lundi 12 février 2024

PLANTES UNICELLULAIRES MACROSCOPIQUES ET MICROBES GEANTS

 UN MONDE MINUSCULE VISIBLE A L'OEIL NU, 2de partie

        Dans le premier volet de ce dossier, ont été dévoilés au lecteur un certain nombre d’animaux méconnus dont les formes apparentées sont en principe d’une grandeur d’ordre microscopique, mais qui exceptionnellement franchissent le seul de la visibilité en excédant notablement le millimètre en deçà duquel nous peinons à déceler jusqu’à leur présence sans recourir aux instruments d’optique, et cela est évidemment plus étonnant lorsqu’il s’agit d’êtres formés d’une seule cellule, la plus petite unité de matière vivante, lesquels n’ont été découverts par hasard qu’à l’occasion de l’invention du microscope en 1676 par le drapier néerlandais Anton van Leeuwenhoeck.

        On a tendance à diviser de manière profane le monde végétal en opposant les plantes diverses depuis les algues marines que découvre la marée basse jusqu’aux plantes à fleurs des prairies et aux arbres qui peuvent être gigantesques comme le baobab et le séquoia, aux formes microscopiques qui constituent la base du plancton, telles les diatomées marines et les plus méconnues spirogyres et desmidiées des eaux douces. On englobe aussi dans ce phytoplancton les formes photosynthétiques traditionnellement appelées les phytoflagellés en les distinguant ainsi des algues unicellulaires stricto sensu, même si en dépit de l’étymologie, on y inclut certaines formes capables de se nourrir alternativement en ingérant d’autres organismes comme le font notamment les euglènes, ce qui les faisait habituellement ranger parmi les Protozoaires – cette frontière mouvante avait incité le grand naturaliste Ernst Haeckel à englober tous les êtres unicellulaires à noyau dans un unique ensemble des Protistes. Les divers représentants désignés comme des phytoflagellés sont généralement invisibles à l’œil nu, même si leur concentration peut révéler leur présence comme dans le cas des "marées rouges", résultant de la prolifération de Péridiniens (voir article "La revanche des plus humbles" en août 2010). Parmi eux, le Noctiluque, dont la présence en masse crée les "marées argentées", peut avoir individuellement un diamètre de 2 millimètres. Chez les Phytomonadines, les individus constituent des colonies sphériques, tel le Volvox, celles-ci pouvant aussi atteindre 2 millimètres de diamètre, comme une petite tête d’épingle.

En haut, des Phytomonadines visibles à l'œil nu, en dessous, des volvox photographiés à côté d'une larve de triton et en bas un gros plan sur une colonie sphérique de volvox permettant de distinguer les cellules-filles produites par division ; certains biologistes ont voulu voir dans cette multiplication cellulaire dont l'allure rappelle le premier stade du développement embryonnaire appelé morula un reflet de la manière dont ont pu se constituer les premiers organismes multicellulaires.

En haut, Noctiluque visible à l'œil nu en haut à droite à côté d'un ormeau recouvert par une colonie de Bryozoaires ; en dessous, gros plan sur l'organisme avec son flagelle en haut qui lui permet de se mouvoir et qui incite traditionnellement à classer ce Péridinien parmi les animaux unicellulaires.

    Jardins unicellulaires

    Le terme d’algue procède en fait d’une commodité langagière, car il n’y a pas grand-chose de similaire entre la diatomée précitée, unicellulaire en forme de losange qui se déplace lentement au sein du plancton océanique, et les grandes algues fixées au substrat comme les sargasses et les laminaires. Il est cependant manifeste que comme pour les animaux, les algues ont débuté leur évolution par des formes unicellulaires et certaines algues actuelles qui poussent sur le fond marin évoquent ces lointaines origines en n’étant constituées que d’une unique cellule atteignant une taille inhabituelle pour tout naturaliste féru du microscope qui n’est guère habitué à regarder une cellule à l’œil nu.



Les diatomées sont des algues unicellulaires de taille microscopique, à la différence de ces modèles conçus par les artistes Lucile Viaud et Stéphane Rivoal de la société Silicybine, présentés de manière à ce que le public puisse en percevoir la morphologie en trois dimensions au sein du muséum d'histoire naturelle de Nantes (http://galerie-mira-nantes.com/espace/expositions/diatomees/). Il existe cependant certaines formes d'algues composées d'une seule cellule qui sont tout à fait visibles à l'œil nu.

