EXTRATERRESTRE (E.T. THE EXTRATERRESTRIAL) mis en scène par Steven Spielberg. Ceux qui s'intéressent d'un peu près au cinéma de l'imaginaire savent que l'aspect de l'extraterrestre du film d'épouvante de Ridley Scott a été imaginé par le peintre suisse H.R. Giger. Le cinéaste souhaitait s'inspirer du style biomécanique des peintures de l'artiste qui faisait partie de son équipe à l'époque où il devait réaliser une adaptation du roman DUNE après l'échec d'Alejandro Jodorowski - avant de s'en dessaisir pour tourner BLADE RUNNER et d'être finalement remplacé par David Lynch - et il finit alors par s'aviser qu'il serait plus logique de l'engager. Le spécialiste de l'aérographe n'eut pas à beaucoup modifier ses concepts pour faire surgir la silhouette du redoutable prédateur, notamment en se basant sur son tableau réalisé en 1976, Necronom IV, dont la créature comporte même les étranges structures dorsales à allure de tuyères qui lui confèrent sa singularité et lui donnent davantage de facilité à se confondre avec l'environnement technique du vaisseau spatial. Il fallait ensuite lui donner vie à l'écran, et les passionnés savent généralement que c'est le créateur d'effets spéciaux mécaniques d'origine italienne Carlo Rambaldi qui fut engagé avant de concevoir ensuite le plus célèbre de tous les êtres d'outre-espace, E.T. précité. En fait, le technicien auquel un long hommage a été rendu ici - lequel représente le plus complet dossier en ligne depuis la soudaine disparition du site "OMastercylinder" – a principalement travaillé sur la tête du monstre, et notamment sa seconde mâchoire interne, agençant plusieurs versions en différentes tailles en fonction des nécessités du tournage.

        Un troisième homme à la plus faible notoriété se doit ainsi d'être mentionné, Roger Dicken, qui s'est éteint durant son sommeil le 18 février 2024 à l'âge de 84 ans en sa demeure sise en Galles du Nord. Il est vrai aussi que l'Anglais, dont l'épouse Wendy n'a révélé le décès qu'au cours du mois d'avril, s'était depuis longtemps retiré du monde du cinéma, son caractère intransigeant l'ayant conduit à écourter sa carrière. 

            Né le 15 avril 2024 à Portsmouth en Angleterre, ce passionné de films et bandes dessinées de science-fiction se mit très jeune à modeler en plasticine des animaux préhistoriques tels que des reptiles volants basés sur ses dessins tirés des livres qu'il consultait à la bibliothèque. Il construisit des marionnettes manuelles puis à fil avant de se lancer dans le maquillage après avoir vu le film FRANKENSTEIN et monta quelques spectacles, jouant masqué le personnage éponyme dénommé Docteur Lugani, "maître des cimetières" de son spectacle horrifique. Il confessa s'être aussi amusé à terroriser deux jeunes filles sortant à une heure avancée d'une soirée dansante en se présentant devant elles avec un masque de gorille qu'il avait confectionné. Après que son peu d'empressement à accomplir ses obligations militaires amena l'armée a décider de se passer de ses services, il fit l'acquisition d'une caméra et entreprit de filmer des modèles réduits dans son garage. Lorsqu'à l'âge de 17 ans le Bertram Mills Circus fit une tournée dans sa ville, il parvint à intégrer l'équipe des éclairagistes et électriciens, dans la lignée de son père qui était électricien.


           Rencontres avec Harryhausen et Kubrick

            Il obtint en 1960 de rencontrer le grand animateur Ray Harryhausen, avec lequel il partageait d'ailleurs une passion pour KING KONG, dans les studios Shepperton où l'Américain venait de s'installer pour y tourner L'ÎLE MYSTERIEUSE (MYSTERIOUS ISLAND), visite qui lui permit d'assister à la fin du tournage, de voir les modèles du ballon dirigeable ainsi que de l'ammonite qui s'attaque aux naufragés et qui le confirma dans son aspiration à travailler pour le cinéma, bien qu'il n'aura finalement pas par la suite l'occasion de lui apporter son concours. Roger Dicken s'établit ainsi à Londres et obtint de remplacer durant son congé maladie l'accessoiriste du Théâtre de la Cour royale, qui comportait parmi ses acteurs Bernard Bresslaw, futur interprète du cyclope Rell dans le film KRULL, puis il prêta son concours à la construction de décors pour la série familiale de science-fiction Dr Who produite par la chaîne BBC. Cette dernière souhaitait renouveler son contrat, mais quelqu'un lui parla d'une petite annonce parue dans un journal du soir par le studio de Gerry et Sylvia Anderson qui avaient produit la série STINGRAY avec de petits personnages animés et une voyante qu'il avait consultée lui suggéra d'accepter plutôt la seconde offre.

                Ainsi se trouva-t-il au vu de réalisations personnelles qu'il avait présentées engagé pour concevoir des accessoires ainsi que le décor du hangar géant pour la série LES SENTINELLES DE L'AIR (THUNDERBIRDS) mettant en scène des personnages animés comme Lady Penelope, ainsi que sur l'adaptation cinématographique L'ODYSSEE DU COSMOS (THUNDERBIRDS ARE GO) en 1966, travaillant sous la supervision du célèbre Derek Meddings (les adaptations cinématographiques du héros James Bond et KRULL). Il sculpta un serpent en pierre à un œil pour le film et eut la satisfaction de créer deux monstres vénusiens, un dragon et une bête tentaculaire d'allure féroce, dont les photos étaient destinées à illustrer un magazine dérivé de la série. 


