David Allen a disparu il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, le 16 août 1999. Il était avec Jim Danforth un des principaux disciples de Ray Harryhausen, ce dernier, auteur des trucages d’un monument du 7ème art comme Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts), ayant lui-même été l’apprenti de Willis O’Brien qui avait popularisé la technique de l’animation de figurines image après image (stop motion) avec Le monde perdu (The Lost World) en 1925 puis King Kong en 1933, avant d’être rejoints par Phil Tippett, Doug Beswick, Tom St Amand, Peter Kleinow, Randall William Cook ou encore Steve Archer pour ne citer que les plus célèbres. Après toutes ces années, il redevient d’actualité à la suite d’un évènement un peu singulier.
Né le 22 octobre 1944, David Allen avait fait ses débuts dans le court-métrage estudiantin Equinox en 1970, dont le producteur de Danger planétaire (The Blob) Jack Harris avait fait un long format. Il offrit aussi simultanément ses services à la publicité, dont une fameuse parodie de King Kong que la firme Volkswagen décida finalement de ne pas diffuser en estimant que l’emploi d’un singe géant au volant d’une de leurs automobiles ne servait pas l’image de prestige que voulait cultiver la communication plus sophistiquée de la marque. Les pâtisseries devenant de petits personnages dans la séquence horrifico-comique du Secret de la pyramide (Young Sherlock Holmes) dans laquelle ils tourmentent un jeune boulimique semblent d’ailleurs tout droit sortir d’une réclame.
L’animateur avait contribué à nombre de films depuis les années 1970 comme Quand les dinosaures dominaient la terre (When Dinosaurs ruled the World) en 1970, un digne pastiche d’Un million d’années avant J.C. (Un million Years B.C.) agencé par le maître Harryhausen, démontré à nouveau son excellence avec l’animation du plésiosaure survivant du Mésozoïque de Crater Lake Monster en 1977, production modeste au scénario imparfait mais bénéficiant d’effets spéciaux et d’une photographie dignes d’un film à grand budget, œuvrant comme pour le précédent aux côtés de son ami Jim Danforth, ainsi qu’avec le monstre légendaire mis en scène par Larry Cohen dans Q – the Flying Serpent en 1982. Il a aussi créé la séquence du babouin se momifiant instantanément des Prédateurs (The Hunger), assuré l’animation du gremlin sur l’aile de l’avion pour certains plans du dernier sketch de l’adaptation cinématographique de La Quatrième dimension (Twilight Zone : The Movie), de la masse anthropophage de The Stuff, une dénonciation satirique des pratiques cyniques de l’agroalimentaire par Larry Cohen*, concouru à l’animation des pantins homicides des Poupées (Dolls), du dragon bicéphale de Willow, des petits engins extraterrestres de Batteries non included, des arthropodes géants de Chérie, j’ai rétréci les gosses (Honey, I shrunk the Kids), et des manifestations surnaturelles de S.O.S. Fantômes 2 (Ghostbusters II). Il avait encore animé la séquence image par image coupée de Hurlement (The Howling) montrant un rassemblement nocturne de loups-garous bipèdes. Dans les dernières années, l’animateur avait surtout travaillé sur des productions moins prestigieuses de Charles Band ; outre les colosses de ferraille de Robojox donnant l’impression d’être gigantesques et les dinosaures lilliputiens de Prehysteria, il s’était chargé des personnages miniatures de films versant souvent dans la semi-parodie. Il avait fondé sa propre compagnie d’effets spéciaux, David Allen Production, qui fut après sa disparition reprise par son assistant Chris Endicott.
Il existe un projet auquel est associée la vie de David Allen, celui de The Primevals. David Allen a écrit le scénario dès 1967 sous le titre Raiders of the Stone Ring. Dans cette histoire, un zeppelin chargé de larguer des bombes est au cours de la Première Guerre mondiale détourné par une tempête apocalyptique jusqu’à une terre inconnue peuplée d’hommes-lézards et de paresseux géants, et est aussitôt la cible d’une attaque par un groupe de reptiles volants contemporains des dinosaures. Jim Danforth et Dennis Murren révisèrent l’histoire sous la forme d’un traitement d’une trentaine de pages. La société Cascade Picture, une importante compagnie de production de films publicitaires pour laquelle travaillait couramment Jim Danforth, témoigna d’un vif intérêt pour le projet, mais n’y donna finalement pas suite.
L’année suivante, la société anglaise Hammer qui s’enthousiasmait pour le travail de Danforth et d’Allen sur leur production Quand les dinosaures dominaient la terre (When Dinosaurs ruled the World) se montra désireuse de porter à l’écran le sujet. Cependant, les producteurs trouvaient que les séquences-test manquaient de ressort dramatique et ils rebaptisèrent aussi le film du titre très explicite de Zeppelin versus Pterodactyls. Il s’avéra progressivement que les producteurs pressaient David Allen de questions sur la faisabilité du projet, étant échaudés par le temps nécessité pour la réalisation des effets spéciaux de Quand les dinosaures dominaient la terre, se montrant ainsi moins disposés à se lancer dans un nouveau film comportant beaucoup d’animation image par image, et par ailleurs, que le nouveau titre de Zeppelin versus Pterodactyls n’éveillait aucun intérêt de la part de potentiels distributeurs américains. De surcroît, David Allen lui-même commença à se désinvestir du projet. Non seulement il n’appréciait pas la réécriture du scénario sous l’égide de la Hammer, lui paraissant, en empruntant aux récits d’Edgar Rice Burroughs, verser dans un genre d’aventure et de romance par trop conventionnel, mais cette nouvelle mouture lui avait fait prendre conscience de la faiblesse de sa propre histoire initiale mise en évidence par ses bouts d’essais. Enfin, il n’avait pas touché un seul centime de la compagnie en échange de son implication prolongée.
Néanmoins, David Allen n’avait pas complètement renoncé à son sujet et il s’était mis à réviser son script. Il reçut finalement l’aide d’un autre animateur, Randall William Cook, pour refondre l’histoire, lequel était soutenu par un producteur qui souhait lui en confier la réalisation mais qui fut jeté en prison. Par l’intermédiaire du maquilleur Steve Neill, David Allen et Randall William Cook furent engagés par le producteur Charles Band pour donner vie aux extraterrestres reptiliens qui apparaissent au début et à la fin du film Laser Blast. Le script de Raiders of the Stone Ring fut d'abord réintitulé The Glacial Empire au début des années 1970 et c'est semble-t-il à cette époque que David Allen décida d'attribuer aux hommes-lézards une origine extraterrestre. Au fil des réécritures, le projet qui devint The Primevals vit aussi l’adjonction du personnage de yéti colossal dont l’autopsie révèle une intervention non humaine. Le scénario dévoile la découverte d’une cité installée dans l’Himalaya par des extraterrestres d’aspect reptilien. Cette œuvre de longue haleine à laquelle son concepteur ne cessa jamais réellement de se consacrer parut définitivement compromise lorsque le cancer emporta David Allen en 1999.
Cependant, le producteur Charles Band avait récemment annoncé qu’il n’avait pas renoncé à ce que le film soit terminé, affirmant que l’essentiel avait déjà été tourné, non seulement les prises de vue réelles avec les acteurs - incluant Robert Cornthwaite connu notamment pour son interprétation du scientifique de La Chose d'un autre monde (The Thing from Another World) en 1951, mais aussi une bonne part des effets spéciaux, l’animateur ayant fait appel au renfort de Randall William Cook et de Peter Kleinow afin de l’assister pour les séquences employant la technique d’image arrêtée. Le dirigeant de la Compagnie Full Moon Pictures (anciennement Empire) a prouvé tout récemment qu’il avait bien tenu son engagement de donner corps au rêve de toute une vie de David Allen, en complétant l’investissement consenti par sa société avec un financement participatif proposé au travers du site Indiegogo. On pourra noter qu’entre-temps, l’animateur Peter Montgomery a entrepris en faisant appel à la même ressource de réaliser un autre film comportant des séquences d’animation propulsant des personnages de l’époque victorienne dans des aventures rocambolesques les confrontant dans un monde inconnu à des créatures hostiles, Dark Earth, dont il a été ici question précédemment. Ainsi, le producteur Charles Band a pu annoncer à la mi-juin 2023 que le film était finalement terminé.
The Primevals ne convaincra peut-être pas les détracteurs catégoriques de l’animation image par image, en dépit de la volonté affichée de David Allen d’entraîner le spectateur dans un grand film d’aventure ne se réduisant pas à ses effets spéciaux. Il faut néanmoins rappeler aux spectateurs l’incroyable perfection qu’a permis cette technique de reconstitution de mouvements sur une figurine comme dans les apparitions saisissantes de la terrifiante Gorgone au regard fulgurant rampant sinistrement dans son antre à la lueur de l’âtre pour semer la mort dans Le Choc des titans (Clash of the Titans), fabuleusement mises en œuvre par Ray Harryhausen, et les courts plans du dragon Falkor à la fourrure frémissante ondulant dans les cieux de L’Histoire sans fin (The Neverending Story) et surgissant in extremis pour sauver le héros Atreyu sur une majestueuse partition de Klaus Doldinger, imputables au talent de Steve Archer – des articles détaillés suite à leur disparition ont été consacrés sur ce site à ces deux magiciens du cinéma. Il convient de saluer la persévérance d’un artiste à l’échelle d’une vie, ainsi que la constance d’un producteur qui a su se donner les moyens de mener à son terme le projet par-delà la disparition de l’animateur qui y tenait tant, et il incombe dorénavant aux spectateurs de se laisser porter par l’atmosphère de dépaysement en acceptant la part inhérente de naïveté renvoyant à l’imaginaire juvénile que promet cette aventure si longtemps différée.
1 commentaire:
Merci pour cet article très détaillé. Cela fait tellement d'années que je lis sur le film Primeval que j'ai depuis longtemps, à tort, cru qu'il avait été terminé. Bien hâte de le voir enfin.
Enregistrer un commentaire