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vendredi 11 juin 2021

LA BALEINE EST-ELLE UN HIPPOPOTAME COMME LES AUTRES ?



LA CLASSIFICATION MOLÉCULAIRE DU VIVANT, INCONTESTÉE MAIS CONTESTABLE


1ère PARTIE : La généalogie à contre-temps


Ordonner la variété des formes vivantes selon des catégories intelligibles est une préoccupation qui ne peut laisser indifférente toute personne s’intéressant à la diversité des créatures qui habitent la planète. Les classifications des organismes et notamment des espèces animales ont été fortement bouleversées depuis plus d’une vingtaine d’années. Aux améliorations continues au fur et à mesure de l’enrichissement des connaissances se sont finalement substituées de complètes reconfigurations, heurtant les représentations telles qu’elles se sont progressivement constituées depuis le Siècle des Lumières sous l’égide de Karl Von Linné, Jean-Baptiste Lamarck, Simon Pallas, Georges Cuvier pour ne citer que les plus connus des premiers grands classificateurs. On ne peut évoquer sérieusement ces enjeux scientifiques sans en restituer en partie la complexité, mais le sujet le nécessite, et le lecteur attentif pourra ainsi découvrir certaines bizarreries auxquelles conduit l’approche ayant actuellement la faveur du milieu professionnel, et que peu d’esprits libres osent contester, de sorte qu’il lira rarement les éléments ici présentés dans l’optique anticonformiste de ce site indépendant attaché à une vulgarisation de qualité.

Dans leur aspiration à décrire le monde qui les entoure, les êtres humains se sont assez tôt attachés à faire entrer les espèces vivantes dans des ensembles définis – à l’exception de l’époque de la Querelle des Universaux au Moyen-Âge, lorsque certains auteurs postulaient la singularité de chaque être en réfutant la pertinence de catégories générales. Les premières classifications se rapportaient aux caractéristiques magiques prêtées aux animaux ou à leur comestibilité, généralement conditionnée à des critères religieux, d’autres, émanant pourtant d’auteurs davantage intéressés par la zoologie, les envisagèrent de manière très approximative comme à l’époque médiévale en se basant notamment sur la taille (les petits animaux étant appelés insectes) et le milieu (les animaux aquatiques étant généralement désignés sous le terme de poissons), puis en combinant ces subdivisions pour en former une supplémentaire, celle des "insectes marins".

Mettre de l’ordre dans la variété de la nature

Avec le précurseur savant grec Aristote puis les premiers naturalistes de la Renaissance s’est affirmé progressivement le souhait d’établir des classements plus élaborés, rendant compte des affinités entre espèces sur des critères plus précis, même si l’idée de réelle parenté entre elles ne prendra tout son sens qu’avec la théorie de l’évolution qui postule une ascendance commune. La première tentative du naturaliste suédois Karl Von Linné, botaniste d’origine qui a fondé la dénomination scientifique formée d’un nom de genre suivi de celui de l’espèce, comme pour Homo sapiens ou Canis lupus (en langue gréco-latine, mais on a vu dans l’article La peoplisation du monde vivant que cette règle n’était à présent plus vraiment respectée), reste imprégnée de schématisme hiérarchique. L’homme étant perçu comme l’aboutissement de la Création, il le place au sommet de la pyramide, au sein des Primates (initialement appelés Anthropomorphes), même si Linné y inclut les singes en acceptant des ressemblances qui seront encore contestées avec horreur lorsque Darwin déduira que les deux lignées sont issues d’une même souche. Il reconnaît aussi des proximités entre ce groupe et celui des autres mammifères comme le chien et la vache, qu’il rassemble dans les Secondates ; enfin, tous les animaux restants, du lézard à la fourmi en passant par les poissons sont réunis dans un tiers état indistinct, les Tertiates – il faut dire que l’Abbé Dicquemare considérait pour sa part que les "groseilles de mer", des animaux marins presque essentiellement composés d'eau constituant l'embranchement des Cténaires et pourvus de cils vibratiles disposés à la manière de peignes tel Mnepiosis connu des lecteurs de l’article La revanche des plus humbles, représentaient des formes de vie si rudimentaires qu’elles étaient indignes d’intérêt. Il faut rendre cependant justice à Linné de s’être par la suite penché avec autant de sérieux sur le règne animal qu’il en avait témoigné auparavant pour son étude du monde végétal, proposant alors des classifications bien plus élaborées, similaires à celles de ses collègues Simon Pallas et Jean-Baptiste Lamarck – le premier à avoir défendu avec sa notoriété l’idée de transformation graduelle des espèces – dont Georges Cuvier prendra la suite en cherchant à établir à son tour de grands plans d’organisation du monde animal et en recherchant les catégories menant de l’un à l’autre, même s’il n’en retirait pas toutes les implications, contestant vigoureusement comme son bouillant disciple de Blainville que ces espèces intermédiaires, actuelles et fossiles, puissent constituer des formes transitionnelles, ceux-là étant de vigoureux opposants à la vision darwinienne.

