jeudi 15 octobre 2009

LA "PEOPLISATION" DU MONDE VIVANT



Un Lichen quelconque, sans "personnalité" ? Pas vraiment... Auparavant, seules les effigies de présidents américains sculptées dans la pierre au mont Rushmore pouvaient induire un rapprochement entre le responsable suprême de l'exécutif américain et un Lichen, susceptible de coloniser les fameuses statues à leur image, jusqu'à ce que, très récemment, un chercheur décide de conférer à l'une de ces modestes formes de vie le nom du détenteur actuel du titre, au lendemain de son élection. Yes, he did !

UNE NOMENCLATURE DE PLUS EN PLUS BOUSCULÉE

L'attribution toute récente du Prix Nobel de la paix au nouveau président américain au nom de ses "bonnes intentions" - ce que l'intéressé a estimé, non sans raison, comme prématuré - rappelle ainsi que dès son élection, un spécialiste des Cryptogames tout aussi empressé avait baptisé une nouvelle espèce de Lichen du nom du nouveau maître de Washington, Caloplaca obamae, "au nom du soutien" supposé de celui-ci à la science, ce qui ne peut effectivement pas nuire lorsqu'on requiert des crédits publiques pour financer sa recherche.

Et cependant, il semblerait que le procédé ait déjà été usité, puisque son prédécesseur, George BUSH junior, dont l'intérêt pour la préservation du monde vivant n'était pas plus frappant que celui de son devancier Bill CLINTON (lequel avait tout autant refusé de ratifier la Convention sur les espèces menacées), avait eu également l'honneur de voir son patronyme accolé à celui d'une nouvelle espèce de Scarabée, de même que Donald RUMSFELD et Dick CHENEY, l'ancien vice-président dont la passion pour les sciences naturelles est circonscrite à la géologie prospectant les hydrocarbures...

Cette obséquiosité n'est pas la seule dérive que l'on observe au sein de la nomenclature, destinée à attribuer un nom scientifique aux dernières espèces vivantes découvertes.

Le show-business fait en effet une irruption croissante dans la taxonomie. Déjà, un célèbre Australopithèque de sexe féminin avait été surnommé Lucy parce que les paléontologues écoutaient en boucle cette chanson des Beatles lorsqu'ils mirent à jour les restes de ce pré-hominien dans la savane africaine.

Depuis quelques années, les noms scientifiques formés à partir de patronymes d'artistes de variété se multiplient. Le procédé pourrait être éventuellement admis lorsque les vedettes versent une somme importante pour soutenir des programmes de recherche, comme cela se pratiquait parfois dans les siècles précédents pour remercier les mécènes qui avaient financé d'importants chantiers de fouilles, en particulier ceux visant à découvrir des squelettes de Dinosaures en Amérique du Nord; ainsi, le Diplodocus carnegii, nommé d'après Andrew CARNEGIE, qui a financé notamment des institutions culturelles (ci-dessous).

Un Lapin s'est ainsi vu attribuer le nom du fondateur de Playboy en reconnaissance du financement accordé par le groupe à la protection de ces animaux emblématiques de la marque. Le sympathique acteur John CLEESE des Monty Python (par ailleurs interprète d'un scientifique dans le FRANKENSTEIN de Kenneth BRANAGH) qui, depuis sa désopilante comédie sur les difficultés financières d'un parc zoologique (CRÉATURES FÉROCES), s'investit avec constance pour la protection des Lémuriens, s'est vu justement remercié, par la formation à partir de son patronyme du nom d'une de ces espèces au pelage laineux.


Un exemple de nom de célébrité donné à bon escient à une nouvelle espèce : le Lémurien Avahi cleesei nommé d'après le comique John CLEESE, qui soutient la fondation protégeant les Lémuriens : http://www.savethelemur.org/

L'argent rapporté par la première du film CREATURES FEROCES - les deux photos du haut - a été grâce à son initiative reversé à la fondation.

C'est bien légitimement qu'un Dinosaure a reçu un nom formé à partir de celui de Michael CRICHTON , écrivain qui a largement contribué au regain d'intérêt du public au sujet des Dinosaures au travers de sa trilogie JURASSIC PARK, adaptée au cinéma - Créatures et imagination lui avait rendu hommage à l'annonce de sa disparition en novembre 2008: ci-dessus, squelette du Crichtonsaurus, Dinosaure cuirassé, et sa reconstitution. Il est probable qu'une nouvelle espèce de Fourmi recevra un jour un nom en rapport avec Bernard WERBER, auteur de plusieurs romans popularisant leurs mœurs. D'autres noms basés sur des célébrités paraissent en revanche plus contestables.

C'est également un appel au mécénat qui a conduit une institution, the Australian Marine Conservation Society, à offrir au meilleur enchérisseur qui se manifesterait sur le site Ebay le droit de donner l'appellation de son choix à cette nouvelle espèce de crevette du genre Lebbeus aux étranges coloris (ci-dessous).



DES CHANTEURS PRÉFÉRÉS AUX NATURALISTES MÉRITANTS ?

Mais bien souvent, des espèces nouvelles se voient attribuer des noms de chanteurs principalement en raison de leur notoriété. Ainsi, un nouveau genre de Pogonophore, animal vermiforme tubicole sans tube digestif, à la position systématique quelque peu contestée, a reçu le nom du chanteur Bob MARLEY : cette discrète créature des profondeurs à la teinte écarlate, Bobmarleya, est ainsi malgré elle chargée de propager la mémoire d'un promoteur de la toxicomanie "douce" et de l'inventeur d'une musique préfigurant la "techno"- on pourrait malgré tout supputer une intention ludique à travers une vague analogie entre le paquet de tentacules de l'animal et les tresses "rasta" du chanteur jamaïquain. Si le Dinosaure Cryolophosaurus a été surnommé "Elvisaurus" en raison de sa crête, assimilée à la coiffure "en banane" du chanteur Elvis PRESLEY, une espèce de Dinosaure a réellement été baptisé du nom d'un autre "rocker" appelé Mark KNOPFLER, dont la musique de sa chanson la plus populaire n'aurait pourtant pas de quoi réveiller un Brontosaure (ou plutôt en l'occurrence un Masiakasaurus) endormi. Récemment, une Mygale ( grosse Araignée velue) fouisseuse a reçu comme nom d'espèce celui d'un rocker canadien du nom de Neil YOUNG. Une espèce de Trilobite a hérité du patronyme du Beatle Paul McCARTNEY tandis que le chanteur Freddie MERCURY a inspiré le nom d'une espèce de Crustacé isopode (parent du Cloporte) ainsi que celle d''un Insecte. Diverses créatures brillent ainsi des feux un peu artificiels et quelque peu éphémères du show business, comme si les sciences naturelles voulaient pasticher le Hollywood Boulevard. Un autre nom de genre a été directement emprunté à un artiste de variété, un Poisson de la famille des Gobiidés ayant été baptisé Zappa en référence à un guitariste célèbre; le nom d'espèce d'une Méduse a aussi été forgé sur son patronyme, son découvreur ayant utilisé ce procédé comme biais pour rencontrer le musicien... (ajoutons pour faire bonne mesure qu'une Araignée a également été gratifiée de son nom en raison d'une ressemblance entre les moustaches de la vedette et le dessin de la marque qu'elle présente sur son abdomen).