Un Roger Dicken juvénile sur la série LES SENTINELLES DE L'AIR (THUNDERBIRDS) et en dessous dans le hangar de la brigade spéciale au milieu des maquettes avec le concepteur visuel Mike Trim.

Le rocher cracheur de feu des SENTINELLES DE L'AIR (THUNDERBIRDS ARE GO).

Un monstre vénusien tentaculaire pour illustrer un magazine dérivé de la série LES SENTINELLES DE L'AIR (THUNDERBIRDS). 

              Alors qu'il commençait à estimer sa tâche un peu monotone, une consoeur qui avait travaillé sur les marionnettes de la série, Joy Seddon, lui adressa une lettre lui expliquant qu'il serait peut-être intéressé de la rejoindre sur une grosse production de Stanley Kubrick appelée 2001, L'ODYSSEE DE L'ESPACE (2001 : A SPACE ODYSSEY), à qui elle avait fait part de sa passion pour les monstres. Il put projeter au réalisateur un échantillon de ses créations, mais la possibilité d'inclure des créatures de l'espace dans le film était toujours incertaine. Il commença confidentiellement à sculpter dans du bois des figurines humanoïdes qui étaient destinées à scintiller grâce à un éclairage approprié, mais Kubrick décidera en fin de compte de ne faire apparaître aucun extraterrestre à l'écran. Roger Dicken est employé aux côtés de Joy Seddon à agencer les falaises de glace et le sol lunaire sur lequel est découvert le premier monolithe extraterrestre ayant guidé l'émergence de l'Humanité comme présenté au début du film.

                L'artiste britannique se vit ensuite confier par le producteur Tony Tenser la réalisation des effets spéciaux d'un film à petit budget de la compagnie Tigon, LE VAMPIRE A SOIF (BLOOD BEAST TERROR) réalisé en 1968 par Vernon Sewell. L'inspecteur Quennell joué par Peter Cushing enquête sur des meurtres horribles, lesquels s'avère perpétrés par la fille d'un entomologiste qui se change régulièrement en monstrueux papillon hématophage. Le père qui l'a peut-être engendrée suite à de mystérieuses expériences non évoquées, s'effraie tardivement à la perspective que cette mutante puisse se perpétuer avec le congénère en gestation qu'il a conçu. L'artiste eut toute latitude pour créer le costume à partir de laine angora récupérée sur des manteaux et le masque, portés l'actrice Wanda Ventham qui interprète aussi l'incarnation monstrueuse de Clare Mallinger, ainsi qu'une version miniature articulée de la mite volant dans le ciel nocturne. A l'issue du tournage, le réalisateur le contacta, lui demandant de venir dans un studio afin de filmer la mort du monstre, mais la caméra cessa de fonctionner dès le début du tournage, de sorte qu'aucun plan de la séquence projetée ne put être réalisé.

Roger Dicken mettant la dernière touche au costume de la mite humanoïde du VAMPIRE A SOIF (BLOOD BEAST TERROR).

Gros plan sur la mutante dont la mort ne put être filmée.

                    Il apporta son concours à d'autres films d'épouvante britanniques, créant les corps de sorcières brûlées et pendues pour LE GRAND INQUISITEUR (THE WITCHFINDER GENERAL) de Michael Reeves, victimes du véritable chasseur d'hérétiques Matthew Hopkins, interprété par Vincent Price, puis créa une chauve-souris mécanique pour LES CICATRICES DE DRACULA (SCARS OF DRACULA) réalisé en 1970 par Roy Ward Baker.

Roger Dicken avec la chauve-souris des CICATRICES DE DRACULA (SCARS OF DRACULA) et gros plan sur le petit vampire.

                 Passion assouvie pour les animaux préhistoriques 

                  A défaut de pouvoir travailler avec Ray Harryhausen, Roger Dicken est contacté par le producteur de la Hammer Aïda Young pour assister son principal admirateur Jim Danforth, sans doute sur la base d'une séquence d'animation de dinosaures en super 8 qu'il avait précédemment montrée à un autre producteur de la compagnie, Anthony Hinds. Le maître de l'animation rencontré sur L'ÎLE MYSTERIEUSE qui avait donné vie pour la compagnie aux animaux préhistoriques d'UN MILLION D'ANNEES AVANT J.C. (ONE MILLION YEARS B.C.) n'était alors pas disponible pour un second projet similaire, QUAND LES DINOSAURES DOMINAIENT LE MONDE (WHEN DINOSAURS RULED THE EARTH) de Val Guest, qui met à nouveau aux prises dans un monde fantasmagorique des tribus d'hommes primitifs avec de gigantesques survivants du Mésozoïque. 

                Danforth qui a eu le temps de perfectionner sa technique parvint à réaliser une animation rivalisant avec la qualité de celle de son inspirateur, en animant image après image les modèles élaborés par Roger Dicken. Il accomplit un travail intense, sculptant en tenant compte constamment des orientations données par Jim Danforth le reptile volant, le plésiosaure et le tylosaure, ainsi que des effigies miniatures des protagonistes humains pour les séquences d'interaction, préparant lui-même les moules pour en retirer les modèles finaux, ainsi que façonnant nombre d'accessoires comme des portions de décors et du feuillage à petite échelle. Il retoucha aussi un modèle de crabe devant apparaître géant à l'écran qu'avait préparé un confrère de Danforth, David Allen (voir l'article qui lui a été consacré en juin 2023) à partir de la carapace d'un vrai animal afin de lui conférer une apparence plus inquiétante par l'ajout de piquants et de cornes - l'animateur viendra en personne animer la séquence. Roger Dicken assembla aussi un modèle de fourmi géante de la taille d'un chien et se rendit en Espagne pour animer la tête face à des figurants, mais la production manqua de temps pour compléter la scène avec l'animation image par image de fourmis par David Allen, la séquence complémentaire filmée en temps réel disparut donc du montage, ce qui le désola fortement. Le film fut proposé pour un Oscar mais celui-là fut remporté par Disney.

