lundi 1 octobre 2018

ON SE FAIT UNE "PETITE" TOILE



     Un épisode particulièrement terrifiant de la série Aux frontières du réel (The X-Files), Quand vient la nuit (Darkness fallls), mettait aux prises les détectives du FBI en charge des affaires insolites avec des acariens ramenés à la vie par la coupe d’un très vieil arbre, ces animaux minuscules étant capables de soulever les humains pour les monter dans les arbres par l’addition de leur force, dans le dessein de les emprisonner dans un cocon avant de les dévorer.



Les agents Mulder et Scully à la recherche des invisibles tueurs emprisonnant leurs victimes dans un cocon dans l'épisode Quand vient la nuit.

      Les acariens ne tissent cependant pas de toiles, à la différence de leurs lointains parents les araignées. Celles-ci se nourrissent essentiellement d’insectes, aussi, il est fort peu probable que l’on retrouve un être humain ainsi vidé de son sang dans une toile géante comme celle tissée par une araignée mutante contaminée par la radioactivité dans le film d’épouvante allemand Le mort dans le filet (Ein Toter hing in Nezt, en anglais Horrors of the Spider island), aussi connu sous le titre de L’Île du sadique. Les toiles peuvent cependant atteindre une taille impressionnante, lorsque des araignées s’associent comme les acariens de l’épisode d’Aux frontières du réel.


Le mort dans le filet du titre et l'arachnide mutant

    Une scène digne des films d’épouvante, comme le plan du final de L’Horrible invasion (Kingdom of the spiders) dans lequel des araignées investissent une petite ville suite à la disparition des insectes pour cause d’utilisation massive de pesticides, a néanmoins été observée à la fin de l’été sur la plage d’Aitoliko, dans l’Ouest de la Grèce, une gigantesque toile d’araignée s’y déployant sur plus de 300 mètres. L’étonnant réseau est en fait l’addition d’un grand nombre de toiles édifiées au même endroit par des individus du genre Tetragnatha, un type d’araignée notamment caractérisé par ses longues mandibules, dont le corps de la femelle mesure environ un centimètre. Selon certains chercheurs, ce serait l’affluence en cet endroit de moustiques, occasionné par la chaleur et l’humidité, qui aurait massivement attiré ces araignées, venues se nourrir et se reproduire.



William Shatner, bien loin des étoiles de Star Trek se confronte aux toiles de L’Horrible invasion.


 
La plage grecque couverte de toiles, et un représentant du genre Tetragnatha en dessous
     
     Un tel rassemblement ayant engendré une toile si spectaculaire a déjà été observé à plusieurs reprises au Texas, comme une toile s'étendant sur 100 mètres dans la banlieue de Rowlett sur la route de Dallas en octobre 2015, et en août 2017 dans le Parc d’état du Lac Tawakoni. Ce dernier rassemblement incluait des espèces d’araignées appartenant à trois familles différentes, les plus nombreuses étant là aussi des Tétragnathidés – les autres se répartissant entre Salticidés (la famille des araignées sauteuses) et Aranéidés (les grosses araignées du jardin comme l'épeire et l'argiope).



Toiles au Texas en 2015 et 2017

     Les toiles géantes ne sont pas toujours la simple juxtaposition d’individus se rassemblant pour profiter de l’abondance de la nourriture et répondre aux impératifs de la reproduction. Certaines constituent des communautés qu’on peut apparenter à de vraies colonies. Dans les années 1980, des arachnologues ont découvert que les toiles pouvant atteindre huit mètres d’envergure d’une araignée d’Amérique du sud, Anelosimus eximius, abritaient une large majorité de femelles, s’occupant en commun de la progéniture. La nouvelle génération grandit à l’abri des adultes qui participent à leur éducation et, dans les communautés qui tiennent le plus de colonies, les agressions entre individus et même à l’encontre de femelles étrangères de la même espèce sont pratiquement inexistantes. Dans ces véritables colonies, les individus synchronisent leurs mouvements pour tisser la toile de concert.


 Une toile édifiée par une araignée coloniale, Anelosimus eximius (au dessous).

