LA CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE DU VIVANT, INCONTESTÉE MAIS CONTESTABLE
1ère PARTIE : La
généalogie à contre-temps
Ordonner
la variété des formes vivantes selon des catégories intelligibles
est une préoccupation qui ne peut laisser indifférente toute
personne s’intéressant à la diversité des créatures qui
habitent la planète. Les classifications des organismes et notamment
des espèces animales ont été fortement bouleversées depuis plus
d’une vingtaine d’années. Aux améliorations continues au fur et
à mesure de l’enrichissement des connaissances se sont finalement
substituées de complètes reconfigurations, heurtant les
représentations telles qu’elles se sont progressivement
constituées depuis le Siècle des Lumières sous l’égide de Karl
Von Linné, Jean-Baptiste Lamarck, Simon Pallas, Georges Cuvier pour
ne citer que les plus connus des premiers grands classificateurs. On
ne peut évoquer sérieusement ces enjeux scientifiques sans en
restituer en partie la complexité, mais le sujet le nécessite, et
le lecteur attentif pourra ainsi découvrir certaines bizarreries
auxquelles conduit l’approche ayant actuellement la faveur du
milieu professionnel, et que peu d’esprits libres osent contester,
de sorte qu’il lira rarement les éléments ici présentés dans
l’optique anticonformiste de ce site indépendant attaché à une
vulgarisation de qualité.
Dans
leur aspiration à décrire le monde qui les entoure, les êtres
humains se sont assez tôt attachés à faire entrer les espèces
vivantes dans des ensembles définis – à l’exception de l’époque
de la Querelle des Universaux au Moyen-Âge, lorsque certains auteurs
postulaient la singularité de chaque être en réfutant la
pertinence de catégories générales. Les premières classifications
se rapportaient aux caractéristiques magiques prêtées aux animaux
ou à leur comestibilité, généralement conditionnée à des
critères religieux, d’autres, émanant pourtant d’auteurs
davantage intéressés par la zoologie, les envisagèrent de manière
très approximative comme à l’époque médiévale en se basant
notamment sur la taille (les petits animaux étant appelés insectes)
et le milieu (les animaux aquatiques étant généralement désignés
sous le terme de poissons), puis en combinant ces subdivisions pour
en former une supplémentaire, celle des "insectes marins".
Mettre
de l’ordre dans la variété de la nature
Avec
le précurseur savant grec Aristote puis les premiers naturalistes de
la Renaissance s’est affirmé progressivement le souhait d’établir
des classements plus élaborés, rendant compte des affinités entre
espèces sur des critères plus précis, même si l’idée de réelle
parenté entre elles ne prendra tout son sens qu’avec la théorie
de l’évolution qui postule une ascendance commune. La première
tentative du naturaliste suédois Karl Von Linné, botaniste
d’origine qui a fondé la dénomination scientifique formée d’un
nom de genre suivi de celui de l’espèce, comme pour Homo
sapiens ou Canis lupus (en langue gréco-latine, mais on a
vu dans l’article La peoplisation du monde vivant que cette
règle n’était à présent plus vraiment respectée), reste
imprégnée de schématisme hiérarchique. L’homme étant perçu
comme l’aboutissement de la Création, il le place au sommet de la
pyramide, au sein des Primates (initialement appelés
Anthropomorphes), même si Linné y inclut les singes en acceptant
des ressemblances qui seront encore contestées avec horreur lorsque
Darwin déduira que les deux lignées sont issues d’une même
souche. Il reconnaît aussi des proximités entre ce groupe et celui
des autres mammifères comme le chien et la vache, qu’il rassemble
dans les Secondates ; enfin, tous les animaux restants, du lézard à
la fourmi en passant par les poissons sont réunis dans un tiers état
indistinct, les Tertiates – il faut dire que l’Abbé Dicquemare
considérait pour sa part que les "groseilles de
mer", des animaux marins presque essentiellement composés d'eau constituant l'embranchement des Cténaires et pourvus de cils vibratiles disposés à la manière de peignes tel Mnepiosis connu des lecteurs de l’article La revanche
des plus humbles, représentaient des formes de vie si
rudimentaires qu’elles étaient indignes d’intérêt. Il faut
rendre cependant justice à Linné de s’être par la suite penché
avec autant de sérieux sur le règne animal qu’il en avait
témoigné auparavant pour son étude du monde végétal, proposant
alors des classifications bien plus élaborées, similaires à celles
de ses collègues Simon Pallas et Jean-Baptiste Lamarck – le
premier à avoir défendu avec sa notoriété l’idée de
transformation graduelle des espèces – dont Georges Cuvier prendra
la suite en cherchant à établir à son tour de grands plans
d’organisation du monde animal et en recherchant les catégories
menant de l’un à l’autre, même s’il n’en retirait pas
toutes les implications, contestant vigoureusement comme son
bouillant disciple de Blainville que ces espèces intermédiaires,
actuelles et fossiles, puissent constituer des formes
transitionnelles, ceux-là étant de vigoureux opposants à la vision
darwinienne.
