vendredi 17 juillet 2009

L'HOMME QUI FAISAIT CHANTER LES MOGWAI




Malgré toute l'implication du spécialiste d'effets spéciaux Chris WALAS, la petite créature pelucheuse de GREMLINS aurait pu ne rester qu'un jouet animé comme son apparence enjoignait à se la représenter, si le compositeur Jerry GOLDSMITH, auteur d'un nombre important de musiques de films, ne lui avait conféré cet extraordinaire gazouillis tellement attendrissant. L'apparition de créatures hors du commun au cinéma survient généralement une fois qu'une impression d'étrangeté, de mystère, a été engendrée chez le spectateur, par la combinaison judicieuse de différents éléments tels que les mouvements de caméra, le choix d'un éclairage approprié ou encore la musique de film participant de la création d'une atmosphère particulière. Ainsi, la musique inquiétante qui ouvre le film LEVIATHAN, réalisé par Georges Pan COSMATOS, prépare-t-elle le spectateur à l'immersion dans le monde ténébreux des abysses, où règne une pesanteur écrasante, et le met-elle en condition pour la tragédie qui s'annonce, la plongée dans l'effroi avec les mutations qui s'emparent bientôt de l'équipage et changent les victimes en créatures d'épouvante.

A mi-chemin du Rongeur et du Lémurien, Gizmo le Mogwaï. Avec son délicieux roucoulement et la délicate musique de Jerry GOLDSMITH, ce petit personnage pelucheux a de quoi attendrir les plus endurcis ( à l'exception naturellement de ses affreux rejetons dans GREMLINS et de l'odieux vivisecteur interprété par Christopher LEE dans GREMLINS 2: THE NEW BATCH ).

Le final féérique de GREMLINS

Le genre de la musique de film, genre à part entière - à ne pas assimiler à la bande originale du film, qui peut inclure des succès de la variété, ce qui n'a rien à voir - est souvent mésestimé, tenu pour de la musique d'arrangement sans valeur artistique par les musicologues et autres puristes de la musique classique, ou bien ignoré en grande partie par les spectateurs qui, à l'exception de quelques thèmes célèbres, ne la remarquent pas particulièrement tant celle-ci fait partie intégrante du film. Mais elle peut néanmoins, en dépit de sa fonction utilitaire, être une création à part entière, digne d'intérêt.

La musique de film vise principalement l'efficacité, cherchant à suggérer une atmosphère plutôt qu'à se complaire dans une sophistication formelle, ce qui permet de la définir comme une "musique réaliste" ; on pourrait identifier parmi ses précurseurs Richard WAGNER et ses superbes ouvertures souvent très mélancoliques, dont John WILLIAMS (LA GUERRE DES ETOILES) semble être un héritier; s'il avait vécu à notre époque, il est fort probable que le compositeur allemand aurait fini par œuvrer sur des films dans le genre de CONAN LE BARBARE. Jerry GOLDSMITH, par l'originalité dont il fait souvent preuve, se rattacherait quant à lui plus précisément à des compositeurs comme Eric SATIE ou bien Claude DEBUSSY et son CLAIR DE LUNE.

La disparition de Jerrald King GOLDSMITH il y a cinq ans, le 21 juillet 2004, n'a pas eu le moindre écho dans les médias, audiovisuels français* alors même que ses partitions ont contribué au succès de nombreux films - et que la télévision ne se prive pas d'utiliser ses partitions pour renforcer l'impact de ses documentaires sans cependant jamais l'indiquer au générique... (il semble d'ailleurs que la célèbre série radiophonique d'"histoires extraordinaires" narrées par Pierre BELLEMARE ait utilisé comme générique un thème de QB VII composé par Jerry GOLDSMITH en 1974). Il est vrai qu'il n'était pas une icône médiatique, mais juste un compositeur de musique de film particulièrement inventif, ayant signé des centaines de compositions dont celles de nombre de films célèbres, et ayant été sélectionné dix-huit fois pour l'Oscar. Privilégiant souvent les films d'action, d'aventures ou relevant du fantastique ou de la science-fiction, Jerry GOLDSMITH n'a de la sorte pas eu davantage de reconnaissance en provenance du monde culturel, puisque cette orientation l'assimilait au "divertissement" plutôt qu'aux "films d'auteurs".

Jerry GOLDSMITH dirigeant l'orchestre. Un extraordinaire compositeur disparu il y'a cinq ans, le 21 juillet 2004, auxquels les médias audiovisuels français n'ont pas, c'est le moins qu'on puisse dire, rendu justice, et qui n'a pas eu réellement la consécration qu'il mérite. Né en 1929 à Pasadena, en Californie, il s'est passionné très jeune pour la musique, à laquelle il s'est voué toute son existence.

Pragmatique, le compositeur perçoit très rapidement que l'audiovisuel représente un débouché susceptible de lui permettre de vivre de sa passion pour la composition, et aussi, au travers du divertissement, de pouvoir toucher un large public sur une grande échelle - jusque dans ses derniers instants, il appréciait de recevoir les témoignages de ses admirateurs qui le touchaient particulièrement. Jerry GOLDSMITH a appris l'efficacité en illustrant des séries télévisées comme THE TWILIGHT ZONE (LA QUATRIÈME DIMENSION) de Rod SERLING - il écrira à nouveau pour le petit écran en 1981 à l'occasion de MASADA qui colle parfaitement à l'ambiance de cette série historique, laquelle bénéficiait par ailleurs des deux excellentes prestations de Peter O'TOOLE et David WARNER. Très éclectique, il a conçu aussi bien des partitions inspirées de la musique contemporaine brute comme LA PLANÈTE DES SINGES que LA GRANDE ATTAQUE DU TRAIN D'OR marquée du sceau du classicisme. Les amateurs ont surtout remarqué le rythme trépidant des thèmes les plus violents; cependant, ces passages soulignant l'action, moins harmonieux et plus standardisés, ne doivent pas faire oublier la qualité de son travail, la manière dont il suscite de légères variations d'un thème pour lui conférer une tonalité distincte et une qualité d'émotion différente lors de sa reprise.

