lundi 31 mars 2014

RENCONTRE AVEC UN GRAND AUTEUR D’APRÈS-GUERRE


Une photo récente de Jean LOMBARD connu sous le nom de Max-André RAYJEAN, un des grands noms de la science-fiction populaire française, fournie avec amabilité par l'auteur lui-même. Comme la seconde présentée plus loin, il s'agit de photos EXCLUSIVES, montrant l'écrivain pour la première fois (les rares photos censées le représenter proposées sur internet sont en réalité la photo de Jean COCTEAU jeune et d'un inconnu - de la même manière que sa biographie est parfois confondue avec celle d'un auteur homonyme du siècle précédent... Il était temps de contribuer ici à ces quelques rectifications ).

Si certains auteurs de science-fiction français ont obtenu une forme de reconnaissance s'étendant parfois au-delà du genre, comme Gérard KLEIN, Philippe CURVAL, Michel JEURY, Jean-Pierre ANDREVON ou Pierre PELOT, nombre d'auteurs de l'après-guerre, qui ont contribué à diffuser dans notre pays un genre encore assez exclusivement anglo-saxon, et dont les représentants demeuraient alors encore fort peu connus sur notre territoire à l'exception d'Herbert George WELLS - l'oeuvre de H.P. LOVECRAFT a été à la même époque portée à la connaissance du public français par Jacques BERGIER - restent cependant encore largement ignorés des critiques, des anthologies et même des essais historiques sur le genre (même Jacques SADOUL évoqué récemment ne faisait que citer dans son "Histoire de la science-fiction moderne" le nom de Max-André RAYJEAN sans mentionner aucune de ses œuvres). Les productions de ces écrivains qui parurent pour l'essentiel aux éditions Fleuve Noir sont en effet presque systématiquement tenues pour des productions mineures, assimilées à des "romans de gare", destinées d'emblée à l'oubli et dont aucun chroniqueur littéraire digne de ce nom ne devrait se soucier. C'est un peu comme si, pour accéder tardivement à une respectabilité, encore souvent bien ténue, la science-fiction devait se délester, voire se purger, d'une masse considérable de textes qui seraient nécessairement mal écrits, puérils, stéréotypés et peu inventifs, soit sans qualité et sans intérêt. Ce dédain n'est pas sans rappeler celui s'attachant généralement aux magazines américains du temps de l'effervescence de la science-fiction dans les décennies 1920 et 1930 qu'on a appelé "l'âge d'or de la science-fiction", victimes d'un regard condescendant rétrospectif en raison notamment de la mauvaise qualité du papier leur ayant conféré le nom de "pulps" et de couvertures avec des illustrations privilégiant le spectaculaire, alléguant que, pour être une "vraie" littérature, la science-fiction devait se contraindre à une certaine épure, s'éloignant de tout ce qui peut la rattacher à une forme de divertissement paraissant "gratuit"; pourtant, cet "âge d'or" décrié a vu émerger, notamment sous la direction du directeur de publication John CAMPBELL, tous les auteurs du genre qui furent par la suite distingués et célébrés outre-Atlantique.

De la même manière, estimer que la totalité des romans qui furent publiés en France à partir de la décennie 1950 par la collection "Anticipation" éditée par Fleuve Noir ne méritent aucune considération au nom d'une étiquette qu'on lui a hâtivement accolée, paraît un ostracisme bien peu justifiable. N’en déplaise aux jugements hâtifs, nombre de ces écrivains font preuve d’une belle inventivité, et leur style, s’il privilégie l’efficacité aux fioritures, est tout à fait honorable. Parmi ces auteurs, on peut citer Maurice LIMAT, B.R. BRUSS, F.RICHARD-BESSIÈRE (Henri BESSIÈRE), Robert CLAUZEL, hélas tous disparus, Piet LEGAY, ou encore Max-André RAYJEAN. Ce dernier est revenu récemment d'actualité avec la parution de romans de science-fiction inédits chez l'éditeur "Rivière blanche" ( antithèse sémantique de Fleuve Noir), LE CYCLE D’ORGA, DEFI A LA TERRE/LE DIEU ARTIFICIEL, COMPLEXE 18/DIX SIECLES POUR DEMAIN, ainsi qu'un tome rassemblant deux récits fantastiques, MOMIE DE SANG/LE SECRET DES ROCHES NOIRES.