Si les paléontologues se sont contentés de surnommer "Elvisaurus" ce Dinosaure carnivore à la crête un peu incongrue, d'autres géants du mésozoïque ont réellement reçu une dénomination inspirée de "stars du rock" !

Bobmarleya n'est pas l'épouse d'un chanteur jamaïquain, mais un animal vermiforme de l'embranchement des Pogonophores.

Si le nom d'espèce de ce Crustacé, Cirolana mercuryi, fait référence au chanteur du group Queen, Freddy MERCURY, cela ne se rapporte guère à la contribution de ce dernier à la zoologie...

Nous sommes loin de l'image un peu stéréotypée, mais aussi glorieuse, du chercheur totalement absorbé par ses recherches au point d'être un peu en retrait de la réalité quotidienne. On éprouve quelque difficulté à s'imaginer les célèbres naturalistes de l'ancien temps, de Georges CUVIER à Théodore MONOD en passant par Jean-Henri FABRE, l'œil rivé au "top 50" afin de savoir quel nom de chanteur à la mode conférerait le plus de faste à leur découverte - en attendant peut-être de célébrer de nouveaux sportifs ( il y'a quelques précédents ) ou encore les tristes "héros" de la "télé réalité" - même si le lectorat concerné se limite aux quelques abonnés d'une publication à l'accès souvent restreint aux seuls membres dûment enregistrés des institutions de recherche.

On pourrait presque en sourire si tant de naturalistes méritants et dévoués ne demeuraient pas dans une ignorance proche du mépris de la part des institutionnels ( ce qui d'ailleurs n'incite plus les amateurs de fossiles à faire part de leurs découvertes importantes aux musées comme par le passé et à contribuer ainsi à l'avancée des connaissances ), alors que la désignation d'espèces en leur honneur serait l'occasion de leur accorder un peu de reconnaissance.

L'apport de certains amateurs est pourtant parfois considérable : on connaît l'exemple de Gaël de PLOËG, ce jeune Français qui, à la manière du prologue du film JURASSIC PARK tiré du roman de Michael CRICHTON, a découvert en 1996, en étudiant de vieux ouvrages de géologie, un site exceptionnel dans le département de l'Oise, contenant 20 000 Insectes conservés dans l'ambre, représentant environ 300 espèces, dont une Mante religieuse présentant certains caractères rappelant les Blattes, confirmation que les ordre des Blattoptères et des Mantoptères sont bien apparentés, comme celà était supposé jusque là; des entomologistes du muséum de Paris se forgèrent une belle notoriété dans leur discipline en publiant des articles sur ces découvertes inespérées, ces reliques parfaitement préservées, tandis que le jeune chômeur les approvisionnait chaque samedi en matériau en prenant le train à ses frais - l'aumône, pour une durée limitée, d'un "emploi-jeune", en tant que guide pour scolaires au sein de l'établissement, lui fut finalement accordée tardivement, avant, quand même, d'être intégré à une équipe de chercheurs après ces années d'incertitude et de précarité et que, exception suffisamment rare pour être mentionnée, une Tortue fossile découverte sur le site dont il est l'inventeur porte son nom depuis 2006.

Gaël de PLOËG à la recherche de pépites dorées porteuses d'une richesse bien particulière.

Un des Insectes conservés dans l'ambre d'un site du département de l'Oise en France découvert par Gaël de PLOËG.
Cette Tortue fossile, Merovemys ploegi, représentée par Alain BÉNÉTEAU, a été nommée d'après le jeune homme, cas rarissime de naturaliste amateur finalement reconnu par les institutions.

Un autre amateur a cartographié en Amérique du sud l'aire de distribution d'une espèce de Singe en voie de disparition, le Tamarin lion, recensement qui a entraîné la mise en place d'une zone de protection ayant permis de sauver de l'extinction la petite créature au pelage roux ( ci-dessous ).

Il existe d'autres exemples célèbres d'amateurs dont on reconnut jadis les mérites, comme ce fut le cas pour Charles WALCOTT, paléontologue réputé à qui on doit notamment la découverte du fameux schiste de Burgess, après celle de nombre de Trilobites fossiles - un groupe prolifique d'animaux marins disparus à pattes articulées - qui n'eut jamais de diplôme universitaire, ce qui ne l'empêcha pas de devenir le président de la prestigieuse Smithonian Institution au début du XXème siècle. On a aussi déjà évoqué dans l'article sur "DARWIN et la controverse sur l'évolution" en février 2009, le Français Henri Marie DUCROTAY de BLAINVILLE, étudiant en musique à qui le paléontologiste et anatomiste renommé CUVIER a donné sa chance en le choisissant rapidement comme collaborateur attitré puis en en faisant son égal. Rappelons par ailleurs que l'Allemand WEGENER, qui a révolutionné la géologie en découvrant la dérive des continents, était un géographe, et a toujours pour cette raison enduré l'opprobre des pontes de la discipline - son alter-égo en biologie, DARWIN, était lui-même dans une situation universitaire assez peu établie lorsqu'il effectua ses grandes découvertes à la suite de son embarquement sur le Beagle.

Charles Doolittle WALCOTT, paléontologue américain autodidacte devenu un membre éminent de la communauté scientifique ( et un conseiller du philanthrope Andrew CARNEGIE déjà évoqué ). Un parcours pratiquement inenvisageable en France de nos jours, avec le manque d'ouverture d'esprit manifesté par l'establishment scientifique actuel. Les sciences naturelles auraient été privées d'un nombre important d'hommes de valeur si elles avaient recouru au recrutement fermé qu'elles pratiquent à présent de plus en plus. Si l'on veut sincèrement familiariser davantage le public avec les sciences, comme le besoin s'en fait grandement sentir, il conviendrait de rompre avec les pratiques de caste qui engendrent le conformisme et renforcent la coupure entre citoyens et institutions, dont les passionnés ont vocation à être les intermédiaires.

Ci-dessus, comme un certain nombre de fossiles de Burgess Shale, le curieux animal aux allures de larve de Crustacé, Marria walcotti, baptisé quatre ans après sa disparition, porte un nom d'espèce faisant référence au célèbre inventeur du site.