Roger Dicken sur QUAND LES DINOSAURES DOMINAIENT LE MONDE (WHEN DINOSAURS RULED THE WORLD) : en haut, discussion avec l'animateur David ALLEN sur l'apparence du ptérodactyle ainsi que du plésiosaure, en dessous, les deux hommes agençant une scène avec le styracosaure, et en bas, son modèle de fourmi géante qui ne figura finalement pas dans le film, avec laquelle il pose fièrement en tenant la chauve-souris des CICATRICES DE DRACULA (SCARS OF DRACULA).

                Il eut ensuite l'occasion de construire un stégosaure grandeur pour l'entrée de l'ancien Cirque Windsor de Billy Smart avant d'y être disposé dans son Safari Park, et les studios Tigon firent de nouveau appel à lui pour LA CHAIR DU DIABLE (THE CREEPING FLESH) de Freddie Francis avec les acteurs Peter Cushing et Christopher Lee, dont les personnages se disputent un squelette fossile d'apparence inquiétante qui pourrait incarner la source originelle du Mal, que l'artiste construisit. 

Familles posant devant le Stégosaure de Roger Dicken à l'entrée du parc de Billy Smart.

Roger Dicken effectue l'ultime ajustement sur l'inquiétant squelette de LA CHAIR DU DIABLE (THE CREEPING FLESH).

            Une autre compagnie anglaise, Amicus, entreprit en 1974 d'adapter sur grand écran les aventures préhistoriques imaginées par Edgard Rice Burroughs, par ailleurs créateur du personnage de Tarzan. LE SIXIEME CONTINENT (THE LAND THAT TIME FORGOT) propulse durant la première guerre mondiale des marins britanniques et allemands jusqu'au Pôle Sud, où est découverte sous une calotte de glace un monde tropical préservé depuis des millions d'années, dont le microclimat est engendré par l'activité volcanique, où des hommes primitifs coexistent avec des reptiles de l'ère mésozoïque. Contrairement aux deux films évoqués produits par La Hammer, le producteur John Dark écarte d'emblée l'utilisation du procédé d'animation image par image au profit de l'emploi alternatif de modèles réduits et d'artefacts grandeur nature. Ces derniers sont de la responsabilité de John Richardson, tandis que Roger Dicken conçoit les marionnettes à tige, lesquelles peuvent être filmées directement dans l'élément tel que l'eau ou le brouillard à la différence des modèles animés d'Harryhausen, Danforth et Allen. Après plusieurs mois passés à les élaborer, il escompte les animer mais la tâche échoit principalement aux assistants de l'équipe de Derek Meddings – un contributeur régulier de la saga des JAMES BOND comme John Richardson

Roger Dicken fait surgir son plésiosaure sous forme de marionnette de derrière le modèle réduit du sous-marin.

Tout végétarien qu'il soit, ce Styracosaure paraît bien menaçant.

Roger Dicken et deux cératopsiens.

                  L'artiste se montra mécontent d'une certaine absence de coordination entre les équipes, trouvant que ses modèles n'ont pas toujours été filmés de la manière dont il l'aurait souhaité, et il déplora particulièrement que le cou de la version grandeur nature du plésiosaure imputable à l'atelier de John Richardson soit plus fin que celui de sa marionnette. De ce fait, Roger Dicken déclina l'offre de participer à la suite, LE CONTINENT OUBLIE  (PEOPLE THAT TIME FORGOT) qui poursuivait la saga de l'exploration du monde austral endémique avec ses reptiles menaçants issus des temps passés, cette fois du seul ressort de John Richardson, avec toujours l'acteur Doug McClure en vedette. Dicken se fit également porter pâle pour CENTRE TERRE : SEPTIEME CONTINENT (AT THE EARTH'S CORE) qui conduit un savant joué par Peter Cushing dans le monde souterrain de Pellucidar dépeint par E.R. Burroughs, grâce à un engin d'exploration en forme de foreuse, lequel représente d'ailleurs le meilleur effet spécial du film, les monstres incarnés par des figurants costumés évoquant fortement leurs homologues des films japonais comme les dérivés de GODZILLA et GAMERA. 

