Le réalisateur américain David Lynch au temps de Dune, en 1984, alors qu'il ressemblait à son acteur préféré Kyle MacLachlan.
Disparu le 15 janvier 2025, le cinéaste David Lynch était un génie pour les uns, et pour d’autres un « cinéaste inclassable », formule derrière laquelle se retranchaient prudemment les plus réticents envers son œuvre. Aussi discutée qu’ait pu être sa production, il eut l’honneur d’être appelé à présider le Festival de Cannes à l’instar d’un autre cinéaste controversé qui avait lui aussi débuté dans le Fantastique, David Cronenberg.
Comme le créateur
d’effets spéciaux italien Carlo Rambaldi qui s’était d’abord
intéressé à la sculpture animée avant que le cinéma ne fasse
appel à ses services, le réalisateur né le 20 janvier 1946 dans le
Montana à Missoula est venu au cinéma de manière incidente, sa
passion première étant également dévolue aux arts plastiques, et
tout particulièrement à la peinture qu’il a étudiée à l’école
Corcoran de Washington, à l’école du musée des Beaux-arts à
Boston puis approfondie plus particulièrement à l’université des
Beaux-arts de Pennsylvanie. Il continua régulièrement à pratiquer
l’art pictural et il a eu l’occasion de proposer en France des
expositions consacrées à ses peintures expressionnistes et à ses
lithographies, bien qu’il n’obtînt pas en ce domaine une
reconnaissance équivalente à celle dont bénéficie son cinéma.
C’est à l’université
de Pennsylvanie qu’il approcha pour la première fois la
réalisation en cherchant à donner du mouvement à ses peintures.
Après un court métrage d’animation, The Alphabet, il
obtint un financement de l’American Film Institute pour réaliser
The Grandmother, court-métrage utilisant comme décor son
propre domicile et contant l’histoire d’un garçon esseulé et souffrant d'énurésie qui
plante une graine pour faire "pousser
une grand-mère".
La gestation de la grand-mère dans The Grandmother en 1969.
Un début de carrière sous le signe de la
monstruosité
Cette vision insolite
préfigure l’univers de son premier long métrage, Eraserhead.
Sa réalisation nécessita quatre années de tournage souvent
nocturne, lorsque les acteurs étaient disponibles tandis que
lui-même gagnait sa vie en livrant matinalement des journaux dans
les boîtes aux lettres. Si le film déconcerta de prime abord le
public à sa sortie en 1977, il finit par susciter au gré de sa
programmation en seconde partie un véritable engouement qui lui vaut
d’être devenu un "film-culte"
– le peintre suisse Hans R. Giger avait même exprimé le souhait
de travailler avec David Lynch, mais il rapporte que celui-ci lui
aurait tenu rancune d’avoir selon ses dires pastiché sa créature
pour imaginer celle d’Alien
(il songeait à la forme fœtale dite "chestburster"
évoquée dans l’hommage récent à Roger Dicken qui l’a
construite).
Jack Nance, interprète ébouriffé au centre du film Eraserhead.
Earserhead
est pratiquement dépourvu de dialogue, présentant un univers
angoissant dans un cadre péri-industriel dont toute trace de nature
est réduite à une branche desséchée plantée dans une motte de
terre posée sur la table de chevet du personnage principal, Henry
Spencer, joué par Jack Nance. Celui-là est le père d’un curieux
enfant aux allures de fœtus animal couvert de bubons, peut-être
victime de mutations dues à la pollution, comme le poulet rôti dont
exsude une étrange substance, et la mère ne tarde pas à lui en
laisser la garde. Celui-là accapare son attention par les soins
constants qu’il nécessite et le détourne de sa jolie voisine sous
le rire moqueur de l’être, laquelle se laisse alors courtiser par
un homme vulgaire. Le film comporte aussi une scène onirique qui lui
confère son titre ("tête
à effacer"), un
rêve dans lequel la tête d’Henry Spencer est éjectée du col de
son costume pour être remplacée par celle de l’omniprésent
fœtus, puis traverse le plancher au travers d’une mare de sang
pour chuter dans une rue où un garçonnet l'amène à un atelier
d’usine, le cerveau servant à fabriquer une gomme. Excédé par la
place que prend sa progéniture souffrante, Henry finit par découper
le bandage qui entoure le bébé, révélant des organes à vif, mais
celui-là se met alors à grossir démesurément et l’homme se
trouve propulsé dans son monde fantasmatique qu’il apercevait dans
le radiateur, une scène de théâtre sur laquelle danse une fille
bouffie entourée de cordon ombilicaux qui se tortillent comme des
vers, et qui lui adresse un sourire naïf.

Henry dorénavant seul responsable de l'étrange progéniture, créée par David Lynch (plasticien à l'origine, le réalisateur n'a pas souhaité fournir de détails sur sa création, mais il est rapporté qu'il avait tenté initialement de concevoir lui-même le maquillage de son film suivant).
Dans une scène totalement onirique, Henry rêve que sa tête tombe pour être remplacée par l'être fœtal.
Le réalisateur David Lynch sur le tournage avec la réplique géante du bébé monstrueux pour la scène finale.
On
le comprend aisément à la lecture de ce résumé, Eraserhead
mélange l’absurde
et le surréalisme dans une imagerie très organique accompagnée
d’une bande son de bruits industriels que Lynch a mis un an à
créer, convoquant au travers de son symbolisme l’évocation d’un
monde dénaturé, dépourvu de sens, ainsi que l’angoisse de la
paternité dans un environnement qui semble menacer la santé – ce
qui n’empêcha pas le réalisateur d’avoir quatre enfants avec
des femmes différentes. Le film est introduit par un prologue
montrant un homme au visage grêlé dans une pièce en ruine
regardant au-dehors par une fenêtre cassée et poussant un levier
qui déclenche l’éjection d’un cordon ombilical, laissant au
spectateur le choix de décider s’il s’agit d’un démiurge,
d’un Dieu créateur, ou bien d’un responsable d’une catastrophe
industrielle – il est incarné par Jack Fisk, ami de David Lynch,
ayant contribué avec son épouse l’actrice Sissy Spacek (Carrie)
au financement d’Eraserhead
lorsque l’American
Film Institute a cessé d’apporter son concours financier au vu des
premiers échantillons du film qui avaient fortement déplu.

Jack Fisk, ami de David Lynch, interprète l'homme mystérieux qui catapulte un fœtus en direction d'Henry dans le prologue, allégorie probable d'un monde matérialiste et mécanique qui ne cesse d'altérer la nature dans toutes ses dimensions.
Une autre séquence étrange du film : Henry découvre qu'un ver, ressemblant à un Némertien (phylum des vers dits "rubanés) et animé par la technique de l'image par image (stop motion), a fait irruption dans son domicile ; sans transition, la créature se retrouve soudain à évoluer sur le sol rocailleux de la planète (photo du bas).
L’œuvre
a en revanche attiré l’intérêt du producteur Mel Brooks qui a
produit son deuxième long-métrage, également en noir et blanc,
Elephant Man
(The Elephant Man)
– Eraserhead
est d’ailleurs ressorti en France sous le titre de Labyrinth
Man dans l’espoir
illusoire de favoriser un rapprochement entre les deux œuvres dans
l’esprit du public. Le personnage principal est inspiré d’un
Britannique affligé de difformités congénitales très marquées
ayant réellement existé, Joseph (dit John) Merrick qui se
produisait dans les spectacles jusqu’à ce qu’ils fussent
interdits par les diverses autorités européennes. Trahi par son
impresario, abandonné en France et délesté de ses économies, le
"phénomène humain"
incarné par John Hurt,
maquillé par Christopher Tucker, finit
après une cohue attisée par une curiosité malsaine par retrouver
le chirurgien qui avait décrit son cas grâce à sa carte de visite,
présentée aux policiers, qu’il avait conservée, ses déformations
l’empêchant de pouvoir se faire comprendre oralement.

L'affiche du DVD du film Elephant Man (The Elephant Man) présente à côté du personnage éponyme portant le masque qu'il utilise pour se déplacer le Docteur Treves interprété par Anthony Hopkins dont la notoriété n'a cessé de croître depuis la sortie initiale de l'oeuvre de David Lynch. Un des médecins du film est joué par un Frederick Treves qui n'est autre que le petit-neveu du célèbre chirurgien?
L’histoire
du film est romancée, notamment parce qu’elle se base sur le récit
qu’en a livré le véritable Docteur Frederick Treves (Anthony
Hopkins) qui se présente comme un bon samaritain ayant sauvé
d’exploiteurs cruels un être infortuné – à l’inverse, des
pièces de théâtre l’ont dépeint comme un personnage cynique
ayant exploité l’aspect spectaculaire d’un malade incurable pour
sa propre notoriété (il a d’ailleurs été incarné parfois sans
maquillage pour laisser transparaître une condition humaine
universelle par des acteurs comme David Bowie en Angleterre et
Wilfried Baasner en Allemagne).
La vérité a été établie dans une étude, La
véritable histoire de L’Homme-éléphant,
qui établit que les forains n’étaient pas si vils que celui
incarné à l’écran par Freddie Jones et que le chirurgien avait
rendu à son propriétaire "son"
phénomène après l’avoir simplement décrit en tant que cas
clinique et interprété son inintelligibilité comme de
l’arriération mentale, avant de le retrouver dans les
circonstances précitées. Ainsi, l’intervention de Treves pour
confier John Merrick à l’hôpital, son enlèvement par le forain
s’estimant spolié puis sa rocambolesque évasion grâce à des
nains procèdent de la fiction, de même que le prétendu suicide de
cet homme très croyant est fort douteux, la rupture de la nuque
étant selon toute vraisemblance accidentelle et s’était produite
au petit déjeuner, et ne résultant donc pas d’une tentative
désespérée de « dormir allongé comme tout le monde »
(il faut savoir que sa condition s’aggravait, sa tête devenant de
plus en plus volumineuse).

La Princesse Alexandra (Helen Ryan), qui visite régulièrement Joseph Merrick conformément à la réalité, appuie le Docteur Treves et le directeur de l'hôpital Carr Gomm (John Gielgud) qui ont successivement fini par être touchés par le sort de la figure douloureuse hébergée dans l'institution et convaincus de son intelligence et de sa sensibilité, de sorte qu'en dépit des réticences devant l'état incurable du malheureux, ils parviennent à imposer au conseil d'administration qu'une chambre soit réservée de manière permanente au "phénomène" dans les sous-sols.
Dans la petite pièce mise à sa disposition, Joseph Merrick se réjouit des cadeaux que la bonne société lui adresse.
La véritable réplique en papier de l'église St Philip attenante à l'Hôpital royal de Londres telle qu'elle existe toujours de nos jours, figurée à l'arrière plan sur la photo précédente, qu'assembla avec soin Joseph Merrick de sa seule main valide et qu'il offrit à l'une de ses bienfaitrices, la cantatrice Mrs Kendal (incarnée dans le film par Anne Bancroft).
Il
n’en demeure pas moins que le film de David Lynch, à nouveau sur
fond d’univers industriel, est une œuvre sans défaut, cette
évocation de ce destin singulier faisant sourdre naturellement
l’émotion jusqu’à l’épilogue empreint de poésie, avec son
souffle de vie quittant son corps souffrant pour prendre son envol,
sur fond du bouleversant Adagio
for strings de Samuel
Barber.
Pour
son troisième long-métrage, David Lynch accepta le défi audacieux
de passer du film intimiste à la direction d’une œuvre à grand
spectacle, à fortiori l’adaptation du célèbre roman Dune
de Frank Herbert à laquelle avaient déjà dû renoncer Alejandro
Jodorowski et Ridley Scott. En dépit des critiques injustes des
adorateurs de la source littéraire, le cinéaste remporte son pari,
en livrant un bon condensé de l’œuvre, servi par la musique
mystique de Brian Eno et de son groupe Toto et par le sens de
l’esthétique très travaillée du chef décorateur Tony Masters.
David Lynch renia cependant son film en affirmant qu’il avait été
privé du droit de décider du montage final.
Une moissonneuse d'épice, un des très beaux modèles construits pour Dune.
Le
réalisateur ne voulait pas faire de Dune
un « film de monstres », aussi réduisit-il les
apparitions des vers géants caractéristiques de la planète et lorsqu’ils apparaissent à l’écran, ils sont malheureusement pour l’essentiel recouverts de sable. La scène d’ouverture
montre en revanche un impressionnant mutant, un Navigateur de la
Guilde transformé par la précieuse épice d’Arrakis, lesquels
n’apparaissent que dans les volumes suivants, constituant un des
débuts les plus extraordinaires dans l’histoire du cinéma. La
monstruosité est aussi présente au travers du repoussant Baron
Harkonnen (Kenneth McMillan, assez méconnaissable) couvert de pustules
purulentes comme le bébé d’Eraserhead.
Sorte de Coluche diabolique, Kenneth McMilan compose un manipulateur Baron Harkonnen rebutant au physique comme au moral.
La stupéfiante entrée d'un mutant géant, un Navigateur de la Guilde dans son habitacle venu à la rencontre de l'Empereur de l'Univers (joué par José Ferrer, de dos) au début de Dune, afin de lui dicter les exigences de sa puissante et redoutée caste.
La planète des sables héberge des vers de taille beaucoup plus considérable que celle de leurs homologues d'Erasehead. Cette œuvre cinématographique présente des modèles concrets à la différence des adaptations ultérieures, ce qui rend beaucoup plus convaincante la séquence dans laquelle Paul Atreides (Kyle MacLachlan) et les habitants d'Arrakis entrent en contact avec les monstres et parviennent à se hisser sur leur dos (photo du bas).
L’adieu au
Fantastique et le cheminement vers l’hermétisme
Comme David
Cronenberg après La
Mouche, David Lynch
parut vouloir après Dune
rompre avec l’étiquette du Fantastique qui l’avait fait
connaître. En dépit des différends avec le producteur sur ce
dernier film, Dino de Laurentiis lui offrit une nouvelle opportunité
en lui permettant de tourner Blue
Velvet en 1986, un film
mettant l’accent sur la violence sous-jacente dans une petite ville
de province, symbolisée par la découverte sur une pelouse d’une
oreille tranchée, et dont le réalisateur partagea alors durant
plusieurs années sa vie avec son actrice principale Isabelle
Rossellini. Bien que ne relevant pas à proprement parler du genre
fantastique, le film fut présenté au Festival du film fantastique
d’Avoriaz dans la ligne d’Eraserhead
qui avait obtenu le Prix de l’Antenne d’or en 1978 et d’Elephant
Man qui se vit décerner
le Grand Prix en 1981. Il se vit à son tour gratifié du Grand Prix
tandis que La Mouche
n’hérita que du Prix spécial du jury, ce qui suscita quelque
contestation chez les cinéphiles, et même si les critiques louèrent
une mise en scène étudiée générant un climat oppressant, il est
patent qu’à l’inverse du film concurrent de David Cronenberg,
David Lynch s’est affranchi du Fantastique explicite, dont il
demeura définitivement éloigné – son concurrent y reviendra
occasionnellement avec Existenz
puis beaucoup plus tard avec l’assez malsain et déconcertant
Crimes of the Future,
homonyme d’un de ses premiers longs-métrages expérimentaux.
Dorénavant,
donc, David Lynch préférait se cantonner au registre de l’Insolite,
qu’il exprimait au travers des spécificités variées de sa mise
en scène et des expérimentations narratives. En 1990, Sailor
et Lula (Wild
at Heart) est moins
retenu, s’apparentant à une version très colorée, bruyante et
ultra-violente de Roméo
et Juliette qui
préfigure le cinéma de Quentin Tarantino.
Au début des
années 1990, il profita d’une grève des scénaristes pour
proposer son feuilleton Twin
Peaks qui, sous couvert
d’une enquête visant à établir les responsabilités dans la mort
de Laura Palmer (Sheryl Fenn) dont le cadavre dévêtu a été trouvé
sur une voie ferrée, amène à faire la connaissance des différents
habitants quelque peu pittoresques de la petite ville éponyme « aux
pics jumeaux », dont certains peu recommandables comme l’homme
d’affaires incarné par l’acteur Richard Beymer ou le propre père
de la défunte joué par Ray Wise (Robocop,
L’abîme)
qui finit par se dévoiler sous un jour assez inquiétant. David
Lynch y apparaît lui-même en tant qu’envoyé du FBI malentendant,
dans des séquences d’un intérêt discutable – pour le film de
Spielberg The Fabelmans,
il endossera le rôle du réalisateur John Ford. La série s’achève
sur une tonalité psychédélique semblant ouvrir sur une autre
dimension peut-être liée à un lieu sacré amérindien et dont
paraissent surgir régulièrement un nain mystérieux et un géant
patibulaire. Le réalisateur donna un prologue cinématographique à
la série en 1992, Twin
Peaks : Fire Walk with Me,
qui détaille la dernière semaine de Laura Palmer puis, vingt-six
ans après le feuilleton originel, il ajouta une suite télévisée à
la série, à la tonalité plus ouvertement ésotérique et mettant
en scène un double maléfique.


L'image d'introduction de la série Twin Peaks et son interprète principal en dessous, l'enquêteur Dale Cooper joué par Kyle MacLachlan à côté de la sœur jumelle de Laura Palme (Sheryl Fenn).
En 1997, il signa
son film le plus déconcertant, Lost
Highway, à l’intrigue
opaque et décousue, dominée par la figure mystérieuse d’un
effrayant personnage interprété par Robert Blake. Deux ans plus
tard, il renouait provisoirement avec un cinéma plus traditionnel
sous forme de "road
movie",
d’après un scénario écrit par sa compagne Mary Sweeney, Une
histoire vraie
(The
Straight Story,
un titre original à triple sens puisque l’adjectif désigne aussi
bien la rectitude que la ligne droite et qu'il s'agit aussi du nom du personnage). Il narre la traversée
effectuée sur sa tondeuse à gazon automobile par un vieil homme
malade désireux de renouer avec son frère mourant auquel il n’a
plus adressé la parole depuis des années, un voyage parsemé de
rencontres avec des personnages originaux ou attachants, aventure
mélancolique à laquelle le cinéaste confère une touche de
sensibilité empreinte d’humaniste.

Le héros tranquille et émouvant d'Une histoire vraie (The Straight Story), Alvin Straight incarné par Richard Farnsworth.
Le
film suivant, Mulholland
Drive
en 2001, prend l’exact contre-pied, revenant à une atmosphère
plus pesante pour montrer le caractère superficiel de la société
hollywoodienne dans laquelle une jeune actrice débutante (Naomi Watts)
est introduite par une vedette amnésique (Laura Harris) qu’elle a
secourue et qui lui laisse accroire qu’elle tisse avec elle une
relation particulière. Le film s’achève par une froide vengeance
à l’encontre de celle qui l’a séduite puis humiliée. Son
ultime film, Inland
Empire,
entremêle plusieurs intrigues de manière absconse à la manière de
Lost
Highway,
et à la différence de Mulholland
Drive,
il s’avéra être un échec commercial qui amena le réalisateur à
renoncer au 7ème art. Dès lors, il se concentra sur d’autres
moyens d’expression comme la photographie.

L'aspirante actrice croit avoir trouvé une personne bienveillante au travers d'une vedette au secours de laquelle elle s'est portée dans Mulholland Drive, mais elle découvrira qu'elle est plus une peste brune et son dépit la décidera à la faire assassiner dans la conclusion du film.
Personnalité
assez atypique, David Lynch pouvait sembler quelque peu hermétique à
la manière de certaines de ses réalisations, et jusqu’à refuser
de communiquer aux producteurs le scénario du film qu’ils
produisaient. Il attachait une importance particulière à la
bande-son, ayant réalisé une nouvelle piste sonore pour les
bruitages d’Eraserhead
à l’occasion de sa ressortie. Pour Elephant
Man,
John Morris lui proposa une très belle partition, en complément du
sublime Adagio
for strings
de Samuel Barber. Pour Dune,
le groupe Toto signa une composition tout à fait remarquable.
Lorsque David Lynch rompit avec le fantastique, il rencontra celui
qui deviendra son compositeur attitré et contribuera grandement à
l’atmosphère de ses films, Angelo Badalamenti, avec ses belles
mélodies envoûtantes au synthétiseur, qui nous introduisent dans
la petite ville de Twin Peaks ou accompagnent puissamment l’émotion
suscitée dans Une
histoire vraie.
Celle composée pour Mulholland
Drive,
tout en n’étant pas dysharmonieuse, est incroyablement sombre,
presque tétanisante, comme une nappe d’angoisse et de désespoir
qui recouvre tout, au point qu’elle fut utilisée pour illustrer un
documentaire sur l’assassinat déguisé en suicide de Frank Olson,
un chercheur qui voulait dénoncer dans le cadre du "Projet
artichaut"
l’utilisation par la CIA de prisonniers de guerre pour tester des
substances psychotropes dangereuses.
David
Lynch reconnaissait être un grand fumeur, pratique ayant entraîné
de graves difficultés respiratoires. À l’occasion des incendies
ayant ravagé Los Angeles, il fut évacué de son domicile mais les
fumées toxiques aggravèrent son emphysème auquel il finit par
succomber le 15 janvier 2025 à l’âge de 78, bien triste ironie
que de périr d’émanations de feux ravageurs lorsqu’on pense au
titre original de son adaptation cinématographique, « Le feu
marche avec moi ».
Jeannot
Szwarc et ses vilaines bêtes
Un
réalisateur français s’est éteint le même jour à Paris à
l’âge de 87 ans. D’origine polonaise, Jeannot Szwarc avait réalisé
à partir des années 1960 un nombre considérable de séries
télévisées, débutant par la création de la série L’homme
de fer,
suivie notamment par un épisode de la série policière Columbo,
Adorable
mais dangereuse
avec la participation de Martin Sheen et Vincent Price, par deux
épisodes de La
cinquième dimension,
puis la cinquième et dernière saison de la série de
science-fiction Fringe,
sans oublier un certain nombre de téléfilms.
Il
avait également réalisé une douzaine de longs métrages, dont
trois comédies françaises entre 1994 et 1997, La
vengeance d’une blonde,
Hercule
et Sherlock
et Les
sœurs Soleil. Il
a aussi à l’occasion mis en scène quelques créatures féroces.
Le producteur et réalisateur de films de série B, William Castle
(Le
désosseur de cadavres,
13
Ghosts)
produisit pour sa dernière contribution au 7ème art Les
insectes de feu
(Bug)
que Jeannot Szwarc réalisa en 1975, d’après le roman Hephaestus
Plague
de Thomas Page que l’écrivain a lui-même scénarisé avec Castle.
Le film qui raconte les tragédies causées par une espèce de
blattes capables de générer des incendies en frottant leurs cerques
(filaments terminaux) est très comparable à Phase
IV
sorti deux ans plus tôt, qui montrait l’humanité balayée par la
civilisation des fourmis guidée par un message extraterrestre,
d’autant plus que les séquences des insectes en macrophotographie
ont été dans les deux cas effectuées par Ken Middleham et que la
musique expérimentale de Charles Fox est assez comparable à celle
de Brian Gascoigne qui l’a précédée. Le chercheur Brian
Parminter (Bradford Dillman, vu dans Les
évadés de la planète des singes
(Escape
of the Planet of the Apes),
L’inévitable
catastrophe
(The
Swarm)
et Piranhas)
dont l’épouse a succombé aux envahisseurs aspire à trouver un
moyen de les détruire mais est aussi fasciné par l’intelligence
qu’ils manifestent au point de s’assembler pour former des mots.
Il périt à son tour, mais le resserrement de la faille dont ils
s’étaient échappés semblent promettre la fin du péril.




Les insectes de feu (Bug) avec ses punaises incendiaires qu'un entomologiste s'efforce d'étudier au péril de sa vie.
C’est
une créature redoutable de bien plus grandes dimensions que Szwarc
dirige en 1978 en donnant une suite aux Dents
de la mer (Jaws).
Le film reprend sans grande imagination, mais sans faiblir, les
situations précédentes, avec le garde Brody (Roy Scheider) toujours
plus déterminé, mais encore plus esseulé, à vouloir alerter du
retour du grand requin blanc anthropophage face à des autorités
cyniques refusant de se priver de la manne touristique, œuvre qui
s’achève cependant en apothéose avec le squale s’attaquant à
un hélicoptère.
Tel Cassandre, Martin Brody (Roy Scheider) tente inlassablement de convaincre un monde incrédule; à commencer par le maire Larry Vaughn (Murray Hamilton) de l'attaque imminente d'un grand requin mangeur d'hommes.
En
1984, Szwarc donna un pendant féminin à Superman
avec Supergirl,
qui met en scène les exploits surhumains d’une jeune fille (Helen
Slater) censément extraterrestre, contrecarrant les projets d’une
sorcière maléfique (Faye Dunaway) dont la sorcellerie se traduit même par
l’apparition fugace d’un dragon.
Supergirl et la sorcière qu'elle combat.
Une vue plus nette du dragon que dans la séquence, qui surgit brièvement dans Supergirl.
Le
film qui a valu la plus grande consécration au réalisateur est
Quelque
part dans le temps
(Somewhere
in Time),
qui s’était vu décerner en 1981 le Prix de la critique du
Festival international du film fantastique d’Avoriaz et avait été
sacré meilleur film à la création du Fantafestival de Rome
célébrant les films fantastiques et de science-fiction. Il est basé
sur un roman de Richard Matheson dont l’auteur a lui-même écrit
l’adaptation. Il entraîne un jeune
écrivain en pleine remise en cause professionnelle et amoureuse,
Richard Collier, interprété par Christopher Reeves qui a prêté
ses traits à la plus célèbre incarnation au cinéma du personnage
de Superman, à la recherche de traces d’une actrice du début du
siècle dont il a découvert le portrait dans une chambre d’hôtel
de Chicago. Il est amené à réaliser qu’il l’a croisée âgée
lors d’une fête, celle-ci lui ayant offert une montre et demandé
qu’il lui revienne. Bientôt sous l’emprise de cette attirance,
il parvient avec les encouragements de l’écrivain préféré de
l’ancienne actrice à se projeter dans le temps au travers d’un
effort de concentration et à y rencontrer Elise McKenna jeune (Jane
Seymour, qui fut notamment l’héroïne de Sinbad
et l’œil du tigre),
sur laquelle veille avec une grande rigueur son chaperon incarné par
Christopher Plummer qui lui intime de se vouer de manière exclusive
à sa vocation artistique. Le jeune homme parvient néanmoins à
entrer en contact avec la jeune femme mais à la vue d’une pièce
de monnaie moderne qu’il avait oubliée dans une poche de son
pantalon, le charme est rompu et Richard Collier se retrouve
instantanément dans sa chambre d’hôtel où il paraît très âgé
et mourant ; la fin tragique s’achève cependant par une vision
luminescente laissant imaginer que les deux êtres pourraient
peut-être se retrouver dans l’au-delà (une séquence qui rappelle d'ailleurs l'épilogue de Mulholland Drive et même d'Eraserhead semblant réunir les êtres dans une vision éthérée).



A force de concentration mentale, Richard Collier (Christopher Reeves) finit par remonter dans le temps jusqu'à l'époque à laquelle Elise McKenna (Jane Seymour) était encore une jeune actrice et cherche à la rencontrer en dépit de l'hostilité de son mentor (Christopher Plummer) qui écarte sans ménagement tout ce qui peut la distraire de l'art dramatique.
Le
réalisateur donne corps à cette fiction sentimentale jouée
sobrement par ses interprètes principaux, et qui est portée par la
musique lyrique et envoûtante de John Barry permettant le temps du
film d’adhérer à une histoire de romance au travers du temps. Il
exprime toute la mélancolie de l’aspiration romantique souvent
illusoire qui porte à croire qu’il existe quelque part pour chacun
une personne qui lui est destinée, laquelle en ce monde contemporain
cynique et toujours plus superficiel pourrait bien n’avoir
malheureusement d’autre existence que dans une époque révolue.
Une vieille photo symbolisant un amour impossible.
MISE A JOUR : L'acteur américain Peter Jason est décédé le 20 février 2025 à l'âge de 80 ans. A l'instar de David Lynch avec Jack Nance et de Joe Dante avec Dick Miller, John Carpenter le faisait régulièrement apparaître dans de petits rôles dans ses films.
Peter Jason dans le rôle de Gilbert, membre actif de la résistance dans Invasion Los Angeles (They live) en 1988.
Après avoir débuté dans le théâtre, Peter Jason avait endossé 250 rôles à l'écran. Visage massif, sa physionomie rappelait un peu un mélange entre celles d'Orson Welles, Malcolm McDowell et Tom Atkins. Il avait joué en 1970 dans Rio Lobo, le dernier film d'Howard Hawks, cinéaste favori de John Carpenter. Il était apparu dans pas moins de sept films de John Carpenter, Prince des ténèbres (Prince of Darkness) en 1987 dans le rôle d'un des scientifiques étudiant un étrange fluide qui s'avère être une matérialisation des puissances sataniques, dans Body Bags en 1993, L'Antre de la folie (In the Mouth of Madness) en 1994, Le Village des damnés (Village of the Damned) l'année suivante, Los Angeles 2013 (Escape from L.A.) en 1996 et Ghosts of Mars en 2001, mais c'est surtout dans Invasion Los Angeles (They live) en 1988 que sa présence est la plus notable en tant que solide pilier d'un réseau de résistance qui découvre que des extraterrestres ont infiltré les Etats-Unis dans cette vision satirique du capitalisme décomplexé ouvert par la mandature de Ronald Reagan. Dans le genre qui nous est cher, signalons encore sa participation à Hyper Sapien : People from Another Star en 1985, Futur immédiat (Alien Nation) en 1988, Arachnophobie (Arachnophobia) en 1990, Congo en 1998, une nouvelle adaptation du célèbre roman de Robert Louis Stevenson, The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde réalisée en 2006 par le concepteur d'effets spéciaux John Carl Buechler avec dans le rôle principal Tony Todd - interprète de l'effrayant croquemitaine de Candyman, décédé en novembre 2024, ou encore à The Demon inside (The Assent) en 2019.
Nota
: la majeure partie de ces œuvres et un millier d’autres films
sont évoqués ainsi que l'historique des effets spéciaux concrets
dans une Histoire de l’imaginaire à l’écran, Quand le cinéma
était réellement fantastique, avis aux éditeurs décidés qui
permettraient de mettre cette somme à disposition des lecteurs
intéressés, à commencer par ceux de ce site.
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