Nonobstant, ces exemples éclairants sont loin d'avoir fait école. Une véritable ségrégation persiste entre les chercheurs rémunérés, zoologistes professionnels nimbés du prestige de leur statut et bien peu désireux d'avoir le plus petit échange avec ceux qui ne sont pas de leur rang, et les passionnés œuvrant bénévolement, maintenus obstinément à l'écart de toute possibilité d'évolution de leur statut - comme en témoigne la fermeture d'autorité, en France il y'a une quinzaine d'années, de la section des sciences de l'évolution à l'Ecole pratique des hautes études, institution établie qui avait auparavant accueilli nombre de futurs scientifiques qui n'avaient pas transité par le "cursus officiel" et qui, par exemple, sont pourtant aujourd'hui, pour certains, des spécialistes reconnus des Coraux de l'Outre-mer, puisque l’Institut des récifs coralliens du Pacifique y a été créé par arrêté ministériel du 21 janvier 2009, intégrant les chercheurs en place; on pourrait aussi évoquer la véritable nature de certains concours nationaux dont le recrutement prétendument "ouvert" masque pauvrement la cooptation ; l'éloge de "la diversité" vantée par les pouvoirs publics ne vaut pas pour tout le monde...

Il se trouve pourtant quelques esprits libres pour contester la sélection basée exclusivement - particulièrement dans les pays francophones - sur les sciences exactes et les mathématiques, comme le grand paléontologue Stephen J. GOULD, et jusqu'au prix Nobel de physique Pierre-Gilles de GENNES qui estimait exagérée cette polarisation des sciences sur sa composante mathématique. Mais ils ne sont guère entendus et c'est peu dire que les médias ne mettent pas particulièrement en valeur cette position, tant et si bien que ni le quotidien "Le Monde" ni la radio "France info" n'y firent allusion suite au décès du premier, à la différence de d'autres précisions biographiques plus anecdotiques comme ses équipes sportives préférées...

Les naturalistes amateurs méconnus aux mérites avérés mériteraient au moins autant de considération, de la part de ceux qui ont eu l'opportunité de pouvoir faire de l'étude du monde vivant leur profession, que ceux qui se déhanchent sur une scène sur un rythme saccadé... S'il n'est pas interdit à un scientifique de se passionner pour le travail pour lequel il est payé, on peut être assuré que l'amateur qui investit de son temps sans aucune rémunération est, lui, nécessairement un passionné*.

AU TEMPS DES PIONNIERS

Dans le passé, depuis la création du standard binominal ( un nom de genre accolé à un nom d'espèce, tous deux en latin ) par le Suédois Karl Von LINNE, la dénomination d'un nouveau genre ou d'une nouvelle espèce correspondait à certaines règles.

Il arrivait certes qu'un naturaliste confère à sa trouvaille le prénom de son épouse, mais on pouvait y consentir au nom du soutien matériel que celle-ci lui apportait ( les génériques des films ne mentionnent-ils d'ailleurs pas tous les salariés assurant la maintenance et la logistique même s'ils n'ont pas pris part directement à l'œuvre cinématographique ) - et aussi comme hommage au sentiment et au dévouement, témoignage d'une époque révolue au cours de laquelle l'attachement entre deux personnes était plus durable que de nos jours.

D'autres noms ont été inspirés par la mythologie, de l'Hydre aux Gorgones.

Plus fréquemment, les nouvelles espèces portaient le nom de grands naturalistes que ceux-là avaient été les premiers à décrire, tels LAMARCK, OWEN ou PALLAS, ou bien parce que des confrères avaient voulu leur rendre hommage par ce biais.

On retrouve ainsi dans le nom d'espèce le patronyme de naturalistes célèbres, comme celui du scientifique et religieux italien Lazzaro SPALLANZANI, accolé au Spirographe, célèbre ver annelé tubicole de nos plages, ou celui du Français Felix DUJARDIN, découvreur des Kinorhynques, un petit groupe d'animaux marins microscopiques revêtus d'une cuirasse articulée, à travers leur espèce-type, Echinoderes dujardini, forme qu'il avait à l'époque considérée comme "intermédiaire entre les Crustacés et les Vers".

Le Spirographe de SPALLANZANI; en dessous, portrait du célèbre expérimentateur.

Felix DUJARDIN et le Kinorhynque Echinoderes dujardini (une vidéo en ligne permet de voir un Echinodère in vivo, créature discrète qu'on n'a guère de probabilité de voir dans les documentaires télévisés: http://www.youtube.com/watch?v=6adgt3wA9so )

Un certain nombre d'espèces portent le nom d'HUXLEY, en référence à Thomas HUXLEY, célèbre disciple de DARWIN, comme le petit Dinosaure pourvu d'une aile à chaque membre, Anchiornis huxleyi découvert tout récemment en Chine ; un genre de Mammifère ongulé disparu parent du Toxodon ( ce dernier a été évoqué dans l'article "DARWIN et la controverse sur l'évolution" ) est même désigné de manière transparente sous le nom générique de Thomashusleyia.

Décrit en 2009, un Lémurien fossile ( reconstitution ci-dessus ) a été nommé Darwinius en hommage au célèbre naturaliste anglais dont l'article de février 2009 a commémoré le 200 ème anniversaire ( en haut, célèbre caricature le représentant en Chimpanzé pour tourner en dérision la parenté entre l'Homme et les grands singes qu'il a été le premier à postuler, au grand effroi d'une partie de la bonne société anglaise ).

Quant à un autre naturaliste italien, spécialiste des parasites, Francisco REDI, son patronyme est devenu un nom commun, servant à désigner, sous le terme de "rédie", l'une des générations participant du cycle vital complexe de la Douve du foie. Il en va de même pour certains termes utilisés dans l'anatomie animale, qui sont suivis du patronyme de leur descripteur, comme en médecine.

Francisco REDI et le stade de développement asexué de la Douve du foie dénommé rédie en référence à ses travaux.

A l'inverse, on est en droit de se demander ce que des célébrités actuelles sans rapport avec la zoologie, tels que des chanteurs, ont apporté à la discipline.

Cette "peoplisation", cette trivialisation, comme dirait le philosophe Alain FINKIELKRAUT, n'est malheureusement pas le seul facteur qui contribue à dénaturer le latin scientifique permettant de nommer précisément les espèces.