Durant la première partie de sa carrière, la production de Jerry GOLDSMITH reste, souvent, il faut l'admettre, assez conventionnelle. A l'exception des thèmes romantiques de LA MALEDICTION (1976) et de MORTS SUSPECTES (1977) qui, sans rompre complètement avec les standards de la musique hollywoodienne, laissent affleurer une certaine propension à l'expression des sentiments, il demeure pour l'essentiel, plus encore que Bernard HERRMANN, dans une optique visant principalement l'illustration sonore des œuvres, avec une forte similarité avec la musique contemporaine, compositions qui se prêtent peu à une écoute indépendante du support. Dans le genre fantastique, notamment, la musique de film s'est longtemps cantonnée à souligner, avec plus ou moins d'ingéniosité, les moments de tension ou d'horreur, comme Max STEINER pour le premier KING KONG en 1933 ou James BERNARD et ses violons stridents pour les films anglais produits par la Hammer. Jerry GOLDSMITH s'inscrit tout à fait dans cette lignée avec LA PLANETE DES SINGES (1968), très violente et cacophonique, celle de MORTS SUSPECTES, proche du bruitisme industriel, ou encore L'AGE DE CRISTAL (1076) à base de dissonances électroniques qui créent une ambiance technologique austère. De la même manière, PAPILLON (1973) est extrêmement efficace, générant une atmosphère moite, oppressante, suscitant une impression de malaise, mais il ne s'agit pas nécessairement du type de composition qu'on se sent spontanément enclin à écouter pour elle-même hors du contexte filmique. Jerry GOLDSMITH voit cependant sa notoriété croître, jusqu'à obtenir un Oscar - qui demeurera étrangement le seul de sa carrière - pour LA MALEDICTION, (1976) composition qui consiste essentiellement en des chants évocateurs de messe noire en latin (même si la suite comporte quelques rares mesures instrumentales plus élaborées qui laissent percer l'étrangeté).

Jerry GOLDSMITH recevant un Oscar pour la musique du film d'épouvante satanique LA MALEDICTION, le seul de sa carrière. Plusieurs Emmy awards lui ont par contre été attribués, notamment pour STAR TREK VOYAGER en 1995.

Le compositeur John BARRY est l'un des premiers à rompre avec cette conception de la musique de film fantastique, à l'occasion de sa partition pour le remake de KING KONG en 1976. Il conçoit différents thèmes mélodieux retranscrivant la personnalité romantique de l'héroïne, l'esprit aventureux qui anime l'expédition, celui de l'île évocateur de son mystère, ou encore celui de la captivité du grand singe, aux accents si douloureux qu'il faudra attendre LA MOUCHE 2 de Christopher YOUNG pour en retrouver de comparables. Pour la première fois, la musique supporte très bien d'être écoutée pour elle-même, hors la vision du film (à noter que quelques mesures de L'HOMME SANS OMBRE (2000) par Jerry GOLDSMITH évoquent quelque peu cette œuvre,; on retrouve aussi l'espace de quelques mesures quelque ressemblance d'un passage de LEVIATHAN de Jerry GOLDSMITH avec le thème romantique d'OUT OF AFRICA de John BARRY, compositeur digne d'intérêt qui s'est cependant sans doute un peu gâché en étant accaparé par la série des JAMES BOND - même si DANSE AVEC LES LOUPS dont BARRY est aussi l'auteur s'est avéré un peu répétitif et sans relief). Aussi, on pourrait se demander si Jerry GOLDSMITH, qui avait une culture musicale très étendue, n'a pas entrevu à ce moment la perspective de concevoir des thèmes plus mélodieux pour illustrer, au moins en partie, les films car il se détache alors progressivement de l'influence de la musique contemporaine plus rugueuse.

Jerry GOLDSMITH dans les années 1970-1980.

Jalon de cette évolution, CAPRICORN ONE (1978) orchestre la dichotomie entre le rythme saccadé martelant le thème principal incisif et le débordement d'émotion du thème sentimental qui le contient et qui trouve son plein sens lorsque surgit au grand ébahissement de sa famille, et des bureaucrates qui l'ont trahi, un astronaute au cours de son propre enterrement, celui-ci ayant échappé à la mort programmée devant dissimuler l'imposture d'une fausse mission sur Mars.

Le final de CAPRICORN ONE : une veuve et son mari revenu d'entre les morts.

1979 marque l'année charnière pour Jerry GOLDSMITH, qui se voit confier la responsabilité de l'illustration de deux grandes productions de science-fiction. Si les thèmes appuyant les scènes d'horreur d'ALIEN, avec leurs staccatos, leurs percussions violentes et leurs coups de cymbales, ne s'écartent pas sensiblement de ceux de LA PLANETE DES SINGES, la partition recèle d'autres passages tout à fait marquants. Certaines mesures, tout en retenue, avec quelques notes suspendues, évoquent tout à fait l'impression de vide intersidéral, d'espace profond nimbé de mystère et d'inconnu, comme si le silence lui-même était partie prenante de la composition. L'atmosphère du film bénéficie aussi de l'expérience d'une composition précédente de Jerry GOLDSMITH, aux notes très inquiétantes, celle de FREUD (1962), dont le réalisateur Ridley SCOTT a repris quelques passages pour ALIEN - notamment celui durant lequel l'acide produit par le parasite externe s'écoule en manquant de peu de trouer la coque du navire spatial. L'autre grand film de genre de l'année, STAR TREK-LE-FILM, s'ouvre sur une fanfare très glorieuse digne d'un péplum, conformément à la demande du studio, le compositeur ayant initialement proposé une partition moins solennelle; néanmoins, sa reprise ultérieure avec un rythme plus posé au cours de la suite du film, lui confère une plus grande gravité et un intérêt musical plus évident, se combinant avec davantage de facilité avec la musique cérébrale et métaphysique qui accompagne les évolutions des personnages au gré de l'investigation de l'énigme cosmique presque insondable (voir entretien et extrait relatif à la première partition composée pour  STAR TREK-LE-FILM : http://www.youtube.com/watch?v=TpcJPm80TPQ&list=FLc6EaE8C914J_rossCy3vGA&index=1).
 
