vendredi 11 juin 2021

LA BALEINE EST-ELLE UN HIPPOPOTAME COMME LES AUTRES ?



LA CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE DU VIVANT, INCONTESTÉE MAIS CONTESTABLE


1ère PARTIE : La généalogie à contre-temps


Ordonner la variété des formes vivantes selon des catégories intelligibles est une préoccupation qui ne peut laisser indifférente toute personne s’intéressant à la diversité des créatures qui habitent la planète. Les classifications des organismes et notamment des espèces animales ont été fortement bouleversées depuis plus d’une vingtaine d’années. Aux améliorations continues au fur et à mesure de l’enrichissement des connaissances se sont finalement substituées de complètes reconfigurations, heurtant les représentations telles qu’elles se sont progressivement constituées depuis le Siècle des Lumières sous l’égide de Karl Von Linné, Jean-Baptiste Lamarck, Simon Pallas, Georges Cuvier pour ne citer que les plus connus des premiers grands classificateurs. On ne peut évoquer sérieusement ces enjeux scientifiques sans en restituer en partie la complexité, mais le sujet le nécessite, et le lecteur attentif pourra ainsi découvrir certaines bizarreries auxquelles conduit l’approche ayant actuellement la faveur du milieu professionnel, et que peu d’esprits libres osent contester, de sorte qu’il lira rarement les éléments ici présentés dans l’optique anticonformiste de ce site indépendant attaché à une vulgarisation de qualité.

Dans leur aspiration à décrire le monde qui les entoure, les êtres humains se sont assez tôt attachés à faire entrer les espèces vivantes dans des ensembles définis – à l’exception de l’époque de la Querelle des Universaux au Moyen-Âge, lorsque certains auteurs postulaient la singularité de chaque être en réfutant la pertinence de catégories générales. Les premières classifications se rapportaient aux caractéristiques magiques prêtées aux animaux ou à leur comestibilité, généralement conditionnée à des critères religieux, d’autres, émanant pourtant d’auteurs davantage intéressés par la zoologie, les envisagèrent de manière très approximative comme à l’époque médiévale en se basant notamment sur la taille (les petits animaux étant appelés insectes) et le milieu (les animaux aquatiques étant généralement désignés sous le terme de poissons), puis en combinant ces subdivisions pour en former une supplémentaire, celle des "insectes marins".

Mettre de l’ordre dans la variété de la nature

Avec le précurseur savant grec Aristote puis les premiers naturalistes de la Renaissance s’est affirmé progressivement le souhait d’établir des classements plus élaborés, rendant compte des affinités entre espèces sur des critères plus précis, même si l’idée de réelle parenté entre elles ne prendra tout son sens qu’avec la théorie de l’évolution qui postule une ascendance commune. La première tentative du naturaliste suédois Karl Von Linné, botaniste d’origine qui a fondé la dénomination scientifique formée d’un nom de genre suivi de celui de l’espèce, comme pour Homo sapiens ou Canis lupus (en langue gréco-latine, mais on a vu dans l’article La peoplisation du monde vivant que cette règle n’était à présent plus vraiment respectée), reste imprégnée de schématisme hiérarchique. L’homme étant perçu comme l’aboutissement de la Création, il le place au sommet de la pyramide, au sein des Primates (initialement appelés Anthropomorphes), même si Linné y inclut les singes en acceptant des ressemblances qui seront encore contestées avec horreur lorsque Darwin déduira que les deux lignées sont issues d’une même souche. Il reconnaît aussi des proximités entre ce groupe et celui des autres mammifères comme le chien et la vache, qu’il rassemble dans les Secondates ; enfin, tous les animaux restants, du lézard à la fourmi en passant par les poissons sont réunis dans un tiers état indistinct, les Tertiates – il faut dire que l’Abbé Dicquemare considérait pour sa part que les "groseilles de mer", des animaux marins presque essentiellement composés d'eau constituant l'embranchement des Cténaires et pourvus de cils vibratiles disposés à la manière de peignes tel Mnepiosis connu des lecteurs de l’article La revanche des plus humbles, représentaient des formes de vie si rudimentaires qu’elles étaient indignes d’intérêt. Il faut rendre cependant justice à Linné de s’être par la suite penché avec autant de sérieux sur le règne animal qu’il en avait témoigné auparavant pour son étude du monde végétal, proposant alors des classifications bien plus élaborées, similaires à celles de ses collègues Simon Pallas et Jean-Baptiste Lamarck – le premier à avoir défendu avec sa notoriété l’idée de transformation graduelle des espèces – dont Georges Cuvier prendra la suite en cherchant à établir à son tour de grands plans d’organisation du monde animal et en recherchant les catégories menant de l’un à l’autre, même s’il n’en retirait pas toutes les implications, contestant vigoureusement comme son bouillant disciple de Blainville que ces espèces intermédiaires, actuelles et fossiles, puissent constituer des formes transitionnelles, ceux-là étant de vigoureux opposants à la vision darwinienne.

L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ne visait pas qu'à prôner des idées politiques avancées en diffusant les conceptions des philosophes en matière de libertés publiques mais aussi à dresser un inventaire détaillé du monde, incluant aussi bien les diverses manifestations du monde naturel que les sciences et techniques ; ci-dessus, fac-similé reproduisant la partie de la somme consacrée aux deux classes de vertébrés dits les plus évolués dont avait traité le Comte de Buffon dans ses volumes parus entre 1753 et 1783 relatifs aux quadrupèdes et aux oiseaux. 

A la différence de L'Histoire naturelle de Buffon, les tomes de L'Encyclopédie de Diderot et Dalembert parus entre 1751 et 1771 n'ont pas délaissé les autres groupes d'animaux tels que les reptiles, les poissons, les animaux marins non vertébrés incluant les coraux et éponges ou encore les vers parasites nommés Helminthes y compris un groupe peu connu du grand public comme les Acanthocéphales qu'on trouve surtout chez les poissons. Si la classification n'était pas très aboutie, les descriptifs étaient très complets pour l'époque ; ci-dessus, cette planche des "vers mollusques" représentent une limace surmontant une "limace de mer" (Nudibranche) et sous le nom de "triton" une balane retirée de sa coquille, et en dessous, des holothuries ou "concombres de mer" préludant la présentation d'autres espèces plus vermiformes du groupe dépourvues d'ambulacres sur une autre planche.



Né la même année que Buffon, le Suédois Linné s'est investi dans la recherche d'une classification naturelle regroupant les espèces sur la base de ressemblances bien établies au lieu de la simple juxtaposition figurant dans L'Encyclopédie, sans pour autant en déduire de réelles parentés, consacrant d'abord ses efforts à son domaine de prédilection, la botanique, avant de s'attacher avec un même succès à établir les classes animales à partir de la première édition en 1735 de son Systema naturae. 


La passion pour l'étude et le classement des espèces au Siècle des Lumières s'est aussi enrichie de la découverte d'un monde de créatures dans l'infiniment petit avec la mise au point du premier microscope en 1676 par le drapier hollandais Anton van Leeuwenhoeck. En haut, la représentation de daphnies - puces d'eau, un crustacé invisible à l'œil nu du groupe des Cladocères ("qui portent des bois"), représenté en 1685 pour Historia Insectorum generalis de Jan Swammerdam. En bas, reprise de croquis d'Anton van Leeuwenhoek dans un ouvrage de 1795, avec en haut des bactéries, le protozoaire cilié Dileptus, à côté et en dessous, des rotifères, à droite, une puce d'eau, en bas à gauche, un organisme colonial, le Volvox, des larves d'insectes, notamment celle de la simulie avec ses deux panaches branchiaux, un oligochète, parent aquatique microscopique du ver de terre, et des spermatozoïdes. 

Même si de grands éthologues tel Rémy Chauvin ou un zoologiste renommé comme Pierre-Paul Grassé demeurèrent rétifs à la conception évolutive du monde vivant, l’idée de transformation graduelle des espèces a fini par s’imposer largement dans le domaine des sciences du vivant. Dès lors, il ne s’agissait plus simplement de classer les espèces selon des séries retrouvant les plans divins ayant concrétisé toutes les variations possibles comme au temps des fixistes (on dit aujourd’hui créationnistes) de la même manière qu’on peut classer les ustensiles de cuisine par types, mais bien de reconstituer la manière dont les espèces ont évolué les unes par rapport aux autres depuis des formes originelles, en effectuant des recoupements et des déductions à partir de l’anatomie comparée dont le Baron Georges Cuvier et Isidore Geoffroy Saint Hilaire furent de grands promoteurs, de l’embryologie qui révèle un schéma primordial, par exemple commun à tous les vertébrés, de la roussette de mer à l’homme – Ernst Haeckel disait que l’ontogenèse résume la phylogenèse, autrement dit que les traits communs d’embryons récapitulent des étapes majeures de l’évolution de leur groupe – et enfin par l’étude des fossiles dont encore Cuvier ainsi que l’Anglais Richard Owen furent des pionniers, la paléontologie étant irremplaçable pour inventorier et décrire les restes de formes disparues qui indiquent là aussi des étapes anciennes dans la transformation des êtres. La classification phylogénique développée plus particulièrement à partir des années 1960 cherche même plus précisément à ce que la classification des espèces retranscrive exactement l’arbre du vivant en reconstituant ses branches, ses "clades", c’est-à-dire en s’attachant à regrouper sur un même rameau toutes les formes issues d’un ancêtre commun.

Présentation des liens de parenté entre organismes actuels selon un arbre phylogénétique simplifié ; celui-là a été modernisé pour tenir compte de la conception actuelle de deux règnes distincts de bactéries, mais préserve la conception traditionnelle du règne animal, en ne retenant notamment pas la conception des vers nématodes comme ancêtres des animaux à pattes à articulations externes comme les araignées, crabes et insectes - sujet sur lequel se penchera notamment la seconde partie de ce dossier.


Le tournant des années 1990

Au cours des années 1990, le développement de la génétique, et ce qu’il faut bien appeler la mathématisation des esprits, a conduit certains dont l’influence a été exponentielle à rechercher des critères supposés plus "objectifs" que les ressemblances constatables entre des morphologies, qui peuvent parfois être trompeuses en raison notamment d’adaptations convergentes d’espèces à leur milieu, et même entre des dispositions anatomiques analogues, même si la plupart du temps, c’était moins un critère précis qu’un ensemble de corrélations qui incitaient à définir un groupe "naturel". Dorénavant, on établirait la cartographie des gènes, on séquencerait le génome de l’homme et de tous les autres organismes, et l’ordinateur n’aurait plus qu’à effectuer les correspondances, permettant d’établir les degrés de parenté et de préciser "l’horloge biologique" de chaque espèce, soit la date à laquelle elle était apparue dans l’histoire de la vie, grâce à des calculs précis. La nouvelle méthode dite de la biologie moléculaire ne tarda pas à se substituer à celles qui avaient assuré le succès de l’histoire naturelle, les généticiens l’imposant dans un premier temps aux zoologistes, dont les études comparatives étaient jugées plus empiriques, puis rapidement les zoologistes eux-mêmes s’y convertirent massivement, la classification moléculaire parée des atours de la modernité exerçant son hégémonie de la même manière impérieuse et même imprécatrice que l’imagerie numérique supplantait irrésistiblement les effets spéciaux physiques sur les écrans durant la même période avec la même apologie technophile.

Cependant, en dépit du faible nombre d’opinions critiques qui contestent cette conception, la classification moléculaire des organismes vivants n’est pas sans présenter des aspects critiquables qui devraient conduire à ne pas rejeter de manière si catégorique les méthodes jusque-là employées et affinées depuis la fin du XVIII ème siècle, lesquelles se basaient sur des éléments concrets tels qu’évoqués plus haut et permettaient de confronter les différentes interprétations enrichies des nouvelles découvertes.

Il est un peu déstabilisant pour qui s’est intéressé au monde animal dans les décennies précédentes d’appréhender la nouvelle systématique tant elle a été bouleversée façon tabula rasa, au point qu’elle pourrait sembler avoir été agencée de manière aléatoire, et aucun échelon n’est exempt de ces restructurations drastiques qui remettent en cause les certitudes, des embranchements aux familles, des groupes de Protozoaires aux Mammifères. Il en a résulté des réassignations et de nouvelles désignations, quelque peu barbares voire imprononçables, comme les Ecdysozoaires, dont il sera question dans la seconde partie de cette étude.

L’hippopotame en tête de gondole

Le colossal hippopotame paraît bien insignifiant à côté du rorqual bleu, plus grand mammifère vivant au côté duquel il figure dans le Hall du Muséum d'histoire naturelle de Londres.

Les médias assurent de manière récurrente que la science moderne considère dorénavant l’hippopotame comme l’ancêtre de la baleine ou peu s’en faut, et qu’il convient donc de réunir les deux animaux en un même ensemble. Il ne faut pas en l’occurrence blâmer les raccourcis de la vulgarisation, car il s’agit bien là d’une assertion certes schématisée de la biologie moléculaire, quasi-universellement acceptée par conformisme généralisé, qui présente l’hippopotame comme un proche parent des Cétacés, voire parfois comme leur forme originelle. Cela renvoie curieusement à la classification ancienne d’Ernst Haeckel qui rapprochait les deux lignées, en constatant que ces mammifères (Aristote fut le premier à déceler la nature mammalienne des baleines et dauphins) présentaient des adaptations au milieu aquatique permettant d’envisager que l’animal amphibie pût avoir possiblement engendré cette lignée totalement affranchie de la terre ferme. 


Reproductions de mammifères aquatiques dans un ouvrage du XIXème siècle, un sirénien, le dugong, deux cétacés, une baleine et un cachalot, et l'hippopotame amphibie représenté au dessus de son crâne.

Depuis, la systématique et la paléontologie ont considéré que les porcins auxquels on apparente traditionnellement les hippopotames s’étaient distingués de l’ensemble constitué par les ruminants, même si toutes ces catégories sont à présent remises en question par les biologistes moléculaires ; les Cétacés, quant à eux, semblent bien avoir suivi une voie singulière et ancienne, même si leur parenté avec les Artiodactyles regroupant porcins et ruminants a été estimée de longue date fort crédible. C’est vraisemblablement au sein de l’ordre éteint des Condylarthes dont sont probablement issus aussi bien les chevaux que les ruminants et peut-être même les éléphants et les ongulés indigènes éteints d’Amérique du Sud, que prennent naissance les ancêtres des Cétacés, possiblement dans un tronc commun qui conduit aussi aux porcins et aux ruminants. La lignée d’origine de ces mammifères marins a généralement été attribuée aux Mésonychides, de redoutables carnivores pourvus de sabots du début de l’ère des Mammifères qu’on appelle Cénozoïque, mais on a voulu récemment lui substituer un petit Artiodactyle aux allures de chevrotin, Indohyus. Il n’est pas absurde d’envisager que les baleines et les cétacés à dents soient les lointains cousins des hippopotames, Suidés, chameaux, cerfs et vaches. Cependant, ces rameaux ont divergé de longue date. Les restes de la forme transitoire des Cétacés, capable de passer d’un milieu à l’autre, l’Ambulocetus trouvé au Pakistan, remontent à 49 millions d’années, au début de l’Éocène, et arborent une incontestable dentition de prédateur. Les hippopotames, quant à eux, ne sont apparus qu’il y a 15 millions d’années, au Miocène, et présentent une dentition typique de végétarien permettant de broyer les plantes aquatiques. Les hippopotames ne peuvent ainsi représenter les ancêtres des baleines, maintenant que, depuis Haeckel, la série de fossiles est mieux connue. Par conséquent, il existe là une discordance temporelle majeure. Même si certaines adaptations peuvent rapprocher hippopotames et Cétacés, les seconds ne peuvent en aucun cas descendre des premiers apparus des dizaines de millions d’années plus tard, alors que les premiers représentants marins conduisant aux baleines et dauphins étaient déjà bien caractérisés. 


Ce tableau qui représente les formes transitoires dans l'évolution des Cétacés basées sur les fossiles découverts dans les dernières décennies rend bien compte que le lien des hippopotames avec les ancêtres de ces mammifères marins est très lointain, peut-être à peine plus proche qu'avec la vache, et encore ce tronc commun remonte à l'époque à laquelle les deux lignées étaient représentées par des formes fort différentes des actuelles et les hippopotames n'existaient pas encore en tant que tels.

Un fantaisiste chaînon manquant entre l'hippopotame et la baleine ? Non, seulement un hippopotame mutant imaginé par Adrian, un artiste norvégien.

De nouvelles études préciseront peut-être si le rapprochement traditionnel des porcins et des hippopotames, qui était jusque-là notamment fondé sur la famille éteinte des Anthracothères considérée comme ayant engendré ces derniers, était fondé ou non. Il est cependant manifeste que les branches du rameau ancestral ayant abouti aux cétacés, aux ruminants et aux porcins – en incluant potentiellement les hippopotames – ont divergé rapidement à partir de formes originelles probablement encore assez peu différenciées et que, quelle que soit la relative plus grande proximité entre deux lignées, la promotion médiatique d’une étroite parenté entre hippopotame et baleine s’avère une présentation tout à fait biaisée qui ne vise qu’à assurer la publicité destinée à entériner dans les esprits de manière assez spectaculaire la norme de la biologie moléculaire, selon un processus dirimant qui évoque un peu la manipulation ayant délibérément occulté lors de la sortie du film Jurassic Park les dinosaures mécanisés des studios Stan Winston pour faire la promotion exclusive du virtuel : ceux qui se prévalent de la modernité sont généralement imprégnés d’une dimension idéologique implicite masquée par un pragmatisme allégué, et avec ce cousinage quelque peu forcé, les tenants de la nouvelle taxonomie se sont saisis d’une figure marquante susceptible de représenter leurs vues auprès d’un large public relativement crédule.

L’horloge moléculaire ne donne pas toujours l’heure exacte

Les zoologistes modernes acquis à la biologie moléculaire et attachés à distribuer les espèces selon de nouveaux rameaux ont aussi postulé qu’un certain nombre de mammifères africains étaient liés, les rassemblant dans le groupe des "Afrothères", les "bêtes d’Afrique". On savait que certains ongulés "primitifs" étaient issus d’ancêtres communs avec les éléphants, à savoir les Siréniens, retournés à la vie aquatique comme les lamantins, et les damans de l’ordre des Hyracoïdes dont les représentants actuels sont tous de petites taille et évoquent davantage des rongeurs que les pachydermes géants de la savane. Il s’agit bien de groupes ayant divergé à partir de formes communes, les fossiles des premiers Siréniens encore quadrupèdes sont assez similaires à ceux des Proboscidiens ancestraux qui mènent aux éléphants, et on les désigne parfois sous le terme de Subongulés. Un rameau plus lointain peut en être rapproché, celui des Tubulidentés qui ne comprend que l’oryctérope ou "cochon de terre", seul ongulé au régime insectivore, qui creuse des terriers avec ses sabots impressionnants et pourrait être apparenté aux ordres les plus anciens d’ongulés éteints comme les Pantodontes – on les appelle parfois globalement des Protongulés.

La biologie moléculaire a entrepris d’élargir cet ensemble en y intégrant des groupes qui étaient jusque-là rangés dans l’ordre des Insectivores, les tenrecs, homologues malgaches des hérissons, les taupes dorées et les macroscélides ou musaraignes à trompe dont le museau est curieusement allongé et flexible, rameaux séparés des précédents là encore notamment sur la base d’une évaluation moléculaire. Même s’il est vrai que les mammifères apparus les premiers présentaient une allure similaire, il est déjà au préalable quelque peu déconcertant, sauf à être un thuriféraire du cladisme moléculaire, de rapprocher davantage le hérisson malgache des éléphants que des hérissons du reste du monde (Afrique, Europe, Asie et il y eut aussi un genre qui vécut au Miocène en Amérique du Nord), tout comme d’estimer que les espèces américaines habituellement rangées dans les Insectivores ne leur sont nullement apparentées. Le concept des Afrothères suppose en effet que cette branche des Mammifères s’est constituée de manière autonome, endogène au continent, générant des espèces sans commune mesure avec d’autres branches existant par ailleurs, et la datation fixe fréquemment l’origine de cette lignée aux alentours de 100 millions d’années. Or l’Afrique n’a vraiment été séparée un temps de l’Eurasie qu’il n’y a que 30 millions d’années, ce qui géographiquement ne concorde donc pas avec ce concept d’un isolat engendrant une faune indigène. A l’inverse, l’Afrique s’est séparée de l’Amérique du Sud il y a 80 millions d’années, soit vraisemblablement à l’époque où coexistaient avec les dinosaures à la fin du Crétacé les premiers mammifères modernes de l’ordre des Insectivores, les hérissons et musaraignes, par conséquent, rien n’interdit au contraire de considérer que ces mammifères habituellement rassemblés dans l’ordre des Insectivores puissent être apparentés avant que la dérive des continents ne les amène à évoluer séparément par la suite, tout comme les ornithorynques d’Amérique du Sud qui vivaient à la fin du Crétacé sont très similaires à leurs cousins actuels observés en Australie et Tasmanie. Cela est d’autant plus à considérer que de probables fossiles parents des tenrecs ont été découverts dès le tout début du Tertiaire en Afrique alors que le groupe n’aurait trouvé asile à Madagascar qu’il n’y a qu’une trentaine de millions d’années, en y ayant accédé accidentellement peut-être par des radeaux dérivants, ce qui n’interdit pas une origine commune avec le tronc des autres insectivores du continent. Une autre étude moléculaire a quant à elle prétendu que l’ancêtre des Afrothères serait apparu sur le sol américain peu après l’extinction des Dinosaures, c’est-à-dire que ce groupe propre à l’Afrique y aurait vu le jour à des milliers de kilomètres de là tandis que les deux continents étaient déjà séparés depuis longtemps, ce qui là encore rend assez peu vraisemblable cette histoire évolutive supposée.


Représentation des Subongulés, en haut à gauche, éléphant d'Afrique, en dessous, oryctérope ou "cochon de terre", en bas, à daman et à sa droite, un dugong ou "vache marine" ; on les affilie dorénavant à des insectivores comme la macroscélide ou "musaraigne éléphant", en haut à droite et en dessous un tenrec malgache.

Si la réalité géographique paraît infirmer en tous points l’hypothèse des Afrothères, le fil chronologique la dessert tout autant. Les premiers fossiles de Proboscidiens remontent au début de l’Éocène, seconde période ayant suivi l’extinction des dinosaures ; non seulement, aucun fossile des précurseurs des éléphants n’a jamais été trouvé dans les couches antérieures du Crétacé contrairement à ce que prétendent établir certaines études de biologie moléculaire, mais il paraît logique que ces formes ancestrales (encore dépourvues des caractéristiques actuelles les plus spectaculaires de ces animaux comme la trompe et les défenses, et ainsi probablement proches du début de la lignée) ne soient apparues qu’au début du Tertiaire conformément aux fossiles découverts ; contrairement aux Insectivores polyvalents, les formes assez spécialisées de Mammifères n’ont pu se développer selon toute vraisemblance qu’une fois que les niches écologiques occupées par le groupe dominant du Mésozoïque ont été libérées suite à son extinction. Le seul point commun incontestable entre l’éléphant et la musaraigne-éléphant semble bien être la trompe.

photo de famille recomposée : en suivant la numérotation, Oryctérope (Tubulidenté), Dugongs (Siréniens), Macroscélide (anciennement insectivore), lamantin (Siréniens), taupe dorée (anciennement insectivore), daman (Hyracoïdes), éléphant d'Afrique (Proboscidiens) et tenrec malgache (anciennement insectivore).  

On voit que les estimations chronologiques de la biologie moléculaire peuvent s’avérer à l’occasion très fantaisistes. Un troisième anachronisme intéressant les mammifères est encore plus extravagant si c’était possible. Une estimation par l’horloge moléculaire date la séparation entre les rongeurs et les primates de 320 millions d’années, soit le Carbonifère, la première période à laquelle les Vertébrés terrestres se mirent réellement à dominer les terres émergées, après avoir entamé leur conquête à la fin de la précédente, le Dévonien supérieur. Le Carbonifère est connu comme le règne des Amphibiens, qui se sont diversifiés en engendrant des formes de grande taille. A la fin de la séquence, les reptiles des principales lignées sont apparus sous forme ancestrale, se présentant comme des animaux de petite taille à allure de lézards. Les reptiles mammaliens ne se distinguaient guère visuellement de ces espèces d’allure anodine, et ne prendront l’ascendant qu’au Permien, à l’époque suivante. La date de l’apparition des premiers mammifères modernes est discutée, mais il paraît établi que leurs précurseurs d’apparence la plus modeste ne se sont pas développés avant que les dinosaures ne soient devenus la lignée dominante, peut-être pas avant la dernière partie du Crétacé. Non seulement aucun rongeur, mais même aucun animal ne leur ressemblant un tant soit peu, n’aurait pu être alors observé, une très longue durée sera nécessaire avant que n’apparaissent les ancêtres des rats.

Un arbre généalogique moderne des Mammifères ; on note non seulement une partie des Insectivores d'Afrique (tenrecs et musaraignes-éléphants) sont totalement dissociés des autres (musaraignes, taupes et hérissons), mais aussi que les plus proches parents des chauve-souris sont les lamas, une hypothèse excédant les efforts d'imagination pourtant grands qu'on est prêt à consentir ici.

Mariés à la première analyse génétique, la roussette et le lama, qui n'en revient pas - nous non plus....

Ainsi donc, la biologie moléculaire est censée permettre de reconstituer l’arbre généalogique des organismes terrestres et également fournir avec le plus de précision possible la date à laquelle deux lignées ont divergé à partir de leur ancêtre commun. En apparence, on ne peut avoir restitution plus précise de l’histoire de la vie. Cependant, les thuriféraires hégémoniques de la méthode sont assez peu prolixes sur les résultats qui l’invalident comme le prouvent ces exemples significatifs mais qui suscitent étonnamment bien peu de contestations, et la seconde partie le confirmera davantage.


A SUIVRE : seconde partie, il ne leur manque (presque) que les pattes 

mise à jour du lien pour la suite de l'exposé : 

http://creatures-imagination.blogspot.com/2022/04/il-ne-leur-manque-presque-que-les-pattes.html


mardi 16 mars 2021

Jerry Goldsmith enfin célébré par les francophones !

    

        Quel est le point commun entre les abeilles tueuses de L'inévitable catastrophe (The Swarm), le gentil mogwaï pelucheux de Gremlins, l'extraterrestre effrayant d'Alien, les brontosaures survivants dans une jungle africaine de Baby, le secret de la légende oubliée (Baby : Secret of the Lost Legend), les créatures cauchemardesques de La Quatrième Dimension (Twilight Zone : The Movie), les incarnations surnaturelles démoniaques de Poltergeist et Poltergeist 2 (Poltergeist 2 : The Other Side), les monstruosités génétiques effroyables de Leviathan ou encore les impressionnants mutants de Total Recall

    Toutes ces manifestations marquantes de l'altérité au cinéma ont été magnifiées par les compositions brillantes et inventives de Jerry Goldsmith.


     Des années après que sa disparition a été honteusement ignorée par les médias audiovisuels, une vidéo francophone (sous-titrée pour nos amis anglo-saxons) lui rend enfin l'hommage qu'il mérite et on ne résiste pas à la satisfaction d'en faire ici état.