L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ne visait pas qu'à prôner des idées politiques avancées en diffusant les conceptions des philosophes en matière de libertés publiques mais aussi à dresser un inventaire détaillé du monde, incluant aussi bien les diverses manifestations du monde naturel que les sciences et techniques ; ci-dessus, fac-similé reproduisant la partie de la somme consacrée aux deux classes de vertébrés dits les plus évolués dont avait traité le Comte de Buffon dans ses volumes parus entre 1753 et 1783 relatifs aux quadrupèdes et aux oiseaux.
A la différence de L'Histoire naturelle de Buffon, les tomes de L'Encyclopédie de Diderot et Dalembert parus entre 1751 et 1771 n'ont pas délaissé les autres groupes d'animaux tels que les reptiles, les poissons, les animaux marins non vertébrés incluant les coraux et éponges ou encore les vers parasites nommés Helminthes y compris un groupe peu connu du grand public comme les Acanthocéphales qu'on trouve surtout chez les poissons. Si la classification n'était pas très aboutie, les descriptifs étaient très complets pour l'époque ; ci-dessus, cette planche des "vers mollusques" représentent une
limace surmontant une "limace de mer" (Nudibranche) et sous
le nom de "triton" une balane retirée de sa coquille, et en dessous, des holothuries ou "concombres de mer" préludant la présentation d'autres espèces plus vermiformes du groupe dépourvues d'ambulacres sur une autre planche.
Né la même année que Buffon, le Suédois Linné s'est investi dans la recherche d'une classification naturelle regroupant les espèces sur la base de ressemblances bien établies au lieu de la simple juxtaposition figurant dans L'Encyclopédie, sans pour autant en déduire de réelles parentés, consacrant d'abord ses efforts à son domaine de prédilection, la botanique, avant de s'attacher avec un même succès à établir les classes animales à partir de la première édition en 1735 de son Systema naturae.
La passion pour l'étude et le classement des espèces au Siècle des Lumières s'est aussi enrichie de la découverte d'un monde de créatures dans l'infiniment petit avec la mise au point du premier microscope en 1676 par le drapier hollandais Anton van Leeuwenhoeck. En haut, la représentation de daphnies - puces d'eau, un crustacé invisible à l'œil nu du groupe des Cladocères ("qui portent des bois"), représenté en 1685 pour Historia Insectorum generalis de Jan Swammerdam. En bas, reprise de croquis d'Anton van Leeuwenhoek dans un ouvrage de 1795, avec en haut des bactéries, le protozoaire cilié Dileptus, à côté et en dessous, des rotifères, à droite, une puce d'eau, en bas à gauche, un organisme colonial, le Volvox, des larves d'insectes, notamment celle de la simulie avec ses deux panaches branchiaux, un oligochète, parent aquatique microscopique du ver de terre, et des spermatozoïdes.