Enlèvement par des extraterrestres; une "rencontre du 3ème type" peu ordinaire ayant pour finalité d'enrichir en nouveaux spécimens le zoo interstellaire des Astors !

Né en 1929 à Valence dans la Drôme sous le nom de Jean LOMBARD - à ne pas confondre avec un écrivain homonyme du siècle précédant - l'écrivain a fait publier, sous l'identité de Max-André RAYJEAN, 67 romans dans la collection « Anticipation » aux éditions Fleuve Noir. Admirateur de Max-André DAZERGUES, dont il reprend le prénom composé pour son identité de plume, il commence par faire paraître des œuvres d’aventures pour la jeunesse qui s’inspirent de ses écrits, puis écrit des romans policiers et des scénarios de bandes dessinées pour la jeunesse, lesquels atteindront le nombre de 300. Mais c’est à partir de 1956 qu’il s’oriente vers la science-fiction au travers de la collection « Anticipation » aux éditions "Fleuve Noir", y transcrivant son intérêt pour la science, sans cependant verser dans un scientisme trop manifeste. Max-André RAYJEAN nous promène jusque dans les mondes les plus lointains, à l’échelle du cosmos, sachant, au-delà de la conjecture intellectuelle stimulante, nous communiquer le vertige métaphysique, la solitude qui émane de ces espaces sans fin et d'un temps étendu jusqu'à l'infini. Il s'attache également avec conviction à dépeindre des êtres pensants très différents de l'homme, comme les unicellulaires géants, tels les Mollutors d'ÈRE CINQUIÈME qui succéderont à l'humanité dans le lointain avenir, ou ceux venus d'une autre planète du PÉRIL DES HOMMES et de RETOUR AU NÉANT (même si un personnage de BASE SPATIALE 14 postulait à l'inverse que la taille que pouvait atteindre le protoplasme d'une cellule était limité), parfois aux limites du biologique, tels que l'entité éponyme de L'ARBRE DE CRISTAL, les extraterrestres constitués de sphères dans PRISONNIERS DU TEMPS ou encore ceux composés d'énergie pure des FEUX DE SIRIS. Il parvient à faire ressentir l'étrangeté radicale que présentent ces êtres issus d'une évolution très éloignée de la nôtre, au cycle vital souvent fort singulier, tout en s'attachant à faire comprendre leur représentation du monde et même partager leurs perceptions et leur intériorité; sur ce point, il pourrait être vu comme un digne héritier du premier grand précurseur de la science-fiction, lui même francophone, Joseph-Henri BOEX dit ROSNY Aîné. La puissance narrative de l'auteur permet dans des romans comme LA ONZIÈME DIMENSION, irruption d’un autre univers dans le nôtre au sein duquel les besoins matériels n’ont plus lieu d’être, ou LE CYCLE D’ORGA, une catastrophe dans les Andes qui évoque d’abord une coulée de boue avant de s’avérer bien autre chose qu’un phénomène géologique classique, de pousser une idée jusqu’à ses ultimes prolongements, sans cesser pour autant de demeurer convaincant en dépit de la survenue d'événements toujours plus extraordinaires. BASE SPATIALE 14 anticipe quant à elle la série télévisée INVASION de Shaun CASSIDY, avec des envahisseurs extraterrestres, des "cellules universelles", qui ont si bien copié les humains auxquels ils se sont substitués qu’ils réclament pour eux aussi le respect de « leur » humanité nouvelle.

Les rejetons de l'Arbre de cristal évoquant des bulles de savon.

Victimes de la mode, les romans de Max-André RAYJEAN récemment publiés par Rivière blanche furent jadis refusés par Fleuve noir, qui désirait renouveler la collection en rompant avec les auteurs qui avaient fait sa renommée. Cette actualité fournit un prétexte idéal pour, à défaut de pouvoir entrer dans le détail d'une oeuvre volumineuse, du moins évoquer sa carrière et son intérêt pour la science-fiction. On ne peut qu'exprimer toute notre gratitude pour celui qui, considéré comme l'un des auteurs les plus secrets de la collection Anticipation, a bien voulu répondre à un petit questionnaire, pour notre plus grand plaisir et celui des lecteurs qui nous font la grâce de nous lire.

- Monsieur LOMBARD, quelle est l’origine de votre pseudonyme, faut-il y voir une allusion à l’auteur de récits fantastiques Jean RAY ?
M.-A. RAYJEAN : Rien à voir avec Jean RAY. Simplement, j’ai une sœur aînée qui s’appelle Raymonde et qui m’a encouragé à écrire. Alors j’ai allié nos deux prénoms : RAY(monde) et JEAN. Aussi simple que cela !
- L’éditeur vous a demandé de réécrire votre premier roman de science-fiction. Comment un écrivain parvient-il à se réapproprier son œuvre une fois le processus mené à son terme ?
M.-A. RAYJEAN : Je n’ai pas eu trop de mal à réécrire mon histoire car le scénario restait le même. Il n’était question que d’un style d’écriture. Exemple : « J’avais peur. Peur et troublé à la fois… ». L’éditeur n’aimait pas trop cette pose répétitive. J’ai du faire des coupures ! C’était ATTAQUE SUB-TERRESTRE.
- Trouviez-vous toujours vos idées de la même manière et quelle en était l’origine ( conjecture rationnelle basée sur une lecture scientifique, ou un concept, idée visuelle d’une scène inspirant une intrigue, voire même rêve ? )
M.-A. RAYJEAN  : Beaucoup dans une lecture scientifique telle que « Science et vie » ou « Science et avenir ». Mais les idées émanaient aussi des neurones du cerveau. L’homme est doté d’une imagination, alors à lui d’inventer ! ( voir CHOCS EN SYNTHÈSE, L’ULTRA-UNIVERS, LA ONZIÈME DIMENSION.. )


Cap sur une nouvelle dimension qui tient tous ses promesses.

- Vous est-il déjà arrivé de fixer des limites à votre imagination au nom de la vraisemblance scientifique ?
M.-A. RAYJEAN : Pas précisément. L’imagination n’a vraiment pas de limite rigoureuse. Je pense que chaque individu a sa « propre » imagination, donc il existe forcément une limite personnelle… et indéfinissable ( voir LES FORÇATS DE L’ENERGIE, PRISONNIERS DU TEMPS, CELLULE 217, etc.. )
- Comment parvenez-vous à obtenir la longueur désirée du texte ? Faites vous un découpage synoptique détaillé ?
M.-A. RAYJEAN : Facilement. La longueur d’un texte est fonction du nombre de pages, jadis dactylographiées à la machine à écrire. La collection « Anticipation » comptait une centaine de ces pages. Il n’existait pas, en fait, de rigueur mathématique.
- A la lecture du CYCLE D’ORGA, je me suis demandé jusqu’à la fin quel serait le destin des principaux protagonistes. Connaissez-vous à l’avance le sort de vos personnages ou vous arrive-t-il de n’envisager le destin de ceux-ci qu’au fur du déroulement de l’intrigue ?
M.-A. RAYJEAN : Pour les romans, j’ai toujours plus ou moins tracé un scénario complet avant de commencer la rédaction. Il m’arrivait parfois de modifier ce scénario en cours d’écriture ( rarement toutefois ). Par contre, pour le texte des bandes dessinées, je plongeais souvent dans l’inconnu en modifiant au fur et à mesure le scénario, selon l’imagination du moment !


La couverture pétrifiante - le lecteur découvrira que l'expression est appropriée - du Cycle d'Orga, roman prenant, honteusement laissé de côté par l'éditeur d'origine, jusqu'à ce que les promoteurs de la collection Rivière blanche le tirent du néant !


- Conserviez-vous plutôt un regard assez distancié vis-à-vis du processus de narration, en tant qu’orchestrateur de l’intrigue, ou vous arrivait-il de vous impliquer dans l’écriture au point de vous sentir pénétré du climat d’angoisse au moment où vous le dépeigniez ?
M.-A. RAYJEAN : Alors là, vous abordez un problème de sensibilité qui frôle la psychanalyse ! Je ne me suis quand même jamais fait peur, même dans mes romans « Angoisse »… Sinon j’aurais fait des cauchemars !
- En dehors des romans policiers que vous auriez aimé écrire mais pour lesquels vous n’avez pas obtenu l’aval des éditions Fleuve noir qui désiraient vraisemblablement conserver pour la série « Anticipation » un de leurs auteurs-phares, aviez vous une totale liberté pour le choix des sujets et leur traitement, ou l’éditeur et les comités de lecture vous demandaient-ils de suivre certaines contraintes ou prescriptions ?
M.-A. RAYJEAN : Oui j’avais une totale liberté des sujets. Au début, avec François RICHARD comme directeur, je lui adressais plusieurs scénarios et je lui demandais de renvoyer la liste avec son classement personnel. Je développais d’abord le sujet n° 1, puis le numéro 2, etc… Avec Patrick SIRY, cette habitude fut abandonnée. Hélas !!!
- Quelles sont parmi vos œuvres celles que vous souhaiteriez le plus voir accéder à la postérité ( même si les rééditions de la collection « Les lendemains retrouvés » ont déjà contribué à proposer des romans anciens à de nouveaux lecteurs ) ?
M.-A. RAYJEAN : Difficile de choisir pour l’auteur. Mais j’ai une petite préférence pour le premier roman de chaque série que j’ai créée. Exemple, les grands reporters ( Joël Maubry, Joan Wayle ), Commandant Jé Mox, série Mac Kerreck,….
- Que répondriez-vous aux détracteurs du genre qui estiment qu’il n’y a pas d’intérêt à imaginer le futur, car l’évolution de plus en plus accélérée de la technologie, chaque découverte étant susceptible d’en entraîner d’autres inattendues, interdirait toute projection à long terme en la matière ?
M.-A. RAYJEAN : Ces détracteurs ont peut-être raison. Mais justement, les nouvelles technologies à ( voir « Science et vie » ) appellent un futur que l’on cerne à peu près. Exemple : facile d’imaginer une puce électronique introduite dans le cerveau dès la naissance de façon à « suivre » l’individu à la trace et de modifier son comportement par le biais d’impulsions. Une robotisation en somme !
- Et que pensez-vous des attaques des critiques littéraires qui, estimant que la science-fiction est une littérature d’idées, lui reproche de délaisser le style et de se contenter de personnages unidimensionnels ?
M.-A. RAYJEAN : Je n’en pense rien, car chaque critique a le droit de critiquer ! Je ne vois pas un auteur de science-fiction gagner le Goncourt, c’est sûr ! Mais chaque genre possède ses lecteurs. La littérature est multiple !
- En tant qu’auteur ayant aspiré à écrire des romans policiers, pensez-vous que le mode de conjecture rationnel de la science-fiction peut restreindre l’auteur quant à la description de comportements humains irrationnels, contrairement au genre policier naturellement enclin à restituer des faits criminels bruts parfois difficiles à appréhender, comme la violence gratuite de nombre de faits divers ?
M.-A. RAYJEAN : C’est une question colle !!!
- Par ailleurs, comment perceviez-vous le fait qu’au sein même de la science-fiction, les auteurs du Fleuve noir n’étaient généralement pas perçus à la juste mesure de leur travail, mais catalogués comme auteurs de seconde catégorie, généralement ignorés des études sur le genre ? Le regrettiez-vous dans une certaine mesure, ou avez-vous toujours estimé que la seule reconnaissance du lectorat était une gratification suffisante, comme l’affirmait votre confrère Maurice LIMAT  ( et aussi, en dehors de la science-fiction, par Frédéric DARD, dont vous avez fait la connaissance ? )
M.-A. RAYJEAN : J’ai essayé chez Denoël ( collection Présence du futur ). Ca n’a pas marché ! J’ai bien senti que chez Denoël, on nous prenait pour une catégorie d’auteurs secondaires. Au Fleuve noir, nous écrivions de la littérature « populaire », peut-être plus « simpliste ». N’empêche, les tirages de la collection prouvaient le succès.

Max-André RAYJEAN devant sa machine à écrire au temps de sa collaboration à Fleuve Noir (autre photo exclusive).

- Aviez-vous des contacts avec les autres auteurs d’anticipation de Fleuve noir et pouvez-vous nous raconter des anecdotes à leur sujet ? Jimmy GUIEU quant à lui était-il considéré comme un auteur plus particulièrement singulier, dans la mesure où il n’hésitait jamais à affirmer que ses récits étaient basés sur des faits réels émanant de l’ufologie ( l’étude des phénomènes spatiaux non identifiés, appelés O.V.N.I. en langue française ) ?
M.-A. RAYJEAN : Très peu, juste des contacts par l’intermédiaire de quelques lettres, entre confrères de la même édition. Avec LIMAT, surtout. Quant à Jimmy GUIEU, s’il croyait vraiment aux soucoupes volantes, c’était son droit. Mais des faits réels sur l’ufologie, j’en doute. Dans ses lettres amicales, il ne m’a jamais parlé de sa terrible passion pour les O.V.N.I.
- Les auteurs de la science-fiction française des années 1950 ont tous été à juste titre admirateurs de la science-fiction américaine, mais savez-vous pourquoi peu paraissent, à la différence sans doute de Robert CLAUZEL, avoir été marqués dans une certaine mesure par l’anticipation de langue française d’avant guerre comme ROSNY Aîné ou Maurice RENARD ?
M.-A. RAYJEAN : Une vraie colle que vous posez ! Les Américains ont envahi la littérature française au point de la submerger au point de faire oublier ROSNY Aîné ou Maurice RENARD ! Le Fleuve noir a été heureux d’équilibrer cette déficience en publiant la collection « Anticipation » avec des auteurs français. Un pari qu’ils ont gagné ! D’accord, au début, on s’est inspiré des Américains, mais chacun, ensuite, a mis sa personnalité dans ses romans.
- Savez-vous s’il y’a eu des tentatives de traduire en d’autres langues les auteurs du Fleuve noir, et n’avez-vous pas quelque regret de n’avoir pas été lu aux Etats-Unis, ce qui aurait la consécration logique pour les auteurs de la collection ?
M.-A. RAYJEAN : « Anticipation » a été traduite en plusieurs langues : italien, espagnol, portugais, etc.. Jamais de traductions aux Etats-Unis parce qu’en affaires, les Américains sont plus forts que les autres ! C’est leur mentalité de dominer le monde. Une preuve ? Vous avez vu le film INDEPENDANCE DAY ? Eh bien, c’est eux qui ont sauvé le monde ! Du nationalisme béat en somme.
- Vous avez eu l’occasion de rencontrer Frédéric DARD, célèbre auteur des aventures policières de SAN ANTONIO, dont vous appréciez l’humour ; regrettez-vous de pas avoir eu l’occasion d’instiller une touche humoristique dans vos romans, celle-ci étant souvent difficilement conciliable avec la tentative de dépeindre un monde imaginaire de manière crédible ?
M.-A. RAYJEAN : Ah, Frédéric DARD. Il a commencé sa carrière dans la petite collection « Le Glaive » d’un éditeur lyonnais. J’ai eu la chance d’y publier aussi mon premier roman… policier ! DARD est né à Bourgoin dans l’Isère et moi à Valence. Donc pas très loin…
Bien sûr, j’aurais pu introduire de l’humour dans mes ouvrages. Il y’a eu de l’ « heroic fantasy ». Ca ne m’a jamais tenté. J’ai pris la science-fiction très au sérieux, comme une sorte de prédiction de l’Avenir ( un critique du « Dauphiné libéré » a trouvé une « pointe d’humour » dans mon roman L’AGE DE LUMIÈRE, paraît-il !).
- Vous avez écrit des romans fantastiques ancrés dans la culture régionale. Considérez-vous de votre point de vue qu’il y’a une différence de degré ou bien de nature entre science-fiction et fantastique – beaucoup d’auteurs abordent ces deux genres de l’imaginaire ?
M.-A. RAYJEAN : Les deux genres diffèrent. La S-F traite d’une imagination axée sur le futur. Le fantastique se résume à des aventures diaboliques, où se mêle souvent l’épouvante. L’homme aime les mystères, les Dieux, le Diable, l’Au-delà. Donc l’irréel. Adapter un « Angoisse » dans un environnement régional est une volonté toute personnelle. Oui, j’aurais aimé être un auteur « régional ».
- Y’a-t-il des films de science-fiction qui vous aient plu particulièrement ? Ne pensez-vous pas que les images de synthèse, en dématérialisant l’imaginaire, font actuellement perdre à la science-fiction ce piment excitant de jeu avec le réel au travers d’un visuel désincarné ? Auriez-vous aimé être adapté au cinéma, ou estimez-vous que les nombreuses bandes dessinées dont vous avez écrit le scénario équivalent un peu à la visualisation de votre univers ?
M.-A. RAYJEAN : Pas particulièrement. Leurs auteurs se livrent à un spectacle axé principalement sur le trucage et les effets spéciaux. L’idée ne vole pas bien haut en général.. Un bon point pour LE PRIX DU DANGER ou I COMME ICARE. En tous cas, je n’ai jamais pensé à des adaptations pour le cinéma. ATTAQUE SUB-TERRESTRE et BASE SPATIALE 14 restent mes deux seuls romans S-F publiés en B.D. Par contre, mes B.D. pour enfants m’ont fait plaisir.


Réédition au titre des classiques de la série de BASE SPATIALE 14, qui fut également adapté en bande dessinée chez Aredit (ci-dessous) au travers des dessins de Jacques GERON (décédé à l'âge de seulement 43 ans le 30 octobre 1993).




- Avez-vous lu des romans d’auteurs plus récents, et estimez-vous en ce cas qu’ils diffèrent de ceux de votre époque ( en laissant peut-être une trop grande part à des intrigues - plus ou moins - sentimentales, en recourant trop systématiquement à l’emploi de mots inventés pour figurer des langues étrangères, susceptibles de lasser le lecteur, etc… ) ?
M.-A. RAYJEAN : Franchement, après « Anticipation » du Fleuve noir, j’ai décroché un peu de la S.-F. parce que j’ai vu saborder une collection qui marchait. Sans doute la nouvelle S.-F. diffère de la vague 1950-1980. Elle paraît plus « psychologique » et s’éloigne de la littérature populaire. Mieux ou prou ? Aux lecteurs de le prouver.                              - D’où tiriez vous votre inspiration pour inventer les formes de vie extraterrestres les plus variées; avez-vous parfois eu recours à des croquis pour visualiser ces êtres d’un autre monde ?
M.-A. RAYJEAN : Les extraterrestres mis en scène dans mes romans sont en effet très nombreux et de formes diverses. Ma série des Jé Mox, par exemple, comporte 16 titres* dont chacun montre différents types de vie intelligente. C’est ma série préférée, la plus riche en formes de vie extraterrestres. Ce sont à peu près treize structures extraterrestres vivant en communauté et possédant une civilisation souvent plus ou moins évoluée ( souvent plus que les hommes ! ) qui font face à Jé Mox et son équipage du Cos-200, le vaisseau de secours du centre spatial installé sur Ter-8 ( le huitième bastion terrestre édifié dans la galaxie ). Je n’ai jamais dessiné un croquis de mes extraterrestres. Seule l’imagination du moment me guidait. Rien, ne prouve que des êtres intelligents aient besoin d’une tête, de bras, de jambes. Les créatures unicellulaires, les microbes, les virus, ne sont t-ils pas doués d’intelligence ? Question à méditer. 




Quelques tentatives de représenter des formes de vie extraterrestres imaginées par Max-André RAYJEAN : la masse grise, faussement placide, de BASE SPATIALE 14 représentée par Jacques GERON pour l'adaptation en bande dessinée du roman (en haut), et deux essais de concrétisation d'une créature des GERMES DE L'INFINI (illustration originale, l'auteur doit être crédité pour toute reproduction, usage commercial proscrit sans autorisation de l'auteur).

Croyez-vous que l’humanité sera un jour réellement en mesure d’entrer en contact avec une autre civilisation ?
M.-A. RAYJEAN : Si vous voulez mon avis sur les extraterrestres, je crois sincèrement qu’ils existent, quelque part dans l’Univers, mais qu’aucun n’est capable de voyager dans l’espace interstellaire car il faudrait vaincre des distances de centaines d’années lumière.. inouï ! Le voyage dans la quatrième dimension (qui abolit les distances) est la ressource de la science-fiction et c’est bien pratique pour un auteur ! Mais pas pour un super technicien qui aura déjà bien du mal à inventer un moteur photonique pour se propulser à la vitesse de la lumière. Cela semble déjà hors de portée !!
- Pensez-vous que l’intelligence soit un phénomène très aléatoire, ou que celle-ci soit relativement répandue dans l’univers ?
M.-A. RAYJEAN : C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre pour la raison qu’on ne connaît pas jusqu’où peut aller l’ « intelligence ». Toute forme de vie est intelligente. L’homme, l’animal, les végétaux, les microbes, les virus, sont intelligents ! Exemples, TERROM, AGE UN** ou ROUND VÉGÉTAL.


LE VOYAGE FANTASTIQUE? Non, l'illustration de couverture de l'épopée cosmique RETOUR AU NÉANT de Max-André RAYJEAN, un auteur très intéressé par le monde microscopique, au sein de l'oeuvre duquel on retrouve microbes et protozoaires géants. 

- Peu d’auteurs sont parvenus à évoque de manière relativement convaincante la vie dans un univers du nôtre. Quels conseils donneriez-vous à un auteur qui s’aventurerait sur ce terrain et quelles règles devrait-il suivre pour demeurer crédible ?
M.-A. RAYJEAN : La question rejoint un peu la précédente. L’homme n’a encore jamais rencontré un « extraterrestre ». Pour rester crédible, la vie dans un univers différent se conçoit comme la vie sur la Terre ( hommes, animaux, plantes, microbes… ). C’est déjà un bel échantillonnage de vies différentes. L’homme et sa science ne sont pas en état de répondre à cette question primordiale : comment envisage-t-on la vie dans un univers différent ?
C’est donc aux auteurs de science-fiction de l’imaginer. Mais « imagination » ne rime pas forcément avec certitude ( voir mes romans L’ULTRA-UNIVERS et SOLEILS : ÉCHELLE ZERO*** ).
Pour clore le débat, je pense que la présence de la vie sur la Terre, son origine, sont hors de portée de notre imagination. Qui prouve l’existence d’un SEUL univers ? univers parallèles ? Micro-univers ? Ultra-univers ? Ou des univers imbriqués les uns dans les autres ?
- Merci M. LOMBARD/RAYJEAN pour cet entretien exclusif, ce fut un grand honneur, et je ne peux douter que de nouvelles générations de lecteurs de science-fiction continueront à apprécier vos romans.


* PRISONNIERS DU TEMPS (1970), CELLULE 217 (1971), L’ARBRE DE CRISTAL (1972), L’AUTRE PASSE (1972), LA REVOLTE DE GERKANOL (1973), LE SECRET DES CYBORGS (1974), BARRIÈRE VIVANTE (1975), LES GEANTS DE KOMOR (1976), LES GERMES DE L’INFINI (1976), LES METAMORPHOSÉS DE SPALLA (1977), LE PIEGE DE LUMIERE (1977), LA CHAINE DES SYMBIOS (1978), LES MAITRES DE LA MATIERE (1979).

** Le roman se déroule après un cataclysme, la terre est dominée par plusieurs espèces d’insectes sociaux qui s’affrontent, et qui utilisent les êtres humains comme esclaves, jusqu’à ce que ceux-là découvrent la cité de Terrom, protégée par des androïdes, et entreprennent la reconquête du monde.

*** Il s’agit de deux romans liés dans lesquels des expériences sur la matière aboutissent à des immersions dans l’infiniment petit, puis l’infiniment grand. Dans le premier, des scientifiques de la planète Errêt créent un univers miniature qui se révèle habité et se met à croître au point de menacer le système solaire de son créateur; les deux peuples sont contraints de chercher un nouveau système solaire pour survivre. Dans le second, un macro-univers est engendré et quatre chercheurs qui s’y sont fait transférer se trouvent accidentellement dématérialisés en pure force électro-magnétique dépourvue de forme et perdent leur conscience individuelle; craignant de détruire le système solaire comme dans l’expérience précédente, ils se font envoyer dans l’espace. Ils arrivent sur un monde inhospitalier. Finalement, leurs êtres se changent en particules d’énergie, lesquelles seront à l’origine de l’apparition de la vie sur la Terre. D’autres romans de l’auteur du cycle Joé Mox jouent aussi sur la taille : dans CELLULE 217, des hommes sont miniaturisés pour pouvoir être insérés dans des cellules qu’ils sont appelés à contrôler, et dans LES GEANTS DE KOMOR, une autre expérience extraterrestre augmente la taille d’humains.

Le site de Rivière blanche : 
http://www.riviereblanche.com/

Les romans de Max-André RAYJEAN: 
http://www.riviereblanche.com/cycle.htm
http://www.riviereblanche.com/complexe.htm
http://www.riviereblanche.com/defiterre.htm

Nous sommes redevables à Philippe WARD, écrivain renommé et directeur de collection de "Rivière blanche" qui a donné la possibilité d'entrer en contact avec l'écrivain; nous espérons pouvoir le retrouver prochainement en ces pages pour nous entretenir avec lui des créatures mythiques, plus particulièrement de celles des légendes basques qui lui sont chères.


LECTURE COMPLÉMENTAIRE

On lira aussi à titre complémentaire sur l'auteur ce résumé rédigé par l'Oncle Paul qui l'a signalé à notre attention :

http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-rayjean-max-andre-un-portrait-124472662.html

L'auteur évoque aussi deux de ses romans, changeant agréablement des commentaires souvent sommaires et abusivement dépréciatifs qu'on trouve habituellement sur l'auteur :

http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-max-andre-rayjean-operation-etoile-124535785.html
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-max-andre-rayjean-le-cycle-d-orga-124467471.html

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On avait évoqué récemment le réalisateur du VOYAGE FANTASTIQUE DE SINBAD, Gordon HESSLER, à l'occasion de l'hommage consacré en juin 2013 à Ray HARRYHAUSEN; le cinéaste vient à son tour de disparaître le 19 janvier 2014.

A la fin de l'année précédente, le 14 décembre 2013, s'est éteint l'acteur Peter O'TOOLE. Surtout célèbre pour avoir interprété le personnage historique éponyme du film LAWRENCE D'ARABIE, il avait aussi, toujours dans le genre historique, livré des compositions saisissantes dans la série MASADA, en compagnie du non moins brillant David WARNER, et dans LA NUIT DES GENERAUX. Dans le domaine fantastique, il avait incarné un écrivain féru de mystérieux dans PHANTOMS, tiré du roman de Dean KOONTZ, traitant d'une monstrueuse créature immémoriale, dont l'apparition finale fut malheureusement coupée au profit d'une bien triste animation infographique.

En matière de littérature de l'imaginaire, mentionnons pour mémoire le décès le 18 mars 3014 de l'écrivain américain Lucius SHEPARD; l'écrivain de science-fiction Christopher PRIEST (LE MONDE INVERTI) lui a consacré un hommage biographique : http://www.theguardian.com/books/2014/mar/26/lucius-shepard



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Entretient très intéressant, un grand merci à vous !!

Dr. Alien a dit…

Bonjour, merci pour ces deux commentaires fort sympathiques, je ne désespérais pas de croire que cet entretien finirait par susciter quelque intérêt pour un auteur insuffisamment mis à l'honneur. Oncle Paul, j'ai ajouté les liens sur vos textes à la fin de l'article - je constate avec plaisir que vous avez bien repris la bonne photo de l'auteur, à la différence des devanciers..