                Ces refus ainsi que le résultat plus que mitigé de la troisième aventure exotique produite par la firme Amicus n'empêcha pas son producteur John Dark de tenter de convaincre l'artiste ombrageux de participer à la prochaine production, LES 7 CITES D'ATLANTIS (WARWORLDS OF ATLANTIS), réalisée comme les précédents par Kevin Connor, en 1978. Il parvint à susciter son intérêt en lui promettant d'inclure les créatures les plus étranges qu'il pût imaginer tant qu'elles pouvaient être insérées dans l'histoire. Celle-ci est cette fois basée sur un sujet original du scénariste Brian Hayles bien qu'on relève des ressemblances avec le roman THEY FOUND ATLANTIS de Dennis Wheatley – un auteur plusieurs fois adapté à l'écran par la société de production Hammer, contant la survie sous la mer d'une civilisation d'Atlantes, prétendument extraterrestres et projetant de reconquérir la surface de notre planète, mais menacés par une horde de monstres destructeurs. Roger Dicken conçut effectivement une belle galerie de monstres. Si l'on peut être un peu plus réservé devant le reptile cuirassé qui monte à l'assaut de la forteresse atlante, un "Zarg" qui est néanmoins le préféré de son concepteur – lequel apparaît brièvement parmi les défenseur de la forteresse tentant de repousser l'invasion des créatures, d'autres suscitent véritablement l'enthousiasme, une créature d'allure anguilliforme, "poisson serpent" inspiré du légendaire monstre du Loch Ness, un reptile amphibie aux membres palmés surgissant d'un lac, surnommé Mogdgaan et un poulpe colossal, un des plus réalistes de l'histoire du cinéma. Roger Dicken en fabriqua la version miniature et John Richardson s'en inspira pour un modèle de grande taille - grâce à la très bonne collaboration entre les deux équipes, le spectateur a l'impression de voir une incarnation unique de l'animal. Même si Roger Dicken se félicita de la qualité de ce travail, il regretta que l'animation de ses créations soit confiée à l'équipe de John Richardson et se montra frustré que la presse ne le crédite pas de la création des monstres. Il décida finalement de quitter la production un peu avant la fin du tournage en adjugeant que ses homologues finiraient très bien sans lui.

Roger Dicken aux petits soins sur sa version de la pieuvre des 7 CITES D'ATLANTIS (WARWORLDS OF ATLANTIS) de Kevin Connor, dont l'animation a été dévolue à John Richardson.

Le bathyscaphe des explorateurs est confronté à une créature anguilliforme menaçante - il est dommage que le réalisateur du film LOCH NESS n'ait pas utilisé de même un modèle concret pour conférer plus de présence aux plans aquatiques du monstre. Roger Dicken s'est inspiré de la créature légendaire écossaise, mais en lui conférant une mâchoire plus carnassière.

Apparition d'un effrayant Modgaan surissant d'un marécage pour barrer la route aux fugitifs. 

Roger Dicken mettant la dernière touche à un Zarg, lancé à l'assaut d'une cité des Atlantes.

                               Petits monstres pour un grand film             

                       La notoriété de Roger Dicken en tant que créateur britannique d'effets spéciaux le conduisit à être engagé par Ridley Scott pour créer les différentes incarnations du monstre extraterrestre d'ALIEN l'année suivante. Il réalisa une petite maquette de l'Alien adulte basée sur l'entité bio-mécanique figurant sur le tableau NECRONOM IV du peintre suisse Hans Rudi Giger, mais la tête allongée parût vraiment démesurée pour équiper un acteur costumé. Roger Dicken dut patienter pour que la production s'accorde réellement sur les deux premières formes de la créature, et il désespérait de voir concrétisée l'allure du monstre adulte toujours débattue comme la présence ou l'absence d'une queue, alors que les délais approchaient, à tel point qu'il finit par écrire une lettre aux producteurs affirmant qu'il se refusait à faire une dépression en raison de leur indétermination. Giger accepta alors de venir en personne travailler avec les techniciens anglais pour sculpter le monstre tout comme le pilote de l'épave extraterrestre, tandis que l'Italien Carlo Rambaldi travaillait sur les mécanismes de la tête. 




De la difficulté de concrétiser la créature d'ALIEN d'après le concept de H.R. GIGER en haut, avec au milieu la maquette de Roger Dicken respectant la tête très allongée de forme équivoque du tableau NECRONOM IV et son essai de masque pour l'interprète Bolaji Badejo avec les gros yeux noirs vitreux ; l'équipe décida en fin de compte que l'être serait plus effrayant s'il ne portait pas d'organes oculaires apparents et il leur fut substitué un dôme translucide.

                   Il se concentra ainsi sur la forme infestante, le "facehugger", et sur le rejeton qui s'extraie de son hôte humain, le "chestburster". La première proposition d'Hans Giger était trop volumineuse, la créature étant destinée à seulement recouvrir le visage de la victime. Ridley Scott avait à défaut demandé à ses collaborateurs d'envisager une forme composée de différents emprunts à des tableaux de Giger figurant dans son livre NECRONOMICON et notamment de longs doigts. Roger Dicken et le scénariste Dan O'Bannon firent des esquisses qui satisfirent le réalisateur. La rencontre avec le peintre suisse diffère selon les versions. Selon Ridley Scott, lorsque le peintre suisse les rencontra à Londres, en apportant son propre concept, assez similaire sauf que la créature arborait un œil sur le dessus, il les complimenta en assurant que leur version était meilleure que la sienne. Dans le livre qu'il consacre à son travail sur le projet, Giger relate de manière beaucoup plus négative son contact avec Dicken, estimant que son expérience sur les dinosaures transparaissait trop dans ses conceptions devant figurer une forme de vie extraterrestre, ses modèles lui paraissant aussi manquer de vie, et que le Britannique lui avait asséné que ses créatures peintes lui évoquaient les repoussants résultats d'avortements, rejoignant la prévention initiale d'une partie de la production, et qu'il aurait préféré créer quelque chose de beau ; après avoir précisé ses attentes, Giger se déclarera finalement satisfait du résultat bien que le facehugger n'apparaisse pas translucide comme demandé. Roger Dicken aurait quant à lui souhaité que le facehugger présente une allure plus menaçante avec une surface épineuse, et qu'il possédât des pinces plutôt que ses pattes en forme de longs doigts terminés par des ongles d'aspect humain, mais ceux-là procèdent d'une exigence de Ridley Scott. Il conçut l'armature interne composée d'une arrête métallique sur laquelle étaient montées de petites pièces métalliques maintenant les huit doigts tous façonnés dans le même moule et dotés d'articulations en aluminium. Il avait réalisé l'effet du liquide qui s'écoule d'un doigt lorsque le scientifique Ash tente de détacher l'organisme de sa victime et ronge une plaque de simili-métal, mais ce n'est pas lui qui effectua finalement la scène et il jugea le rendu moins convaincant. Il ne fut pas non plus chargé de la sortie de la créature hors de son œuf, ni de la chute de la forme une fois morte qui effleure l'épaule de Ripley qui la traque. 