        L’acétabulaire se joue allègrement de l’échelle. Elle débute son existence sous forme d’une cellule minuscule renfermant en son sein le noyau, laquelle se fixe à tout type de support marin par des rhizoïdes puis elle génère un pédoncule pouvant atteindre une longueur de 10 centimètres, se terminant par une ombrelle d’environ un centimètre de diamètre qui abrite les cellules reproductrices. En hiver, elle devient invisible à l’œil nu avant de développer de nouveau sa structure procréative. De couleur verte, bleue ou blanche, "l’ombrelle de mer" ne nous apparaît donc à l’instar des champignons que par l’intermédiaire de ses organes reproducteurs provisoires qui produisent puis éjectent les gamètes.

Un bouquet d'acétabulaires.

        Il y a encore plus étonnant. La Méditerranée a commencé à partir de 1984 à être envahie par une algue accidentellement disséminée par le laboratoire océanologique de Monaco, investissant une zone dont la superficie était passée en vingt ans d’1 m² à 5000 hectares, soit 50 km², ce qui s’avérait très problématique car son foisonnement supplantait les herbiers à posidonies prisés de la faune. À partir de 2011, l’invasion a cependant commencé à régresser et l'espèce tropicale a progressivement disparu sans que la raison en soit connue. Cette séquence a donc momentanément rendu célèbre Taxifolia caulerpa, mais cette espèce mérite notre attention à un second titre. Sous son allure d’algue assez conventionnelle, la caulerpe est un organisme unicellulaire tout comme l’acétabulaire même si seule son étude détaillée le révèle, et ses frondaisons peuvent atteindre jusqu’à un mètre de haut, ce qui en fait une cellule vraiment démesurée et le record toutes catégories pour notre sujet. Elle mime en fait la spécialisation des formes pluricellulaires, la molécule d’ARN, qui régule la physiologie de la cellule en complément des instructions générales définissant la structure de l’organisme contenues dans celle de l’ADN du noyau, s’est différenciée suivant que la région concernée est la fronde (la "feuille") ou bien le crampon assurant la fixation. On sait déjà que les animaux unicellulaires comme ceux de la classe des Ciliés ou Alvéolates peuvent présenter des structures très diversifiées et complexes qu’on appelle organites par analogie avec les organes des êtres multicellulaires ; cette diversification des structures au sein d’une cellule géante ne rend plus si improbable théoriquement l’audacieuse vision de l’écrivain de science-fiction français Max-André Rayjean qui imagine des Protozoaires géants dans son roman futuriste L’ère cinquième autrefois édité par le Fleuve noir.

La Caulerpe Taxifolia : une plante marine, mais constituée d'une seule cellule ! 

        Une autre algue unicellulaire visible à l’œil nu, Ventricaria ventricosa, auparavant appelée Valonia, cultive aussi à sa façon la potentialité évolutive de son état primordial. Celle-ci se présente comme une forme ovoïde de cinq centimètres vivant dans les anfractuosités, de couleur verte mais qui peut parfois apparaître argentée ou noire selon l’environnement et que sa forme fait surnommer "œil de marin". Elle a trouvé comme moyen d’accroître sa taille la subdivision du cytoplasme, les différentes parties encloses à l’intérieur d’une unique paroi cellulaire restent reliées entre elles par une fine connexion. Elles possèdent chacune un noyau et quelques chloroplastes réalisant la photosynthèse. Par conséquent, on peut bien parler d’une forme unicellulaire mais de type syncytium : une cellule qui n’a pas mené à terme le processus de division cellulaire mais a commencé à multiplier ses noyaux en son sein, ce qui est aussi courant chez un type d’animaux unicellulaires appelés Myxozoaires (évoqués dans l’article de septembre 2014). Ventricaria pourrait figurer l’étape initiale du stade multicellulaire, dont le volvox constituerait un modèle plus avancé, de la division cellulaire esquissée à la colonie, celle-ci se fondant finalement en un organisme complexe unique dont les cellules constituent des subdivisions selon différentes fonctions aboutissant aux plantes et aux animaux évolués (métazoaires).

Il ne s'agit pas d'une émeraude, mais d'une algue unicellulaire visible à l'œil nu, la Ventricaria.

         Un titan chez les microbes !