Le réveil de l'équipage cryogénisé dans ALIEN. La partition lumineuse de Jerry GOLDSMITH nimbe la séquence d'une touche d'aventure - mais celle-ci basculera dans l'horreur avec l'irruption d'un prédateur extraterrestre.

Jerry GOLDSMITH avait confié ne pas avoir un intérêt particulier pour le fantastique ou la science-fiction; cependant, il va apporter sa contribution à bien des films s'y rapportant. En 1981, il propose avec OUTLAND une nouvelle plongée dans l'univers industriel, le ramenant à ses compositions assez austères. POLTERGEIST (1982) comporte des tutti frutti très agressifs, mais, comme pour ALIEN, offre également quelques passages mémorables. L'apparition d'un spectre dans le salon est accompagnée d'une utilisation très particulière, irréelle, des cordes, à la manière d'Eric SATIE, compositeur favori de Jerry GOLDSMITH. Quant au morceau "The Light", il est en parfaite adéquation avec le discours de la paraspychologue sur l'au-delà, renforçant chaque phrase, chaque intonation, sans jamais cesser d'être une composition mélodique à part entière, retranscrivant à la fois l'appréhension que suscite le monde surnaturel et la grâce des âmes rendues à leur pureté immatérielle. POLTERGEIST 2 (1986) est quant à lui baigné dans une musique envoûtante, évocatrice du monde chamanique, notamment le thème "The Power". Le morceau "Late Call" qui illustre le lien surnaturel qui permet à Carol-Ann de communiquer avec sa grand-mère décédée génère l'émotion sans effets appuyés. Dans le même domaine, sa partition pour le remake de LA MAISON DU DIABLE en 1999, HANTISE (THE HAUNTING), retrouve l'atmosphère inquiétante des meilleurs passages de POLTERGEIST, suggérant la résurgence d'un passé douloureux; on peut parier qu'il sera longtemps utilisé pour illustrer des reportages télévisés sur des crimes ou des histoires de maison hantée.

L'apparition du spectre dans le salon de POLTERGEIST sous le regard ébahi de la famille Freeling, ainsi que des parapsychologues qui ne s'attendaient pas à une manifestation si spectaculaire. Une ambiance d'autre monde due aussi bien aux effets spéciaux de John BRUNO qu'à la partition de Jerry GOLDSMITH.

FIRST BLOOD (RAMBO) assume en 1982 toute la gravité du thème du soldat perdu, délaissé par la société après avoir risqué sa vie pour son pays. Les quelques mesures durant lesquelles John Rambo s'échappe d'une mine abandonnée, quittant le monde des ténèbres et de la mort où il avait été laissé, pour retrouver la lumière, préfiguration des envolées de TOTAL RECALL, méritent d'être également évoquées. Jerry GOLDSMITH a déclaré en réponse à une question portant sur ce qu'il avait retiré du film, qu'il lui avait permis de s'offrir une belle demeure à Hollywood; cette saillie ironique ramenant son art à un exercice strictement mercantile pourrait être perçue comme une marque de modestie tant la formidable transcription musicale du sentiment de solitude de l'ancien militaire, marqué par la souffrance indicible de ses frères d'armes (poussée à son paroxysme en 1985 dans RAMBO 2 (FIRST BLOOD PART 2) au travers du morceau "Day by day"), devenu un surhomme pathétique, un colosse aux pieds d'argile, témoigne d'inspiration et d'implication du compositeur. Son incroyable talent s'exprime encore au travers de PSYCHOSE 2 (1983). Pour une fois, un instrument se détache de l'ensemble orchestral, un piano dessinant une complainte triste augurant le combat impossible du psychopathe Norman Bates contre sa déraison. Les morceaux illustrant le basculement irrésistible dans la folie sont réellement dérangeants.

"Tout ce que je voulais, c'était manger un morceau.." La détresse de John Rambo, soldat perdu, dans FIRST BLOOD, si bien rendue par Jerry GOLDSMITH, ainsi que dans RAMBO 2 mettant au premier plan le thème de la trahison, et même dans le troisième volet, dont la partition est l'intérêt principal ( en ce dernier cas, l'écoute de la bande originale s'impose plus que la vision du film.. )

En 1983, THE TWILIGHT ZONE-THE-MOVIE (LA QUATRIEME DIMENSION) fait tour à tour surgir l'insolite avec grâce ("That's a good Life") et l'émotion empreinte de nostalgie autour de la prestation empreinte d'humanité chaleureuse de Scatman CROTHERS ("Kick the can"), sensibilité que l'on retrouve également dans GREMLINS (1984) au travers du merveilleux thème de Gizmo et de l'épilogue empreint d'une délicate mélancolie ainsi que dans GREMLINS 2 (1990).

Jerry GOLDSMITH a longtemps considéré, vraisemblablement jusqu'à BASIC INSTINCT (1992), que LEGEND était sa composition préférée. Le thème du Mal y est cependant un peu succinct, et la grâce délicate, éthérée, de l'ensemble, à l'image du film qui n'est qu'une suite de belles images, rend peut-être cette composition moins marquante que d'autres. Le compositeur n'était en tout cas pas rancunier, puisqu'il avait accepté de travailler à nouveau avec Ridley SCOTT bien que celui-ci ait retouché sa partition d'ALIEN contre son gré; cette fois, l'expérience fut plus amère, puisque la totalité de sa musique fut éliminée de la version américaine. Jerry GOLDSMITH avait pourtant toujours à coeur l'intérêt du film, ne cherchant pas à se mettre particulièrement en avant; il proposa ainsi lui-même que LA PLANETE DES SINGES s'achève sans musique, estimant que le jeu de Charlton HESTON était suffisamment puissant à lui seul sans qu'il soit nécessaire de le souligner par des effets musicaux.

La partition distribuée dans le commerce de L'AVENTURE INTERIEURE (1987) s'est longtemps limitée en dehors du thème principal à un ensemble conventionnel et un peu poussif faisant prééminer l'action, l'espace étant occupé par différents morceaux de variété issus de la bande originale, à l'instar de celle de CHRISTINE de John CARPENTER dont la version d'origine ne comportait guère de morceaux composés par le cinéaste avec son collaborateur Allan HOWARTH. Une version plus complète permet à présent d'en apprécier toute l'inventivité, déclinant toutes les tonalités de cette aventure extravagante, de son étrangeté la plus marquée dans la lignée de sa composition pour "That's a good Life" du film LA QUATRIEME DIMENSION à son romantisme le plus délicat en passant par des musiques d'action variées, qu'on peut découvrir dans la seconde partie de cette sélection et qui amène à réévaluer très notablement la partition du film par rapport à la portion sommaire qu'il nous était jusqu'à présent permis d'écouter indépendamment des images : http://www.youtube.com/watch?v=Pacm-YUDz1E

RAMBO 3 (1988), qui, en dépit de sa distribution notable (dans les seconds rôles, Richard CRENNA, Marc de JONGE et même Kurtwood SMITH, même si sa présence relève plus de la figuration) n'est qu'une sorte de bande dessinée d'action d'un intérêt très discutable, bénéficie en sus des musiques d'action de quelques thèmes sublimes, comme "Another time" et "I'll stay". Jerry GOLDSMITH s'est encore surpassé là où il aurait été tout à fait fondé à se limiter à une partition de commande, comme il le fit davantage en 1998 pour UN CRI DANS L'OCEAN - dont le réalisateur avait supprimé la créature conçue par Rob BOTTIN par gain de temps, celà n'incitait pas à la qualité. 

Le thème principal de LEVIATHAN (1989) réussit le prodige, au travers de son thème ample et puissant, de retranscrire le dépaysement représenté par les grandes profondeurs marines, la pression et la lenteur qui y règnent, le danger, le mystère et l'inquiétude, la peur et l'angoisse de la maladie engendrée par une mutation génétique. Comme pour ALIEN, la réapparition au sein de la violence orchestrale de quelques petites touches épurées qui amorcent un thème mélodique avec une pureté cristalline signe la résurgence d'un espoir possible au sein de l'épouvante et du chaos.

LEVIATHAN, enfer sous-marin.
Tournage avec le monstre - fugitivement vu à l'écran - aux membres changés en tentacules; la couleur argentée rappelle les Poissons auxquels il emprunte une bonne part de son héritage génétique.

Stan WINSTON, grand maquilleur auquel le premier article de ce blog a rendu hommage deux jours après sa disparition il y'a un an, devant un prototype de l'abomination génétique de LEVIATHAN.

Ce n'est sans doute pas un hasard si les toutes premières mesures de TOTAL RECALL (1990) rappellent celles du thème principal de CONAN LE BARBARE composé par Basil POLEDOURIS, film qui a fait connaître Arnold SCHWARZENEGGER. La suite est par contre empreinte d'une atmosphère futuriste, alternant le dynamisme martial du thème principal avec des plages plus oniriques et avec le souffle cosmique d'une envolée puissante et éblouissante accompagnant la plongée dans les fascinants décors de Mars. Le final avec ses notes appuyées et sa tonalité un peu évasive se rapproche quelque peu de certains passages composés par VANGELIS pour BLADE RUNNER.

L'arrivée sur Mars dans TOTAL RECALL, époustouflante grâce aux superbes maquettes et à la composition puissante de Jerry GOLDSMITH, illustration brillante de sa faculté à mêler orchestre et synthétiseur.

Rencontre au sommet entre deux immenses artistes dans TOTAL RECALL : SCHWARZENEGGER face à une stupéfiante création du maquilleur Rob BOTTIN ( voir article "Les grands créateurs déclarent forfait" de mars 2009 ), le mutant Kuato, sur la formidable et vertigineuse montée chromatique de Jerry GOLDSMITH. Le morceau intitulé "The big jump" a dans la réédition été rebaptisé "The Mutant", associant ainsi davantage les deux créateurs - le compositeur avait cependant déjà été précédemment engagé sur des films mettant en scène des créatures du maquilleur, notamment EXPLORERS et LEGEND.

Jerry GOLDSMITH n'avait apparemment pas fait d'allusion au thème de la série télévisée STAR TREK lorsqu'il a signé la musique de la première adaptation cinématographique, contrairement à James HORNER qui ouvrit STAR TREK 2 et 3 avec quelques mesures caractéristiques; en réalité, il avait bien agencé un morceau qui le reprenait, mais qui n'avait pas été retenu (http://www.youtube.com/watch?v=NompbaBMvB0). Ce manque de référence offcielle n'empêcha pas une grande considération mutuelle entre le compositeur de musique de film et le créateur du générique de la série, Alexander COURAGE, qui eut pour bien des films la responsabilité de conduire l'orchestre lorsque Jerry GOLDSMITH ne le dirigeait pas lui-même. Le nom de Jerry GOLDSMITH devait être à nouveau associé à l'univers STAR TREK, avec la partition de nouveaux films ainsi, pour l'essentiel, que celle des nouvelles séries télévisées. Les bandes originales de STAR TEK V (1989), STAR TREK INSURRECTION (1998) et STAR TREK NEMESIS (2002) sont tout en retenue, empreintes de sérénité. Le thème principal de STAR TREK FIRST CONTACT (1996) est quant à lui tout particulièrement remarquable, exprimant une sorte de noblesse contenue avec une touche nostalgique. Le générique de la série STAR TREK VOYAGER (1995), d'un genre très différent, s'impose par sa majesté et son originalité.

La saga STAR TREK marquée durablement par les sublimes compositions de Jerry GOLDSMITH.

En dehors du cinéma fantastique, Jerry GOLDSMITH a conçu bien d'autres musiques de film remarquables et touchantes; parmi ces réussites, citons LIONHEART (1987), FIRST KNIGHT (1995 ) - dont quelques passages évoquent ALIEN ainsi que le final de TOTAL RECALL - et LE 13EME GUERRIER (1999), qui restituent l'esprit chevaleresque, FOREVER YOUNG (1992) et POWDER (1995) bouleversantes de sensibilité et de sentimentalité, ou encore THE SUM OF ALL FEARS (2002) aux allure de liturgie apocalyptique en dépit de sa sobriété.

Dans FOREVER YOUNG, Mel GIBSON incarne un homme découvert dans un caisson cryogénisé, fruit d'une expérience militaire abandonnée, à qui on a volé sa vie. La partition de Jerry GOLDSMITH rend poignante cette évocation de la fuite du temps. Jerry GOLDSMITH forever.

Le romantisme n'était pas chez Jerry GOLDSMITH une posture artistique. Il fut semble-t-il fort éprouvé lorsque sa femme le quitta en 1970. Il se remaria en 1980 avec une épouse plus jeune avec laquelle il partagea toujours une grande complicité; loin de toute prétention, il s'amusa d'ailleurs à faire une courte apparition à ses côtés dans le film GREMLINS 2. Le compositeur savait aussi se montrer accessible comme il le prouva en prenant comme agent un admirateur rencontré dans un supermarché alors qu'il faisait ses courses, lequel avait entrepris de lui demander un autographe - un exemple qui devrait en inspirer beaucoup qui manquent dramatiquement d'humilité...


Jerry GOLDSMITH a été un innovateur particulièrement brillant, combinant au plus haut degré la fusion entre orchestre philharmonique et synthétiseurs. Il en résulte une osmose parfaite; à l'inverse du soliste accaparant l'attention en voulant faire montre de sa virtuosité comme dans nombre d'œuvres classiques, tous les instruments participent d'un même mouvement, d'une respiration commune, à la manière d'un organisme vivant. Ce qu'il y'a peut-être de plus spécifique chez ce compositeur - même si on peut trouver une approche voisine avec GOONIES de Dave GRUSIN - est peut-être aussi ce mélange fascinant et assez bouleversant de mélancolie indissociable d'un merveilleux réminiscent de l'univers magique de l'enfance, comme pour les épilogues de GREMLINS et SMALL SOLDIERS, contraste détonant qui donne de la profondeur à ses œuvres sans que celles-ci soient pour autant totalement déprimantes, comme peut l'être par exemple à contrario le final d'IL ETAIT UNE FOIS DANS L'OUEST d'Ennio MORRICONE. Le génie du compositeur réside dans les variations subtiles qui déclinent les thèmes sans monotonie, et son incroyable propension à, une fois le thème principal exposé, obtenir un surcroît d'émotion par une utilisation habile et fort remarquable de l'orchestration dans ce qui est à l'opposé d'une simple redondance, comme c'est bien souvent le cas chez d'autres compositeurs pourtant fort estimables - on pourrait à contrario citer DRACULA et FURY de John WILLIAMS, CABAL et BATMAN de Danny ELFMAN... Il fait ainsi prendre conscience que la musique ne se réduit pas à un thème, aussi original soit-il, mais procède aussi d' une interprétation, d'une exécution dans laquelle l'expression de la subtilité et des nuances est tout aussi déterminante que la structure mélodique. Ainsi, même un thème comme celui d'A COUTEAU TIRE, qui n'est pas le plus mémorable de son œuvre, emporte l'adhésion par son caractère épique, aventureux et tragique à la fois, qui contribue immédiatement à hausser la portée du film.

Dans les années 1990, Jerry avait adopté une coiffure fort différente avec les cheveux attachés à l'arrière.

Jerry GOLDSMITH continua à composer malgré le cancer qui lui fut finalement fatal à l'approche de ses 76 ans, le 21 juillet 2004. Il a communiqué son amour de la musique à son fils Joël GOLDSMITH, qui l'assista sur la composition de RUNAWAY en 1985. Ce dernier a depuis signé les partitions de diverses séries de science-fiction comme celles de AU DELA DU REEL - L'AVENTURE CONTINUE, avec sa composition un peu atonale aux accords étranges frisant avec la dissonance, générant une atmosphère très particulière, et STARGATE ATLANTIS - qui se rapproche quelque peu de la veine de STAR TREK VOYAGER. Il a d'ailleurs créé son site avec humour puisque "personne d'autre ne s'était dévoué": http://www.freeclyde.com/index.html

Le nom de GOLDSMITH est toujours présent dans la création musicale au travers de son fils Joël, qui jusqu'à présent a surtout écrit pour les séries télévisées.

Jerry GOLDSMITH a eu raison d'œuvrer dans le cinéma. Même s'il lui arrivait de livrer des œuvres d'un intérêt supérieur à celui de certains films, il a pu diffuser de la sorte largement son travail. Un compositeur classique contemporain talentueux comme Samuel BARBER aurait pu sombrer dans un oubli assez général si le cinéma n'avait pas remis au goût du jour son pathétique et sublime ADAGIO FOR STRINGS entendu dans l'épilogue de THE ELEPHANT MAN de David LYNCH (repris peu après dans PLATOON).

Il est vrai que Jerry GOLDSMITH n'est certes pas le seul compositeur remarquable du cinéma fantastique - on pourrait citer John WILLIAMS (la saga STAR WARS, JURASSIC PARK), James HORNER (STAR TREK 3, KRULL), Ennio MORRICONE (THE THING, MISSION TO MARS), Basil POLEDOURIS (CONAN LE BARBARE, CONAN LE DESTRUCTEUR), Howard SHORE (LA MOUCHE), Trevor JONES (THE DARK CRYSTAL, LOCH NESS), Michael KAMEN (THE DEAD ZONE, BRAZIL, HIGHLANDER), ou encore Angelo BADALAMENTI et ses complaintes planantes et envoûtantes de nombre de films de David LYNCH, mais il en est probablement le plus représentatif et inventif, bien que son nom soit curieusement souvent omis.

Récemment, une compilation des 30 musiques de films préférées des Français, selon les résultats d'un sondage, intitulée Les élections de la musique de film, était commercialisée. Beaucoup de compositeurs connus y figuraient, Ennio MORRICONE, Howard SHORE, John WILLIAMS, John BARRY, VANGELIS, Georges DELERUE, Bernard HERRMANN... Parmi les laissés pour compte, un grand absent, Jerry GOLDSMITH. Mais l'ignorance récurrente de ce grand nom de la culture contemporaine n'abuse pas les vrais connaisseurs : une recherche image par google indexe 171 000 résultats approchant... Il ne fait aucun doute que l'art de Jerry GOLDSMITH sera tôt ou tard intégré dans les enseignements dispensant une formation à la musique de film et deviendra une véritable référence. Pour l'heure, les mélomanes n'auront sans doute jamais l'idée d'aller rechercher dans la bande originale d'un film commercial une belle partition, à fortiori quand il ne s'agit pas d'un film "prestigieux" comme LE DERNIER EMPEREUR; ils ne savent pas ce dont ils se privent...

Depuis, malgrè tout, un site français a été créé pour rendre hommage au grand compositeur et tenter de pallier en partie le faible écho de sa disparition. On peut ne pas partager nécessairement l'enthousiasme des auteurs pour la partition de LA PLANETE DES SINGES, aux staccatos violents et aux sonorités discordantes, et il semble par ailleurs que Jerry GOLDSMITH et le compositeur attitré des films d'Alfred HITCHCOCK et de plusieurs œuvres de Ray HARRYHAUSEN, Bernard HERRMANN, n'auraient pas nécessairement éprouvé une forte sympathie mutuelle comme évoqué (le premier trouvait d'ailleurs ironique de succéder au second sur la saga PSYCHOSE), mais il convient d'indiquer que ceux-ci ont rassemblé pour le lecteur français une masse d'informations biographiques impressionnantes, notamment sur les débuts de sa carrière au sein de la communauté juive de compositeurs d'Hollywood, ainsi que sous l'égide de Miklos ROZSA, que les connaisseurs ne se priveront pas de consulter et qu'on recommande bien volontiers :
Evidemment, il existe aussi pour les anglophones un beau site très complet sur Jerry : http://www.jerrygoldsmithonline.com
Une courte vidéo lui rend aussi un petit hommage: http://www.youtube.com/watch?v=M3XF8j6xjqQ

Il y a cependant encore toujours à faire pour faire connaître et reconnaître son talent pourtant éclatant, ce à quoi on s'est efforcé bien modestement de contribuer ici. Monsieur GOLDSMITH, où que vous soyez à présent, sachez que vous manquez à beaucoup d'admirateurs, et que vos compositions si marquantes ont contribué à rendre notre existence un peu moins désenchantée, à préserver notre capacité à faire preuve de sensibilité et d'émotion dans un monde moderne affreusement cynique. La disparition de la musique de Jerry GOLDSMITH, s'additionnant à la suprématie écrasante des images générées par ordinateur, signe définitivement la fin d'une certaine magie au cinéma.
* la télévision belge a par contre produit un documentaire intitulé "Film music-Jerry Goldsmith" en 1987.

PS: n'oublions pas malgré tout au passage deux autres compositeurs de musiques de films disparus à peu près à la même époque que Jerry GOLDSMITH : le grec Basil POLEDOURIS, auteur des thèmes si variés et remarquables de CONAN LE BARBARE et CONAN LE DESTRUCTEUR, à qui l'on doit aussi la musique de ROBOCOP, autre fresque sur l'émergence d'un héros purifié par l'ascèse d'une légitime vengeance, et Michaël KAMEN, à qui l'on devait la partition très mélancolique de THE DEAD ZONE, le noble romantisme de HIGHLANDER ou encore la composition éclectique et tout à fait digne d'intérêt de BRAZIL. Conservons encore longtemps au travers de leurs œuvres le souvenir de ces créateurs qui ont contribué à porter le cinéma fantastique jusqu'à l'excellence dans les années 1980 et qui ont donné ses lettres de noblesse à la musique de film.

Note : Les lecteurs qui estimeraient qu'il n'existe qu'un rapport assez ténu entre cet article et le thème des créatures seront peut-être curieux de savoir que Jerry GOLDSMITH est indirectement à l'origine de ce blog, créé il y'a un peu plus d'un an. L'auteur ayant appris quelque peu fortuitement la disparition du grand créateur de monstres Stan WINSTON deux jours plus tôt s'attendit à ce que les médias audiovisuels fassent preuve à son égard de la même indifférence que lors de la disparition du compositeur, ce qui le décida à écrire de mémoire en trois quart d'heures un hommage spontané que vous avez pu lire en juin 2008 en ces pages. Ce blog fut ainsi créé pour, à cette échelle modeste, honorer la mémoire du maquilleur, l'auteur ignorant que Mario GIGUERE, avec qui il avait correspondu à plusieurs reprises, le trouverait suffisamment digne d'intérêt pour avoir l'amabilité de le mettre sur son propre site - qu'il soit encore remercié ici pour son soutien et ses encouragements. Ce blog néanmoins créé entre temps appelait d'autres articles, aussi, bien que sa création n'ait en rien été préméditée, il devint rapidement l'opportunité de traiter avec un regard non conformiste des sujets en rapport avec la diversité des créatures vivantes et avec les créations imaginaires qu'elles peuvent inspirer, les Dinosaures et monstres de Stan WINSTON en fournissant le prologue idéal. L'hommage à Jerry GOLDSMITH, même s'il se situe à la périphérie de sa thématique, renoue donc avec l'histoire de la genèse de ce blog. A noter que l'auteur a été un jour été pratiquement possédé, non par un thème comme celà arrive de temps à autre lorsqu'un air vous trotte dans la tête, mais par la totalité des morceaux de TOTAL RECALL, y compris ceux qu'il aimait moins, d'une manière telle que celà ne lui était jamais arrivé. Le lendemain, il apprit que le compositeur avait disparu la veille. Curieuse coïncidence.

mardi 23 juin 2009

RETOUR SUR LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN

On avait signalé récemment à l'intention des lecteurs, à la suite de l'article de février 2009 évoquant le 200ème anniversaire de la naissance du grand naturaliste britannique, la diffusion sur la chaîne franco-allemande Arte du documentaire retraçant sa vie, LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN, réalisé par Hannes SCHULER et Katharina Von FLOTOW, représentant le savant au travers de reconstitutions, tournées en Bretagne, que le montage mêlait assez habilement à des plans issus de documentaires réalisés dans les contrées lointaines, séquences assortis de commentaires par des spécialistes.

DARWIN n'était sûrement pas du genre à voir des Iguanes roses partout; pourtant, il n'aurait pas été inconcevable qu'il en vît s'il avait séjourné plus longtemps dans l'archipel des Galapagos; cette espèce récemment découverte ne se trouve que sur les pentes d'un unique volcan.

