samedi 25 mai 2019

UN SERVITEUR DE L'EMPIRE AUX MARIONNETTES DIABOLIQUES

John Carl Buechler et ses petits monstres de Ghoulies.


La disparition du réalisateur Larry Cohen cinq jours plus tard, auquel a été ici consacré un hommage le mois précédent, a quelque peu occulté celle du maquilleur et créateur d’effets spéciaux John Carl Buechler décédé le 18 mars 2019 à l’âge de 66 ans victime du cancer, sur la carrière duquel il paraît légitime de revenir. Son épouse avait révélé il y a quelques mois la gravité de son état, ayant initié une collecte dans l’espoir de pouvoir réunir une somme suffisante pour recevoir les soins nécessaires, même si lui-même, à l'instar de l’acteur Simon McCorkindale comme on l'évoquait suite à sa disparition, professait son espoir dans la médecine naturelle à base de plantes.  

Il avait débuté dans le métier grâce à au costume de monstre de l’espace qu’il avait conçu et endossé à la fin des années 1970 pour un court métrage très populaire dans les conventions de science-fiction américaines, The Thing in the basement, et qui eut l'honneur de la couverture du numéro 11 du magazine Cinemagic dévolu aux effets spéciaux. L'oeuvre ressortit dix ans plus tard en vidéo dans l'anthologie Fright Show en 1985 rassemblant trois autres courts métrages. Cela lui valut d’être engagé pour concevoir des extraterrestres velus inspirés d’animaux terrestres pour la série de CBS Jason of Star Command.



John Carl Buechler posant avec sa première création publique, l'extraterrestre du court-métrage The Thing in the basement, en haut, un gros plan qui annonce quelque peu les extraterrestres de la série Au-delà du réel, l'aventure continue (The New Outer Limits), au milieu, et la même créature qui évoque en contre-plongée le fameux croquemitaine Freddy Krueger, personnage sur lequel le maquilleur aura l'occasion de travailler.


Quelques citoyens pittoresques de la série Jason of Star Command.

Le maquilleur fait merveille dès 1981 à l’occasion de Mausoleum de Michael Dugan, qui ne sera distribué qu’en 1983, dans lequel une épouse (Bobbie Bresee, qui sera l’objet d’une autre transformation, en créature de l’espace insectoïde dans Evil Spawn) est possédée par un démon la poussant à tuer ses proches. John Carl Buechler conçut sa transformation démoniaque, ainsi que le costume élaboré avec peu de moyens par du démon qui apparaît en personne lors de la confrontation finale et qui se révèle tout à fait marquant, à mi-chemin de l’être diabolique tel que Bosch se l’imaginait et du sujet d’une maladie génétique affectant le squelette et conférant à l’épiderme un aspect malsain, permettant à cette scène de donner corps à tout son potentiel horrifique.

Le démon de Mausoleum entre deux prises.

L'artiste avait travaillé pour Roger Corman comme responsable des effets spéciaux de maquillage de sa compagnie New World Pictures sur des films relevant de l’heroic-fantasy, The Sorceress and Deathstalker, sur la comédie de science-fiction Galaxina, sur Android d’Aaron Lipdstadt pour lequel il créa une fausse tête décapitée à l’effigie de Klaus Kinski qui incarne un androïde et il produisit encore l’infâme et fort organique culture cellulaire réalisée par le monstre de Mutant (Forbidden World) d’Allan Hollzman à partir du corps de ses victimes tandis que Steve Neill construisit les créatures, et il se chargea aussi de la mort du monstre adulte empoisonné avec les cellules cancéreuses d’un malade au stade terminal, avant de devenir le principal artisan des productions de série B de la compagnie de Charles Band, Empire, qui sera ensuite rebaptisée Full Moon Entertainment, combinant souvent horreur et parodie. Il conçut l’extraterrestre femelle de Zone Troopers de Danny Bilson en 1985, un humanoïde aux allures de gorille pourvu de pièces buccales insectoïdes, dans un mélange qui rappelle les extraterrestres des bandes dessinées Weird Science (voir l’hommage rendu à ses auteurs en mai 2014*). Il construisit le monstre farfelu de Terrorvision de Ted Nicolaou, avec la collaboration de John Vulich (voir l’hommage en octobre 2016**) et d'Howard Kurtzman (un futur fondateur de KNB FX Group), dont la structure fut réutilisée comme base pour une créature d’Aux portes de l’au-delà. Il prêta assistance aux effets spéciaux de films connus d’épouvante de la société, notamment ceux de Stuart Gordon comme en 1985 Re-animator ainsi que sa suite réalisée en 1989 par le producteur Brian Yuzna Re-animator 2, la fiancée de Re-animator et en 1986 Les Poupées (Dolls) et Aux portes de l’au-delà (From Beyond), pour lequel il crée la version grandeur nature partiellement mécanisée du monstre ailé aux allures de crustacé pourvu d’un cerveau hypertrophié et sa version miniature, les deux étant la plupart du temps animées image par image, ainsi que des armatures dissimulant partiellement l’acteur Ted Sorel lorsque son personnage subit ses mutations. On lui doit aussi la transformation plus modeste d’un astronaute en extraterrestre reptilien puis sa liquéfaction après sa renaissance inattendue dans le final romantique de Transformations de Jay Kamen en 1988.

Le conglomérat représenté par une victime du monstre de Mutant (Forbidden World) qu'il transforme en réserve de nourriture. 

Un extraterrestre moins menaçant que son apparence le laisse supposer dans Zone Troopers, dont Hitler voudrait bien s'emparer.

Un nounours géant se change en ours terrifiant et meurtrier dans Les Poupées (Dolls)


Ted Sorel dans le rôle de Pretorius changé en être métamorphe lubrique, réellement un "pervers polymorphe", grâce à l'armature translucide couverte de gélatine créée par John Carl Buechler dans Aux portes de l'au-delà (From Beyond), en haut, et en dessous, et sa transformation complète en créature d'une autre dimension grâce au modèle très détaillé et réaliste que l'artiste a agencé dans son atelier. 

L'homme changé en extraterrestre reptilien dans Transformations renaît finalement en s'extrayant de son enveloppe monstrueuse liquéfiée à la manière du héros dans le final de La Mouche 2 tourné la même année.

John Carl Buechler est surtout associé à la fabrication de petits personnages satiriques apparaissant dans des films ne se prenant généralement pas au sérieux, comme dans les sagas Ghoulies débutée en 1984 et Troll dont il met lui-même en scène en 1986 le premier film, qui comporte par ailleurs une transformation en végétal et un champignon semi-anthropomorphe. Sur un mode un peu plus inquiétant, il conçoit la créature démoniaque de Cellar Dweller en 1988, film d’épouvante qu’il réalise, dans lequel une maison maudite concrétise ce que montrent les auteurs de bandes dessinées qui y résident. Il imagine en 1992 pour Glutors (Seed People) de Peter Manoogian trois types de petits monstres semi-végétaux qui prennent naissance dans des arborescences extraterrestres et dirige la seconde équipe, celle qui filme les effets spéciaux en dehors du tournage principal et souvent sans la présence du réalisateur ; bien que plus pittoresques que réellement terrifiantes, ces créatures participent du climat un peu surréel du film. Il livre aussi quelques formes de vie extraterrestres grotesques pour le second remake produit par Roger Corman de Not of this Earth de Terence Winkless en 1995.



Dans Cellar Dweller, Withney Taylor (Debrah Farentino, la mère de famille éprouvée de La Tempête du siècle), découvre que le démon qui se manifeste quand on le dessine peut aussi s'incarner en l'un de ses concurrents d'un concours de bande dessinée qui se change en cauchemar.

John Carl Buechler et la tête mécanisée du grand monstre de son film Troll.

Le monstre volant de Glutors.

Séquence de tournage de Glutors avec l'être bipède aux allure de tableau d'Arcimboldo, extraie du documentaire visionnable sur le site de Charles Band www.fullmoondirect.com

Une des incongruités extraterrestres du remake de Not of This Earth.

Sur Necronomicon, produit par Brian Yuzna, un partenaire de Charles Band, il donne naissance en 1993 à une émanation de Cthulhu, monstre tentaculaire inventé par Howard Philip Lovecraft qu’il dote d’une mâchoire rappelant celle du monstre de Mutant, qu’on entrevoit ondulant dans l’eau sombre des rigoles à l’occasion des séquences liant les sketchs dans lesquelles l’écrivain apparaît en personne, interprété par Jeffrey Combs (vedette de Necronomicon et d’Aux portes de l’au-delà, et aussi le dessinateur qui périt dans le prologue de Cellar Dweller), attelé à la manière de son personnage de sa nouvelle L’abomination de Dunwich (The Dunwich Horror) à rechercher dans une bibliothèque l’ouvrage maudit qui donne son titre au film, invention littéraire évoquée dans nombre de ses textes.

la mâchoire bardée de tentacules qui guette le curieux dans les recoins obscurs de la bibliothèque de Necronomicon.

John Carl Buechler construit aussi dans les années 1990 quelques répliques d’animaux disparus. Pour Carnosaur d’Adam Simon en 1993, ainsi que pour la seconde suite, Carnosaur 3, dans lesquels, conformément au roman homonyme de John Brosnan de 1984 préfigurant Jurassic Park, des scientifiques recréent des dinosaures carnivores en incorporant le patrimoine génétique de ces animaux récupéré sur des fossiles dans celui de poules qui leur donnent naissance au travers de leurs œufs, Buechler a conçu les petits dinosaures carnivores sous forme de marionnettes ainsi que la version miniature du tyrannosaure tandis que son collaborateur Kenneth J. Hall, qu'il employait dans sa compagnie Mechanical and Makeup Imagerie alors devenue Magical Media Industries, donnait naissance au reptile géant grandeur nature, avec un rendu est assez remarquable compte tenu du budget. Dans Dinosaur Island en 1994, c’est à lui qu’incomba la responsabilité de redonner vie au dinosaure mécanique qui avait été employé dans Carnosaur l’année précédente. Dans Deep Freeze en 2002 qu’il met en scène, ce sont des trilobites ramenés à la vie, des arthropodes marins appartenant à un groupe disparu très abondant à l’ère paléozoïque, qui sèment la terreur dans une base de recherche scientifique polaire, auxquels le tégument sombre et un peu granuleux qui leur est conféré ainsi que l’agitation frénétique de leurs appendices confèrent un caractère plus effrayant que ce qu’on à quoi on aurait pu s’attendre.

John Carl Buechler et sa marionnette

Le résultat terrifiant à l'écran.




Des centaines de millions d'années séparent l'homme et le trilobite jusqu'à une rencontre fortuite dans Deep Freeze qui aboutit à un résultat tout aussi préoccupant que dans Jurassic Park.

Le maquilleur avait à l’occasion œuvré sur des films célèbres comme en 1988Halloween IV et Le cauchemar de Freddy (A Nightmare on Elm Street IV : The Dream Master ) de Renny Harlin, pour lequel il agence la poitrine du croque-mitaine dans laquelle apparaissent les visages de ses victimes puis il crée aussi avec la participation de son collaborateur Kenneth Hall les maquillages de l’avant-dernier volet, La Fin de Freddy, l’ultime cauchemar (Freddy’s Dead : Ultimate Death) de Rachel Talalay en 1991. De manière plus anonyme, il participa aussi en 1989 à Indiana Jones et la dernière croisade (Indiana Jones and the Last Crusade). Il a conçu quelques prothèses pour le remake de La Mouche au temps où le maquilleur Rob Bottin et l’artiste Dale Kuipers étaient aussi semble-t-il pressentis pour le projet comme évoqué dans l'hommage à ce dernier en octobre 2013***, jusqu’à ce qu’une tragédie familiale amène finalement le réalisateur initial à renoncer au projet et que celui-ci échoie à David Cronenberg, qui recruta alors Chris Walas et Stephan Dupuis qui avaient déjà travaillé pour lui sur les maquillages spéciaux de Scanners.

Un homme-mouche présenté sur une photo publicitaire agencée par Buechler 

John Carl Buechler était repassé à la mise en scène pour des films qui n’ont il est vrai guère marqué les esprits, comme le septième volet de la saga Vendredi 13 (Friday the 13th Part VII : the New Blood), Ghoulies III : Ghoulies go to College en 1991, un remake de Watchers, d’après un roman de Dean Koontz dans lequel un mutant conçu par l’armée pour tuer est connecté avec un chien très intelligent, venant après déjà deux suites, Watchers Reborn en 1998. Si Deep Freeze n’est pas davantage resté dans les mémoires, du moins le réalisateur était-il parvenu à susciter a minima un climat d’inquiétude au service d’une production standard. Le maquilleur expliquait qu'assurer les effets spéciaux d'un film qu'on réalise ne présentait pas de difficultés dès lors qu'on avait planifié correctement les tâches. Buechler avait aussi porté en 2006 à l’écran son scénario pour The Strange Case of Dr. Jekyll and Mr. Hyde qui transportait l’intrigue du roman de Robert Louis Stevenson dans un cadre contemporain, confiant le double rôle-titre à un acteur noir, Tony Todd, connu pour avoir interprété le tueur revenu d’entre les morts de Candyman.

John Carl Buechler à gauche au côté de l'acteur Kevin McCarthy (auquel on a rendu hommage en octobre 2010****) et les petits monstres de Ghoulies III : Ghoulies go to College

Le maquilleur était par ailleurs apparu dans un des épisodes long format de la série La Magie des effets spéciaux (Movie Magic) de Don Shay, démontrant comment réaliser des effets horrifiques, à la manière de ceux qu’il avait conçus pour Fou à tuer (Crawlspace) produit par Charles Band dans lequel Klaus Kinski incarnait un ancien criminel nazi semant la terreur dans son immeuble, bien qu’à la différence de Tom Savini, il reconnaissait que donner la vie à des créatures avait sa préférence sur les maquillages sanguinolents. Même s’il n’a guère été à la tête de films fantastiques marquants, John Carl Buechler était apprécié des amateurs de cinéma d’épouvante et était très respecté dans le milieu des créateurs d’effets spéciaux de maquillage.


*      https://creatures-imagination.blogspot.com/2014/05/cetait-le-dernier-de-lage-dor-de-la-bd.html
**     https://creatures-imagination.blogspot.com/2016/10/keep-watching-optic-nerve.html
***  https://creatures-imagination.blogspot.com/2013/10/en-souvenir-de-dale-kuipers.html 
**** https://creatures-imagination.blogspot.com/2010/10/disparition-du-dernier-etre-humain-de.html



2 commentaires:

Sarah Cole a dit…

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JackMason a dit…

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