      La présence bactérienne n’était ordinairement visible qu’au travers de denses colonies, mais l’espèce Thiomargarita magnifica qu’on trouve parmi les feuilles en décomposition des mangroves des Caraïbes atteint 2 centimètres, soit plus de 1000 fois plus qu’une bactérie standard dont la taille est de l’ordre de deux microns (le micron étant le millième de millimètre), ressemblant tant par son apparence que par sa taille à un cil humain. Jusqu’à présent avait été répertoriée une espèce mesurant 0,75 millimètres qui est classée dans le même genre que son parent récemment identifié, Thiomargarita namibiensis. Ces dimensions démentent l’interprétation classique selon laquelle ces formes très anciennes, apparues d’après les registres fossiles il y a 3 milliards 800 millions d’années, soit relativement peu de temps après la formation de notre planète il y a un plus de 4 milliards d’années, sont si primitives et rudimentaires que leur cellule était nécessairement limitée à une taille beaucoup plus infime que les cellules plus organisées qui centralisent l’information génétique définissant la structure et les propriétés essentielles dans un noyau où se trouve stocké l’ADN codant.

Des bactéries assez grandes pour pouvoir être photographiées aux côtés d'une pièce de monnaie.

        Cette découverte effectuée en juin 2022 amène effectivement à repenser la représentation que nous avons des bactéries. Ainsi, Thiomargarita magnifica manifeste des adaptations qui expliquent manifestement sa taille démesurée pour son règne, la rendant bien plus grande que nombre d’animaux pluricellulaires. Elle est non seulement remplie d’eau à 75%, renfermée dans une poche, ce liquide facilitant les échanges chimiques au sein de la cellule, mais son matériel génétique principal est contenu dans une enveloppe, ce qu’il l’apparente au noyau des cellules plus complexes dites eucaryotes.

        Le chaînon manquant d’une étape majeure de l’évolution ?

        Depuis plusieurs décennies, les spécialistes des procaryotes que sont les bactéries ainsi que les cytologistes qui étudient la cellule avaient élaboré une hypothèse qu’ils tenaient pour certaine selon laquelle les premières formes de vie unicellulaires à noyau se seraient assemblées en intégrant des bactéries de manière symbiotique, un peu sur le principe du lichen, cette osmose entre le mycélium d’un champignon et des formes unicellulaires photosynthétiques. Si ces "proto-eucaryotes" formant la base de la cellule moderne demeuraient hypothétiques sous le nom d’"archéons", les corpuscules qu’elles contiennent, les mitochondries qui génèrent de l’énergie pour la cellule et dans le cas des formes végétales les chloroplastes qui réalisent la photosynthèse, étaient ainsi tenus pour des bactéries incorporées au point de participer d’un ensemble unitaire. Le noyau était lui-même envisagé comme hérité d’un virus à ADN enclos dans une bactérie elle aussi assimilée par la cellule enveloppante (théorie dite de l’eucaryogénèse virale). Par conséquent, tous les êtres organisés étaient censés trouver leur origine dans une sorte de puzzle à la manière de la Créature assemblée par le Docteur Frankenstein du roman de Mary Shelley, une cellule anonyme faite essentiellement de cytoplasme intégrant complètement à la fin du processus évolutif des bactéries devenant des organites assurant la physiologie et un virus organisant les caractéristiques génétiques pour former le noyau de cette structure d’un nouveau type (il semble d’ailleurs qu’ultérieurement, des virus aient induit de nouvelles facultés chez nos ancêtres en s’incorporant au génome, peut-être même la capacité langagière). Cela confortait aussi les vues de scientifiques s’attachant à démontrer que l’évolution de la vie ne s’expliquait pas qu’en termes de compétition, mais pouvait aussi procéder de la coopération.

Des bactéries assez grandes pour pouvoir être photographiées aux côtés d'une pièce de monnaie.

        La cellule de la bactérie géante dotée d’un proto-noyau amène donc assez brusquement à réhabiliter la vision plus ancienne d’une évolution progressive, certes initialement très longue – les bactéries se multipliant en se divisant, elles sont moins sujettes aux mutations que lorsque deux individus sexués s’échangent leurs gènes au travers de la procréation, ce qui crée un brassage même entre individus proches susceptibles d’induire des variations qui aboutissent au cours des générations à engendrer de nouvelles espèces, et qui permet de comprendre à contrario pourquoi les bactéries ont régné si longtemps sans engendrer de souches réellement différentes lors de la longue aube de la vie terrestre. Avec Thiomargarita magnifica s’esquisse donc la possibilité que des bactéries aient malgré tout fini sur le long terme par produire des novations et que certaines, manifestant un développement de plus en plus efficient, se soient dotées d’un noyau ; une telle forme pourrait représenter la transition entre les procaryotes originels et les eucaryotes qui en quelques centaines de millions d’années ont donné naissance aux organismes unicellulaires supérieurs puis à toutes les sortes de plantes, de champignons et d’animaux dont nous sommes.