Même
si de grands éthologues tel Rémy Chauvin ou un zoologiste renommé
comme Pierre-Paul Grassé demeurèrent rétifs à la conception
évolutive du monde vivant, l’idée de transformation graduelle des
espèces a fini par s’imposer largement dans le domaine des
sciences du vivant. Dès lors, il ne s’agissait plus simplement de
classer les espèces selon des séries retrouvant les plans divins
ayant concrétisé toutes les variations possibles comme au temps des
fixistes (on dit aujourd’hui créationnistes) de la même manière
qu’on peut classer les ustensiles de cuisine par types, mais bien
de reconstituer la manière dont les espèces ont évolué les unes
par rapport aux autres depuis des formes originelles, en effectuant
des recoupements et des déductions à partir de l’anatomie
comparée dont le Baron Georges Cuvier et Isidore Geoffroy Saint
Hilaire furent de grands promoteurs, de l’embryologie qui révèle
un schéma primordial, par exemple commun à tous les vertébrés, de
la roussette de mer à l’homme – Ernst Haeckel disait que
l’ontogenèse résume la phylogenèse, autrement dit que les traits
communs d’embryons récapitulent des étapes majeures de
l’évolution de leur groupe – et enfin par l’étude des
fossiles dont encore Cuvier ainsi que l’Anglais Richard Owen furent
des pionniers, la paléontologie étant irremplaçable pour
inventorier et décrire les restes de formes disparues qui indiquent
là aussi des étapes anciennes dans la transformation des êtres. La
classification phylogénique développée plus particulièrement à
partir des années 1960 cherche même plus précisément à ce que la
classification des espèces retranscrive exactement l’arbre du
vivant en reconstituant ses branches, ses "clades",
c’est-à-dire en s’attachant à regrouper sur un même rameau
toutes les formes issues d’un ancêtre commun.
Présentation des liens de parenté entre organismes actuels selon un arbre phylogénétique simplifié ; celui-là a été modernisé pour tenir compte de la conception actuelle de deux règnes distincts de bactéries, mais préserve la conception traditionnelle du règne animal, en ne retenant notamment pas la conception des vers nématodes comme ancêtres des animaux à pattes à articulations externes comme les araignées, crabes et insectes - sujet sur lequel se penchera notamment la seconde partie de ce dossier.
Le
tournant des années 1990
Au cours des années 1990, le développement de la génétique, et ce
qu’il faut bien appeler la mathématisation des esprits, a conduit
certains dont l’influence a été exponentielle à rechercher des
critères supposés plus "objectifs" que les ressemblances
constatables entre des morphologies, qui peuvent parfois être
trompeuses en raison notamment d’adaptations convergentes d’espèces
à leur milieu, et même entre des dispositions anatomiques
analogues, même si la plupart du temps, c’était moins un critère
précis qu’un ensemble de corrélations qui incitaient à définir
un groupe "naturel". Dorénavant, on établirait la
cartographie des gènes, on séquencerait le génome de l’homme et
de tous les autres organismes, et l’ordinateur n’aurait plus qu’à
effectuer les correspondances, permettant d’établir les degrés de
parenté et de préciser "l’horloge biologique" de chaque
espèce, soit la date à laquelle elle était apparue dans l’histoire
de la vie, grâce à des calculs précis. La nouvelle méthode dite
de la biologie moléculaire ne tarda pas à se substituer à celles
qui avaient assuré le succès de l’histoire naturelle, les
généticiens l’imposant dans un premier temps aux zoologistes,
dont les études comparatives étaient jugées plus empiriques, puis
rapidement les zoologistes eux-mêmes s’y convertirent massivement,
la classification moléculaire parée des atours de la modernité
exerçant son hégémonie de la même manière impérieuse et même
imprécatrice que l’imagerie numérique supplantait
irrésistiblement les effets spéciaux physiques sur les écrans
durant la même période avec la même apologie technophile.