Roger Dicken avec le casque rongé renfermant la première forme de l'organisme extraterrestre.



L'actrice Sigourney Weaver (Ripley) s'amuse avec le facehugger de Roger Dicken sur le plateau, et l'artiste à côté et derrière (en bas) le réalisateur Ridley Scott durant le tournage.

                      Pour la forme fœtale qui s'extrait du corps de la victime, le chestburster, Roger Dicken construisit un modèle basé sur la peinture conceptuelle de Giger, mais le passage de l'œuvre picturale en modèle en trois dimension ne satisfit personne. Le résultat créé comme marionnette à main ressemblait à une grosse dinde déplumée. Un nouveau concept anticipant plus étroitement la morphologie de l'adulte fut élaboré, et Ridley Scott préféra à une version d'allure féroce et anguleuse une apparence plus douce et lisse, et retira les petites pattes dinosauriennes du modèle en glaise au profit de simple ébauches similaires à des nageoires de dauphin. Il fut requis que cette nouvelle version, se réduisant finalement à une version miniature de la tête de l'adulte montée sur une longue queue, soit créée en taille réelle, ainsi trop menue pour que Roger Dicken pût y glisser sa main pour la mouvoir. Il dût par conséquent la concevoir tel un câble animé avec un système insufflant de l'air pour faire s'ouvrir la mâchoire articulée et demander à un assistant d'insuffler de l'air comprimé pour faire jaillir la queue qu'il avait enroulée autour de sa main. Il lui façonna de petites dents en chrome annonçant celles métalliques de l'adulte et installa une poche gonflable sur le thorax pour simuler la respiration. Il dût aussi concevoir une version plus rigide du petit monstre de manière à ce qu'elle soit propulsée par un système installé par le responsable des effets spéciaux Brian Johnson, également un ancien des SENTINELLES DE L'AIR. Pour obtenir la réaction la plus spontanée des acteurs, Ridley Scott qui avait multiplié le nombre de caméras pour ne rien laisser échapper, ne les avait pas prévenus de la teneur de la scène à l'exception de John Hurt qui jouait l'infortuné Kane et la surprise redoublée de terreur produisit l'effet attendu sur les interprètes. Pour la suite de la scène, Roger Dicken se glissa sous la table sur laquelle était juché le faux corps de Kane toujours raccordé à la vraie tête de l'acteur et anima la créature. 

La version du chestburster sous forme de marionnette à main initialement créée à partir de la peinture de Giger.

Roger Dicken et une des versions conceptuelles du chestburster lorsqu'il était encore envisagé que l'extraterrestre soit doté d'yeux - on entrevoit derrière à gauche une version du facehugger et à droite un prototype de l'adulte).

Roger Dicken reposant sur un charriot sous la table, s'apprêtant à donner vie au petit parasite émancipé de son hôte.

Moment de détente entre deux prises avec Ian Holm (Ash) hilare et à droite, Veronica Caertwright (Lambert) qui met plus de temps à se remettre de ses émotions. 

                 Tempérament peu arrangeant et manque de reconnaissance

          Eternel insatisfait, Roger Dicken ne se montra pas véritablement enthousiasmé par le résultat à l'écran. Il aurait bien vu le chestbuster avec des écailles, de même qu'avec des épines sur la queue et sur les membres. Il aurait aussi préféré qu'on montre la créature se hisser à l'aide de petites mains hors de la cavité thoracique de Kane, ce qui aurait été selon lui plus effrayant - à noter que dans la suite de James Cameron, ALIENS, les chestbursters sont dotés de petits bras squelettiques. Par ailleurs, l'artiste se plaignit auprès des producteurs de la Twenty Century Fox de n'être crédité que de la sculpture des formes miniatures de l'Alien, et non d'avoir pris part aux effets spéciaux en ayant contribué activement à leur animation. Quelque peu aigri, il estima qu'ALIEN ne reposait pas sur une intrigue se différenciant véritablement de celle d'un film de série B et que la mise en scène de Ridley Scott s'articulait essentiellement autour du suspens et de l'angoisse sans réellement développer la psychologie des protagonistes.

               Les déconvenues s'additionnèrent, Roger Dicken étant frustré d'être également tenu à l'écart des éloges. Dans son livre sur le film, Giger inclut une photo de Carlo Rambaldi sur le prototype de la tête mais il n'y a pas fait figurer de photo de Dicken. Tel Rick Baker sur le remake de KING KONG, l'artiste ne fut pas honoré par l'Oscar décerné en 1980 au titre du film de Ridley Scott, qui célébrait Nick Allder et Brian Johnson pour les scènes employant la maquette du vaisseau spatial, Dennis Ayling pour la photographie des séquences ainsi que Hans Rudi Giger et Carlo Rambaldi pour la construction de la créature. Alors qu'on l'avait enfin laissé animer ses propres créatures, sa participation à la scène se trouvait officiellement minoré, et il est très probable qu'il ait aussi pâti de son désistement de la fabrication du monstre adulte ayant ainsi empêché qu'il soit plus véritablement associé à l'extraterrestre iconique.

Roger Dicken montrant ses modèles incarnant les deux premières phases de l'Alien.