Dans la bande dessinée américaine We battled the micro-monster publiée dans le numéro 76 du périodique Greatest Adventure, le Docteur Hugh Tendler a créé une variante d'une bactérie qui croît démesurément jusqu'à finalement prendre des proportions titanesques bien au-delà de la véritable bactérie géante découverte en 2022. L'auteur crédite cette forme de vie d'un noyau alors que les microbes en sont en tant que procaryotes en principe dépourvus, mais la nouvelle espèce évoquée dans le paragraphe précédent démontre finalement que cette représentation n'est pas aussi fantaisiste qu'on était jusque-là enclin à le penser.

Le film à petit budget Bacterium réalisé en 2006 par Brett Piper s'inscrit dans la lignée du remake de The Blob de 1988 de Chuck Russell avec cette expérience sur une bactérie devenue incontrôlable, se multipliant pour former de grands agrégats gélatineux menaçant et dissolvant la vie humaine.

        Des géants encore plus minuscules au seuil du vivant

        Ne quittons pas le domaine des virus. Le grand public englobe ceux-ci parmi les microbes, bien qu’ils ne soient pas considérés comme des êtres vivants au sens strict – ce qui fait que les antibiotiques sont sans effet sur eux. Ils sont si infimes que l’invention du microscope électronique a été nécessaire pour vérifier leur existence, les maladies qu’ils causent comme la grippe ayant jusque-là été attribuées à des principes chimiques contenus notamment dans l’air. Ces formes étant essentiellement constituées d’ARN ou plus rarement d’ADN, certains biologistes se sont demandés s’ils ne représentaient pas une ébauche ancestrale de la vie, mais beaucoup d’autres considèrent qu’il s’agit plutôt à la manière du prion causant l’encéphalopathie spongiforme d’un ensemble moléculaire appartenant à un organisme vivant qui s’est autonomisé puis retourné pour se dupliquer mécaniquement à son détriment.

        On a aussi découvert récemment des virus géants, ce qui à leur échelle demeure de très petite dimension et bien loin de certains inventés par des auteurs de science-fiction, mais représente un record en la matière, d’abord Pandoravirus qui atteint un millième de millimètres (micron), puis en 2018, la mise en évidence sur un Chétognathe (ver-flêche) du genre Spadella du Megaklothovirus horridgei, initialement interprété comme une soie de l’animal, qui, avec 4 microns présente une taille identique à celle d’une bactérie, et est donc assez grand pour être visible avec un microscope optique ordinaire. D’autres "virus géants", des chlorovirus parasitant des microalgues, ont une taille plus réduite que les précédents, mais avec leurs deux dixièmes de micron, ils demeurent suffisamment gros pour que le protozoaire cilié Halteria s’en nourrisse.

Photographies au microscope électronique des virus géants, de taille analogue à la célèbre bactérie Escherichia coli courante dans le tube digestif humain, présentée à côté d'un virus de taille classique, le virus du SIDA (AIDS pour les Anglophones).  

        Une nouvelle fois, après la découverte d’animaux pluricellulaires vivant sans oxygène dont il a été rendu compte ici juillet 2010, la nature avec ses parents géants des amibes, des algues et des bactéries, ne lasse pas, même après l’extermination de tant d’animaux géants remarquables dans les derniers millénaires, de nous émerveiller par sa diversité à plus petite échelle, souhaitons que cela incite un nombre croissant à agir pour sa protection chacun à sa mesure.

Première partie : http://creatures-imagination.blogspot.com/2023/12/le-zoo-de-linfime.html

NOTA : pour le lecteur qui s'interrogerait sur la photo introductive de cet article, il s'agit d'un trucage réalisé sur Peter Cushing pour le film humoristique TOP SECRET ! par le maquilleur Stuart Freeborn auquel il a été rendu hommage sur le blog en février 2013.

*

Aucun commentaire: