dimanche 16 novembre 2014

LE FUTUR DE L’ANIMATION, HORS d’HOLLYWOOD ?

    
    


  On a déjà souligné l’incongruité des fréquents hommages des cinéastes à l’endroit de Ray HARRYHAUSEN, qui tournaient pourtant le dos à tout ce qui pouvait s’apparenter au type de trucages qu’il avait agencés – sans parler de ceux de Dennis MURREN, promoteur principal des trucages générés par ordinateur et contempteur des effets spéciaux concrets, en dépit de la sympathie qu’il continue officiellement d’afficher pour ceux qu’il a sans état d’âme condamnés aux poubelles de l’histoire. En dépit des postures et de quelques séquences pastichées dans les films contemporains aux séquences dopées aux images virtuelles, les vrais héritiers de Ray HARRYHAUSEN ne sont pas les Steven SPIELBERG, George LUCAS et autres Peter JACKSON, mais des auteurs moins célèbres qui continuent à œuvrer pour recréer sur l’écran la magie émanant de celle des films du maître de l’animation.


L'ANIMATION DES MODÈLES MINIATURES RÉALISTES RÉSISTE

Alors qu’Hollywood qui avait refusé à Ray HARRYHAUSEN de donner vie à un troisième film mythologique, THE FORCE OF THE TROJANS, ce qui aurait constitué un juste pendant à la trilogie de ses SINBAD, s’est au lieu de cela contenté de produire des remakes des deux réalisés, en substituant des animations infographiques aux prodiges du Maître de l’animation, certains de ses émules demeurent fidèles à ses techniques. Ainsi, après THE FIFTH VOYAGE OF SINBAD conçu comme un prolongement des trois films sur le héros oriental auxquels Ray HARRYHAUSEN s’était consacré – même si son initiateur ne s’est pas soucié d’obtenir l’assentiment du grand animateur qui était toujours vivant à l’époque à laquelle le projet a été lancé, les animateurs Ron COLE ( auteur notamment de l’animation des versions miniatures des monstres d’ALIEN METAMORPHOSIS ) et Peter MONTGOMERY unissent de nouveau leurs talents pour peupler de monstres animés image par image leur nouveau projet, DARK PLANET, avec le renfort des Australiens Norman YEEND et Nick HILLIGOSS, qui avaient chacun redonné vie à l’écran à des créatures préhistoriques de leur contrée au travers respectivement des documentaires LIFE IN GONDWANA et PREHISTORIC AUSTRALIA. Dans une épopée à travers l’espace et le temps digne des aventures de Titus Crow inventées par Brian LUMLEY, le film DARK EARTH projette de faire voyager le spectateur de mondes extraterrestres peuplés de bestioles inquiétantes à la terre du temps des dinosaures. Faute de susciter l’intérêt de l’industrie d’Hollywood, les auteurs de films utilisant des séquences animées image par image sont amenés à faire appel au soutien financier des cinéphiles. Vous êtes incités à verser une contribution sur la page du projet, hébergé par le site Indiegogo, en commandant par exemple le DVD pour 10 livres britanniques AVANT LE 20 DÉCEMBRE 2014 :



Très beau plésiosaure de Norman YEEND, qui rappellera sans doute un souvenir aux lecteurs qui ont lu l'article "Comme des poissons dans l'eau" publié en septembre 2011 ( pour voir le plésiosaure en mouvement:
https://images.indiegogo.com/file_attachments/952908/files/20141022223713-plesi_pitch.gif?1414042633 ).

Dessin pour décor en trompe-l’œil pour une créature mobile à l'allure végétale. Deux modèles sont également construits pour être animés dans des plans plus rapprochés.

Un extraterrestre aux allures d'arthropode par Peter MONTGOMERY, dont la texture rappelle celle d'un autre très beau modèle réduit animé image par image, celui du scorpion de CHERI J'AI RETRECI LES GOSSES (HONEY, I SHRUNK THE KIDS).

Le site Indiegogo (le terme «indie» désignant les indépendants) permet de monter des projets en prévoyant un montant correspondant à des petits et moyens budgets. Les sommes versées sont encaissées inconditionnellement, ce qui incite à soutenir des projets ayant quelque chance de réussite, comme DARK EARTH. Le site Kickstarter quand à lui ne concrétise le versement que si le projet aboutit, et que la somme demandée est réunie au centime prêt à l’échéance, autrement, le contributeur ne se voit pas débiter la mise.

Un des plus fameux représentants de l’animation, Phil TIPPETT, s’est tourné lui-même vers Kickstarter. Considéré à l’époque de L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE (THE EMPIRE STRIKES BACK) et LE DRAGON DU LAC DE FEU (DRAGONSLAYER) comme l’héritier de Ray HARRYHAUSEN, l’animateur avait, suite à la mise à l’écart de son travail au bénéfice des trucages virtuels d’I.L.M. pour JURASSIC PARK, film sur lequel il avait été relégué au rôle de consultant, été contraint de passer lui-même au numérique, scannant et animant par infographie ses miniatures pour des films comme CŒUR DE DRAGON (DRAGONHEART) et EVOLUTION. Pour son court métrage expérimental en deux parties, MAD GOD, dont l’univers rappelle celui de SILENT HILL qui faisait quant à lui la part belle aux images de synthèse, Phil TIPPETT a obtenu le financement du projet grâce aux souscriptions des internautes à travers Kickstarter. Le film n’utilise que des personnages animés, contant les pérégrinations de créatures contrefaites dans un futur cauchemardesque.
http://watch.madgodmovie.com/

Créature sculptée par l'artiste Victoria ROSE pour le film d'animation de Phil TIPPETT.

 Une créature vermiforme qui évoque quelque peu le Mutant de DUNE - avec un soupçon de la créature grotesque finale de LA MOUCHE 2 (THE FLY 2), promise à un sort abominable, dans la seconde partie de MAD GOD (MAD GOD part 2 ).