Cependant,
en dépit du faible nombre d’opinions critiques qui contestent
cette conception, la classification moléculaire des organismes
vivants n’est pas sans présenter des aspects critiquables qui
devraient conduire à ne pas rejeter de manière si catégorique les
méthodes jusque-là employées et affinées depuis la fin du XVIII
ème siècle, lesquelles se basaient sur des éléments concrets tels
qu’évoqués plus haut et permettaient de confronter les
différentes interprétations enrichies des nouvelles découvertes.
Il
est un peu déstabilisant pour qui s’est intéressé au monde
animal dans les décennies précédentes d’appréhender la nouvelle
systématique tant elle a été bouleversée façon tabula rasa,
au point qu’elle pourrait sembler avoir été agencée de manière
aléatoire, et aucun échelon n’est exempt de ces restructurations
drastiques qui remettent en cause les certitudes, des embranchements
aux familles, des groupes de Protozoaires aux Mammifères. Il en a
résulté des réassignations et de nouvelles désignations, quelque
peu barbares voire imprononçables, comme les Ecdysozoaires, dont il
sera question dans la seconde partie de cette étude.
L’hippopotame en tête de gondole
Le colossal hippopotame paraît bien insignifiant à côté du rorqual bleu, plus grand mammifère vivant au côté duquel il figure dans le Hall du Muséum d'histoire naturelle de Londres.
Les
médias assurent de manière récurrente que la science moderne
considère dorénavant l’hippopotame comme l’ancêtre de la
baleine ou peu s’en faut, et qu’il convient donc de réunir les
deux animaux en un même ensemble. Il ne faut pas en l’occurrence
blâmer les raccourcis de la vulgarisation, car il s’agit bien là
d’une assertion certes schématisée de la biologie moléculaire,
quasi-universellement acceptée par conformisme généralisé, qui
présente l’hippopotame comme un proche parent des Cétacés, voire
parfois comme leur forme originelle. Cela renvoie curieusement à la
classification ancienne d’Ernst Haeckel qui rapprochait les deux
lignées, en constatant que ces mammifères (Aristote fut le premier
à déceler la nature mammalienne des baleines et dauphins)
présentaient des adaptations au milieu aquatique permettant
d’envisager que l’animal amphibie pût avoir possiblement
engendré cette lignée totalement affranchie de la terre ferme.
Reproductions de mammifères aquatiques dans un ouvrage du XIXème siècle, un sirénien, le dugong, deux cétacés, une baleine et un cachalot, et l'hippopotame amphibie représenté au dessus de son crâne.
Depuis, la systématique et la paléontologie ont considéré que les
porcins auxquels on apparente traditionnellement les hippopotames
s’étaient distingués de l’ensemble constitué par les
ruminants, même si toutes ces catégories sont à présent remises
en question par les biologistes moléculaires ; les Cétacés,
quant à eux, semblent bien avoir suivi une voie singulière et
ancienne, même si leur parenté avec les Artiodactyles regroupant
porcins et ruminants a été estimée de longue date fort crédible.
C’est vraisemblablement au sein de l’ordre éteint des
Condylarthes dont sont probablement issus aussi bien les chevaux que
les ruminants et peut-être même les éléphants et les ongulés
indigènes éteints d’Amérique du Sud, que prennent naissance les
ancêtres des Cétacés, possiblement dans un tronc commun qui
conduit aussi aux porcins et aux ruminants. La lignée d’origine de
ces mammifères marins a généralement été attribuée aux
Mésonychides, de redoutables carnivores pourvus de sabots du début
de l’ère des Mammifères qu’on appelle Cénozoïque, mais on a
voulu récemment lui substituer un petit Artiodactyle aux allures de
chevrotin, Indohyus.
Il n’est pas absurde d’envisager que les baleines et les cétacés
à dents soient les lointains cousins des hippopotames, Suidés,
chameaux, cerfs et vaches. Cependant, ces rameaux ont divergé de
longue date. Les restes de la forme transitoire des Cétacés,
capable de passer d’un milieu à l’autre, l’Ambulocetus
trouvé au Pakistan, remontent à 49 millions d’années, au début de
l’Éocène, et arborent une incontestable dentition de prédateur.
Les hippopotames, quant à eux, ne sont apparus qu’il y a 15
millions d’années, au Miocène, et présentent une dentition
typique de végétarien permettant de broyer les plantes aquatiques.
Les hippopotames ne peuvent ainsi représenter les ancêtres des
baleines, maintenant que, depuis Haeckel, la série de fossiles est
mieux connue. Par conséquent, il existe là une discordance
temporelle majeure. Même si certaines adaptations peuvent rapprocher
hippopotames et Cétacés, les seconds ne peuvent en aucun cas
descendre des premiers apparus des dizaines de millions d’années
plus tard, alors que les premiers représentants marins conduisant
aux baleines et dauphins étaient déjà bien caractérisés.
Ce
tableau qui représente les formes transitoires dans l'évolution des
Cétacés basées sur les fossiles découverts dans les dernières
décennies rend bien compte que le lien des hippopotames avec les
ancêtres de ces mammifères marins est très lointain, peut-être à
peine plus proche qu'avec la vache, et encore ce tronc commun remonte
à l'époque à laquelle les deux lignées étaient représentées
par des formes fort différentes des actuelles et les hippopotames
n'existaient pas encore en tant que tels.
Un fantaisiste chaînon manquant entre l'hippopotame et la baleine ? Non, seulement un hippopotame mutant imaginé par Adrian, un artiste norvégien.De
nouvelles études préciseront peut-être si le rapprochement
traditionnel des porcins et des hippopotames, qui était jusque-là
notamment fondé sur la famille éteinte des Anthracothères
considérée comme ayant engendré ces derniers, était fondé ou
non. Il est cependant manifeste que les branches du rameau ancestral
ayant abouti aux cétacés, aux ruminants et aux porcins – en
incluant potentiellement les hippopotames – ont divergé rapidement
à partir de formes originelles probablement encore assez peu
différenciées et que, quelle que soit la relative plus grande
proximité entre deux lignées, la promotion médiatique d’une
étroite parenté entre hippopotame et baleine s’avère une
présentation tout à fait biaisée qui ne vise qu’à assurer la
publicité destinée à entériner dans les esprits de manière assez
spectaculaire la norme de la biologie moléculaire, selon un
processus dirimant qui évoque un peu la manipulation ayant
délibérément occulté lors de la sortie du film Jurassic
Park les dinosaures
mécanisés des studios Stan Winston pour faire la promotion
exclusive du virtuel : ceux qui se prévalent de la modernité
sont généralement imprégnés d’une dimension idéologique
implicite masquée par un pragmatisme allégué, et avec ce cousinage
quelque peu forcé, les tenants de la nouvelle taxonomie se sont
saisis d’une figure marquante susceptible de représenter leurs
vues auprès d’un large public relativement crédule.
L’horloge moléculaire ne donne pas toujours l’heure exacte
Les
zoologistes modernes acquis à la biologie moléculaire et attachés
à distribuer les espèces selon de nouveaux rameaux ont aussi
postulé qu’un certain nombre de mammifères africains étaient
liés, les rassemblant dans le groupe des "Afrothères",
les "bêtes d’Afrique". On savait que certains ongulés
"primitifs" étaient issus d’ancêtres communs avec les
éléphants, à savoir les Siréniens, retournés à la vie aquatique
comme les lamantins, et les damans de l’ordre des Hyracoïdes dont
les représentants actuels sont tous de petites taille et évoquent
davantage des rongeurs que les pachydermes géants de la savane. Il
s’agit bien de groupes ayant divergé à partir de formes communes,
les fossiles des premiers Siréniens encore quadrupèdes sont assez
similaires à ceux des Proboscidiens ancestraux qui mènent aux
éléphants, et on les désigne parfois sous le terme de Subongulés.