      Il est intéressant de rapporter ces communautés d’araignées aux insectes sociaux que sont d’une part les termites, représentant l’ordre des Isoptères, et d’autre part diverses lignées d’Hyménoptères sociaux se recrutant parmi les guêpes, abeilles, bourdons, frelons et fourmis. Aussi peu apparentés les uns aux autres que soient ces insectes, ils ont adopté un modèle commun, constitué de castes avec une femelle pondeuse et des individus asexués dévolus à différentes fonctions, notamment la collecte de nourritures (les ouvrières) et la défense de la collectivité (les soldats, avec un développement similaire des mandibules chez les termites et certaines fourmis). A leur différence, les araignées de différentes familles formant des colonies unissent des individus égaux, se partageant naturellement les tâches, représentant en quelque sorte une société égalitaire, qu’on pourrait dire utopique, tandis que les insectes sociaux sont organisés en sociétés hiérarchisées, dans lesquelles les individus n’ont guère d’existence propre, la plupart étant stériles et ayant vocation à se sacrifier pour protéger la colonie. Ainsi, ces deux modèles se sont déclinés un certain nombre de fois indépendamment dans l’histoire des animaux à pattes articulés, mais chacun demeurant semble-t-il propre à une classe d’Arthropodes pour des raisons qui mériteraient d’être précisées ; le cinéma, avec L'invasion des araignées géantes (The Giant spiders invasion) de Bill Rebane en 1975, et ses arachnides censés être extraterrestres, et Arachnophobia de Frank Marshall en 1990, demeure pour l'instant seul à suggérer l'existence d'une reine araignée qui commanderait à sa colonie. 

       Ces découvertes récentes ne pourront qu’enrichir encore l’ancienne fascination pour les Arthropodes s’attachant à retrouver dans leurs groupes sociaux des analogies avec les sociétés humaines, à l’instar de l’étude que Natacha Vas-Deyres a consacrée à l’image de la fourmi dans la fiction, dont le titre montre bien l’ambivalence du regard, Le monde des fourmis dans l’imaginaire de la science-fiction, entre l’utopie exogène et la dystopie phobique  dans l’ouvrage collectif (Bé)vues du futur :

(https://books.openedition.org/septentrion/16550?lang=fr)


Disparition  

Un producteur merveilleux :


       Les amateurs de mondes extraordinaires et de leurs créatures exubérantes auront une petite pensée pour le producteur Gary Kurtz, qui vient de s’éteindre le dimanche 23 septembre 2018 à North London en Angleterre des suites d’un cancer à l’âge de 78 ans. Ami de George Lucas qu’il avait rencontré à l’Université de Californie du Sud, dont il avait produit son American graffiti, il approuva son idée de réalisation d’un film de science-fiction dans la lignée de Flash Gordon, riche en rebondissements, La Guerre des étoiles. Il soutint le projet avec constance en dépit de la réticence des studios – la mise en image de l’univers visuel du film par le brillant peintre Ralph McQuarrie, à qui on a rendu hommage lors de sa disparition, sera finalement déterminante – qui verra le jour en 1977 et il y trouvera la possibilité d’y concrétiser son intérêt pour les religions au travers du développement du concept de la Force, cette énergie issue de la spiritualité qui évoque notamment le bouddhisme et dans une certaine mesure l’animisme. Gary Kurtz poursuivra l’aventure en 1980 avec L’Empire contre-attaque, second volet dans lequel la Force est réellement au cœur du film, à la fois au travers de son enseignement par le Maître jedi Yoda et par le conflit du héros Luke Skywalker (Mark Hamill) avec son père, Dark Vador (incarné par Dave Prowse, avec la voix de James Earl Jones), qui l’utilise de manière maléfique pour imposer son pouvoir ainsi que celui de son mentor l’Empereur, Maître jedi dévoyé.


Gary Kurtz en haut avec George Lucas, et en bas en sa compagnie sur le tournage de L'Empire contre-attaque dans la base souterraine de la Planète glacée Hoth aux côtés du réalisateur Irvin Kershner (à gauche sur la photo).

     Gary Kurtz ne suivra pas George Lucas sur le dernier film de la trilogie, Le retour du Jedi, sans doute lassé par les difficultés financières engendrées par les deux premiers films de la saga et visiblement peu emballé par l’aspect qu’il jugeait trop commercial de la conclusion ; s’il est vrai que les petits personnages pelucheux, les Ewoks, ont alimenté un fructueux merchandising, on peut néanmoins reconnaître que l’affrontement final entre Skywalker et Vador devant le cynique Empereur est aussi intense que celui clôturant L’Empire contre-attaque et que culmine à cette occasion la thématique de la Force écartelée entre le Bien et le Mal, avec l’Empereur (Ian mcDiarmid) en symétrique maléfique de Yoda.
      