     Il faut saluer cet excellent documentaire, même si la partie sur First Blood/Rambo aurait mérité d'être un peu plus développée. Il aurait également été bienvenu d'indiquer parmi les musiques retoquées par les compositeurs, celles d'Alien, Basic Instinct, sans parler de celle de Legend qui figurait parmi ses préférées, totalement supprimée de la version américaine du film - au profit d'une autre partition plus planante confiée au groupe Tangerine Dream, que sur Star Trek, le film (Star Trek: The Motion Picture) le thème principal avait été aussi beaucoup modifié à la demande du réalisateur, la composition originelle étant beaucoup plus subtile que celle très martiale exigée par Robert Wise, dont la poésie sous-jacente cède ainsi le pas à une emphase plus proche de l'atmosphère d'un péplum.

        L'oeuvre de Jerry Goldsmith est d'une incroyable variété et richesse, de la grâce de River is wild, de l'entrain enthousiasmant d'Hoosiers, de la mélancolie imprégnant sa trilogie composée autour du personnage de soldat perdu et trahi de John Rambo ou de l'évocation malaisante de la folie dans Freud et Psychose 2. On a trop tendance à sous-estimer le talent éclatant de ce génie de la musique, dont la subtilité se décline notamment dans les habiles variations du thème principal - d'ailleurs, il fallut attendre la sortie de l'édition spéciale de la bande musicale de L'Aventure intérieure (Innerspace) pour entendre au lieu des chansons des années 1960 sa composition éclectique et parfois surprenante, bien plus riche que la simple musique linéaire et un peu écrasante qui avait jusque-là seule été diffusée. Loin de se cantonner à des musiques "utilitaires" accompagnant l'action ou l'ardeur guerrière des héros, son inventivité exprime une grande profondeur quelque peu mélancolique mais qui n'est pas sans recéler une étincelle qui convoque en nous le Merveilleux comme dans Small Soldiers ou ranime l'instinct de survie dans les moments les plus noirs comme lors de la sortie salutaire de John Rambo de la mine dans First Blood qui illustre la renaissance depuis les catacombes vers la lumière ou après l'éloignement définitif de l'hélicoptère de secours dans A couteaux tirés (The Edge) qui laisse les protagonistes sans ressources et un temps sans espoir, et dont trouve aussi quelque équivalent dans Leviathan après un passage particulièrement violent.

Le maître dans ses œuvres.

            Cela fait déjà un certain nombre d'années que Jerry Goldsmith nous a quittés, mais son œuvre et sa sensibilité perdurent en nous à jamais.

On pourra aussi retrouver l'hommage consacré au compositeur qui lui fut consacré en juillet 2009 pour l'honorer à l'occasion du cinquième anniversaire de sa disparition :
ainsi qu'un petit article sur son héritage musical :


Jerry Goldsmith et sa fille lors d'une soirée

Une seconde vidéo dans la même série est consacrée à un autre grand compositeur disparu, Basil Poledouris, auquel on doit notamment les musiques si riches des deux premières aventures de Conan sur grand écran. 

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    Quelques acteurs ayant côtoyé des êtres surnaturels à l'écran nous ont récemment quittés. Barbara Shelley, disparue le 4 janvier 2021 à l’âge de 88 ans, fut l’élève du réalisateur britannique Terence Fisher, son professeur d’art dramatique qui la mit en scène à plusieurs reprises. Elle le retrouve après avoir tourné quelques films en Italie et avoir été en 1957 l'interprète principale de Cat Girl inspiré par La Féline (Cat People) et qui tient aussi de The Living Idol sorti un peu plus tôt avec l'esprit d'une jeune femme connecté à un félin, en l'occurence à travers une malédiction familiale dans une ambiance qui évoque celle de The Undiying Monster. Elle faisait partie de ces visages féminins qui apportaient un peu de douceur, au moins apparente, dans les univers tourmentés, sombres et horrifiques des productions Hammer. Elle apparaîtra ainsi dans Dracula, prince des ténèbres (Dracula, Prince of Darkness) en 1965, subvertie par l’emprise irrépressible sur la gent féminine du vampire Dracula interprété par l’iconique Christopher Lee. L’année précédente, le cinéaste lui avait confié le rôle-titre de La Gorgone (The Gorgon) en 1964, Carla Hoffman, épouse réservée et délaissée repoussant néanmoins les avances d’un soupirant pressant, s’avérant finalement possédée par une terrible créature mythique, une parente de Méduse nommée Megaera susceptible de changer les hommes en pierre par un simple regard, comme la traduction de l’expression métaphorique d’une frustration trop refoulée, et sur le compte de laquelle s’interroge un professeur incarné par Christopher Lee, le Professeur Meister, tandis que son célèbre partenaire au cinéma Peter Cushing s’efforce de protéger celle qui semble n’agir que sous un état second. L’actrice s’était déclarée prête à porter une coiffe dans laquelle auraient été enchevêtrés de vrais serpents, mais la production a opté pour une prothèse et le réalisateur a préféré recourir à l’actrice Prudence Hyman pour concrétiser sa part sombre afin de ménager la révélation finale quant à son identité humaine. L'actrice apparaît aussi dans le troisième volet de la série de films de science-fiction de la Hammer, Les monstres de l’espace (Quatermass and the Pit) de Roy Ward Baker en 1967 dans lequel elle assiste le Professeur Quatermass – dont le rôle précédemment confié à Brian Donlevy échoit cette fois à Andrew Keir, qui incarnait le prêtre vigoureux tentant de soustraire les femmes à l’influence maléfique dans Dracula, prince des ténèbres – découvrant que l’humanité fut un jour soumise par des extraterrestres insectoïdes qui pourraient bien recouvrer leur domination sur notre espèce. Une interprétation particulièrement marquante de Barbara Shelley fut celle d’Andrea Zellaby dans Le village des damnés (Village of the Damned) de Wolf Rilla en 1960, ayant le rôle d’une des femmes ayant donné naissance à des enfants mystérieux aux pouvoirs surnaturels après que le village a été provisoirement coupé du monde, et dont le mari est un enseignant joué avec force par George Sanders qui sera seul capable de tenir tête à la menace.



En haut, Barbara Shelley dans le rôle d'une femme dont l'instinct maternel est mis à rude épreuve dans  Le village des damnés (Village of the Damned) de Wolf Rilla en 1960 ; en desous, le Docteur Namaroff (Peter Cushing) confronté à une série de morts éprouvantes dans La Gorgone (The Gorgon), dont en dépit de son allure réservée la responsable involontaire se trouve à l'arrière-plan ; en dessous, confronté à une menace extraterrestre dans Les monstres de l'espace (Quatermass and the Pit/Five Millions Years to Earth).

Hal Holbrook, disparu le 21 janvier 2021 à l’âge de 95 ans, était notamment connu aux Etats-Unis pour avoir incarné le fameux écrivain Mark Twain en 1967 grâce à un maquillage de Dick Smith. Après avoir été en 1978 le cynique Docteur Nick Kelloway de Capricorn One, sacrifiant la vie de ses amis pour couvrir une fausse exploration de Mars dont l’imposture état finalement dévoilée, John Carpenter lui avait confié le rôle du Père Malone de The Fog en 1980 – au côté du réalisateur dans le rôle de son bedeau - pressentant la malédiction avec ses spectres vengeurs et il était aussi apparu en 1982 dans la séquence The Crate du film Creepshow de George Romero et Stephen King sous les traits du Professeur Northrup ayant ramené d’une expédition un être monstrueux et féroce aux allures de yéti carnassier.


Le responsable de la Nasa interprété Hal Holbrook demande au nom de l'amitié au pilote incarné par James Brolin de cacher la vérité dans Capricorn One réalisé par Peter Hyams, avant de décider de sa mort pour couvrir le mensonge de l'institution (en haut), mais ce dernier réchappera de cette terrible décision et, seul survivant du programme, se présentera à son propre enterrement, le Dr Kalloway réalisant à la fois la fin du secret et que le crime effroyable auquel il a concédé a finalement été vain lors de l'épilogue rendu bouleversant grâce à l'émotion suscitée par l'envolée empreinte de sentimentalité de la partition de Jerry Goldsmith concrétisant les retrouvailles du mort allégué avec sa famille (en bas).

Photo de plateau de The Fog figurant le maquilleur Rob Bottin dont a évoqué la carrière abrégée par la mainmise des images de synthèse sur le cinéma, grimé en Blake, le chef des pirates revenus se venger des descendants des villageois qui les ont attirés vers les récifs pour causer leur mort afin de s'accaparer leur or, au côté d'Hal Hoolbrok dans le costume du Père Malone, qui est amené à réaliser la terrible vérité d'une effrayante légende.

Avec sa haute stature et sa prestance, l’acteur américain Christopher Plummer évoquait quelque peu le style de Christopher Lee même si sa physionomie le rapprochait aussi de Max Von Sydow, mais avec une expression plus sévère – on l’aurait d’ailleurs très bien imaginé s’il avait fallu remplacer ce dernier dans le rôle de l’antiquaire à la fois sirupeux et diabolique du Bazaar de l’épouvante (Needful Things). Décédé à l'âge de 91 ans le 21 février 2021 des suites d’une chute, il était apparu dans plusieurs films oniriques. Dans Quelque part dans le temps (Somewhere in Time) de Jeannot Szwarc , il interprétait l’agent intransigeant d’une actrice (Jane Seymour) s’attachant à l’éloigner d’un soupirant ayant voyagé dans le temps pour la retrouver, incarné par Christopher Reeves. Dans Dreamscape de Joseph Ruben qui fut remarqué lors de sa sortie en 1984, il incarne Bob Blair, défavorable à la politique de dénucléarisation, qui tente de faire assassiner le président des États-Unis (Eddie Albert) au travers d’une invention permettant de contrôler les songes et il sera victime de son adversaire Alex Gardner (DennisQuaid) convoquant l’image d’un terrifiant homme-cobra issu du cauchemar d’un enfant. Il endosse la fonction d'un chasseur de vampires dans le rôle du Professeur Paris Catalano dans Nosferatu à Venise (Nosferatu a Venezia) en 1988 puis d’Abraham Van Helsing dans Dracula 2001 il joue dans Wolf de Mike Nichols Raymond Alden, un financier méprisant auquel se heurte l’éditeur incarné par Jack Nicholson se changeant en loup-garou et il est un archevêque dans L’Ange des ténèbres (The Unholy), un film efficace et très sous-estimé de 1988 réalisé par Camilo Vila, dans lequel se manifeste un démon terrifiant, oeuvre déjà évoquée suite à la disparition récente de l’acteur principal Ben Cross. Il avait encore prêté ses traits au général Chang dans Star Trek VI : the Undiscovered Country de Nicholas Meyer en 1991 et à un scientifique, le Docteur Leland Goines dans L’Armée des douze singes (Twelve Monkeys) de Terry Gilliam en 1995. Parmi les personnages historiques, il avait figuré le Roi Hérode dans le Jésus de Nazareth de Franco Zefirelli, Leon Tolstoï et l’Empereur Guillaume II. Sa fille Amanda Plummer est également actrice et a notamment prêté son visage assez austère à une vengeresse usant d’une machine à voyager dans le temps dans un épisode d’Au-delà du réel, l’aventure continue (The New Outer Limits), Un saut dans le temps (A Sitch in Time), qui lui a valu une récompense télévisuelle, un Emmy Award.






Christophe Plummer incarne l'intransigeant imprésario de Quelque part dans le temps (Somewhere in Time) qui veut imposer une vie monastique à l'actrice dont il est l'agent, en haut ; en dessous, l'agent gouvernemental Bob Blair entrevoit une utilisation machiavélique de l'invention du Professeur Novotny (Max Von Sydow, à droite sur la photo), qui matérialise les pires cauchemars, comme ce terrifiant homme-cobra, en dessous - Stephen Czerkas à qui on a rendu hommage avait contribué aux séquences d'animation image par image ; en bas, Raymond Alden est un homme d'affaire méprisant qui pense que l'éditeur Will Randall (au dessous) a fait son temps, mais une morsure par un loup peu ordinaire va bientôt lui rendre toute sa combativité.


PROCHAINEMENT : dans le cadre de la vulgarisation, un long article en plusieurs parties mettra en question l'orientation actuelle de classement des espèces animales, en montrant ce qu'elle comporte de discutable, afin de contribuer au regard anticonformiste que propose ce site concernant son vaste domaine envisageant les formes de vie les plus diverses dans la science comme dans la fiction. Une autre longue série d'articles à venir devrait quand à elle attirer tout particulièrement l'attention des amateurs du cinéma de science-fiction. Restons prudents pour que la pandémie ne vienne pas interrompre prématurément notre passion pour les créatures sous toutes leurs formes.

lundi 21 décembre 2020

RICHARD CORBEN, L'ART POPULAIRE PAR EXCELLENCE


Peu après Ron Cobb (voir hommage précédent), c’est un autre nom célèbre du monde des illustrateurs américains qui s’est éteint, le 2 décembre 2020 des suites d’une opération du cœur à l’âge de 80 ans. À l’instar du réalisateur Stuart Gordon disparu il y a quelques mois qui avait adapté Howard Phillips Lovecraft de manière exubérante en y mêlant l’érotisme et le grotesque, notamment dans Re-animator et Aux portes de l’au-delà (From Beyond) même si sa troisième incursion dans l’univers de l’écrivain, Dagon, demeurait durant une majeure partie du film dans une sobriété imprégnée d’une sourde angoisse (voir l’hommage au cinéaste au mois d'aôut : https://creatures-imagination.blogspot.com/2020/08/cetait-un-des-maitres-de-lempire.html), Richard Corben a notamment livré des œuvres célèbres inspirées d’un autre auteur renommé contemporain de Lovecraft, Robert E Howard, en y associant son propre penchant pour une nudité assez crue, avec ses femmes aux seins opulents similaires à des globes et ses héros masculins au crâne souvent chauve, au corps musculeux et totalement glabre tel celui des culturistes et ne dissimulant pas leurs attributs virils (même si l’auteur a toujours récusé tout lien avec la pornographie, contrairement à Gillon qui était parfois audacieux en la matière). Le dessinateur avait lui-même pratiqué cet entraînement physique destiné à accroître de manière spectaculaire la masse musculaire avant d’en abandonner la pratique par manque de temps.

Né le 1er janvier 1940 dans le Missouri, Richard Corben avait fait des études d’art, après s'être initié en autodidacte, réalisant un court-métrage inspiré des douze travaux d'Hercule en utilisant la caméra Super 8 de son père. Débutant sa carrière dans le domaine de l’animation, il avait été le responsable de l’animation du film Siegfried saves Metropolis récompensé dans le cadre d’un concours organisé en 1964 par le magazine Famous Monsters, réalisé par Madonna Marchant qu’il épousa l’année suivante et qui demeura sa femme durant toute sa vie.

Son univers à la sauvagerie inhérente servait à Richard Corben à évoquer aussi bien le monde barbare antique fictif imaginé par l’auteur du personnage de Conan le Cimmérien que celui décadent d’un futur post-apocalyptique comme celui de Den, au service duquel il livra aussi les adaptations en bande dessinées d’Un garçon et son chien (Vic and Bloodd’après la vision très sombre d’Harlan Ellison. Les bandes dessinées de Richard Corben sont aussi caractérisées par des couleurs vives, outrées, presque baveuses, résultat obtenu au travers de la superposition de plusieurs films, même s’il arriva comme pour son album Bloodstar que l’auteur délègue à d’autres la colorisation.

En dépit de l’allure quelque peu paillarde de ses dessins, loin des canons habituels de l’art consacré par le bon goût, Richard Corben recherchait fréquemment son inspiration dans des sources littéraires, adaptant des œuvres d’Edgar Allan Poe, d’Edgar Rice Burroughs, de William Hope Hodgson et d’Howard Phillips Lovecraft. Il avait fondé sa société Fantagor pour éditer ses oeuvres, mais ses revenus étant insuffisants, il avait aussi loué ses talents à de plus grandes compagnies telles que Marvel, D C Comics et Dark Horse, livrant quelques histoires de super-héros et ayant aussi à l'occasion repris le personnage maudit et ombrageux créé par Bernie Wrightson de la Créature du marais (voir hommage consacré à ce dernier en mars 2017 : https://creatures-imagination.blogspot.com/2017/03/il-avait-imagine-la-creature-du-marais.html ).

Le sombre héros et son complice canin d'Un garçon et son chien (Vic and Blood). 

Deux évocations lointaines des dinosaures sauropodes, en haut, une créature qui s'apparente à ce qu'aurait pu être un reptile mammalien à long cou, en dessous, les rangées de petits yeux de ces monstres rosâtres conférent à leur extrémité antérieure un petit aspect de Némertien (vers rubannés, évoqués sommairement dans l'article de septembre 2008 : http://creatures-imagination.blogspot.com/2008/09/le-tentacule-dabyss-existe-reellement.html).







Quelques créatures façonnées par Richard Corben pour illustrer des récits littéraires : en haut, plantes carnivores vigoureuses pour la couverture du monde de la mort (Deathworldd'Harry Harrison et de la flore martienne apparaissant dans les aventures de John Carter sur Mars inventées par Edgard Rice Burroughs, en dessous, créatures porcines inquiétantes de l'adapatation en bande dessinée de La maison au bord du monde (The House on the Borderland) de William Hope Hodgson, et en bas la créature que son apparence molle ne rend pas moins terrifiante de la bande dessinée Bloodstar inspirée de La vallée du ver (Valley of the Worm) de Robert E Howard.

    
Cette créature de taille plus modeste mais à l'apparence tout aussi remarquable apparaît dans la saga Den.

Autoportrait de l'artiste

Ces éléments, les personnages au physique stéréotypé, la nudité, la cruauté qui transparaissait régulièrement au sein de ces aventures baroques, les couleurs plutôt criardes des planches, faisaient par excellence de Richard Corben un représentant de l’art populaire. Il était devenu la figure emblématique du magazine de bandes dessinées Métal Hurlant et de sa version américaine Heavy Metal et il avait contribué au dessin animé réalisé en 1981 sous forme de long métrage composé de plusieurs séquences inspirées par l’univers des auteurs de la revue.


Ce personnage humanoïde sur la couverture d'un numéro de la version américaine de Métal hurlant ne semble pas particulièrement intimidé par le discours féministe omniprésent.

Après avoir apporté sa contribution au long métrage d’animation Métal Hurlant en 1981, Richard Corben s’aventura en 1989 à réaliser son propre film, Dark Planet, directement pour le marché de la vidéo. L’auteur ne se plaindra pas du peu de notoriété de l’œuvre, convenant qu’elle n’était pas très concluante. Force est de constater que cette tentative expérimentale est loin d’être réussie, suite assez décousue alignant des séquences fastidieuses sans réellement de signification. Quant à la créature de l’affiche, animée image par image, la texture et la couleur terne d’argile qui sont conférées à ses formes molles ne lui donne pas d’autre allure que celle d’une figurine en glaise s’agitant vainement, loin du titan effrayant et inébranlable qu’elle est censée représenter. 


La créature de Dark Planet pour le poster du film et son apparition à l'écran en dessous.


Poster réalisé par Richard Corben pour le film de série B Spookies.

Le surréalisme assez outrancier de Richard Corben dont le penchant pour les femmes charnues le rapproche de Frazetta, illustre avec le style hyperréaliste de Paul Gillon ou le trait d’allure un peu fantaisiste et onirique de Moebius la variété de l’esthétique de la bande dessinée, au sein du du Panthéon du neuvième art dans lequel il demeurera sûrement.


Richard Corben s'était vu attribuer de nombreuses récompenses pour sa carrière artistique.


Site officiel : http://www.corbencomicart.com/

Site dédié très complet : https://muuta.net/wp/sitemap/

Pour les lecteurs qui voudraient tenter l'expérience de visionner Dark Planet :

https://www.youtube.com/watch?v=KkfoeGfS63A


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Ce serviteur de l'Empire se fiait à son Etoile noire


Dave Prowse sous l'armure impériale de Dark Vador

Le 28 novembre 2020 a disparu à l'âge de 85 ans un autre ancien adepte du culturisme. Né le 1er juillet 1935, l’acteur Dave Prowse a connu une fin de vie difficile, des problèmes d'arthrose lui ayant laissé les bras paralysés, il était également affecté par la maladie d'Alzheimer et avait eu le cancer de la prostate. Il assurait la vice-présidence d'une association pour l'insertion des handicapés. Un de ses trois enfants, Rachel, a indiqué qu'il avait succombé à la terrible épidémie du coronavirus chinois qui déferle depuis un an sur le monde. Il était surtout connu pour avoir endossé la costume de Dark Vador (Darth Vader en version originale) dans la saga de La Guerre des étoiles (Star Wars) créée par George Lucas, même si sa voix était doublée en version originale par l’acteur James Earl Jones (Thulsa Doom dans Conan le barbare de John Milius), et qu’il n’avait pas prêté ses traits au personnage démasqué à la fin du Retour du Jedi (Return of the Jedi), lequel avait été interprété par Sebastian Shaw. La frustration d'être ainsi limité dans son expression l'avait amené à critiquer George Lucas, lequel en rétorsion l'avait finalement interdit de toute participation aux manifestations officielles de la franchise. Il avait choisi ce rôle iconique de préférence à celui de Chewbacca, le comparse velu d’Han Solo, pour lequel Lucas avait à défaut engagé un infirmier en raison de sa grande taille, Peter Mayhew, disparu un peu plus tôt. Il avait aussi incarné, en 1971, le majordome à l’impressionnante musculature qui contraignait l’odieux Alex d’Orange mécanique (A clockwork Orange) dorénavant rendu inoffensif à déjeuner chez un écrivain dont il avait causé le décès de la femme, joué par Patrick McGee, alors qu’il commençait à réaliser chez qui il avait trouvé refuge, lequel, bien que libertaire, exerçait sur lui la plus machiavélique vengeance. Il avait aussi à deux reprises interprété pour la compagnie anglaise Hammer la Créature de Frankenstein, en 1971 dans Les Horreurs de Frankenstein (The Horror of Frankenstein) dans lequel il a le crâne rasé et en 1974 dans Frankenstein et le monstre de l’enfer (Frankenstein and the Monster from Hell), le dernier film de Terence Fisher dans lequel il joue Schneider, une brute simiesque que le baron Frankenstein incarné par Peter Cushing utilise comme cobaye de ses expérimentations démentes – les financiers avaient exigé qu’une figure monstrueuse figure dans le film, d’où les traits bestiaux et la pilosité hirsute dont fut gratifié le personnage. Parmi les autres apparitions de Dave Prowse figurent un minotaure dans la série Dr Who (The Time Monster) en 1971, un extraterrestre dans l’épisode The Beta Cloud de la série Cosmos 1999 (Space 1999) et le bourreau du Continent oublié (The People that Time forgot).

Dave Prowe dans le costume de l'hideux Schneider devenu le sujet des fort douteuses expériences du Docteur Frankenstein dans Frankenstein et le monstre de l’enfer, jouant de son physique imposant dans son incarnation tacite du domestique d'Orange mécanique et un autre rôle dans lequel il n'utilisait pas davantage sa voix mais qui lui a valu des admirateurs dans le monde entier pour s'être identifié au ténébreux Dark Vador maléfique de la trilogie originelle de La Guerre des étoiles.

Mentionnons aussi le décès subit le 9 novembre 2020 à Paris de Joseph Altairac, grande perte à la fois sur le plan intellectuel et humain. Après avoir écrit une biographie d'H.G. Wells en 1998 puis d'un autre auteur célèbre de science-fiction, A. E. Van Vogt, en 2000, ce passionné de Lovecraft avait en association avec Guy Costes livré en 2006 une somme sur les mondes imaginaires souterrains. Le duo s'était ensuite consacré dans le sillage de Pierre Versins à réaliser une encyclopédie recensant les oeuvres préfigurant la science-fiction dans la littérature francophone, "de Rabelais à Barjavel", Rétrofictions. En présentant son monumental ouvrage avec son co-auteur, il avait indiqué qu'il avait inclus au sein de cette proto-science-fiction Le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne parce qu'un Chinois y évoquait un genre de télévision, et Michel Strogoff du même auteur car on y trouvait un épisode de révolte des Tartares qui était fictif, ce qui le rapprochait de l'uchronie. Il avait par contre reconnu suite à ma demande de précision avoir ajouté Le passe-muraille de Marcel Aymé guidé par une certaine subjectivité, motivée par son intérêt pour la nouvelle bien qu'aucun élément explicatif de nature scientifique n'y figure effectivement. J'avais eu longuement le plaisir de discuter avec lui quatre ans plus tard, nous accordant notamment sur le paradoxe de l'origine de la science-fiction américaine qui s'est d'abord annoncée sous des atours fantaisistes mêlés de merveilleux avec un auteur comme E. R. Burroughs et son cycle de John Carter sur Mars, avant de s'ancrer davantage dans l'imaginaire scientifique à l'imitation des auteurs européens sous l'égide notamment de Jack Williamson. Personnage attachant trop tôt disparu, Joseph Altairac nous manquera. Sa disparition suit avec quelques mois celle de Jean-Pierre Moumon, un des fondateurs des conventions françaises de science-fiction, polyglotte et traducteur de romans de science-fiction scandinaves.

https://www.actusf.com/detail-d-un-article/joseph-altairac-nous-a-quitt%C3%A9s?fbclid=IwAR0m4ihva11LqJPu31hewVAOF6HJVS-URJzpvNSa3TUjPV2vqigRGvVn5DU

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/dmitry-glukhovsky-le-printemps-russe



Il y a exactement un an, le 26 décembre 2019, s'éteignait le producteur de cinéma David Foster qui, avec Laurence Turman et sa compagnie Turman-Foster, avait joué un rôle déterminant dans la production du film de science-fiction et d'épouvante The Thing puisque, grand admirateur de la novella de John W. Campbell, Who goes there ?, il avait soutenu l'initiative d'adaptation de son ami le producteur Stuart Cohen, à défaut de son autre proposition relative à une invasion d'insectes. Son rôle fut déterminant puisqu'il lui permet d'obtenir le soutien financier fort utile à un projet aussi ambitieux du Studio Universal au nom de son président Ned Tanen, même si ce dernier préfera initialement confier la mise en scène au réalisateur de Massacre à la tronçonneuse (Texas Chainsaw Massacre) qu'à John Carpenter proposé par Cohen, qui n'avait pas encore été consacré par le succès d'Halloween puis l'excellente réception d'Assault (Assault on Precinct 13en Europe. David Foster recommanda également à l'instar du créateur d'effets spéciaux mécaniques Roy Arbogast le choix de l' artiste Dale Kuipers avec lequel ils avaient travaillé sur la comédie préhistorique Caveman comme concepteur artistique pour imaginer la "Chose" mais un accident totalement inattendu eut pour effet de le faire quitter le projet comme évoqué en ces pages dans l'hommage qui lui a été rendu, ainsi que dans le grand dossier en trois parties consacré au film, sur lequel on aura à nouveau prochainement l'attention de revenir, à la fois sur la version de Kuipers puis sur la conception du film en général.

David Foster au milieu prête ses traits à un des infortunés Norvégiens fuhitivement entrevus dans The Thing, autour du bloc de glace contenant la découverte qui causera leur malheur.

    Il avait envisagé de produitre la suite, The Thing 2, qui aurait vu la Chose parvenir jusqu'à l'océan, s'emparant de manchots et d'un cachalot, comme illustré à la fin du troisième volet du long hommage consacré en ces pages au film de John Carpenter.

Un manchot encore plus effrayant que ceux des Montagnes hallucinées d'Howard Philip Lovecraft, dessin de John Jagusak d'après un scénario de Todd Robinson pour The Thing 2.


David Foster sur la production de Short Circuit avec la co-vedete Johnny 5, le robot sentimental.


Prenez soin de vous, on espère retrouver les lecteurs encore plus nombreux à la prochaine parution.