D'AUTRES ÉCARTS D'AVEC LA TERMINOLOGIE SCIENTIFIQUE HABITUELLE

Alors qu'il avait été établi lors de conférences internationales fondatrices que les nouvelles espèces conserveraient définitivement le nom qui leur avait été attribué par ceux qui les avaient découvertes, la règle semble de plus en plus remise en cause, au point de brouiller les repères. La plupart des genres de "concombres de mer", des parents des Oursins au corps allongé, vivant dans les grandes profondeurs ont été rebaptisés assez récemment. Si certains animaux disparaissent, l'absence de certains autres d'internet s'explique simplement par le changement de nom... De même, la Douve du foie a vu son type éclaté en un nombre important de nouveaux genres. Seul un spécialiste des familles concernées peut encore s'y retrouver. Créer de nouveaux genres et de nouvelles espèces est naturellement bien légitime lorsqu'on peut établir qu'un type regroupe en fait plusieurs animaux auparavant confondus et qui doivent être distingués les uns des autres. Cependant, pourquoi ne pas conserver le nom établi pour celui qui est le mieux connu, en se contentant de créer de nouvelles appellations pour les formes apparentées qui s'avèrent présenter des caractères distincts ? Il arrive même quelquefois qu'un animal soit pourvu de plusieurs noms scientifiques; ainsi, le plus grand Mammifère de tous les temps, un énorme Rhinocéros sans corne, le Baluchitherium, d'après la province du Baluchistan où son fossile fut découvert, est également nommé Indricotherium, et le terme de Paracetherium a aussi été utilisé pour une description qui se rapporte très probablement au même animal : trois noms de genre pour le même animal est un record ! Et l'histoire n'est même pas encore achevée, sur la base de dents découvertes en China a été nommé le genre Dzungariotherium, lequel pourrait peut-être s'avérer être une quatrième dénomination scientifique pour le même animal...

(illustration originale)
Pour compliquer la situation, beaucoup de nouveaux noms n'ont plus aucun rapport avec les racines gréco-latines de la systématique linnéenne. Ces dernières années, la Chine s'est distinguée par une intense activité scientifique, talonnée par le Japon. Les scientifiques chinois ont ainsi inventorié nombre de sites très intéressants, comme ceux de l'époque cambrienne, dans le Chengjiang, qui ont livré des espèces anciennes assez similaires à celles du célèbre schiste de Burgess Shale en Colombie britannique, ou ceux comportant une grande quantité de Dinosaures présentant un revêtement de plumes bien préservées. Certaines de ces espèces ont reçu un nom en rapport avec leur localisation géographique à consonance extrême-orientale, ce qui est habituel ( le Mosasaure signifie "Saurien de la Meuse", l'Iguanodon, un Dinosaure, également découvert en Belgique, dans une carrière de la commune de Bernissart, a été nommé Iguanodon bernissartensis ), mais les zoologistes de ces contrées désignent maintenant souvent leurs découvertes selon une terminologie comprise d'eux seuls, difficilement prononçable pour un Occidental, et aussi ardue à mémoriser qu'à orthographier.

Le "Serpent de mer de Maastricht", le Mosasaure - littéralement "lézard de la Meuse", faisant ici une terrifiante apparition dans le film de Kevin CONNOR, LE SIXIEME CONTINENT, adapté d'un roman d'Edgard Rice BURROUGHS : un nom scientifique classique, combinant racine gréco-latine et toponymie.

Le nom de ce Dinosaure parent du Brachiosaure, Qiaowanlong kangxii, a une signification poétique, mais seuls les zoologistes chinois qui lui ont attribué peuvent en comprendre la signification.


DE QUOI EN PERDRE SON LATIN ( SCIENTIFIQUE )


Il ne s'agit nullement de défendre ici un prétendu "impérialisme culturel occidental", même si les fondements des disciplines concernées ont été établis en Europe, mais de regretter la liberté prise avec les conventions internationales qui avaient été acceptées universellement et qui permettaient d'user d'un vocabulaire reconnu dans la totalité de la communauté scientifique, avec une étymologie qui puisse être largement comprise, au moment même où certains tentent de relancer l'espéranto, dans leur aspiration à proposer un langage commun à tous les citoyens de l'Union européenne. Même les enfants ignorant le latin connaissent le sens du mot Dinosaures ("terribles Sauriens"). On peut de la même manière retrouver bien des racines d'un groupe à l'autre. Le paresseux géant du Quaternaire s'appelle Megatherium, ce qui signifie tout simplement "grande bête"; Mouches et Moustiques sont des Diptères, pourvus de "deux ailes"; les Insectes, Arachnides et Crustacés appartiennent aux Arthropodes, littéralement "à pieds articulés", ce qui désigne les articulations externes de leurs pattes; Oursins et Etoiles de mer sont des Echinodermes, "à peau de Hérisson" en raison de leurs piquants; quant aux Acanthocéphales, des parasites intestinaux, le terme de "tête épineuse" fait allusion sans ambiguïté possible aux redoutables crochets qui ancrent ces animaux dans la muqueuse de leur hôte. Quelquefois, la connaissance de l'étymologie permet même de porter un regard critique sur certains choix un peu hasardeux; ainsi, un Batracien disparu dépourvu de pattes a été baptisé Ophiderpeton, ce qui signifie "Serpent qui rampe"; outre que l'animal n'est nullement un Serpent (ce dernier appartenant à la classe des Reptiles), l'expression paraît pour le moins pléonastique. L'exemple du Rhinocéros noir est plus connu, son nom Diceros bicornis signifie de manière redoublée "qui a deux cornes".

reconstitution d'Ophiderpeton, le "serpent qui rampe"

Aucun zoologiste ne peut connaître l'étymologie de toutes les langues du monde; dorénavant, les noms d'espèces deviennent obscurs, ce qui n'est pas un progrès pour la connaissance, sans parler de la vulgarisation.


Terminons ce constat sur la déperdition de l'étymologie scientifique, qui nous mène loin des idéaux des encyclopédistes, par un peu d'humour. Puisque les scientifiques actuels ne sont plus investis de la culture spécifique qui s'attachait à leur discipline et que, dorénavant, l'attribution de noms d'espèces obéit plus que jamais à la fantaisie, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? L'inventivité des découvreurs d'espèces risque avec de tels précédents de conduire à bien d'autres incongruités. Verrons-nous prochainement apparaître dans les classifications les plus sérieuses des systématiciens des "Johnnyhallidayi perceptorofugis" (d'après un chanteur régulièrement exilé car faiblement disposé à l'égard du fisc), des "Dickrivers ringardus", "Joeystarro violento", "Loftoloanna deprava" (qu'on trouve occasionnellement dans les piscines où elle vient s'adonner à la copulation) "Steevypederastus" (espèce commensale du Ruquier), "Dalida strabisma", "Larafabiana hurlantissima", "Roccosiffredus megalubricus", "Sammynaceris dangeriosus", "Sharonstona impudica" à la célèbre toison blonde abdominale ? Et pourquoi pas encore des "Emmanuelli oculopilosi", "Jacklangus semillantus", "Rachidadata karlagerfeldae" aux ornements variés, "Bayroueuhius inutilis", "Rocardus fletrissus" (dit "Petit gris" de CHARASSE - dixit ce dernier), "Besancenotus** druckerophilis", espèce prompte à l'agitation, qui ne rechigne pas pour autant à se chauffer sous les projecteurs des grands studios télévisés, en attendant bien sûr le premier qui osera la surenchère avec un "Obama mirabilis" ("le merveilleux OBAMA" - pléonasme selon certains), annoncé par le dessin de PLANTU dans le quotidien français "Le Monde" montrant une Marianne plus qu'énamourée devant le nouveau président américain ?


D'AUTRES NOMS SCIENTIFIQUES PARTICULIERS

Des zoologistes facétieux bien qu'officiels se sont déjà amusés à attribuer des noms saugrenus, usant d'un latin scientifique qu'on dirait écrit par les humoristes Jean YANNE et Jacques MARTIN pour leurs sketchs sur la Rome antique, avec leur idiome volontairement approximatif. Un site francophone recense un grand nombre de ces noms qui, bien que saugrenus, semblent avoir été validés par la communauté scientifique internationale, comme le Mollusque bivalve Abra cadabra, le Boa fossile Montypythonoides bien connu de tous ceux qui s'intéressent aux Reptiles géants et dont la source d'inspiration est assez évidente, ou le Reptile volant Arthurdactylus conandoylensis, dont le nom de genre et le nom d'espèce se partagent le rôle de rendre hommage à l'auteur du MONDE PERDU, premier du nom, roman à la fin duquel le Professeur Challenger ramène en Angleterre un spécimen vivant de Ptérosaure découvert au Brésil comme le fossile. Plus tristement, le petit Perroquet des Marquises baptisé Vini vidici a disparu, comme nombre d'espèces d'Oiseaux à la suite de l'arrivée de l'homme sur les îles. Le site de Godzillius - appellation qui désigne d'ailleurs un représentant des Crustacés vivants les plus primitifs, les Rémipèdes récemment découverts, qui se sont vus attribuer les noms de monstres du cinéma japonais ( un Chélonien fossile porte quant à lui le nom d'espèce de "gamera" d'après une Tortue géante du cinéma nippon ) - est divertissant même pour les lecteurs étrangers à la discipline, en dépit de quelques approximations*** ;


Le nom d'espèce de ce parent du Protoceratops (dont la lignée engendrera le fameux Triceratops), appelée Serendipaceratops arthurcclarkei, a été nommée d'après le célèbre écrivain de science-fiction passionné par l'espace, Arthur C. CLARKE. L'auteur de DRACULA a également donné lieu à un hommage n'ayant qu'un lointain rapport avec son œuvre, puisque le nom d'espèce inspiré de Bram STOKER n'a pas été donné à une Chauve-souris comme on aurait pu l'attendre, mais à une espèce d'un groupe d'Arachnide récemment découvert, les Schizomides.

Un second site, anglophone, recense d'autres noms scientifiques, en rapport avec le fantastique et la science-fiction : les amateurs de fantastique y apprendront avec plaisir qu'une espèce de Trilobite est nommée en l'honneur du grand écrivain américain LOVECRAFT, Calycoscutellum lovecrafti, en bonne compagnie puisqu'une espèce voisine, elle, fait référence au peintre espagnol surréaliste Salvador DALI ; si on considère le temps qu'il a fallu pour que LOVECRAFT entre dans le dictionnaire, on peut être convaincu qu'il s'agit bien d'une valeur sûre (en plus d'un concepteur de divers monstres mémorables apparaissant dans ses nouvelles). Les amateurs de TOLKIEN ne sont pas oubliés avec, entre autres, le Gollumjapyx, terme formé par l'addition du nom d'un personnage célèbre du cycle du SEIGNEUR DES ANNEAUX avec lequel il partage le mode de vie souterrain et le teint blafard, et de celui du Japyx, parent du nouveau venu, un Insecte primitif sans ailes, qui possède une pince terminale rappelant celle du "Perce-oreille"; une nouvelle preuve de rencontre entre créature réelle décrite par la science et être imaginaire, justifiant une nouvelle fois l'existence du présent site. Un Trilobite a quant à lui été nommé Han Solo, comme le héros de la trilogie de LA GUERRE DES ETOILES; le responsable a cependant allégué pour brouiller les pistes que l'animal portait le nom de l'ethnie qui vit en Chine là où le fossile a été trouvé et que le nom d'espèce signifie qu'elle est la seule de son genre; l'interprète du personnage, Harrison FORD, s'est lui-même vu dédier une espèce de Fourmi en remerciement de son investissement en faveur de la préservation de l'environnement****. Une espèce de Scarabée appartenant au même genre que celles qui portent les patronymes de BUSH, CHENEY et RUMSFELD a été nommée Agathidium vaderi car d'aspect luisant comme le costume du personnage de Dark Vador - Darth Vader dans la version originale, et un Acarien porte de manière encore plus transparente le nom générique de Darthvaderum : http://io9.gizmodo.com/5342019/30-real-animals-with-science-fiction-names/

Tiens, ne serait-ce pas un Agathidium vaderi ?

Citons aussi le site anglophone le plus complet, même si sa présentation est plus austère et que tous les noms ne sont pas explicités; on se réjouira notamment d'apprendre qu'un genre de Crabe fossile a été dénommé Harryhausenia d'après le nom du grand créateur de monstres Ray HARRYHAUSEN - qu'on évoquera de nouveau incessamment - qui avait animé un Crustacé géant dans le film L'ILE MYSTERIEUSE de Cy ENFIELD :
http://www.curioustaxonomy.net/index.html.

Enfin, il faut prendre garde aux homonymies; un fossile assez célèbre de l'époque cambrienne a reçu en nom d'espèce le patronyme de KIERKEGAARD par admiration pour le philosophe danois, lequel ne doit pas être confondu avec son compatriote KIRKEGAARD, zoologiste décédé en 2006 qui avait notamment décrit les espèces de Pogonophores trouvés par la fameuse expédition Galathea au début des années 1950, et dont le nom a servi à baptiser plusieurs espèces de vers annelés.

(* On privilégie ici d'ordinaire bien davantage le règne animal si diversifié; pour rétablir un peu l'équilibre, et puisqu'on a inauguré l'article avec le "Lichen d'OBAMA", on indiquera ici bien volontiers le site d'un naturaliste amateur néo-zélandais, électricien de son métier, Clive SHIRLEY, qui a recensé et photographié avec une incroyable qualité la diversité cryptogamique des sous-bois de son pays, Mousses, Lichens et Champignons - et a fait paraître un ouvrage sur ces derniers. A voir pour la beauté des images de ce monde en miniature (exemple ci-dessous), même si l'on n'est pas spécialiste de la question http://hiddenforest.co.nz/index.htm).

(** à ne pas confondre bien sûr avec le Besanosaurus représenté dans l'article de février 2009 !)
(*** on a déjà signalé qu'Elvisaurus est un surnom et non le nom scientifique officiel d'un Dinosaure, que Godzillius ( formé d'après Godzilla ) et les formes apparentées ne sont en rien des Crabes mais font parti des Rémipèdes, des Crustacés ancestraux ressemblant davantage à des "milles-pattes" marins, ou encore que Darthvaderum n'est pas un Papillon, mais un Acarien, ce qui devrait lui valoir beaucoup moins d'admirateurs... Quand au Daemonelix, si la structure évoque la coquille torsadée d'un Gastéropode gigantesque, il s'agit en fait de la galerie spiralée creusée par une espèce disparue de Castor ! )

PS : les lecteurs québécois et suisses voudront bien pardonner les quelques étymologies fantaisistes faisant allusion à diverses personnalités du show-bizz et de la vie politique en France, petites billevesées dont le sens risque de leur échapper (les Belges surprennent souvent quant à eux par leur connaissance de la télévision de l'Hexagone). A noter que le qualificatif de "petit gris fripé" adressé à l'ancien premier ministre Michel ROCARD par l'ancien ministre du budget Michel CHARASSE - qui ne concerne donc ni un Gastéropode ni les inquiétants envahisseurs extraterrestres décrits par l'écrivain Jimmy GUIEU qu'il prétendait réellement exister - est un propos véridique...



ÉPILOGUE : En 2011, un parasite appartenant au groupe des Nématomorphes ("vers gordiens") qui ne vivent que quelques heures à l'état adulte hors de l'hôte, juste le temps de se reproduire à la manière des Éphémères, a été nommé Paragordius obamai parce qu'il a été découvert à une vingtaine de kilomètres du village dans lequel a grandi le père de Barack OBAMA. Ou comment achever un article en finissant la boucle avec le propos introductif !

mercredi 9 septembre 2009

RETOUR ANNONCE DE DEUX GRANDS MONSTRES

Contrairement au pilote extraterrestre, le film ALIEN ne s'est pas fossilisé dans l'esprit des cinéphiles.

On se souvient que Barry LEVINSON avait réalisé un film, LE SECRET DE LA GRANDE PYRAMIDE, imaginant la jeunesse de Sherlock Holmes, plutôt réussi et étonnamment sombre pour une œuvre en principe destinée au jeune public. Le personnage d'Indiana Jones s'était lui vu gratifié d'une série décrivant les jeunes années de l'archéologue aventurier. Georges LUCAS a conçu plus récemment une trilogie de LA GUERRE DES ETOILES antérieure à celle qu'il avait préalablement initiée, narrant le dévoiement de chevaliers Jedi au service de sombres desseins, et montrant comment ceux-ci avaient évolué pour devenir les personnages maléfiques de la première saga, laquelle chronologiquement devint donc la seconde.

Le défi que représente l'élaboration d'œuvres conçues comme le prologue de films connus, à plus forte raison quand il ne s'agit pas de sagas se prêtant à de multiples épisodes, est particulièrement ardu, car même en admettant que les films parviennent à se hisser à la hauteur des chefs-d'œuvres initiaux, ce qui n'est pas une entreprise aisée, il leur manquera néanmoins toujours la touche d'originalité de leur modèle. La meilleure solution, difficile à appliquer au concept d'une préquelle, est d'instiller une nouvelle perspective lorsqu'on décline un concept connu, comme avec ALIENS adoptant une perspective plus guerrière mettant l'action au premier plan, POLTERGEIST 2 se focalisant sur un personnage maléfique central et ses surprenantes métamorphoses, ou encore LA MOUCHE 2, reprenant des éléments délaissés du scénario car jugés alors accessoires, notamment les enjeux financiers de la téléportation pour la société technologique qui veut s'accaparer l'invention, en les combinant intelligemment avec le thème du fils de Brundle soumis aux aléas génétiques imputables à son géniteur.

A présent, le concept pourrait être appliqué à deux grands chefs d'œuvre du cinéma de science-fiction, sans doute les deux films majeurs narrant les agissements de formes de vie extraterrestres prédatrices, ALIEN de Ridley SCOTT et THE THING de John CARPENTER - même si pour le second nous avions été bien peu à l'époque, au milieu des critiques condescendantes, à l'identifier comme un chef-d'oeuvre et un futur classique; les deux font actuellement l'objet d'un projet décrivant la situation antérieure aux événements portés à l'écran ( bien qu'un premier projet pour THE THING avait d'abord été envisagé comme une suite et qu'il a même été question de remake ) ; il est vrai que celle-ci est déjà évoquée explicitement dans les deux œuvres.

La filiation entre les films originaux et les préquelles: Ridley SCOTT, réalisateur du premier ALIEN ( en haut ), devrait diriger le film qui va narrer les évènements antérieurs au classique de 1979; il faut espérer qu'il saura livrer un nouvel opus à la hauteur de l'oeuvre fondatrice, mais au moins peut-on supputer qu'il sera peu enclin à en trahir l'esprit. Stuart COHEN (en bas ), co-producteur de THE THING, avait été l'initiateur du projet d'adapter la nouvelle de John CAMPBELL en en préservant l'essence même à l'écran, et a aussi oeuvré avec constance pour que la réalisation en soit confiée à John CARPENTER qu'il supposait avec raison comme le directeur le plus approprié à la peinture de ce huis-clos horrifique; COHEN étant à nouveau aux manoeuvres, on peut là encore raisonnablement envisager qu'il va s'efforcer de renouveler le prodige du chef d'oeuvre de 1982.

Bien que cela n'ait guère été noté, le début des deux films s'inscrit dans un schéma similaire: les protagonistes découvrent que l'organisme terrifiant qui les attaque s'en ait pris auparavant à une autre expédition, à ceci près que cette dernière est extraterrestre dans ALIEN, mais la barrière de la langue ( aucun Américain de l'avant-poste 31 dans THE THING ne connaissant le norvégien ) empêche dans les deux cas que les futures victimes puissent être instruite par l'expérience malheureuse de leurs devanciers. Le procédé permet à la fois de révéler l'intrigue progressivement tout en lui conférant une touche de réalisme puisqu'il présente des faits qui se sont déjà déroulés et que le spectateur considère ainsi spontanément comme avérés.

Les épaves des vaisseaux extraterrestres de ALIEN (en haut) et THE THING (au-dessous)

La découverte des restes de l'expédition décimée dans ALIEN (haut) et THE THING (bas)

ALIEN et THE THING ont été produits à peu près en même temps; les difficultés des producteurs du second à s'accorder sur le traitement de l'histoire et finalement les hésitations du studio quant à la rentabilité du projet, jusqu'à ce que le succès d'ALIEN démontre qu'un film de monstre à gros budget pouvait rapporter des bénéfices, explique que THE THING ne soit sorti en salles que trois ans plus tard.

Le scénario d'ALIEN était pour l'essentiel défini dès le début; il reposait sur une idée originale de Dan O'BANNON - même si on peut toujours trouver une filiation avec d'autres œuvres comme un petit film de monstre des années 1950, IT ! THE TERROR FROM BEYOND SPACE, et que le célèbre écrivain VAN VOGT entama une action en estimant qu'il s'inspirait de son roman LA FAUNE DE L'ESPACE, notamment les passages mettant en scène un extraterrestre du nom d'Ixtl. THE THING est par contre l'adaptation déclarée d'une nouvelle remarquable écrite en 1938 par John CAMPBELL - et dont seul le point de départ avait été conservé lors d'une première transcription à l'écran par Christian NIBY en 1951. Les premières approches du projet tiraient naturellement profit des potentialités cinématographiques de l'histoire, en prévoyant des scènes spectaculaires de poursuite dans les glaces, incluant des avalanches. Cependant, aucune ne faisait réellement l'unanimité, jusqu'à ce que soit engagé le scénariste Bill LANCASTER, fils du célèbre acteur Burt LANCASTER - interprète entre autre d'un Docteur Moreau particulièrement sadique dans l'adaptation de Don TAYLOR de 1976 ; celui-là, même s'il ouvre l'histoire sur une poursuite entre ce qui paraît être un chien de traîneau et un hélicoptère qui le traque, relègue l'action au second plan au profit du huis-clos, restant fidèle à l'esprit du texte originel. Même si le procédé d'introduction de l'intrigue de THE THING n'est pas totalement sans rappeler celui d'ALIEN ( qui lui-même avait eu un prédécesseur en la matière avec PLANET OF THE VAMPIRES de Mario BAVA et sa découverte de l'épave d'un vaisseau spatial ainsi que des restes squelettiques de ses occupants attaqués par des entités meurtrières ), on peut penser que sans l'habileté de Bill LANCASTER, ce chef d'œuvre qu'est THE THING serait probablement demeuré l'un de ces innombrables projets de film qui n'ont jamais vu le jour.

En haut, le scénariste d'ALIEN, Dan O'BANNON ( à gauche) en compagnie du peintre suisse GIGER, concepteur des éléments extraterrestres du film. En dessous, le scénariste de THE THING, Bill LANCASTER, dont sa participation au chef d'oeuvre de CARPENTER est l'élément majeure de sa brève carrière, écourtée par sa santé précaire - même s'il s'était montré à l'époque déçu que certaines scènes qu'il avait écrites n'aient pas été portées à l'écran, notamment une scène de panique au moment où la station est subitement plongée dans l'obscurité.

On peut se demander ce que donnera le nouvel épisode, rétrospectif, d'ALIEN, basé sur un scénario signé par Jon SPAIHTS. Logiquement, celui-ci devrait nous montrer, entre autres, les gigantesques humanoïdes extraterrestres aux prises avec les créatures meurtrières qui ont causé leur perte ( le film montre l'un d'entre eux, fossilisé sur son siège, devant ce qui semble être un poste de pilotage, les côtes ayant été percées de l'intérieur par le stade parasite de l'organisme surnommé "Chest burster"). Le spectateur jusque là mystifié par l'extraordinaire atmosphère d'ALIEN risque alors de découvrir que les Face-huggers, le stade initial qui se fiche sur le visage et pond dans le corps la génération suivante, et dont la morphologie paraît calquée sur l'anatomie humaine ( conformément aux indications du scénario ), paraissent un peu menus comparés à leurs premières victimes, comme représenté ci-dessous.

Les Extraterrestres en proie aux Face-huggers ( illustration originale ).

Il avait été un temps entendu que Sigourney WEAVER pourrait y faire une nouvelle apparition, bien qu'on ne voit pas trop comment son personnage pourrait être impliqué dans l'histoire, à moins d'imaginer à la manière d'ALIEN IV de CARO et JEUNET que le personnage d'Helen Ripley qu'elle interprétait dans le premier film était
déjà un clone réalisé par la compagnie, et qu'elle joue ainsi le personnage original, probablement elle-même un membre de la Compagnie ou/et une scientifique.

Il sera en tout cas un peu ardu d'inclure dans l'intrigue des protagonistes humains étant donné que la rencontre entre l'Alien et les humains étaient censée être une première. Peut-être pourrait-on imaginer une intrigue sur un contact dramatique entre des humains et les extraterrestres, en espérant que les auteurs joueront habilement sur les effets de perspective et l'inclusion à l'image des interprètes par des trucages visuels classiques pour représenter la différence de taille, sans recourir à des créatures créées banalement par ordinateur. Néanmoins, un élément troublant de l'œuvre de 1979 n'a guère été relevé jusqu'à ce jour : alors qu'un détachement explore l'étrange épave extraterrestre conçue par le peintre suisse H.R. GIGER, le responsable scientifique Ash ( brillamment interprété par Ian HOLM ) découvre, mais trop tard - ou feint de découvrir seulement à ce moment-là, en raison de son rôle trouble ( il s'agit en réalité d'un androïde chargé par la Compagnie de ramener, quoi qu'il puisse en coûter, l'organisme inconnu à des fins de recherche appliquée ) que le signal extraterrestre qui a attiré le Nostromo sur l'astéroïde n'est pas un appel au secours mais un avertissement. Malgré toute la ressource de l'ordinateur de bord, on ne peut qu'être déconcerté par la capacité du système à interpréter un message dans une langue totalement inconnue. Pour que l'ordinateur puisse distinguer entre ces deux types d'émissions, il paraît évident qu'il dispose d'un minimum d'informations sur la syntaxe et la sémantique des extraterrestres ( rappelons pour point de comparaison que la langue des Etrusques, peuple européen qui a précédé les Romains - et dont les habitants du Latium pourraient être plus ou moins les descendants, ces derniers ayant fondé l'Empire romain qui s'est étendu à toutes les provinces d'Italie avant de conquérir les contrées étrangères - n'a à ce jour pas pu être déchiffrée en dépit des nombreux objets étrusques mis à jour ). De là, on pourrait imaginer que la Compagnie ait déjà eu connaissance d'un certain nombre de données avant que l'équipage du Nostromo ne fasse la funeste rencontre, ce qui ouvre quelques pistes scénaristiques.


Ridley SCOTT paraît enclin à envisager les créatures meurtrières comme étant des créations de l'ingénierie génétique conçues par les extraterrestres, un genre d'arme biologique comme celà avait aussi été évoqué pour la Chose mise en scène par John CARPENTER à l'occasion d'une monture abandonnée de THE THING. Celà pourrait expliquer une similitude quant à l'apparence "bio-mécanique" des extraterrestres et celui de leur création; celà conduirait aussi à porter un regard cynique sur les civilisations, puisque les Extraterrestres qui auraient créé les Aliens et la Compagnie qui veut se les accaparer, comme elle le démontre aussi dans ALIENS de James CAMERON à travers le personnage de Burke, auraient le même dessein, s'assurer de la puissance technologique en croyant obtenir le contrôle d'une effroyable arme biologique : on est loin de la vision optimiste de certains auteurs qui imaginent que l'avènement de civilisations hautement développées irait de pair avec une grande sagesse et qu'elles seraient nécessairement pacifiques.

Le scénario d'ALIEN avait initialement envisagé que les œufs des créatures carnassières étaient hébergés dans une mystérieuse structure extraterrestre, comme représenté ici par Hans Rudi GIGER.

Quand à THE THING, il est vrai que le dénouement laissé quelque peu en suspens à la fin du film de John CARPENTER fait davantage travailler l'imagination que les faits qui précèdent l'histoire et qui sont approximativement connus, d'autant que les 45 premières minutes y étaient consacrées au dévoilement progressif de l'intrigue.

Le dénouement de THE THING : l'un des deux survivants n'est-il pas une nouvelle incarnation de la "Chose" ?

Néanmoins, la "préquelle" permettrait sans doute de découvrir quelle forme avait originellement la Chose lorsqu'elle a été découverte, avant qu'elle n'e
ntreprenne d'imiter des formes de vie terrestres ( dans le film, elle apparaît essentiellement sous une forme composite, passant d'une apparence à une autre en empruntant certains attributs de ses victimes ), même si cela ne résoudrait pas nécessairement la question de savoir si elle reproduisait alors l'aspect des extraterrestres pilotant le vaisseau qu'elle a attaqué, ou si la silhouette trouvée dans le bloc de glace était bien sa véritable forme comme l'imaginait apparemment CAMPBELL, à moins qu'on la représente comme une masse informe à l'instar de celle entraperçue à la fin de la séquence du chenil et qui paraît en effet représenter la conception de ses concepteurs - d'ailleurs, avant que Rob BOTTIN ne s'attelle à la tâche avec son monstre indéfinissable et organique, sorte de masse cellulaire indéfinie, le scénario de Bill LANCASTER envisageait la forme extraterrestre pratiquement comme une sorte de virus, un programme génétique qui s'incarnait en détournant les organismes dont elle s'emparait, bien loin de la créature à trois yeux et aux bras tentaculaires de la nouvelle.

Un premier scénariste, Ron MOORE, avait proposé un traitement réitérant l'intrigue du film de John CARPENTER, transférée dans le camp norvégien, lieu initial du déferlement de l'horreur; un nouveau scénariste, Eric HEISSERER, a achevé un travail de réécriture. La nouvelle mouture devrait se concentrer en premier lieu su
r la découverte de la soucoupe volante telle que relatée dans la nouvelle originelle de John CAMPBELL - d'autant que l'épave explorée par MacReady et Norris ne paraît pas avoir été totalement consumée par l'explosion destinée à la dégager de sa gangue de glace contrairement à ce qui survient dans la nouvelle originelle, ce qui pourrait ouvrir quelque possibilité d'exploration, puis se poursuivre par la destruction de la base norvégienne par la redoutable créature mimétique.

MacReady (Kurt RUSSELL) devant le bloc de glace ramené dans la base de recherche norvégienne (photo du haut), ayant contenu le corps de la créature extraterrestre revenue à la vie, dont l'apparence initiale demeure inconnue; peut-être pourrait-elle présenter quelque ressemblance avec la version de la Chose dessinée ci-dessus par un artiste pour un jeu vidéo inspiré du film de John CAPENTER.

Il est question de recourir pour l'essentiel à de "vrais" effets spéciaux, à l'instar du projet abandonné de série pour lequel il avait été fait appel à Vincent GUASTINI, qui a précédemment œuvré sur de petits films de monstres comme SPOOKIES et ALIEN FACTOR : METAMORPHOSIS, et a aussi sculpté les créatures goulues du téléfilm LES LANGOLIERS, malheureusement réduits à une version virtuelle; Rob BOTTIN, concepteur des effets spéciaux de maquillage du film de CARPENTER, injustement boudé par les producteurs depuis trop longtemps, ne paraît quant à lui pas avoir été contacté. Celà dit, il convient de rester prudent, si on veut bien considérer qu'il y'a déjà eu tant de films pour lesquels leurs promoteurs faisaient la même profession de foi, comme pour THE MIST, LE PACTE DES LOUPS, PITCHBLACK, lesquels se révélaient au final comporter principalement au montage final des trucages virtuels, quand bien même des animatroniques avaient été effectivement réalisés... Néanmoins, si jamais le nouveau film était fidèle à l'original et qu'il remportait suffisamment de succès, celui-ci pourrait peut-être contribuer à relancer la vogue des films de monstres utilisant des effets physiques - voire permettre le retour des maquilleurs délaissés comme Rob BOTTIN, Chris WALAS et Steve JOHNSON, comme évoqué en mars 2009 dans l'article "Les grands créateurs déclarent forfait" (*); ce serait une belle revanche pour un extraterrestre qui, en raison de recettes décevantes et de critiques assassines lors de sa sortie, a été surnommé "le monstre le plus mal aimé du cinéma"...

Comme les premiers artistes engagés sur la préproduction de THE THING avant l'arrivée de Bill LANCASTER, le studio GUASTINI a proposé pour la préquelle sa propre version de la "Bête d'un autre monde" de la nouvelle initiale de John CAMPBELL.

Si ce chien en cours de transformation ne ressemble guère à un husky, c'est qu'il est directement réminiscent du travail de GUASTINI sur le "Terminator canin" du film ROTTWEILER .


Cette main dans laquelle un œil est apparu, réminiscente d'une autre réalisation précédente du maquilleur, THE REGENERATED MAN, rappelle la main vue dans LEVIATHAN, dans laquelle s'ouvrait une mâchoire.

Autre monstruosité mutante, cette masse de chair hétéroclite combinant des caractéristiques de différentes victimes, incluant Poisson et Manchot, évoque les formes à la fois inquiétantes et grotesques entraperçues dans un autre film de John CARPENTER, L'ANTRE DE LA FOLIE.


La plupart des versions envisagées par le studio GUASTINI sont des hybridations d'homme et d'Insecte, à la manière des mutants du film THE NEST; une inspiration que Vincent GUASTINI pourriat de nouveau illustrer avec son engagement sur le projet de remake de LA MOUCHE. D'autres variations peuvent être vues sur le site original :
http://www.moviesonline.ca/gallery.php?movie=VGP-TheThing
( *lien : http://creatures-imagination.blogspot.com/2009/03/les-derniers-grands-createurs-declarent.html )