C'est un univers assez proche qui est au coeur de JUNK HEAD, conçu par Takahide HORI (également connu sous le pseudonyme de Yamiken), investi par d'étranges créatures et des êtres cybernétiques. Ce Japonais qui a fait appel aux dons s'est tourné lui aussi vers Indiegogo pour obtenir le financement de la suite - le site Kickstarter exigeant une adresse et un compte bancaire aux Etats-Unis. Ayant placé la barre haut, il avait aspiré à recueillir 100.000 dollars, il en a obtenu 16%, ce qui représente néanmoins une somme déjà estimable de pratiquement 16 000 dollars; nul doute que l'artiste nippon va s'ingénier à réaliser le second volet.
site de l'artiste : http://yamiken.com/
site Indiegogo avec lien vers la première partie : https://www.indiegogo.com/projects/junk-head-2--2

 Étranges créatures hantant les corridors de JUNK HEAD de Takahide HORI.


D'effrayants vers attaquant le petit robot humanoïde poursuivi par de féroces créatures.

Ce monstre de JUNK HEAD 2, planté sur ses épines servant d'échasses, ressemble beaucoup au fameux fossile énigmatique du Cambrien découvert en Colombie britannique, connu sous le nom d'Hallucigenia - avec quelque chose de l'Alien imaginé par GIGER en sus.


EFFETS SPÉCIAUX DE MAQUILLAGES ET MONSTRES MÉCANISÉS

Les lecteurs se souviennent probablement qu’on a déjà évoqué Kickstarter à l’occasion du projet HARBINGER DOWN porté par Alec GILLIS et Tom WOODRUFF (Amalgamated Dynamics), qu’on a soutenu précédemment, et dont le tournage s’achève en ce moment, avec l’ambition de donner corps à un film de monstre n’utilisant que des effets spéciaux mécaniques et de maquillage, suite à la frustration ressentie par les deux célèbres concepteurs de créatures ainsi que par les admirateurs lors de la sortie de la « préquelle » de THE THING, en constatant que les producteurs – peut-être même à l’encontre de la volonté du metteur en scène – avaient soit retouché par infographie les effets spéciaux (comme pour les créatures de PROMETHEUS) soit carrément décidé de remplacer les effets mécaniques par des images créées par ordinateur, comme pour le monstre final (il en fut de même pour l’épilogue de THE MIST). HARBINGER DOWN suit un petit groupe de chercheurs dans l’Arctique contaminé suite à des expériences biologiques effectuées sur des tardigrades, ces animaux microscopiques à l’exceptionnelle résistance (voir l’article sur «la vie sans oxygène», ainsi que les dessins du concours organisé à l’occasion du film). Espérons qu’Alec GILLIS qui a toujours aspiré à la mise en scène saura livrer une œuvre inspirée capable de nous redonner le goût des films de science-fiction et d’épouvante de la grande époque, à tout le moins en tout cas, nous pourrons enfin voir de nouveau à l’écran des créatures tangibles.



Après avoir affronté les célèbres prédateurs extraterrestres d'ALIENS de James CAMERON, suite du fameux film de Ridley SCOTT, l'acteur Lance HENRIKSEN face à une créature métamorphe qui puise quelque filiation avec une redoutable créature d'un autre classique du cinéma, la Chose de John CARPENTER - chef-d'oeuvre auquel on a récemment consacré trois volets en ces pages.


Photo dédicacée par Tom WOODRUFF d'une victime mutante d'HARBINGER DOWN, adressée aux personnes qui ont soutenu financièrement le projet.

STRANGE NATURE de Jim OJALA n’est pas sans rapport avec le sujet, prenant pour point de départ les nombreuses altérations observées en certains lieux sur les grenouilles – celles des « étangs à monstres » étudiées par le naturaliste français Jean ROSTAND, et qui deviennent maintenant fréquentes en certains endroits des Etats-Unis. Un parasite a depuis été incriminé mais les facteurs environnementaux altérés par la pollution contribuent probablement aussi à générer ces dysfonctionnements du développement de ces batraciens. Dans le film, une mère et son fils venus emménager dans la maison du grand-père, isolée dans un bois, sont confrontés à d’horribles mutations animales et humaines. Là aussi, les auteurs, bien que moins célèbres qu’Alec et Tom d’Amalgamated Dynamics, ont pris la ferme résolution de ne recourir qu’à des effets spéciaux concrets pour figurer les différents monstres.
https://www.kickstarter.com/projects/1364167956/strange-nature-an-eco-thriller-feature-film

Photo de préparation du tournage de STRANGE NATURE; quand l'homme joue les apprentis sorciers, ça commence par des grenouilles malformées mais qui sait jusqu'où cela peut mener?.. 

Jerry LENTZ a pour sa part, à la manière de Stanley KUBRICK pour 2001 L'ODYSSÉE DE L’ESPACE et John CARPENTER dans GHOSTS OF MARS, décidé de ne pas montrer les extraterrestres de son projet NEBULA, financé grâce à Indiegogo. Il a cependant lui aussi pour ce film, qui veut renouer avec les plus hautes ambitions de la science-fiction trop souvent réduite au cinéma à de l’action, choisi de n’employer que des trucages concrets à base de vraies maquettes, à la création desquelles il s’attèle lui-même avec la contribution de Robert VANCEL, poursuivant son entreprise en dépit de la modestie des fonds recueillis. La sortie d'INTERSTELLAR de Christopher NOLAN l'amène cependant à remanier le scénario afin d'éviter que des similitudes puissent donner à penser que son projet est inspiré du succès commercial.
https://www.indiegogo.com/projects/nebula--2

Un Tyrannosaure animatronique que Jerry LENTZ a conçu il y'a quelques années en s'inspirant des procédés agencés par le célèbre Stan WINSTON auquel le premier article de ce site rendait hommage.


Maquette de Robert VANCEL, dont l'esthétique rappelle la grande tradition des bases vues dans le film LE TROU NOIR (THE BLACK HOLE) et certains épisodes de la série GALACTICA dont le créateur vient de disparaître ( voir plus loin).

Si ce n’est pas la vraisemblance qui est recherchée pour la créature extraterrestre du film CREEP !, c’est que celui-ci raconte l’histoire du tournage d’un petit film de série B des années 1960, THE CREEPING TERROR (1964), tournée avec des moyens modestes et dont la créature aurait été volée, contraignant l’équipe a en confectionner une nouvelle en urgence avec les moyens du bord. Conçu à l’origine comme un documentaire, l’absence d’archives a conduit à tourner des séquences permettant à défaut de reconstituer le tournage, mettant en évidence la figure assez peu recommandable du metteur en scène qui disparut avec l’argent, confortant sa réputation de malhonnêteté. Le film a été financé grâce à la collecte sur Kickstarter, quelques fonds supplémentaires ont été obtenus pour la postproduction au travers d'Indiegogo.

https://www.indiegogo.com/projects/creep-post-production

Une partie fatale de jambes en l'air... Reconstitution  en couleur d'une scène de THE CREEPING TERROR dans laquelle une femme est engloutie par une des deux créatures extraterrestres, due à l'équipe de CREEP !

Le réalisme n’est pas non plus le souci premier de SCIENCE TEAM, comédie de science-fiction qui relate les aventures d’un jeune homme confronté à sa mère défunte, un extraterrestre télépathe et la bureaucratie gouvernementale chargée de traquer les créatures venues de l’espace; ce film évite lui aussi le recours aux images conçues par ordinateur. La première projection vient d'avoir lieu le 2 novembre 2014 à Sidney en Australie, peu avant la sortie aux Etats-Unis.
https://www.indiegogo.com/projects/science-team-an-independent-feature-length-motion-picture

L'autopsie d'un petit monstre par la jeune équipe de SCIENCE TEAM.

Evidemment, tous les projets ne connaissent pas une fin heureuse, le magazine Fangoria, qui avait déjà produit plusieurs films ( HORS CONTROLE (SEVERED TIES) sur une main coupée régénérée douée d’une vie propre ainsi qu’un film de vampires, CHILDREN OF THE NIGHT, et un film de mutants BRAIN SLASHER (MINDWARP) au tout début des années 1990 ), avait initié sur Kickstarter une collecte pour une production horrifique, THE FACILITY traitant d’expériences scientifiques, de poissons féroces et de morts vivants, mais l’enthousiasme n’a pas été à la hauteur des attentes, le projet n’obtenant qu’un centième de la somme escomptée, et il n'en subsiste que la bande annonce qui se place dans le contexte des suites de l'Ouragan Katrina qui avait ravagé la côte de la Nouvelle-Orléans en 2005 :
Dans une armoire du laboratoire, un poisson qui n'est probablement pas conservé en vue du déjeuner.

Un projet singulier vient d'être lancé, consistant à redonner un lustre moderne à un des plus grands chefs-d'oeuvre du cinéma muet, le NOSFERATU de Friedrich MURNAU, en utilisant les possibilités offertes par l'informatique comme la même équipe avait déjà procédé avec un autre classique de l'époque, LE CABINET DU DR CALIGARI. Le projet consiste à insérer en place des acteurs d'origine de nouveaux interprètes (en l’occurrence Doug JONES à la place de Max SHREK dans le rôle du vampire des Carpathes) dans les images du film initial, de manière à pouvoir instiller des dialogues parlés et une nouvelle partition musicale dans le classique. Ce film remarquable inspiré officieusement du roman DRACULA de Bram STOKER a déjà fait l'objet d'un remake de Werner HERZOG avec Klaus KINSKI dans le rôle-titre, lequel était parvenu en employant les ressources du cinéma contemporain à conserver la force morbide et hypnotique de l'original. On peut se demander ce que les cinéphiles penseront de ce projet qui vise à appliquer - couleur mise à part - le langage cinématographique actuel à l'oeuvre originelle elle-même, tant le rythme et le muet propres au cinéma expressionniste sont intrinsèquement liés à l'esthétique et au pouvoir de suggestion de l'oeuvre de MURNAU. Le projet suscite en tout cas l'intérêt puisqu'à un peu plus de deux semaines de la clôture, près de la motié des fonds espérés ont déjà été réunis auprès des donateurs : 
https://www.kickstarter.com/projects/82215933/nosferatu-the-feature-film-remix?ref=nav_search

"Toc, toc, c'est Orlok!" Le maquillage retenu pour le nouveau Nosferatu qui aura pour vocation de se substituer à l'acteur initial pour cette nouvelle mouture littéralement claquée sur l'ancienne.

Un autre projet tout récent, MUST FEED AND WATER, LOVE IS A MONSTER de Michael LANGMAN et Raphe WOLFGANG vient d'être initié sur Kickstarter, et sera clôturé le 1er janvier 2015. Le petit monstre incarne l'état d'un relation amoureuse et sera construit par Mark VILLALOBOS, maquilleur associé à divers films d'épouvante, ayant aussi bien œuvré sur les miniatures animées image par image d'ED WOOD, de la seconde suite d'EVIL DEAD, L’ARMÉE DES TÉNÈBRES (ARMY OF DARKNESS) et sur les dinosaures de la série LAND OF THE LOST pour le compte des frères CHIODO, que sur les maquillages des deux suites de STARSHIP TROOPERS, de la suite des MONSTRES DE LA MER, HUMANOIDS FROM THE DEEP, des trois suites de WISHMASTER ou encore d'ALIEN RAIDERS et de PROGENY.

https://www.kickstarter.com/projects/1781002453/must-feed-and-water-a-love-monsters-story



La pratique d’appel aux donateurs se généralise; ainsi, après une première tentative infructueuse sur Kickstarter, Alba GARCIA-RIVAS est parvenue au travers d’Indiegogo à mener à bien son film d’animation TIME SPACE REFLECTIONS utilisant de véritables figurines dans des décors miniatures (https://www.indiegogo.com/projects/time-space-reflections); la revue Stop motion magazine consacrée à l’animation image par image a rendu compte de cette œuvre et a aussi consacré des entretiens à des artistes impliqués dans la création des effets spéciaux de DARK EARTH comme Ron COLE et Nick HILLIGOSS – l’entreprise vient de s’arrêter pour permettre à son créateur John IKUMA de travailler sur des projets personnels mais il est cependant toujours possible de télécharger librement les numéros réalisés à cette adresse: http://stopmotionmagazine.com/.


Sandy l'aventurière, une petite souris créée précédemment par Alba GARCIA-RIVAS, une des créations dont l'artiste s'est résolue à se séparer, afin de pouvoir s'acheter une nouvelle maison, suite au sinistre qui a ravagé son domicile.


A noter que dans un domaine totalement différent, des expéditions scientifiques sous-marines font elles aussi appel aux souscripteurs, pour pallier au manque fond comme Aquatilis, soutenu par des chercheurs du monde entier comme Stephen HADDOCK du renommé aquarium de Monterey.
https://www.indiegogo.com/projects/aquatilis-expedition




UN GRAND MAQUILLEUR REVIENT MAIS UN AUTRE MET LA CLÉ SOUS LA PORTE

Au fur et à mesure que le peu d’audace d’Hollywood l’amène à ne sélectionner que des films de plus en plus standardisés, avec des effets spéciaux essentiellement numériques, les derniers vrais créateurs de monstres se tournent vers ces sites contributifs pour faire vivre leur art. Ces projets financés grâce à la souscription publique seront-ils le seul moyen de porter encore à l’écran des créatures faîtes si ce n’est de chair et de sang, du moins de mousse de latex, de silicone ou encore de polyuréthane, pourvues d’une armature et d’un revêtement imitant un épiderme et réagissant naturellement avec la lumière comme tout objet sensible ? On pourrait le penser, ce qui serait un moindre mal. D’ailleurs, George LUCAS lui-même avait commencé à mettre en œuvre LA GUERRE DES ÉTOILES (STAR WARS) à l’écart des grands maisons de production qui n’étaient pas initialement intéressées.


Cependant, un timide retour en grâce pour les effets spéciaux traditionnels se fait sentir, d’autant que les studios d’effets spéciaux qui s’étaient tournés vers la création numérique pour suivre la mode découvrent à leur dépend que l’infographie est un secteur hautement concurrentiel, menacé par le dumping des pays orientaux – certains des techniciens du LIVRE DE PI oscarisé n’ont ainsi pas pu être payés suite à la faillite de leur employeur !.. La série de LA GUERRE DES ETOILES, justement, dont George LUCAS a vendu assez récemment la franchise à la Compagnie Disney, devrait comporter davantage de trucages concrets; une monture grandeur nature a ainsi été conçue – à la différence de « l’édition spéciale » du premier film, LA GUERRE DES ETOILES (STAR WARS : A NEW HOPE), pour laquelle des animaux semblant inspirés de mammifères préhistoriques avaient été ajoutés par la palette graphique des informaticiens. Il faut cependant demeurer circonspect étant donné que le réalisateur Jeffrey J. ABRAMS (créateur des séries LOST et FRINGE) n'a pas fait montre d'un amour immodéré pour les formes artistiques traditionnelles d'effets spéciaux dans ses films récents, SUPER-8 et les deux dernières moutures de STAR TREK sur grand écran.


Construction d'un porc géant pour LA GUERRE DES ETOILES (STAR WARS) version Disney.

De la même manière, Creature shop, la compagnie de Jim HENSON évoquée dans l’hommage au célèbre créateur du MUPPET SHOW, dont on avait souligné l’évolution vers une préférence toujours plus grande pour les créations informatiques, semble renouer avec les glorieux débuts ayant mené à THE DARK CRYSTAL, au travers des compétitions de Jim Henson Creature Shop’s challenge diffusées sur la chaîne du câble SyFy (anciennement Sci-fi), pour lesquelles des créateurs conçoivent des êtres fantaisistes animés en temps réels devant les caméras. Dans tous les cas, au moins, ces projets indépendants auront entretenu la flamme, rappelant que l’imaginaire peut être élaboré de manière tangible et pas seulement comme une simulation virtuelle, et qu’«un autre cinéma fantastique est possible», celui qui nous enchante depuis toujours.


 Créatures marines conçues pour le concours Henson Creature shop's challenge; de la part de la chaîne SyFy qui a produit tant de téléfilms remplies de monstres créés par ordinateur dans le style de SHARKNADO, c'est presque hérétique !

Enfin, le maquilleur et créateur d'effets spéciaux Steve JOHNSON (GHOSTBUSTERS, THE ABYSS, LA MUTANTE (SPECIES) et sa suite), dont on avait évoqué la fin anticipée de la carrière en même temps que celle de Patrick TATOUPOLOS pour causer de suprématie des images de synthèse (article "Les derniers grands créateurs déclarent forfait"), vient d'annoncer qu'il a été engagé pour créer les créatures mutantes d'une adaptation d'une nouvelle de Philip K. DICK, THE CRAWLERS, à partir de concepts de l'artiste australienne Patricia PICCINI, bien connue pour les sculptures d'êtres transgéniques hyper-réalistes en silicone (exécutées par des créateurs d'effets spéciaux comme Paul KATTE et Nick NICOLAOU de Make-up Effects group). Avec HARBINGER DOWN et DARK PLANET, si ces films tiennent leurs promesses en proposant des œuvres à la hauteur de leurs effets spéciaux et que la part de trucages numériques demeure cantonnée à la portion congrue (composition d'images par simple intégration dans le même plan d'éléments filmés séparément), et rencontrent un certain succès public, on pourrait enfin envisager une renaissance des effets spéciaux concrets, laissant augurer d'autres créatures fascinantes sculptées patiemment dans les ateliers et auxquelles les techniques traditionnelles modernisées donneraient à nouveau la vie à l'écran après une si longue période d’interruption. Il serait grand temps, au moment où même le célèbre maquilleur Rick BAKER, qui pensait qu'à la différence des effets spéciaux mécaniques de Stan WINSTON le maquillage spécial survivrait aux images de synthèse, vient de fermer son atelier et détruit sa collection de moules dont sont sorties tant de créatures mémorables, victime de la concurrence du virtuel. En attendant ces lendemains meilleurs, une page de l'histoire du cinéma se tourne bien tristement.


Une pile de moules dont sont issues les créatures façonnées par Rick BAKER, nouvelle preuve de l'impossible coexistence des images de synthèse et des vrais effets spéciaux, n'en déplaise aux discours consensuels.


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Disparition du producteur Glenn LARSON. 

Glenn LARSON et un Cylon en armure de GALACTICA.

Décédé le 14 novembre 2014 des suites d'un cancer à l'âge de 77 ans, Glenn LARSON avait débuté dans la variété comme chanteur avant de fonder une famille et de se tourner vers le monde de la télévision, comme producteur et scénariste. On lui doit des séries aussi notables que LE FUGITIF (THE FUGITIVE), MAGNUM et L'HOMME QUI TOMBE A PIC (THE FALL GUY). Dans le genre fantastique et science-fiction, il faut porter à son crédit MANIMAL, K2000, BUCK ROGERS AU XXVéme SIECLE (BUCK ROGERS IN THE XXVth CENTURY) et GALACTICA, qui fut considéré comme un pastiche de LA GUERRE DES ETOILES par la Twenty Century Fox, déboutée de sa plainte pour plagiat. GALACTICA raconte la fuite des humains ayant colonisé l'espace devant l'avancé des envahisseurs cylons, et leur quête pour retrouver la Terre devenue mythique. Glenn LARSON y avait injecté un certain nombre d'idées issues de sa foi mormone. Certains épisodes furent remontés sous la forme d'un long métrage diffusé en salles. Initialement, les Cylons avaient été imaginés comme des humanoïdes reptiliens puis le synopsis a évolué pour imaginer des êtres robotisés gouvernés par une entité se faisant implanter plusieurs cerveaux additionnels. Une scène marquante voient les humains poursuivis par les Cylons chercher un refuge temporaire dans uns station intergalactique tenue par les Oviones, avant de réaliser avec horreur que ces créatures insectoïdes prévoient de livrer leur corps en pâture à leurs larves en gestation dans leurs alvéoles. En 2003, une nouvelle série inspiré de GALACTICA avait été produite par la chaîne SciFi (rebaptisée SyFy depuis) le temps de quatre saisons avec des Cylons robotisés et humanisés.


Autre disparition, celle de Mike NICHOLS le 19 novembre 2014, un cinéaste réputé et éclectique, s'étant partagé entre le théâtre et le cinéma. En 1973, il avait réalisé LE JOUR DU DAUPHIN (THE DAY OF THE DOLPHIN) avec George C. SCOTT, lequel, même si la forme se rapprochait davantage d'un téléfilm que d'un film hollywoodien, mettait efficacement l'accent sur l'intelligence du dauphin instrumentalisée sans scrupules par la Marine américaine, s'inspirant de faits réels, annonçant sur la même thématique l'émouvant PROJET X avec Mathew BRODERICK jouant le rôle d'un jeune scientifique confronté au sacrifice de la vie de chimpanzés entraînés par l'armée. Autre créature confrontée à l'homme, mais abordée par le biais du mythe, le loup et son pendant le loup-garou en lequel Mike NICHOLS avait changé l'acteur Jack NICHOLSON dans WOLF en 1994 grâce aux talents de Rick BAKER et d'Amalgamated dynamics. La créature mythique devenait l'essence de l'homme refoulée par l'hypocrisie des relations sociales et de leurs conventions malmenant la nature authentique de l'être.



Mike NICHOLS, George SCOTT et un dauphin surdoué promis à un triste destin, et Jack NICHOLSON laissant parler le loup qui sommeille en lui.


A propos de dauphins, un marsouin nain est en voie d'extinction imminente. Signez la pétition pour protéger cette espèce et diffusez s'il vous plaît, un cétacé a déjà disparu en ce début de millénaire, le dauphin d'eau douce chinois à long museau :

https://secure.greenpeace.org.uk/page/speakout/save-the-vaquita?js=false






samedi 20 septembre 2014

UN FOSSILE VIVANT VRAIMENT INATTENDU ?


Même si la densité de la vie est si grande dans les régions tropicales qu’on y découvre régulièrement de nouvelles espèces, il ne s’agit souvent que de variations de formes déjà connues, notamment des insectes qui vivent à proximité d’espèces végétales particulières, en raison d’un mimétisme destiné à permettre le camouflage au sein d’une végétation n’existant que dans une région très restreinte (une flore dite endémique), ou bien de la coévolution qui a amené l’émergence d’un Insecte spécifique propre à une Orchidée particulière, sélectionnant un seul type de pollinisateur. Des Vertébrés peuvent aussi être parfois découverts, comme tout récemment l’Olingo, ce parent du Kinkajou appartenant à la famille des Procyonidés, une famille de Carnivores du Nouveau monde dont le plus célèbre représentant est le raton-laveur.
C’est cependant dans l’océan, berceau de la vie animale, qu’on trouve la plus grande variété de types animaux. Si l’on excepte la faune microscopique des sols (pédofaune) qui inclut plus de diversité, les espèces rencontrées sur la terre ferme sont bâties sur un tout petit nombre de modèles, essentiellement deux, les Vertébrés (comportant Mammifères, Oiseaux, Reptiles et Batraciens) ainsi que les Arthropodes (incluant Insectes, Arachnides, Myriapodes (les « mille-pattes ») et quelques Crustacés représentés par les Cloportes), embranchements auxquels il faut ajouter certains Mollusques (Gastéropodes tels qu’Escargots et Limaces ) et les Annélides, au travers des vers de terre qu’ont ne voit qu’accidentellement à l’air libre.
Il en va tout autrement dans les mers, où peuvent être trouvés des représentants de groupes jalonnant les étapes de l’histoire de l’évolution animale sur notre planète, depuis des formes unicellulaires abondant dans le plancton comme les délicats Foraminifères et Radiolaires, des animaux primitifs tels que les Eponges (Spongiaires), Méduses et anémones de mer (Cnidaires), jusqu’aux précurseurs des Vertébrés, comme l’Amphioxus aux allures de poisson sans tête, et aux Poissons eux-mêmes – sans parler des Vertébrés retournés à la mer tels que tortues marines, serpents de mer, manchots, phoques, baleines et dauphins.
A côté d’une dizaine d’embranchements d’importance, on recense plus d’une vingtaine d’embranchements dits mineurs, ne comportant qu’un nombre restreint d’espèces actuelles et dont les liens de parenté sont discutés – on a eu l’occasion d’en évoquer quelques-uns dans des articles précédents comme les Cténaires ( comprenant les « groseilles de mer » et la « ceinture de Vénus »), les Kinorhynques au corps cuirassé et segmenté, les Loricifères dont certains vivent sans oxygène, les Némertiens ou vers rubanés ou encore les Pogonophores tentaculés et les « Hémichordés » (« vers à gland » et Ptérobranches).
C’est donc un potentiel nouvel embranchement qui est sur le point d’intégrer la classification zoologique, avec deux espèces voisines qui viennent d’être identifiées par le Docteur Jean JUST et ses collègues. Elles ont été placées dans le genre Dendrogramma, ce qui signifie « mesure d’arbre » en raison de leur ressemblance, vue du dessus, avec une coupe d’arbre montrant les cernes qui indiquent son âge. Les créatures prélevées sur le fond marin se présentent comme des champignons pourvus d’une bouche sur la partie supérieure, menant à un tube digestif, doté de nombreux diverticules.
Elles ne sont constituées que de deux couches de cellules, de la matière gélatineuse épaisse séparant la couche externe de celle de l’estomac - comme la «mésoglée» des Cténaires au sein de laquelle quelques cellules migrent pour constituer une timide amorce de troisième feuillet. Lors du développement embryonnaire, la plupart des animaux, hommes compris, se constituent à partir de trois couches cellulaires, ce qui devrait conduire à rapprocher ces nouveaux venus des autres espèces diploblastiques que sont, outre les Cténaires, les Cnidaires (méduses, coraux, hydres…) et les Eponges.


Une relique d’une époque qu’on croyait révolue ?
Cependant, ceux qui s’intéressent à l’histoire de la vie sont tentés d’établir un rapprochement avec certaines formes énigmatiques très anciennes de l’ère dite précambrienne. La faune d’Ediacara (dite aussi vendienne en se référant à un site russe où des formes semblables ont été trouvées) remontant à plus de 600 millions présente bien des créatures ayant une morphologie assez similaire, avec un corps aplati et certaines pourvues de sillons similaires internes comme sur un exemplaire très bien préservé de Dickinsonia

Reconstitution d'un Dickinsonia du Précambrien; traditionnellement, ces créatures sont perçues comme des formes rudimentaires, aspirant les nutriments au travers de l'épiderme, absorbés dans le corps applati, mais quelques exemplaires fossiles laissent voir à l'intérieur de l'animal un réseau que certains assimilent au tube digestif ramifié de certains vers plats marins (Turbellariés) et de quelques vers rubanés planctoniques (voir photo de l'un d'eux plus bas).

Des formes sessiles dotées d’un pédoncule, trouvées en Namibie et en Terre-Neuve, évoquent quelque peu aussi la silhouette générale du Dendrogramma, voire dans une certaine mesure, vu du dessus, les fossiles incroyablement anciens dégagés à Franceville au Gabon par l'équipe du professeur El ALBANI, à la symétrie quelque peu indiscernable, semblant eux aussi appartenir à un règne indistinct. Si les Dendrogrammatidés étaient apparentés à certaines de ces formes disparues, généralement considérées comme émanant d’une première tentative sans suite de l’évolution animale, sa permanence à notre époque serait une découverte encore plus étonnante que celle du Cœlacanthe..


Un autre organisme énigmatique à pédoncule éteint au Précambrien, Swartpuntia.

Cependant, cette perspective n’est pas si illogique, les espèces reliques, évincées par de nouvelles espèces, ayant tendance à survivre dans des niches marginales, souvent dans les profondeurs, où elles affrontent moins de concurrence. Il en va ainsi en effet du célèbre Cœlacanthe, parent marin des poissons dont les Vertébrés terrestres sont issus - d’autres parents peut-être plus proches mais moins célèbres, Dipneustes et Polyptères, « poissons à poumon », vivent eux en eau douce - qui s’est établi à plusieurs centaines de mètres de profondeur aux Comores et en Indonésie, mais aussi de bien d’autres rameaux de l’évolution animale principalement connus à l’état fossile dont on rencontre quelques descendants dans les abysses comme les Sclérosponges, une classe d’Eponges presque éteinte, la Néopiline, qui comporte quelques espèces semblant appartenir à une ancienne classe de Mollusques, les Monoplacophores ou Trybidiliacés, ou bien les Brachiopodes, à coquille bivalve mais dépourvus de tout lien de parenté avec les Mollusques, ou encore le genre Holopus, un type primitif au sein de la classe des Crinoïde («lys de mer »).
Les exemplaires de Dendrogramma ont été récoltés en 1986, mais les résultats de leur étude n’ont été communiqués qu’au début septembre 2014, afin de ne pas faire d’annonce prématurée. Il est vrai que le monde marin abonde en espèces atypiques, qu’on pourrait interpréter trop hâtivement. Dans l’article « Le tentacule d’ABYSS existe réellement », on a évoqué d’autres animaux gélatineux tels que les colonies de Siphonophores, les Cténaires et les Salpes. Le plancton comporte aussi d’atypiques Gastéropodes, les Hétéropodes et les Ptéropodes, et une « limace de mer » également évoquée dans le même article, Akera bullata, avec sa forme allongée et les deux lobes de son manteau, n’est pas totalement sans évoquer l’espèce de Dendrogramma qui présente un bord échancré. Les « pensées de mer » du genre Renilla, des « coraux mous » analogues aux "plumes de mer", ont une silhouette qui se rapproche des Dendrogramma avec leur pédoncule et leur aspect de palette, sauf que celle-ci porte de nombreux polypes. Certains animaux sessiles du précambrien qui ressemblent superficiellement à des « plumes de mer » mais sans polypes, les "Rangéiformes", ont été rapprochés des Cténophores en raison de leur anatomie interne malgré leur symétrie interne ternaire; la double symétrie bilatérale des Cténophores pourrait davantage se rapprocher des deux canaux binaires de Dendrogramma, d’autant qu’il existe d’ailleurs un Cténophore sessile actuel, Lyrocteis. Certains Némertiens (« vers rubanés ») qui vivent en haute mer (dits pélagiques) ont quant à eux un corps aplati en forme de feuille, translucide, et laissant voir les ramifications internes du tube digestif qui rappellent assez le nouveau genre, bien que celui-ci ait été à l’inverse trouvé sur le fond marin ; néanmoins, les Némertiens possèdent un fourreau avec une trompe. Enfin, une mystérieuse larve marine, Planktosphaera, qu’on rapproche des « vers à gland » est aussi pourvue de nombreux canaux internes, dérivés de la cavité générale et l’adulte n’a jamais été observé à ce jour, ce qui pourrait constituer une autre piste potentielle, même si, comme les Némertiens, il s’agit d’animaux à trois couches de cellules, ce qui nécessiterait alors d’envisager une simplification anatomique chez le nouvel animal au cours de son développement. Notons plus anecdotiquement que Dendrogramma pourrait se nourrir en piégeant des micro-organismes avec le mucus sécrété par ses lobes, de la même manière que les Protozoaires géants des abysses, les Xénophyophores.


Le tube digestif ramifié de ce ver rubané de haute mer (Némertien pélagique) nommé Pelagonemertes n'est pas sans rappeler celui du Dendrogramma, même si ce dernier semble être issu d'un modèle d'organisation plus primitif.


Un carrefour évolutif de plus en plus embouteillé…
En réalité, les animaux pluricellulaires (Métazoaires) primitifs ne sont pas circonscrits aux Eponges (Spongiaires), méduses, coraux (Cnidaires) et groseilles de mer (Cténaires). D’autres formes existent mais leur place dans l’évolution animale est assez délicate à établir et pour chacune est justement envisagé l’hypothèse d’une possible simplification secondaire. Ainsi, le groupe des Mésozoaires a ainsi été nommé car on les pensait représenter une étape intermédiaire à partir d’animaux unicellulaires (Protozoaires). Ces petits organismes au cycle complexe, constitués d’une couche cellulaire entourant un groupe de cellules plus spécialisées, se répartissent en Dicyémides (vivant dans le rein des pieuvres) et Orthonectides (parasites de divers animaux marins). Ils sont à présent souvent plutôt perçus comme des Métazoaires régressés, et peut-être non apparentés, les premiers pourraient être d’anciens Nématodes (groupe auquel appartiennent l’Ascaris et l’Ankylostome), les seconds issus de genres de douves, les adultes ressemblant d’ailleurs quelque peu à la larve ciliée de ces dernières.
Un autre petit animal très simple, Trichoplax, ressemble à une amibe faîte de deux couches de cellules superposées. Il a longtemps été pris pour une larve d’éponge avant de devenir l’unique représentant des Placozoaires, peut-être une forme rudimentaire de Cnidaire annonçant lointainement la méduse; certains ont même voulu faire de cette étrange créature aux cellules peu spécialisées un extraterrestre, à l'image d'une version miniature du monstre de DANGER PLANÉTAIRE (THE BLOB) - comme pour d’autres auteurs, les Tardigrades capables de survivre dans le vide absolu et donc ayant pu transiter dans l'espace, lesquels seront d'ailleurs portés à l’écran dans HARBINGER DOWN. Salinella n’est quant à lui constitué que d’une unique couche de cellules ciliées, mais pourvu curieusement de deux ouvertures, alors que le Trichoplax n’a aucun orifice, et que l’anus n’apparaît quant à lui que chez des animaux beaucoup plus organisés, les Némertiens. Certains doutent de son existence étant donné que seul le naturaliste FRENZEL l’a observé à la fin du XIXème siècle, devenant ainsi le « monstre du Loch Ness » des « invertébrés.. Tandis que le mystère demeure, une autre forme quelque peu analogue, Haplozoon, s’est quant à elle avérée être une colonie de Protozoaires flagellés parasites du groupe des Péridiniens.
La liste n’est pas exhaustive. Des parasites trouvés chez les poissons, les Myxozoaires, comportent un stade dit syncitial dans lequel le noyau se divise en un certain nombre d’autres, comme si la forme allait devenir pluricellulaire, mais la cellule elle-même ne se divise pas (la créature colloïdale géante de SOLARIS inventée par Stanislas LEM est d’ailleurs décrite comme syncitiale elle aussi). Un organisme pluricellulaire vermiforme parasitant une Ascidie découvert récemment, Buddenbrokia, paraît aussi être un animal pluricellulaire primordial, mais ses spores pluricellulaires se sont avérées très proches de celles des Myxozoaires, ce qui lui a valu d’être rapproché de ces simili-unicellulaires. En raison de la conformation du dispositif d’éjection spiralé des spores pluricellulaires qui rappelle celui des cellules urticantes des Cnidaires et suite à certaines analyses moléculaires, des chercheurs veulent voir en ces formes des méduses ou polypes très dégénérés; il est vrai que quelques espèces de Cnidaires parasites ont été répertoriées, néanmoins, un groupe de Protozoaires parasites, les Microsporidies (comme le Nosema étudié par PASTEUR qui parasite le ver à soie) était jadis classé auprès des Myxosporidies à cause de leur spore similaire quoique que celle-là soit composées d’une seule cellule, ce qui peut indiquer une simple convergence plutôt qu’un rapprochement, aussi, de la même manière que ces deux derniers groupes ont déjà été dissociés, cette analogie entre les spores pluricelullaires "à ressort" des Myxozoaires et de Buddenbrockia, et d'autre part les cellules venimeuses des Méduses et coraux, pourrait également être interprétée comme une simple convergence de forme.


Échantillonnage d'animaux primitifs de groupes méconnus. De gauche à droite et de haut en bas: Un Mésozoaire de la classe des Dicyémides présentant un aspect typique (certaines espèces ont une allure beaucoup plus informe); un Mésozoaire de la classe des Orthonectides, en l'occurrence une jeune femelle de Rhopalura, et à sa droite le stade informe (plasmode) caractéristique du cycle des Orthonectides, au sein duquel se développent les mâles et femelles de la génération sexuée; région antérieure de Buddenbrockia, l'animal de la série qui ressemble le plus à un ver, classé dans les Malacosporidies; en dessous, une cellule syncytiale de Myxobolus, un Myxozoaire, que les spores du début de son cycle ont conduit à rapprocher du précédent; Trichoplax, un Placozoaire, forme primordiale d'animal à deux couches de cellules; et enfin, un dessin de Salinella figuré par le naturaliste FRENZEL, qui est le seul à avoir observé le seul animal fait d'une seule couche cellulaire jamais découvert.

Par conséquent, la frontière entre animal unicellulaire et pluricellulaire est dorénavant parcellée d’une constellation de formes qui, aussi simples soient-elles, posent de complexes problèmes pour les interpréter, les situer les unes par rapport aux autres et reconstituer à travers elles cette étape majeure de l’histoire de la vie sur notre planète. Dendrogramma vient encore compliquer davantage cette généalogie ardue à établir mais passionnante.

L’inventaire zoologique toujours inachevé



Le scientifique Reinhardt KRISTENSEN arpentant le sol glacé hostile du Groenland; pas le genre d'endroit où l'on s'attendrait à découvrir un type d'animal totalement inconnu. Et pourtant...

Le nouvel organisme n’a plus jamais été découvert depuis sa capture initiale en 1986. Sa conservation dans l’alcool empêche de pouvoir procéder à des prélèvement d’A.D.N. valables. Même si les analyses moléculaires sont souvent contestables lorsqu’elles ne s’appliquent pas à des espèces proches, en raison du trop grand nombre de mutations intervenues qui faussent les comparaisons, une telle recherche aurait au moins permis de réduire la liste des hypothèses comme celle qui a envisagé que Dendrogramma ne représente que les écailles de certains vers marins annelés comme celles des « souris de mer » (par le passé, les mandibules, la bouche en forme de tranche d’ananas et le corps du plus ancien prédateur connu à l’état fossile, l’Anomolocaris, avaient initialement été interprétés comme des animaux distincts, respectivement un type de Crustacé, une forme de méduse discoïde et un concombre de mer).
Espérons que, si à la différence de nouveaux exemplaires toujours espérés de l’énigmatique Salinella, dont d’ailleurs le milieu naturel a disparu depuis, les chercheurs avaient la possibilité de trouver de nouveaux spécimens de Dendrogramma, ils sauraient se restreindre dans leurs prélèvements, pour éviter de mener à l’extinction une population peut-être rare, contrairement aux scientifiques qui ont causé la perte d’une espèce d’insecte très localisée et fait abattre pour leurs collections muséologiques les deux derniers Grands pingouins vivants, cet oiseau incapable de voler qui était pour les régions arctiques l’homologue des Manchots de l’hémisphère sud.


Le chercheur danois Reinhardt KRISTENSEN entouré des quatre derniers grands types animaux découverts, qu'il a contribué à étudier : de haut à droite et de haut en bas, une vue au microscope électronique de Dendrogramma, le petit dernier qu'on vient d'évoquer, le Symbion fixé sur un filament branchial vu au microscope électronique, seul représentant des Cycliophores, un Loricifère, et à l’extrême droite en bas Limnognathia, seul représentant des Micrognathozoaires, courageux conquérant des mares boréales.
Parmi les chercheurs ayant étudié le Dendrogramma figure un zoologiste incontournable, le Professeur Reinhardt KRISTENSEN. En incluant le nouveau venu, ce spécialiste des Tardigrades a ainsi contribué à la découverte de rien moins que quatre nouveaux embranchements, après les Loricifères, petits animaux en forme de pot de fleur, dont quelques-uns trouvés plus récemment se sont développés dans un milieu sans oxygène, les Cycliophores fixés sur les branchies des langoustines, au cycle vital incroyablement compliqué, puis enfin les Micrognathozoaires, avec le Limnognathia rampant à la surface des glaces groenlandaises, pourvu d’une impressionnante mâchoire. Des états de service assez glorieux, à une époque à laquelle beaucoup pourraient s’imaginer que les différentes branches de l’évolution animale sont déjà établies et inventoriées.



Même si cette créature aplatie imaginée par Al FELDSTEIN (à qui on a rendu hommage en mai dernier en ces pages ) pour une histoire de la série de bandes dessinées WEIRD SCIENCE, THE MONSTER FROM THE 4TH DIMENSION, ressemble à un Placozoaire, il est sans doute un peu audacieux d'imaginer que le Trichoplax soit d'origine extraterrestre...

liens : 
Pour rappel, on a déjà évoqué sommairement évoqué les Cténaires et les créatures du précambrien :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2008/09/le-tentacule-dabyss-existe-reellement.html
http://creatures-imagination.blogspot.fr/2012/01/la-valeur-nattend-pas-le-nombre-des.html
http://creatures-imagination.blogspot.com/2009/02/charles-darwin-et-le-debat-sur.html
http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/07/la-vie-animale-sans-oxygene-est.html

Le présent article a notamment été précédé par cet autre que le lecteur intéressé pourra également lire :                                                http://fish-dont-exist.blogspot.com/2014/09/un-nouveau-casse-tete-pour-les.html

et la publication originale indiquée par le précédent, généreusement accessible en libre accès :
http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0102976