Un rameau plus lointain peut en être rapproché, celui des
Tubulidentés qui ne comprend que l’oryctérope ou "cochon de
terre", seul ongulé au régime insectivore, qui creuse des
terriers avec ses sabots impressionnants et pourrait être apparenté
aux ordres les plus anciens d’ongulés éteints comme les
Pantodontes – on les appelle parfois globalement des Protongulés.
La
biologie moléculaire a entrepris d’élargir cet ensemble en y
intégrant des groupes qui étaient jusque-là rangés dans l’ordre
des Insectivores, les tenrecs, homologues malgaches des hérissons,
les taupes dorées et les macroscélides ou musaraignes à trompe
dont le museau est curieusement allongé et flexible, rameaux séparés
des précédents là encore notamment sur la base d’une évaluation
moléculaire. Même s’il est vrai que les mammifères apparus les
premiers présentaient une allure similaire, il est déjà au
préalable quelque peu déconcertant, sauf à être un thuriféraire
du cladisme moléculaire, de rapprocher davantage le hérisson
malgache des éléphants que des hérissons du reste du monde
(Afrique, Europe, Asie et il y eut aussi un genre qui vécut au
Miocène en Amérique du Nord), tout comme d’estimer que les
espèces américaines habituellement rangées dans les Insectivores
ne leur sont nullement apparentées. Le concept des Afrothères
suppose en effet que cette branche des Mammifères s’est constituée
de manière autonome, endogène au continent, générant des espèces
sans commune mesure avec d’autres branches existant par ailleurs,
et la datation fixe fréquemment l’origine de cette lignée aux
alentours de 100 millions d’années. Or l’Afrique n’a vraiment
été séparée un temps de l’Eurasie qu’il n’y a que 30
millions d’années, ce qui géographiquement ne concorde donc pas
avec ce concept d’un isolat engendrant une faune indigène. A
l’inverse, l’Afrique s’est séparée de l’Amérique du Sud il
y a 80 millions d’années, soit vraisemblablement à l’époque où
coexistaient avec les dinosaures à la fin du Crétacé les premiers
mammifères modernes de l’ordre des Insectivores, les hérissons et
musaraignes, par conséquent, rien n’interdit au contraire de
considérer que ces mammifères habituellement rassemblés dans
l’ordre des Insectivores puissent être apparentés avant que la
dérive des continents ne les amène à évoluer séparément par la
suite, tout comme les ornithorynques d’Amérique du Sud qui
vivaient à la fin du Crétacé sont très similaires à leurs
cousins actuels observés en Australie et Tasmanie. Cela est d’autant
plus à considérer que de probables fossiles parents des tenrecs ont
été découverts dès le tout début du Tertiaire en Afrique alors
que le groupe n’aurait trouvé asile à Madagascar qu’il n’y a
qu’une trentaine de millions d’années, en y ayant accédé
accidentellement peut-être par des radeaux dérivants, ce qui
n’interdit pas une origine commune avec le tronc des autres
insectivores du continent. Une autre étude moléculaire a quant à
elle prétendu que l’ancêtre des Afrothères serait apparu sur le
sol américain peu après l’extinction des Dinosaures, c’est-à-dire
que ce groupe propre à l’Afrique y aurait vu le jour à des
milliers de kilomètres de là tandis que les deux continents étaient
déjà séparés depuis longtemps, ce qui là encore rend assez peu
vraisemblable cette histoire évolutive supposée.
Représentation des Subongulés, en haut à gauche, éléphant d'Afrique, en dessous, oryctérope ou "cochon de terre", en bas, à daman et à sa droite, un dugong ou "vache marine" ; on les affilie dorénavant à des insectivores comme la macroscélide ou "musaraigne éléphant", en haut à droite et en dessous un tenrec malgache.