       C’est en animant ce dernier personnage, créé par le maquilleur Stuart Freeborn, que Frank Oz, appelé sur le tournage à l'animer à la place de son ami Jim Henson non disponible, eut la certitude que le projet que concevait ce dernier, un film uniquement peuplé de marionnettes réalistes, était viable. Gary Kurtz se déclara partant et produisit ainsi ce film unique, reposant sur l’imagination très riche de l’illustrateur Brian Froud féru du monde celtique, The Dark Crystal, tourné sur des plateaux surélevés pour permettre à une foule parfois très dense de manipulateurs d’opérer hors-champ comme dans Le Muppet Show qui a assuré la renommée de Jim Henson.

Gary Kurtz en compagnie d'un Skeskès dans le château de The Dark Crystal.
 
   Gary Kurtz produira un dernier film dans le domaine avec Oz, un monde extraordinaire (Return to Oz) en 1985, adaptation d'une nouvelle aventure de Dorothy avec une tonalité beaucoup plus sombre que Le magicien d’Oz, et des personnages plus effrayants, notamment le Roi de Nome incarné par Nicol Williamson (Merlin l'Enchanteur dans Excalibur), un être minéral inquiétant.

    Le producteur, qui était apparu à l’écran dans le rôle du photographe dans Le parrain 2 en 1972 ne fera ensuite pratiquement plus parler de lui, mais les amateurs lui conserveront leur reconnaissance pour avoir permis à quelques-uns des grandes productions empreintes de féerie de voir le jour.


Hommages aux personnalités évoqués :
RalphMcQuarrie :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2012/04/il-agence-lunivers-de-la-guerre-des.html
Stuart Freeborn :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2013/02/the-thing-le-chef-duvre-mal-aime.html
Jim Henson :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/05/le-maitre-des-marionnettes.html


jeudi 10 mai 2018

NOBLE A PLUS D'UN TITRE



       La famille de Noble Craig a fait part de sa disparition, survenue le 26 avril 2018. L’homme n’était pas connu du grand public mais a incarné plusieurs créatures marquantes au cinéma, en mettant à profit sa tragique condition.

          Encore très jeune, il fait partie des Américains dont la vie fut broyée lors de l’intervention au Vietnam. Au cours de l’année 1969, après seulement douze jours de présence sur le front, il saute sur une mine enfouie et perd ses jambes, un bras et la vision de son œil droit.

          En 1973, il apparaît une première fois à l’écran dans le film Sssnake le cobra (Sssssss) de Bernard L. Kowalski, incarnant un phénomène présenté dans un cirque, lequel s’avère être le résultat d’une effroyable expérience perpétrée par un savant fou, le Docteur Carl Stoner (Strother Martin), herpétologiste qui transforme ses étudiants en cobra. Noble Craig représente un stade inachevé de l’expérience, et le nouvel assistant du scientifique, David Blake (Dirk Benedict, future vedette des séries télévisée L’Agence tous risques (The A-Team) etGalactica), ne réalise pas à temps qu’il est le nouveau cobaye de son mentor – on retrouvera d’ailleurs un sujet très similaire l’année suivante dans Mutations de Jack Cardiff, à ceci près que l’attraction foraine dans laquelle est présentée l’expérience ratée du Docteur Nolter (Donald Pleasence) sur une étudiante qu’il a tenté d’hybrider avec un végétal, là encore dans la finalité de créer une « humanité nouvelle » plus adaptée aux périls de l’avenir, comporte cette fois l’utilisation de phénomènes humains réels, comme dans The Sentinel, et aussi bien sûr précédemment dans La monstrueuse parade (Freaks) de Tod Browning, à ceci près que dans ce dernier, il leur a été rendu leur dignité par le cinéaste.