Mettant en exergue la rupture que l'on pourrait qualifier de "révolution darwinienne" ( même si, de la même manière que je l'avais évoqué dans mon article sur "Darwin et la controverse sur l'évolution", le commentaire semble à un moment sous-entendre que les naturalistes précédents étaient déjà enclins à déceler dans la classification les affinités naturelles entre les espèces, soit en germe à esquisser une parenté entre elles ), le documentaire s'attache particulièrement à démontrer que cette nouvelle théorie explicative de la diversité du vivant s'est constituée avant tout en réaction contre la religion, le naturaliste anglais apparaissant comme une sorte de figure iconoclaste, prométhéenne, s'extrayant par son audace de l'obscurantisme chrétien, même si la fin du documentaire rappelle brièvement les états d'âme ayant baigné l'existence du savant. Ainsi, selon cette lecture, la science, s'appuyant sur les faits observables, rendrait compte de la réalité du monde en opposition directe avec la religion demeurant prisonnière de conceptions mythiques totalement obsolètes.

Il est bien connu que la religion chrétienne a commis effectivement de redoutables excès lorsqu'elle était avant tout un pouvoir, réfutant toute interprétation s'écartant de la vérité officielle, et dont l'un des faits les plus consternants fut l'exécution, non sans lui avoir préalablement coupé la langue, du théologien et astronome Gordiano BRUNO, accusé d'interprétation trop libre des textes sacrés, et notamment d'avoir postulé, pour exalter la Création divine dans toute sa richesse, la pluralité des mondes (il semble bizarrement qu'à l'époque, pour une raison qui mériterait d'être précisée par les historiens, il aurait été considéré comme acceptable d'émettre des doutes sur la virginité de la Vierge Marie ou de la divinité du Christ, mais pas d'évoquer l'existence d'autres planètes susceptibles d'abriter la vie*). Cependant à l'époque de GALILEE, le bûcher n'était déjà plus aussi certain pour ceux qui s'avançaient à remettre en cause les représentations du monde de l'époque. Au XIXème siècle en Europe, la religion imprégnait fortement les esprits mais n'interdisait plus les idées philosophiques variées et les théories scientifiques audacieuses - on se rappelle qu'auparavant, le Français Jean-Baptiste LAMARCK avait déjà connu quelque notoriété en postulant, en d'autres termes, la transformation des espèces. Ce rappel permet de relativiser quelque peu le clivage absolu esquissé par le documentaire, même si l'on n'omet en rien les réactions virulentes qui accueillirent la publication de ses travaux dans les milieux traditionnels et qui continuèrent longtemps à animer ses détracteurs.

Gordiano BRUNO, théologien et esprit audacieux à l'époque lointaine à laquelle, en Europe, les précurseurs de Camille FLAMMARION devaient faire preuve du plus grand courage pour affronter la censure religieuse.

Le documentaire présente dans cette optique le père de Charles DARWIN comme un chrétien obtus qui aurait porté sur la science le regard outragé d'un gardien du Temple face au dévoilement profane. Là encore, le temps était passé depuis que les institutions religieuses avaient proscrit toute étude du corps humain, et le père de DARWIN encourageait son fils à poursuivre des études de médecine, lesquelles ne convenaient d'ailleurs guère à ses dispositions personnelles. Charles DARWIN, effaré notamment par l'âpre lutte pour la survie dans la jungle sud-américaine ( tout autant cependant que par son étonnante profusion ), aurait été selon les auteurs animé d'un envie d'en découdre avec les conceptions chrétiennes. En réalité, le jeune homme était un vrai naturaliste passionné par la multiplicité de la vie. Il se consacra notamment à des études très complètes sur des espèces atypiques comme les Plantes carnivores et comme les Cirripèdes, ces Crustacés vivant fixés à l'âge adulte par la tête, telle la Balane de nos côtes, dont il étudia tous les types - à l'exception du sous-groupe des Rhizocéphales renfermant les espèces parasites spécialisées. Un polémiste essentiellement motivé par la volonté d'élaborer une grande théorie iconoclaste contre la religion, avec la fougue d'un NIETZSCHE, n'aurait certainement pas investi tant de temps à étudier les détails anatomiques et le fonctionnement particulier de tant d'organismes avant d'élaborer ses hypothèses, avec la passion de l'entomologiste FABRE cherchant avant tout à comprendre le monde le plus discret qui nous entoure.

Une des planches illustrant la monographie qu'à consacré DARWIN aux Cirripèdes, curieux Crustacés sessiles ( en bas, au milieu, un Conchoderma auritum de profil, animal parfois fixé aux Baleines, qui possède deux siphons aux allures d'oreilles de Lapin ; ci-dessous un groupe de ces plaisantes créatures conservées au Musée d'histoire naturelle de San Diego ).


DARWIN avait confié que, marqué par son éducation religieuse, ce n'était pas sans réticence que, progressivement, l'accumulation de ses observations l'avait amené à remettre en cause la représentation du monde qui était enseignée par la religion. Il semblerait même que ce soient en fait des raisons personnelles tragiques, la disparition de sa petite fille, qui aient fini par le faire douter définitivement de la bonté divine et de la Providence. Et cependant, alors même qu'il n'accompagnait plus le dimanche matin son épouse à l'office, Charles DARWIN continuait de faire des dons à des œuvres religieuses.

L'opposition entre science et religion n'est donc pas un clivage aussi absolu que les auteurs tendent à l'indiquer. D'ailleurs, comme évoqué dans l'article précédé, le Père Theilard de CHARDIN avait considéré que l'évolution était tout à fait compatible avec l'existence de Dieu, même si, contrairement à DARWIN, il imaginait qu'elle obéissait à un schéma directeur général univoque, ce qui paraît beaucoup moins évident de nous jours en dépit de son mouvement général vers la complexification, de la Bactérie à l'Homme.

Le Père THEILARD de CHARDIN.

Evidemment, le récit de la Genèse n'a plus qu'un rapport lointain avec l'histoire de notre planète telle que les disciplines scientifiques l'ont reconstituée, avec de plus en plus de précision. La naissance d'un individu plutôt que d'un autre semble effectivement relever de la plus incontestable contingence. L'évolution quant à elle, comporte encore des points demeurant partiellement obscurs en raison de la complexité des phénomènes, mais il est vrai qu'on pourrait admettre que le hasard a une part prépondérante dans l'histoire de la vie sur notre planète. Par contre, l'origine et la finalité de l'univers, ainsi que la question du sens qu'il conviendrait éventuellement de lui prêter, sont des interrogations qui demeurent problématiques, et la science, du moins en l'état actuel des connaissances, ne peut établir de manière irréfutable ni l'existence d'un Créateur, ni au contraire la nier fermement. Quant aux valeurs que chacun décide de donner à son existence, à la conception qu'on se fait de la morale, de l'éthique ou encore de la sexualité, aucun scientifique le plus brillant soit-il ne peut à bon droit s'en imposer le prescripteur, car cela relève des intimes convictions de chacun - point de vue que partageait également le fameux paléontologiste Stephen J. GOULD, évoqué dans l'article de février 2009, détracteur résolu des créationnistes, ce qui ne l'empêchait pas de fustiger l'ingérence des scientistes hors de leur discipline. Dans l'article précité, j'avais réfuté les différents procédés des auteurs se réclamant du créationnisme, qui visaient à discréditer l'idée d'une transformation progressive des êtres vivants au cours des âges au nom de la défense de la religion. Symétriquement, des auteurs utilisent les enseignements de DARWIN pour promouvoir une conception athée militante, voire même comme Richard DAWKINS, le célèbre auteur du GÈNE ÉGOÏSTE, pour organiser une campagne de dénigrement des prescriptions du christianisme, déviation contestable qui conduit un chercheur reconnu à quitter le terrain scientifique pour s'ingérer dans les valeurs morales de chacun.

Le scientifique Richard DAWKINS et son "service athée", un bus promouvant la conception libertarienne de la vie.

Une nouvelle fois, en tout cas, on vérifie la passion que les découvertes de Charles DARWIN continuent de susciter, de la part des fondamentalistes chrétiens en Amérique ainsi que de musulmans en Europe qui les rapportent à la religion dans la perspective de faire interdire, ou dans le meilleur des cas, de relativiser, leur enseignement en classe, tandis que des zélateurs du naturaliste instrumentalisent ses théories pour un combat qui relève d'un tout autre plan.

Il est tout de même un peu surprenant que ce débat, qui a été tranché à l'extrême fin du XIX ème dans le milieu scientifique par le ralliement de l'écrasante majorité des naturalistes, ne cesse de resurgir en étant mêlé à d'autres enjeux; on n'imagine pas, à l'inverse que les controverses au sujet de l'héliocentrisme défendu par GALLILE se soient maintenues jusqu'à notre époque, ou qu'il y'ait encore des esprits forts affirmant que la Terre est plate et que la rotondité qui se révèle depuis l'espace est soit une illusion d'optique soit une imposture scientifique. La réaction des religions paraît en retour engendrer, au-delà de la contre-argumentation légitime qu'on a présentée précédemment, un activisme anti-religieux qui, là aussi, dépasse le cadre du débat et concourt à son tour à radicaliser les positions.

L'horreur engendrée chez beaucoup par l'idée que l'espèce humaine trouve son origine dans l'évolution animale est d'autant plus anachronique que le moindre journal télévisé laisse voir une barbarie - parfois même commise au nom de la religion - qui excède la cruauté parfois observée chez les bêtes, comme l'illustre John FRANKENHEIMER dans son remake de L'ILE DU DOCTEUR MOREAU, dans lequel le prologue avec l'âpre lutte entre naufragés et l'épilogue sur fond d'images d'actualités sont comme un écrin pathétique enserrant l'épisode sur la sauvagerie des Hommes-Bêtes créés par le savant fou, dont l'auteur, H.G. WELLS, notait déjà les convergences profondes du comportement avec celui, à peine enfoui par le vernis de la civilisation, de nos semblables. Ce qui caractérise la grandeur humaine n'est pas son éloignement d'avec le monde animal où il puise ses origines, mais au contraire les efforts qu'il accomplit pour s'élever, en privilégiant le raisonnement en place de la brutalité, la compassion plutôt que la loi du plus fort, la défense de valeurs et d'idéaux au lieu de la satisfaction immédiate des pulsions instinctuelles. De l'autre côté, au contraire, certains matérialistes prosélytes paraissent se délecter de tout ce qui peut nier toute perspective de transcendance chez l'homme, voire de liberté individuelle, par une vision triviale de la condition humaine, qui, sous le prétexte théorique d'en ériger l'autonomie et la raison, aboutissent en fait souvent à le rabaisser plus ou moins au niveau de l'entité physiologique. DARWIN, promu malgré lui en prophète, n'a semble-t-il pas encore fini d'enflammer les passions...

* c'est en tout cas ce que rapporte le célèbre astronome français Camille FLAMMARION dans son essai LES MONDES REELS ET LES MONDES IMAGINAIRES, dont le titre a inspiré la dénomination de ce site.

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Les médias ont évoqué la disparition de l'actrice Farrah FAWCETT, victime du cancer comme récemment l'écrivain Philip José FARMER évoqué tantôt, laquelle était connue notamment pour sa participation à la série policière DRÔLES DE DAMES. Elle avait aussi joué en 1980 au côté de Kirk DOUGLAS et Harvey KEITEL dans le souvent injustement sous-estimé SATURN 3 de Stanley DONEN, en compagnie d'un robot inspiré de dessins de Leonard de VINCI, qui annonçait l'endo-squelette en acier chromé conçu par Stan WINSTON pour TERMINATOR. Le film convoque toutes les inquiétudes liées aux potentialités de la cybernétique.

La partie d'échecs de SATURN 3 : jouer une partie avec une machine peut s'avérer périlleux.

Hector semble tout aussi doué pour le bras de fer...

Ceux qui n'ont pas vu le film pourront lire un résumé et un petit commentaire intéressant indiquant notamment que c'est John BARRY ( pas le compositeur de musique de film mais le chef décorateur ) qui devait initialement le réaliser : http://www.scifi-movies.com/francais/dvd.php?data=saturn31980film