Si
la réalité géographique paraît infirmer en tous points
l’hypothèse des Afrothères, le fil chronologique la dessert tout
autant. Les premiers fossiles de Proboscidiens remontent au début de
l’Éocène, seconde période ayant suivi l’extinction des
dinosaures ; non seulement, aucun fossile des précurseurs des
éléphants n’a jamais été trouvé dans les couches antérieures
du Crétacé contrairement à ce que prétendent établir certaines
études de biologie moléculaire, mais il paraît logique que ces
formes ancestrales (encore dépourvues des caractéristiques
actuelles les plus spectaculaires de ces animaux comme la trompe et
les défenses, et ainsi probablement proches du début de la lignée)
ne soient apparues qu’au début du Tertiaire conformément aux
fossiles découverts ; contrairement aux Insectivores polyvalents,
les formes assez spécialisées de Mammifères n’ont pu se
développer selon toute vraisemblance qu’une fois que les niches
écologiques occupées par le groupe dominant du Mésozoïque ont été
libérées suite à son extinction. Le seul point commun
incontestable entre l’éléphant et la musaraigne-éléphant semble
bien être la trompe.
photo de famille recomposée : en suivant la numérotation, Oryctérope (Tubulidenté), Dugongs (Siréniens), Macroscélide (anciennement insectivore), lamantin (Siréniens), taupe dorée (anciennement insectivore), daman (Hyracoïdes), éléphant d'Afrique (Proboscidiens) et tenrec malgache (anciennement insectivore).
On
voit que les estimations chronologiques de la biologie moléculaire
peuvent s’avérer à l’occasion très fantaisistes. Un troisième
anachronisme intéressant les mammifères est encore plus extravagant
si c’était possible. Une estimation par l’horloge moléculaire
date la séparation entre les rongeurs et les primates de 320
millions d’années, soit le Carbonifère, la première période à
laquelle les Vertébrés terrestres se mirent réellement à dominer
les terres émergées, après avoir entamé leur conquête à la fin
de la précédente, le Dévonien supérieur. Le Carbonifère est
connu comme le règne des Amphibiens, qui se sont diversifiés en
engendrant des formes de grande taille. A la fin de la séquence, les
reptiles des principales lignées sont apparus sous forme ancestrale,
se présentant comme des animaux de petite taille à allure de
lézards. Les reptiles mammaliens ne se distinguaient guère
visuellement de ces espèces d’allure anodine, et ne prendront
l’ascendant qu’au Permien, à l’époque suivante. La date de
l’apparition des premiers mammifères modernes est discutée, mais
il paraît établi que leurs précurseurs d’apparence la plus
modeste ne se sont pas développés avant que les dinosaures ne
soient devenus la lignée dominante, peut-être pas avant la dernière
partie du Crétacé. Non seulement aucun rongeur, mais même aucun
animal ne leur ressemblant un tant soit peu, n’aurait pu être
alors observé, une très longue durée sera nécessaire avant que
n’apparaissent les ancêtres des rats.
Un arbre généalogique moderne des Mammifères ; on note non seulement une partie des Insectivores d'Afrique (tenrecs et musaraignes-éléphants) sont totalement dissociés des autres (musaraignes, taupes et hérissons), mais aussi que les plus proches parents des chauve-souris sont les lamas, une hypothèse excédant les efforts d'imagination pourtant grands qu'on est prêt à consentir ici.
Mariés à la première analyse génétique, la roussette et le lama, qui n'en revient pas - nous non plus....
Ainsi
donc, la biologie moléculaire est censée permettre de reconstituer
l’arbre généalogique des organismes terrestres et également
fournir avec le plus de précision possible la date à laquelle deux
lignées ont divergé à partir de leur ancêtre commun. En
apparence, on ne peut avoir restitution plus précise de l’histoire
de la vie. Cependant, les thuriféraires hégémoniques de la méthode
sont assez peu prolixes sur les résultats qui l’invalident comme
le prouvent ces exemples significatifs mais qui suscitent étonnamment
bien peu de contestations, et la seconde partie le confirmera
davantage.
A SUIVRE : seconde partie, il ne leur manque (presque) que les pattes
mise à jour du lien pour la suite de l'exposé :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2022/04/il-ne-leur-manque-presque-que-les-pattes.html