                Il faut attendre 1985 pour que le cinéma fasse de nouveau appel aux services de Noble Craig à l’occasion d’une séquence saisissante, quintessence de la grande époque des effets spéciaux, dans le film Poltergeist II de Brian Gibson, où il endosse le costume d’un stade de «la Créature du vomi». Dans la suite du film de Tobe Hooper supervisé par Spielberg, basé sur un scénario de Michael Grais et Mark Victor – dont la contribution au premier film n’avait alors pas été reconnue – l’âme damnée d’un pasteur diabolique (incarné avec courage par Julian Beck, rongé par un cancer fatal) s’incarne en un ver dans une bouteille de tequila qu’ingurgite Steve Freeling (Craig T. Nelson), qu’il tente de posséder, avant d’en ressortir et de se transformer en une créature terrifiante, passant par un stade d’allure fœtal aux côtes encore non refermées, processus détaillé par l’artiste suisse H.R. Giger célèbre pour son travail sur Alien, et auquel l’équipe de Steve Johnson a conféré toute son étrangeté organique. Le moment où l’être s’arrête quelques instants et que l’écran s’attarde sur son regard d’un autre monde est vraiment impressionnant. 


Un stade d'incarnation monstrueuse de l'esprit maléfique de Poltergeist 2 , dans lequel se glissa Noble Craig et le résultat à l'écran.

                Son apparition dans Les aventures de Jack Burton (Big trouble in little China) réalisé en 1986 par John Carpenter est plus incidente. Glissé dans la peau d’un saurien géant aux yeux rouges hypertrophiés et aux membres grêle, il surgit d’une canalisation pour menacer un bref instant la petite troupe de Jack Burton (Kurt Russell) partie en quête du repaire de Lo Pan (James Hong).

             Avec le remake de The Blob réalisé en 1988 par Chuck Russell, Noble Craig revient à un personnage plus pathétique. Apparaissant à visage découvert, il incarne un soldat victime de l’arme biologique créée par l’armée, qui a dissout ses membres, avec lequel l’héroïne Meg Penny (Shawnee Smith) a un bref échange.  

               Il arbore ensuite brièvement les traits du croquemitaine revenu du monde des morts, Freddy Krueger, dans Freddy 5 - l'enfant du cauchemar (Elm Street 5 : the Dream Child), alors que l’effroyable personnage tente de posséder un enfant à naître, surgissant sur la poitrine d’Alice interprétée par Lisa Wilcox, Noble Craig était fixé sur elle grâce à des câbles. 

           Enfin, en 1989, dans la suite de ReanimatorBride of the Reanimator, réalisée par Brian Yuzna, il apparaît dans l’épilogue au milieu d’aberrations auxquelles Herbert West, l’expérimentateur pervers joué par Jeffrey Combs, a donné naissance en couplant des morceaux disparates de corps humains (jeu macabre qu’on retrouve aussi dans les films Frankenhooker de Frank Henenlotter l’année suivante et The Resurrected de Dan O’Bannon en 1990), étant affublé d’une poitrine féminine sur le dos et d’un pied à la place d’une main.

         Noble Craig ne fut cependant pas le seul disgracié auquel le cinéma eut recours pour incarner des personnages hors-normes à l’insu du spectateur, qu’on pense aux personnes de petite taille glissées dans la peau de E.T. L’Extraterrestre du film de Steven Spielberg en complément de versions mécaniques, à celle qui faisait bouger la queue de Jabba the Hutt dans Le retour du Jedi avant les tripatouillages infographiques demandés par George Lucas pour sa ressortie, aux trois culs-de-jattes qui ont donné vie aux drones de Silent Running de Douglas Trumbull, devenus les seuls compagnons de l’agronome désabusé interprété par Bruce Dern. De la même manière, Joe Carone qui perdit les deux membres supérieurs dans un accident industriel fut recruté pour doubler Richard Dysart, dont il arbore le masque dans la séquence de The Thing de John Carpenter au cours de laquelle le simulacre du corps de Norris arrache les bras du Docteur Copper alors qu’il lui applique un défibrillateur suite à un arrêt cardiaque.

          En dépit de son terrible sort, Noble Craig a témoigné d’une volonté de vivre qui force l’admiration, père attentionné de cinq enfants, conducteur émérite, s’adonnant à la réparation de tout véhicule à moteur, pratiquant le ski nautique, la plongée sous-marine, la natation dans l’océan, le chaut en parachute, il s’est efforcé de vivre plus intensément qu’un valide, donnant un exemple de volonté presque surhumaine. Une cérémonie d’hommage au Cimetière commémoratif des anciens combattants du Nevada du sud a été rendu le 24 mai 2018 à cet estropié de guerre qui vécut debout jusqu’à la fin de son existence remarquable. 

(source de la photo personnelle : http://bloody-disgusting.com/news/3497462/r-p-creature-performer-noble-craig-unsung-horror-icon/)