                En dépit de cette nouvelle déconvenue, l'artiste se rendit aux Etats-Unis au début des années 1980 et y apporta sa contribution à quelques films, le plus souvent dans le sillage de son ami David Allen, de manière encore plus confidentielle. Comme Dale Kuipers, il œuvra sur la comédie préhistorique CAVEMAN ainsi que sur HURLEMENTS (THE HOWLING). Sur le premier film, il réalisa un modèle réduit d'une créature dinosaurienne hurlant à la Lune et il conçut une version miniature de la partie inférieure de Ringo Starr juché sur un reptile cornu, destinée à être combinée à la moitié haute de l'image projetée du véritable acteur. Pour le film d'épouvante de Joe Dante, tandis que KUIPERS sculptait des lycanthropes grandeur nature pour le compte de l'équipe du maquilleur Rob Bottin, le créateur britannique en réalisait des versions miniatures dont les armatures furent préparées par Ernie Farino, David Allen animant image par image une séquence qui fut coupée au montage. 



Un loup-garou miniature d'HURLEMENTS (THE HOWLING) créé par Roger Dicken et le résultat filmé, mais non utilisé.

Préparation du tournage avec le dinosaure de CAVEMAN hurlant à la Lune.

Roger Dicken vu en train de sculpter la paire de jambes miniature de Ringo Starr.

Plan de CAVEMAN composé de l'animation du "lézard cornu" sur lequel sont juchées les jambes, raccordées à l'image filmée du haut de l'interprète.

                Roger Dicken a semble-t-il apporté sa connaissance des marionnettes à main aux bébés dragons supervisés par Ken Ralston à l'ILM pour LE DRAGON DU LAC DE FEU (DRAGONSLAYER) en 1981, bien que Chris Walas qui faisait partie de l'équipe n'a pas souvenir de l'avoir croisé et que son nom ne figure même pas au générique. Il contribua à la sculpture de l'autre dragon le plus réaliste du cinéma, celui d'EPOUVANTE SUR NEW-YORK (Q THE WINGED SERPENT) de Larry Cohen proposant une interprétation très libre et d'allure naturaliste de la divinité aztèque Quetzalcoatl, animée par David Allen. Il confectionna des prothèses en collaboration avec Dave Allen et Stan Winston pour le thriller de Samuel Fuller DRESSE POUR TUER (THE WHITE DOG), mais son nom est faussement orthographié en tant que Roger Dickins, et il réalisa finalement des macaques sous forme de marionnettes à main pour de brefs plans sanguinolents des PREDATEURS (THE HUNGER) dans lesquels l'un d'eux déchiquète littéralement son congénère avec ses crocs.

Préparation par Roger Dicken des deux singes à peine entrevus qui s'affrontent au début du film LES PREDATEURS (THE HUNGER) réalisé par Tony Scott.

                    Il n'est pas douteux que sa brève période d'activité aux Etats-Unis n'aura pas comblé ses espérances et qu'il a alors préféré abréger son investissement au service du cinéma, d'autant qu'il voyait s'accroître le nombre de films d'horreur avec des psychopathes, préférant à l'instar de Ray Harryhausen les monstres et la Merveilleux et trouvant déjà ALIEN trop sanglant, à fortiori parce qu'il y fut fait usage d'entrailles d'animaux pour certains plans. L'artiste qui se voulait un grand créateur de monstres en taille réduite a fini par retomber dans l'anonymat de ses débuts, en partie pour cause d'un perfectionnisme l'ayant conduit à une certaine intransigeance, ayant échoué de peu à obtenir une véritable reconnaissance, même s'il demeurait estimé de ses pairs. Il choisit au début des années 1980 de se retirer dans son domicile au Nord du Pays de Galles en poursuivant ses activités créatives loin des regards. Il écrivit aussi durant trois années un livre portant sur la culture populaire de la jeunesse des années 1950 et richement illustré, recensant les groupes de variété comme les rockers auxquels il ressemblait, la mode, les films, les bandes dessinées, la publicité, l'humour ou encore les soucoupes volantes. 

Roger Dicken au début des années 2000 et son livre sur la culture populaire.

                La carrière de Roger Dicken a démontré que même lorsqu'un artiste parvient à exercer la profession de son choix, sa carrière peut s'apparenter à une somme de frustrations et que la consécration espérée est bien aléatoire. Sa disparition a cependant révélé au travers de divers hommages que son œuvre n'était pas tombée dans l'oubli, et on s'honore d'y avoir y ici pris part pour ce qui concerne le lectorat francophone.


Articles déjà parus sur les animateurs évoqués dans le texte :

Ray Harryhausen : 

http://creatures-imagination.blogspot.fr/2013/06/un-geant-entoure-de-miniatures_30.html

David Allen :

http://creatures-imagination.blogspot.com/2019/04/un-brillant-cineaste-independant.html


Créateurs d'ALIEN :

le scénariste Dan O'Bannon : 

http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/01/le-scenariste-dalien-disparait.html

le concepteur Hans Rudi Giger :

http://creatures-imagination.blogspot.fr/2014/06/alien-de-nouveau-orphelin.html

le créateur d'effets spéciaux Carlo Rambaldi :

https://creatures-imagination.blogspot.com/2012/08/cetait-le-pere-de-et.html

le concepteur artistique Ron Cobb : 

http://creatures-imagination.blogspot.com/2020/10/le-plus-brillant-des-ingenieurs-rates.html

Le dessinateur Moebius : 

https://creatures-imagination.blogspot.com/2012/04/il-agence-lunivers-de-la-guerre-des.html

le compositeur Jerry Goldsmith : 

http://creatures-imagination.blogspot.com/2009/07/lhomme-qui-faisait-chanter-les-mogwai.html

Le producteur Roger Corman aurait pu être lui aussi associé à ALIEN car il faillit produire le film. On vient d'apprendre sa disparition à l'âge 98 ans ; un hommage lui sera naturellement consacré dans un prochain article.


