Le metteur en scène d’origine allemande Wolfgang Petersen s’est éteint à l’âge de 81 ans, victime d’un cancer du pancréas, le 12 août 2022 à Los Angeles. Il avait obtenu la citoyenneté américaine, même s’il revint ponctuellement dans son pays natif pour y tourner en allemand en 2016 son ultime œuvre, un remake de son propre téléfilm de 1976 Braquage à l’allemande (Vier gegen die Bank), un peu comme s’il refermait le livre de sa carrière. Il avait mis en scène à quelques occasions notables des créatures imaginaires, justifiant que l’on évoque ici sa carrière, notamment les longs-métrages concernés.
Né le 14 mars 1941 à Emden en Basse-Saxe, Wolfgang Petersen était le fils d’un officier de marine. Il effectue ses études à Hambourg ; il y réalise dans le cadre de l’école ses premiers films en Super-8 et met en scène des pièces de théâtre. À l’Académie du film et de la télévision de Berlin, il co-réalise un court-métrage avec Holger Heims, qui deviendra le futur dirigeant de l’organisation révolutionnaire terroriste Fraction Armée rouge. Muni de ses diplômes, l’ancien étudiant est engagé à la télévision allemande et y réalise notamment six épisodes de la célèbre série policière Tatort (en français Le Lieu du crime) à partir de 1971. En 1974, il dirige son premier film de cinéma, Einer von uns beiden (en anglais, One or the Other of us), histoire de chantage d'un étudiant à l'encontre d'un professeur d'université avec Jurgen Prochnow et Klaus Schwarzkopf (lequel a incarné sept fois le Commissaire Finke dans Tatort), film qui obtint deux récompenses nationales dont celle décernée pour le meilleur jeune réalisateur.
1977, l’année des amours transgressives
L’un des épisodes de Tatort, Reifezeugnis (L'âge du crime), que Wolfgang Petersen réalise en 1977, sera particulièrement remarqué puisque l’œuvre au format de téléfilm sera diffusée internationalement en salles sous le titre Maturity Certificate (en français, L’amour fou) – y compris aux États-Unis où l’autre célèbre série policière allemande Inspecteur Derrick demeure inédite en dépit de son passage à la télévision anglaise. Le récit met au premier plan la jeune actrice Natassja Kinski, vedette l’année précédente du film sans doute le plus sulfureux de la société britannique Hammer, Une fille pour le diable (To the Devil a Daughter) avec Christopher Lee et Richard Widmark basé sur un roman de Dennis Wheathley qui se déclara choqué par l’adaptation qu'il qualifia d'"obscène". Si, à sa différence, L’amour fou ne comporte pas véritablement de scènes érotiques même si on y aperçoit la poitrine de l'actrice, son sujet est assez sombre. Un lycéen, Michael Harms (Markus Boysen), veut imposer une relation intime à sa camarade de classe Sina Wolf dont il a surpris la liaison avec son Professeur Helmut Fichte (Christian Quadflieg) ; la jeune fille accepte de mauvaise grâce d'accompagner dans les bois celui qui la tient en son pouvoir et apparemment de se donner à lui, mais tandis qu'il affirme avec insistance qu'il tuera l’enseignant dont elle s’est éprise si elle continue à le fréquenter, elle cherche une grosse pierre et s’en sert pour lui fracasser le crâne pendant qu’il l’étreint, avant de déclarer à la police que le couple a été attaqué par un violeur recherché. Elle commet l’erreur de reconnaître à la morgue le prétendu coupable, mais l’enquête du Commissaire Finke (Klaus Schwarzkopf) révèle par la suite que le criminel abattu ne pouvait pas physiquement se trouver sur les lieux au moment de la commission des faits, et qu’elle a donc manifestement tout inventé. Elle tente alors de se suicider près de la rivière où elle avait l’habitude de se rendre avec le Professeur Fichte, mais le pistolet subtilisé à son père s’enraye et elle renonce finalement à essayer de se noyer – le travelling révélant derrière des fourrés la jeune fille éplorée annonce quelque peu les mouvements de caméra au sein de la forêt de L’Histoire sans fin. L’intrigue est soigneusement mise en scène. A la différence de la série allemande contemporaine Inspecteur Derrick qui comporte généralement une dimension morale implicite, le réalisateur se défie d’un regard trop moralisateur ; la jeune fille a tué mais son prétendant est dépeint comme un être brutal, le Professeur Finke éprouve des difficultés à rompre, car il s’est attaché à son élève, tandis que son épouse (Judy Winter) se montre très compréhensive à l’égard de la jeune fille, quant à l’assistant du commissaire, il ne se parvient pas à condamner l’enseignant d’avoir cédé à la tentation, se faisant finalement rabrouer par son supérieur pour ses propos complaisants sur cette idylle clandestine avec la mineure. La diffusion un dimanche soir à une heure de grande écoute de cette liaison entre un enseignant et une jeune élève suscitera des réactions outragées dénonçant comme licencieux et immoral cet épisode, qui n'en deviendra pas moins un des plus populaires et rediffusés de la série.
La même année, Wolfgang Petersen fait à nouveau scandale en mettant en scène une autre romance, celle-là entre deux hommes, un prisonnier et le fils d’un gardien de prison dans La conséquence (Die Konsequenz), incluant notamment un baiser explicite qu’on retrouve sur certaines affiches du film. Il décide l’acteur Jurgen Prochnow, né la même année que lui et qu’il a dirigé dans l'épisode Jagdrevier de Tatort, d’abord réticent, d’incarner le personnage, en l’assistant de près sur le tournage. Celui-là déclarera plus tard qu'il risquait alors d'endurer une peine de prison pour atteinte à la morale publique. Le film suscitera la contestation mais vaudra aussi un nouveau succès d’estime à Wolfgang Petersen, recevant une récompense nationale, lequel n’était d’ailleurs pas davantage homosexuel que son acteur – il a eu une fille d’un mariage avec une actrice avant de se remarier en 1978 avec son assistante – même s’il prend clairement parti pour le couple hors-norme.
Un nouveau départ avec le Bateau
Les Studios allemands Bavaria firent l’acquisition des droits d’adaptation cinématographique du livre The Styx écrit en 1972 par Lothar Günther-Buchheim, qui était correspondant de guerre dans un sous-marin en 1941. La production débute en 1976 avec la création de décors et d’un sous-marin pour les scènes extérieures, et deux réalisateurs américains se rendent successivement dans les studios, John Sturges puis Donald Siegel tandis que Robert Redford est pressenti pour le rôle principal, mais l’auteur s’oppose vigoureusement à la perspective d’une coproduction avec les Américains qu’il soupçonne de vouloir livrer un éclairage particulièrement à charge à l’encontre des militaires allemands. Le projet dorénavant privé de financement américain s’arrête, jusqu’à ce qu’en 1979, un nouveau producteur soit nommé à la tête des Studios Bavaria. Désireux de voir Le Bateau (Das Boot) aboutir, il décide de s’en tenir à un financement allemand, avec l’idée d’amortir les coûts en en tirant conjointement un film de cinéma et une mini-série télévisée en cinq épisodes, financée par des chaînes de télévision nationales, WDR et SDR. Wolfgang Petersen est choisi pour donner corps à l’adaptation, et durant plusieurs mois, il écrit deux versions du scénario, une pour le film et l’autre pour le format télévisé. Le metteur en scène est d’abord réticent à engager un acteur qu’il connaît bien mais qu’il croit trop jeune pour incarner le capitaine du bâtiment de guerre, Jurgen Prochnow, à la manière quelques années plus tard de John Carpenter pour The Thing qui aurait initialement plutôt vu Clint Eastwood dans le rôle principal que son ami Kurt Russell ; quelques essais démontrent que, dans les deux cas, l’acteur portant la barbe fait plus vieux que son âge, et le visage sévère du comédien allemand se prête en fait naturellement à interpréter le Commandant Heinrich Lehmann-Willenbrock endurci par les épreuves du combat. Les autres acteurs sont souvent des débutants, donnant au public allemand l’impression de découvrir de vrais anonymes jetés dans la guerre.
Le tournage en intérieur est éprouvant et même dangereux pour les interprètes de l’équipage, Wolfgang Petersen veillant à faire reproduire en studio sans artifices toutes les avanies subies par les marins, des violentes secousses aux trombes d’eau. Le technicien manœuvrant en mer le sous-marin miniature, enfermé dans l’espace réduit et étouffant de l’appareil dans lequel il respire difficilement et endure de graves troubles digestifs, manque plusieurs fois de couler avec son habitacle. Certaines scènes sont tournées en France, sur fond des bunkers du Port de la Rochelle, ce qui suscite quelque heurt avec la population locale ayant la sensation de revivre le traumatisme de l’Occupation, de sorte qu’un acteur vêtu de sa tenue militaire est pris à partie, malmené et sur le point d’être jeté à l’eau par un badaud. La réplique de sous-marin grandeur nature est fortement endommagée lors d’une tempête, mais des réparations de fortune avec des plaques en bois peint permettent de tourner la scène du retour au port, d’autant qu’à la fin du film, l’appareil est réellement censé avoir été endommagé au cours de sa mission. Le metteur en scène ne ménage pas sa peine et motive suffisamment ses acteurs pour qu’ils acceptent de tourner également durant le week-end.
La version cinéma est finalement elle-même montée en deux versions alternatives, l’une correspondant au format classique, une seconde durant plus de cinq heures pour retranscrire davantage l’œuvre littéraire et l’évolution des personnages.
À nouveau, un film de Wolfgang Petersen dérangeait en Allemagne, car Le Bateau semblait mettre à l’honneur les marins engagés dans la guerre de conquête d’Hitler, allant au bout d’eux-mêmes pour accomplir leur mission, et il était alors convenu que l’œuvre représentait une tentative à peine voilée de réhabiliter le IIIème Reich ou du moins ceux qui s’étaient battus en son nom. Pourtant, en dépit du courage dont témoignent les personnages dont on suit au plus près les épreuves dans ce film prenant, le spectateur est invité à porter un regard critique sur ces militaires au travers du correspondant de guerre, le Lieutenant Werner (Herbert Grönenmeyer) qui est l’incarnation de l’auteur. Une scène particulièrement éprouvante montre le capitaine décidant de laisser se noyer les marins du navire qu’il a coulé, conformément aux ordres du chef de la Marine du Reich Karl Dönitz – il faut cependant indiquer que des Alliés avaient précédemment bombardé un vaisseau allemand alors qu’il s’exposait pour recueillir des naufragés anglais comme l’y enjoignaient les lois de la guerre, un acte insensé mettant fin à ce code de l’honneur maritime aussi bien qu’aux dispositions internationales. Le commandant obstiné campé par Prochnow est si investi dans sa mission qu’il trouve même Hitler trop velléitaire, tandis que son second, Philipp Tomsen (Otto Sander), désabusé, est devenu alcoolique. Les hommes qui ont triomphé de la mort, alors que la musique de Klaus Doldinger a illustré comme miraculeuse leur remontée des profondeurs au sein desquelles ils risquaient de périr broyés par la pression, sont finalement fauchés par le bombardement du port lorsqu’ils rentrent de mission à la Rochelle. On peut se demander si le commandant à l’agonie ne paraît pas plus intimement touché par la perte de son précieux sous-marin, comme en témoigne son regard dévasté en direction du navire en train de sombrer, que par leur agonie, tandis que l’un de ses hommes expire auprès de sa fiancée française qu’il avait tant craint de ne jamais revoir, ce dénouement tragique faisant paraître quelque peu dérisoire toute l’épopée maritime qui précède.
Il est peu dire que Le Bateau ne fit pas l’unanimité en Allemagne. Les anciens combattants reprochèrent le langage cru qu’on leur prête – sans parler de la scène de fête durant laquelle des marins hilares aspergent le sexe d’une prostituée avec du champagne. L’auteur lui-même partage l’avis moralisateur des critiques. En 1981, Lothar Günther-Buchheim, tout en reconnaissant le soin apporté à la vraisemblance des décors du film, estima que Wolfgang Petersen avait fait de son histoire un film d’action hollywoodien à bon marché et considérait lui aussi que la tonalité pacifiste de son livre avait pris à l’écran les atours d’un film de propagande allemand à la tonalité réaliste glorifiant la Seconde Guerre mondiale. Il retint cependant ses critiques à l'endroit de la version longue, et se montrera un peu plus clément lorsqu’il prendra connaissance de l’intérêt bienveillant que Le Bateau suscita chez l’ennemi d’hier, en Angleterre et aux États-Unis.
Un homme providentiel
Avec Le Bateau, Wolfgang Petersen avait prouvé qu’il n’était pas seulement un metteur en scène accompli, capable de susciter un intérêt international comme avec L’amour fou, mais qu’il avait aussi l’envergure nécessaire pour superviser une production ambitieuse riche en difficultés techniques, avec autant de réussite que les Américains auxquels il avait été amené à se substituer, et les producteurs allemands sauraient s’en rappeler si nécessaire.
Les producteurs Dieter Geissler et Bernd Eichinger avaient convenu d’une adaptation du roman L’Histoire sans fin (Die unendliche Geschichte), très populaire auprès des enfants, avec l’auteur Michael Ende. Le projet est dès l’origine tiraillé entre la volonté d’Eichinger d’en tirer un film hollywoodien et son propre assistant Christian Schneider rédigeant un script tenant davantage d’un film spécifiquement européen au caractère plus expérimental. Un nouveau scénariste, Herman Weigel, est engagé durant l’automne 1981. Lorsque le projet de L’Histoire sans fin (en anglais The NeverEnding Story) se révèle beaucoup plus cher et ambitieux que prévu, les producteurs remplacent peu après le début du tournage en juillet 1982 le réalisateur prévu, Helmut Dietl, par Wolfgang Petersen, confiant en sa capacité de maîtriser l’ensemble des aspects du film incluant nombre d’effets spéciaux. À l’automne suivant, l’écrivain Michael Ende prend connaissance du scénario et s’indigne que son histoire s’oriente vers ce qui lui paraît être une aventure disneyenne assortie d’une fantaisie stupide, selon ses termes. Wolfgang Petersen parvient à suspendre son ire en travaillant avec lui sur une nouvelle version du scénario, et ce en dépit de l’hostilité du producteur Bernd Eichinger toujours soucieux que le résultat trouve sa place auprès du marché international et notamment de distributeurs américains.
Lorsque le film sort, l’auteur Michael Ende revient violemment à la charge, déplorant le remaniement de l’histoire par le metteur en scène postérieurement à leur réécriture en commun et exigeant que la production s’arrête ou que les auteurs changent le titre du film, mais son action en justice est rejetée. Il publie en mars 1983 un violent communiqué de presse, reniant le film comme étant une entreprise éhontée, un « mélodrame commercial, kitsch, empli de peluche et de plastique », mais abandonne finalement sa campagne de dénigrement public en raison de menace d’un procès par les producteurs et il est contraint de signer une déclaration selon laquelle il s’engage à renoncer à toute poursuite à l’encontre du film. Si le reproche d’avoir minoré le rôle créateur de Bastien paraît excessif, puisque dans l’avant-dernière scène, c’est bien le jeune humain qui sur injonction de la petite princesse de Fantasia (Fantastica dans le livre) recrée le monde imaginaire pulvérisé par le Néant, d’autres observations portant sur le fond peuvent être reçues avec davantage d’attention.
L’épilogue représente effectivement un cas plus sérieux de contestation par l’écrivain. Pour Michael Ende, la liberté d'exercer son imagination est certes essentielle, car elle permet de s'affranchir du conformisme qui porte en germe le totalitarisme ; selon son affirmation « même si elle ment un peu, la fiction est plus réaliste que la réalité », le fantastique au sens large sert par le biais de la métaphore à révéler une vérité profonde. Toutefois, il souhaitait aussi, comme exprimé dans la seconde partie du roman, indiquer qu’il ne fallait pas pour autant s'abandonner complètement à la fiction jusqu’à perdre le contact avec la réalité, et il se montra ainsi révulsé que dans l'épilogue, le personnage féerique du dragon Porte-bonheur Falkor se manifeste dans la vie de Bastien pour le défendre contre les vauriens qui le malmènent, estimant absurde qu’un être imaginaire puisse apporter son concours à un humain. Michael Ende soulève ainsi la question de la délimitation que l'auteur d'un récit fantastique établit avec le réel, défendant implicitement une conception selon laquelle les éléments inventés revêtent d’autant plus d’intérêt que l’écrivain s’attache à conserver une certaine ambiguïté quant à leur nature comme au travers de la mise en abyme entre le spectateur, le personnage de Bastien qui le représente et le héros imaginaire Atreyu en lequel ce dernier se projette, maintenant à distance du monde sensible dans lequel vit le lecteur sa création dans un système de dualité, plutôt que de chercher à impliquer celui-ci dans une fantaisie plus débridée et illusoire abolissant tout frontière avec la fiction.
Si l'on peut estimer fort recevables les observations de l'écrivain, il est néanmoins permis de considérer ses reproches comme assez excessifs, ceux-là rappelant le courroux injustifié de certains lecteurs de Dune de Frank Herbert à l'encontre du film de David Lynch qui en est pourtant une honnête adaptation. Wolfgang Petersen reconnut que les relations avec Michael Ende n'avaient jamais été de nature cordiale - il est d'ailleurs notable qu'il n'existe pas de photo publique montrant les deux hommes ni même de l'écrivain associé à la production du film, et qu'il ne pouvait que souhaiter qu'avant sa disparition en 1995, l'auteur ait fini par apprécier davantage l'adaptation cinématographique.
La réaction virulente de Michael Ende jusqu’au recours à l’action en justice a dissuadé durablement les producteurs de porter à l’écran la seconde partie du roman comme le souhaitait pourtant l’auteur. Le temps nécessaire pour trouver finalement un arrangement et le long processus d'écriture pour adapter scénaristiquement cette seconde partie contraignit à trouver de nouveaux interprètes correspondant à l'âge des personnages, à l’exception de celui du libraire Coreander, détenteur du livre magique, un rôle d'initiateur à l'évasion que reprend Thomas Hill dans ce second film, réalisé en 1990 par George Miller, L’Histoire sans fin II, (The NeverEnding Story II : the Next Chapter).
L'auteur se déclara à priori satisfait de cette nouvelle adaptation, faisant montre de plus de compréhension que pour le film de Wolfgang Petersen, estimant que même si l'histoire s'éloignait selon lui encore davantage de celle du roman, le nouveau long métrage en respectait davantage l'esprit. Il ne sera pourtant, par la suite, même pas fait mention de cette seconde adaptation sur le site officiel de l'auteur, sans parler même du dernier volet assez plaisant de la trilogie plus ouvertement destinée à la jeunesse, The NeverEnding Story III : Escape from Fantasia de Peter MacDonald en 1994, produit par Dieter Geissler qui avait toujours souhaité faire une trilogie, dans lequel des personnages imaginaires, un bébé mangeur de pierre et un arbre ambulant, traversent ouvertement le voile de Fantasia pour faire irruption dans la vie quotidienne de Bastien, mais il est vrai que cette transgression assumée n’était cette fois plus l’adaptation directe de l’œuvre de l’auteur, achevant certainement de le détourner à jamais de l’univers cinématographique.
Même après la disparition de l’écrivain, la productrice Kathleen Kennedy, qui avait envisagé en 2009 de produire une nouvelle adaptation "plus nuancée" du roman, y renoncera deux ans plus tard faute d’avoir pu obtenir un plein accord des ayants droit. Il aurait peut-être été intéressant de pouvoir découvrir une version alternative se réclamant d’une approche plus fidèle à la sensibilité de l’auteur – même s’il est à craindre que la magie en aurait été en grande partie absente si comme on peut le pressentir, Hollywood avait peuplé le film de créatures créées par ordinateur comme il nous y a tristement habitués depuis un quart de siècle au lieu des personnages conçus par Colin Arthur ; il semble toutefois que quelle que soit la sincérité dont se réclament les producteurs, la rupture soit définitivement consommée entre l’œuvre de Michael Ende et le monde du cinéma. Les enjeux du roman n'auront cessé de causer des tensions puisque, plus anecdotiquement, l'avocat de l'écrivain affirma après sa mort être devenu le détenteur des droits du livre jusqu'à ce que les héritiers mettent fin à cette revendication après une action en justice.
Wolfgang Petersen dont les films se trouvaient davantage appréciés en Amérique que dans son pays d’origine où les auteurs des romans qu’il adaptait étaient fort critiques à son encontre, se laissa finalement convaincre par les producteurs d’Hollywood. Une troisième fois, après Le Bateau et L’Histoire sans fin, il allait se révéler le sauveur d’un projet, tel l’Américain John Frankheimer qui fut appelé à la rescousse en 1996 pour terminer le second projet de remake de L’île du Dr Moreau (The Island of Dr Moreau) avec Marlon Brando. Le tournage d’un film de science-fiction, Enemy Mine tiré du roman de Barry Longyear, mettant face à face un humain et un extraterrestre, deux antagonistes échoués sur une planète hostile, avait débuté en Islande sous la direction de Richard Loncraine, auquel on devait notamment le film d’épouvante Le cercle infernal (Full Circle/The Haunting of Julia). Les producteurs s’avisèrent que le film risquait de virer au fiasco. Le tournage en extérieur en Islande avait été freiné par les conditions météorologiques, notamment des chutes de neige, et la production, estimant que la différence d'avec les scènes filmées en studio à Budapest était manifeste, avait commencé à douter du réalisateur victime des circonstances. La production est arrêtée jusqu'à l'arrivée de deux nouveaux responsables à la tête de la Twenty Century Fox qui décident d'essayer de limiter les pertes en menant à terme le projet et engagent un autre réalisateur habitué aux aléas des projets ambitieux. Après avoir examiné les potentialités du scénario, le metteur en scène allemand accepte de prendre la relève dès qu’il aura pu achever le tournage de L’Histoire sans fin, période durant laquelle le studio accepte de payer les deux interprètes principaux afin qu'ils demeurent disponibles jusqu'à cette échéance.
Wolfgang Petersen retouche le scénario en supprimant une séquence de flashback et se montre désireux d’utiliser des paysages côtiers d’Afrique pour les plans larges en extérieur, les paysages d’Islande traduisant trop pour lui leur origine géographique, et la production lui accorde à défaut de tourner à Lanzarote dans les îles Canaries. Dans son souci de perfectionnisme, il demande à l'équipe des maquilleurs de Chris Walas de revoir l'ensemble de leurs réalisations. Il estime le maquillage de l’extraterrestre d'apparence trop caoutchouteuse et demande qu'on lui confère une allure plus ouvertement reptilienne conformément à la description de l'œuvre originelle. Chris Walas se montre réticent à se plier à cette injonction, car il estime avoir vu déjà un certain nombre d'hommes-lézards à l'écran – on peut penser à Grig dans The Last Starfighter ainsi qu'à la série V et à un des chasseurs de primes de L'Empire contre-attaque (Empire strikes back), connu sous le nom de Bossk, et il incline pour un faciès se rapprochant plutôt de celui d'un batracien. Après plusieurs essais, il s'oriente vers une combinaison entre le crâne d'un Néandertalien et la bouche du poisson marcheur des mangroves d'Asie du Sud-est, le périophtalme, et il finit par sculpter un modèle de la version finale directement sous la supervision du réalisateur. Son assistant Stephan Dupuis crée pour suppléer à l'absence de nez un cône dissimulé sous la saillie de la bouche pour permettre l'arrivée d'air et ménage deux petites ouvertures dans le masque camouflées en tâches noires. Wolfgang Petersen demande aussi à l'atelier de Chris Walas de substituer aux formes de vie indigènes de la planète Fyrine IV similaires à des arthropodes qui avaient été retenues initialement, ressemblant à des cloportes et à une larve de coléoptère géante inspirée de celle de la cicindèle, des formes de vie plus originales, choisies après avoir envisagé différentes options. Les créatures rampantes dont les carapaces servent à constituer une habitation contre les pluies de météorites se déplacent sur une sole ondulante au bord multilobé recouvert d'une frange bilatérale de soies, et sont pourvues de deux groins en plus de la bouche, de deux épais tentacules sensoriels et de trois yeux. Le grand prédateur est lui finalement créé sous forme d'une sorte de dragon aux allures de murène reptilienne à l'épiderme écailleux ; il se déplace à l'aide d'extensions latérales qui ne sont pas montrées dans le film, car, lorsqu'il quitte le puits de sable dans lequel il piège ses proies à la manière de la larve du fourmilion pour chasser les naufragés sous leur tente, l'obscurité empêche alors d'apercevoir autre chose que sa gueule vorace.
Face à l'humain joué par Dennis Quaid (future vedette de L’Aventure intérieure), l’acteur Louis Gossett Jr. donne vie à l'extraterrestre en lui conférant une singularité indéniable sous le masque mobile, dans ce beau film d’aventure épique qui représente une parabole pacifiste cette fois incontestable, avec ces deux êtres censés se haïr dans une guerre opposant leur peuple, alors que la malfaisance authentique est incarnée par de vils esclavagistes dont le chef est interprété par Brion James (Leon dans Blade Runner). Wolfgang Petersen accomplit une nouvelle fois sa mission avec succès, à l’issue de sept mois de tournage, au prix d’un doublement du budget, parvenant à faire d'un film à l'intrigue assez statique une œuvre sans faiblesses à laquelle la composition de Maurice Jarre confère presque par moment une tonalité mystique.
Hollywood, ou le risque de la banalisation ?
Dorénavant, Wolfgang Petersen s’intègre parfaitement à la machine de production américaine. Il enchaîne les films d’action parfaitement maîtrisés, mettant des hommes aguerris aux prises avec des situations de crise, comme Dustin Hoffmann en médecin s’efforçant d’endiguer une épidémie du virus Ebola alors que l’armée menace d’user du moyen plus radical d’atomiser la population infectée dans Alerte ! en 1995 et Harrison Ford en président des États-Unis combattant dans son avion officiel des terroristes qui ont pris en otage sa famille en 1997 dans Air Force One – l’ancien président Donald Trump fera d’ailleurs son entrée pour annoncer sa victoire aux élections devant le parterre de ses partisans après que fut diffusée la glorieuse musique composée par Jerry Goldsmith pour le film. Fasciné depuis l’enfance par la puissance de la mer hanséatique, il montre à nouveau après Le Bateau le combat des hommes face à l’océan dans En pleine tempête en 2000 tiré d’une histoire vraie sur un groupe de survivants ayant affronté les éléments déchaînés – avec cette fois une vague créée virtuellement – ainsi que dans le film catastrophe Poseidon en 2006. Le réalisateur de L’Histoire sans fin n’abordera plus le Merveilleux dans la suite de sa carrière puisqu’en 2000, il finit par décliner la proposition de réaliser la première aventure cinématographique d’Harry Potter, ni la Science-fiction après la brève mais honorable incursion d’Enemy Mine puisqu’après avoir envisagé d’adapter au cinéma La stratégie Ender (Ender’s Game) d’Orson Scott Card, il se désiste finalement du projet en 2008.
Le public anglo-saxon s’était montré le plus favorable à l’égard de Wolfgang Petersen dans la première moitié de sa carrière, à fortiori si l’on se rappelle de l’hostilité des écrivains de son pays qu’il avait adaptés. Nul ne conteste la capacité démontrée du cinéaste à livrer des films sans temps morts, à narrer une histoire riche en suspens et en rebondissements, mais on lui reproche parfois de ne pas insuffler de personnalité particulière à ses œuvres comme on le dit souvent de son compatriote Roland Emmerich. C’est un peu comme s’il avait confirmé l’avis alors manifestement injuste des auteurs du Bateau et de L’Histoire sans fin, qui le dépeignaient déjà à l’époque de ces adaptations comme n’étant qu’un réalisateur de films d’action selon les standards hollywoodiens. Ce cinéaste tranquille dont les œuvres de la première partie de la carrière ont suscité la controverse demeurera en tout cas sans doute à jamais associé au Bateau et à L’Histoire sans fin, des films prestigieux qui, en dépit des avis négatifs des auteurs, ont su transporter les spectateurs et resteront dans nos mémoires.
Disparu le 22 septembre 2022 à l’âge de 79 ans, Peter Straub était un des plus célèbres écrivains d’épouvante américains contemporains. Il était notamment l’auteur de Julia (1975), narrant la hantise d'une demeure par l'âme d'une petite fille maléfique, qui connut une adaptation cinématographique deux ans plus tard avec Le Cercle infernal (Full Circle/The Haunting of Julia) ainsi que du Fantôme de Milburn (Ghost Story), roman de 1979 adapté également deux ans plus tard au cinéma, une histoire de vengeance d’outre-tombe pour laquelle le maquilleur Dick Smith avait créé des maquillages incroyablement morbides pour le personnage décati interprété par Alice Krige. Il avait aussi co-écrit deux œuvres avec son ami Stephen King, Le talisman (The Talisman) en 1986 et Territoires (Black House) en 2002.
Mise à jour :
L’actrice Louise Fletcher a disparu le 23 septembre 2022 en France où elle résidait habituellement, comme une autre actrice américaine, Catherine Schell. Née de parents sourds, elle n’apprit à parler qu’à l’âge de huit ans auprès de sa tante. Elle figure dans des séries télévisées comme Les incorruptibles (The Untouchables) dans les années 1950. Après s’être consacrée à sa vie de famille, elle apparaît sur le grand écran au milieu des années 1970, son visage sévère la destinant naturellement à des rôles autoritaires. Son plus grand triomphe est l’infirmière inhumaine qu’elle compose dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (One Flew over the Cuckoo’s Nest) de Milos Forman en 1976, Mildred Ratched, qui persécute le criminel se faisant passer pour fou qu’interprète Jack Nicholson, au sein d’une distribution étonnante qui comporte notamment Brad Dourif, Christopher Lloyd, Vincent Schiavelli ou encore Will Sampson. Sa prestation ne lui vaut pas moins de trois prix. Si elle renoue avec la télévision, apparaissant dans des séries comme Urgences (ER), La Cinquième dimension (The Twilight Zone), Les Contes de la crypte (Tales of the Crypt) et Star Trek : Deep space Nine, elle poursuit conjointement sa carrière sur le grand écran, avec le très dispensable L’Exorciste 2 : L’Hérétique (Exorcist 2 : the Heretic) en 1977, Les envahisseurs parmi nous (Strange Invaders) en 1983 ainsi que Brainstorm, film que le réalisateur et créateur d’effets spéciaux Douglas Trumbull aura tant de difficultés à achever suite à la mort soudaine de l’actrice Natalie Wood, dans lequel Louise Fletcher dans le rôle de Madame Benjamin frappée par une crise cardiaque communique la vision ressentit à la survenue de la mort au travers d’une invention qui visualise les impressions ressenties ; ce film lui vaudra de se voir décerner un Saturn Award, un prix délivré au titre du cinéma fantastique et de science-fiction. Elle est en 1986 une institutrice terrifiante, Madame McKeltch, dans L’invasion vient de Mars (Invaders from Mars), remake d’un film des années 1950, dans lequel elle passe sous le contrôle d’extraterrestres qui lui ont placé un implant derrière la nuque ; on oubliera pas de sitôt la séquence dans laquelle son élève la surprend alors qu’elle avale une grenouille du cours d’histoire naturelle, ce qui prendra un relief ironique lorsqu’elle se trouve à son tour gobée par un extraterrestre glouton, une brute servant l’Intelligence suprême de Mars. En 1990, elle est un des personnages principaux du film de série B Shadowzone dans lequel elle piège involontairement au cours de recherches sur les rêves une créature interdimensionnelle redoutable ; elle parviendra finalement à la renvoyer dans son monde, ce qui ne l’empêchera pas d’en être la dernière victime. Dans un registre plus léger, elle faisait une apparition dans la comédie Le Noël de Denis la Malice (A Denis the menace Christmas) en 1997. Au travers de sa carrière diverse, Louise Fletcher aura incarné nombre de personnages féminins bien peu amènes aux apparitions remarquées.
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