              D'autres créateurs de dinosaures disparus au début de l'année

              On a de la même façon appris tardivement la disparition au début de l'année d'un autre sculpteur de dinosaures, l'Américain Michael Trcic, dont la carrière, à mi-chemin des musées d'histoire naturelle et du monde des effets spéciaux, justifie une nouvelle fois l'existence de ce site éclectique. Disparu le 30 janvier 2024 à l'âge de seulement 63 ans, Michael Trcic était né le 28 septembre 1960 à Pittsburgh.

                 Une double carrière brillante

           Au lycée de Pittsburgh, il démontra ses capacités à peindre, sculpter et réaliser des effets spéciaux pour des projets d'étudiants comme de professeurs. Il œuvra ensuite en 1984 sur le film LE JOUR DES MORTS-VIVANTS (DAY OF THE DEAD) du réalisateur George Romero basé à Pittsburgh, en collaboration avec son maquilleur attitré Tom SaviniMichael Trcic décida ensuite d'aller s'établir à Los Angeles avec son épouse Christine. Il poursuivit une carrière active au service des effets spéciaux des plus grands films sous l'égide de Stan Winston, avec sa participation à LEVIATHAN, TERMINATOR 2, BATMAN LE DEFI (BATMAN RETURNS) et JURASSIC PARK, sur lequel il contribue à la sculpture et à l'animation du tyrannosaure. Il assista aussi Kevin Yagher sur CHUCKY LA POUPEE DE SANG (CHILDPLAY'S 2) et THE HIDDEN ainsi que le studio KNB de Greg Nicotero (qui avait aussi pris part au JOUR DES MORTS-VIVANTS) sur EVIL DEAD 2, CREEPSHOW 2 et L'ANTRE DE LA FOLIE (IN THE MOUTH OF MADNESS) qu'a réalisé John Carpenter.

Les  principaux responsables du maquillage sur le film TERMINATOR 2 (TERMINATOR : DAY OF JUDGMENT) : Michael Trcic est à l'extrême droite ; au centre se trouve Stan Winston entre Arnold Schwarzenegger et son double à gauche, et on reconnait aussi Shane Mahan à l'extrême gauche, John Rosengrant à sa gauche et, à demi masqué par l'ombre de l'acteur, Richard Landon. 

Michael Trcic enchaîna immédiatement après TERMINATOR 2 sur JURASSIC PARK, ayant la charge de sculpter le tyrannosaure.

Michael Trcic pose fièrement avec le tyrannosaure grandeur nature. Steven Spielberg lui permit à cette occasion de rencontrer Fay Wray, la vedette du premier KING KONG, un film qui inspira pratiquement tous les artistes du cinéma, de l'animateur Ray Harryhausen à Roger Dicken évoqué ci-dessus.

                       Au milieu des années 1990, Michael Trcic quitta le domaine du cinéma, sans doute notamment comme tant d'autres brillants artistes pour cause de leur remplacement par l'infographie et il emménagea à Seldona dans l'Arizona, où à la manière de son ancien supérieur Stan Winston, il s'attachait à préserver sa vie de famille le week-end auprès de son épouse et de ses deux enfants et il s'adonnait au tir sur cible durant ses loisirs. Il réalisa de nombreuses pièces pour diverses institutions et des musées. Sa sculpture en bronze de Dilophosaure accueille les visiteurs à l'entrée du Muséum d'histoire naturelle de l'Arizona. On lui décerna deux années de suite, en 2000 et 2001, le Prix Lanzendorf récompensant la plus belle reconstitution de la vie préhistorique en trois dimensions, sanctionnant la belle réussite de cet autodidacte, qui s'appliquait néanmoins à recueillir auprès des paléontologues les informations les plus précises afin que ses représentations d'espèces disparues fussent aussi exactes que possible. Catholique convaincu, il affirmait aussi vouloir célébrer au travers de ses créations la beauté de la Création divine, se laissant guider par son art en perdant toute notion du temps tant il était absorbé par son travail. 

Un échantillon de la faune dinosaurienne restituée avec grand soin par Michael Trcic : un Velociraptor prêt à fondre sur sa proie, un Tyrannosaure réminiscent de son travail sur JURASSIC PARK et un Jobaria, un Sauropode se dressant sur ses pattes arrière.

Peinture d'un animal de la ferme par Michael Trcic.

                Comme certains homologues ayant fuit l'avancée des trucages virtuels, Michael Trcic s'était notamment tourné vers des sculptures recréant l'histoire de la conquête de l'Ouest américain. Une fois de plus, nous sommes contraints de saluer la carrière de grands artistes évincés par l'abstraction des trucages du Nouvel Hollywood. Collier, la fille de Michael Trcic, lequel en dépit de sa belle réussite d'autodidacte dissuadait ses enfants de faire carrière dans le cinéma, s'est formée à l'animation virtuelle, tout un symbole.

Comme Henry Jesus Alvarez, ancien sculpteur du maquilleur Rob Bottin auquel il fut ici rendu hommage, et Willy Whitten, un des maquilleurs de THE THING, Michael Trcic réalisait des sculptures en bronze à l'effigie d'Amérindiens célèbres. 

site officiel : https://www.trcicstudio.com/

                    
                              La passion de la recréation du passé


               En une cinquantaine d'années, Terry Chase à la tête de sa société a alimenté par ses créations 250 musées et centres pédagogiques sur la nature dans le monde entier. Il a disparu le 25 février 2024 après un long combat contre le cancer, mettant un terme à 76 ans d'une vie passionnée et intense durant laquelle il était actif une quinzaine d'heures par jour. Né le 10 décembre 1947 à Springfield dans l'Ohio, il avait fondé son entreprise à Cedar Creek dans le Missouri en 1973 à l'issue d'études de paléontologie à l'université du Michigan après avoir organisé des expositions dans différents musées. Le studio s'étend sur plus de 4500 mètres carrés et comporte 11 bâtiments, ainsi qu'une collection privée d'un million de spécimens archivés, minéraux, fossiles, animaux naturalisés et art traditionnel, ainsi qu'une bibliothèque de 20 000 ouvrages d'histoire naturelle fournissant une solide documentation pour la véracité des recréations. Le Docteur Chase évoquait toujours cette réussite en y associant l'ensemble de ses collaborateurs, une vingtaine ordinairement même si leur nombre a pu autrefois monter jusqu'à 95 et il disait se considérer un peu comme le père de ses jeunes collaborateurs, notamment ceux dont la vie de famille n'était pas heureuse, s'attachant à demeurer en tous domaines un modèle inspirant. En dépit de son air assez sévère, il était réputé non seulement pour sa passion communicative mais aussi pour son sens de l'humour.

Terry Chase tenant un modèle grandeur nature très réaliste de Méganeuride, insecte géant du Carbonifère préfigurant les libellules.

                Après avoir obtenu son diplôme, Terry Chase avait hésité entre se lancer dans une carrière paléontologique ou se consacrer à une activité artistique. Il concilia les deux intérêts en travaillant avec George Marchand, créateur de dioramas au Field Muséum d'histoire naturelle de Chicago dont on disait que les fausses fleurs abusaient les abeilles elles-mêmes et qui l'initia à ses techniques.  George et son frère Paul étaient les enfants d'Henri Marchand qui avait étudié la sculpture auprès du célèbre artiste français Auguste Rodin avant de s'établir aux Etats-Unis. On devait notamment à George Marchand le fameux diorama de la mer de l'époque ordovicienne présenté au Smithsonian Museum de Washington, où Terry Chase conçut de nouveaux dioramas comme celui montrant les premières formes animales macroscopiques du Précambrien terminal. Il l'assista au début des années 1970 sur son diorama du récif de l'époque permienne au musée de Midland au Texas, la plus grande reconstitution d'un fond marin de l'ère paléozoïque, puis ils se consacrèrent à la restauration et à l'actualisation des galeries du musée et du centre scientifique de Rochester qui avaient été installés par les Marchand, puis finalement en 2000 à la complète rénovation du premier étage. Bien que sa compagnie réalise des modèles en fibre de verre, son expertise avait été requise récemment pour restaurer une réplique en papier mâché de pieuvre géante du Pacifique d'environ quatre mètres d'envergure installée en 1883 à l'Université d'Harward, s'efforçant de recréer la technique de l'époque, et il avait été mandaté en 2023 par le Musée d'histoire naturelle de Cleveland pour restaurant 300 animaux naturalisés. Une autre pièce spectaculaire fut l'élaboration d'une réplique de la baleine de l'Atlantique Nord surnommée "Phoenix" d'une quinzaine de mètres de long suspendue dans le Hall océanique du Smithsonian Museum. 

Diorama de Terry Chase représentant un fond sous-marin de l'époque du Dévonien supérieur au musée canadien Royal Tyrrell à Drumheller dans la province de l'Alberta, mêlant un trilobite au premier plan, deux crinoïdes (ou lys de mer), des coraux solitaires (Conulaires) sur le substrat, des gastéropodes ainsi que des céphalopodes à coquille droite de type Orthoceras nageant à l'arrière-plan.

Portion de diorama du Carbonifère au musée d'histoire naturelle Sam Noble à Oklahoma, à l'époque où les terres émergées étaient peuplées de batraciens géants ; des Eryops, à droite, voisinent avec l'assez étrange Diadectes, présentant quelques affinités avec les futurs reptiles et pourvu d'une sorte de troisième œil rudimentaire au-dessus des deux autres.


Au travail sur la réparation de la pieuvre géante du Pacifique en papier mâché et le brillant résultat de la restauration fidèle en tous points à sa création originelle.

                Le Docteur Chase délivrait des formations sur les méthodes muséologiques dans nombre d'universités et conférences, écrivait et illustrait nombre d'articles scientifiques et s'adonnait aussi par ailleurs à la musique. Il ne délaissait pas la science, étant particulièrement passionné de longue date par la paléontologie des animaux non vertébrés du Dévonien et il avait affirmé que s'il en avait le temps, il souhaiterait consacrer une étude détaillée de la faune des récifs coralliens de cette époque géologique. Il avait fait don de près de 500 hectares à l'Université d'Etat du Missouri pour la création du centre éducatif des Ozarks voué à la recherche et à la préservation de l'environnement incluant un arboretum. Il se réjouissait à l'avance d'un projet d'exposition itinérante intitulée "The Art of Chase Studio" présentant un échantillon des pièces réalisées par sa société. Il est prévu de lui consacrer un hommage officiel ce printemps. 

Le Docteur Terry Chase au sein de la merveilleuse bibliothèque emplie d'ouvrages sur le règne animal.

site officiel : https://chasestudio.com/

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Prochain article : Hommage à l'homme de cinéma Roger CORMAN 


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