L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ne visait pas qu'à prôner des idées politiques avancées en diffusant les conceptions des philosophes en matière de libertés publiques mais aussi à dresser un inventaire détaillé du monde, incluant aussi bien les diverses manifestations du monde naturel que les sciences et techniques ; ci-dessus, fac-similé reproduisant la partie de la somme consacrée aux deux classes de vertébrés dits les plus évolués dont avait traité le Comte de Buffon dans ses volumes parus entre 1753 et 1783 relatifs aux quadrupèdes et aux oiseaux. 

A la différence de L'Histoire naturelle de Buffon, les tomes de L'Encyclopédie de Diderot et Dalembert parus entre 1751 et 1771 n'ont pas délaissé les autres groupes d'animaux tels que les reptiles, les poissons, les animaux marins non vertébrés incluant les coraux et éponges ou encore les vers parasites nommés Helminthes y compris un groupe peu connu du grand public comme les Acanthocéphales qu'on trouve surtout chez les poissons. Si la classification n'était pas très aboutie, les descriptifs étaient très complets pour l'époque ; ci-dessus, cette planche des "vers mollusques" représentent une limace surmontant une "limace de mer" (Nudibranche) et sous le nom de "triton" une balane retirée de sa coquille, et en dessous, des holothuries ou "concombres de mer" préludant la présentation d'autres espèces plus vermiformes du groupe dépourvues d'ambulacres sur une autre planche.



Né la même année que Buffon, le Suédois Linné s'est investi dans la recherche d'une classification naturelle regroupant les espèces sur la base de ressemblances bien établies au lieu de la simple juxtaposition figurant dans L'Encyclopédie, sans pour autant en déduire de réelles parentés, consacrant d'abord ses efforts à son domaine de prédilection, la botanique, avant de s'attacher avec un même succès à établir les classes animales à partir de la première édition en 1735 de son Systema naturae. 


La passion pour l'étude et le classement des espèces au Siècle des Lumières s'est aussi enrichie de la découverte d'un monde de créatures dans l'infiniment petit avec la mise au point du premier microscope en 1676 par le drapier hollandais Anton van Leeuwenhoeck. En haut, la représentation de daphnies - puces d'eau, un crustacé invisible à l'œil nu du groupe des Cladocères ("qui portent des bois"), représenté en 1685 pour Historia Insectorum generalis de Jan Swammerdam. En bas, reprise de croquis d'Anton van Leeuwenhoek dans un ouvrage de 1795, avec en haut des bactéries, le protozoaire cilié Dileptus, à côté et en dessous, des rotifères, à droite, une puce d'eau, en bas à gauche, un organisme colonial, le Volvox, des larves d'insectes, notamment celle de la simulie avec ses deux panaches branchiaux, un oligochète, parent aquatique microscopique du ver de terre, et des spermatozoïdes. 

Même si de grands éthologues tel Rémy Chauvin ou un zoologiste renommé comme Pierre-Paul Grassé demeurèrent rétifs à la conception évolutive du monde vivant, l’idée de transformation graduelle des espèces a fini par s’imposer largement dans le domaine des sciences du vivant. Dès lors, il ne s’agissait plus simplement de classer les espèces selon des séries retrouvant les plans divins ayant concrétisé toutes les variations possibles comme au temps des fixistes (on dit aujourd’hui créationnistes) de la même manière qu’on peut classer les ustensiles de cuisine par types, mais bien de reconstituer la manière dont les espèces ont évolué les unes par rapport aux autres depuis des formes originelles, en effectuant des recoupements et des déductions à partir de l’anatomie comparée dont le Baron Georges Cuvier et Isidore Geoffroy Saint Hilaire furent de grands promoteurs, de l’embryologie qui révèle un schéma primordial, par exemple commun à tous les vertébrés, de la roussette de mer à l’homme – Ernst Haeckel disait que l’ontogenèse résume la phylogenèse, autrement dit que les traits communs d’embryons récapitulent des étapes majeures de l’évolution de leur groupe – et enfin par l’étude des fossiles dont encore Cuvier ainsi que l’Anglais Richard Owen furent des pionniers, la paléontologie étant irremplaçable pour inventorier et décrire les restes de formes disparues qui indiquent là aussi des étapes anciennes dans la transformation des êtres. La classification phylogénique développée plus particulièrement à partir des années 1960 cherche même plus précisément à ce que la classification des espèces retranscrive exactement l’arbre du vivant en reconstituant ses branches, ses "clades", c’est-à-dire en s’attachant à regrouper sur un même rameau toutes les formes issues d’un ancêtre commun.

Présentation des liens de parenté entre organismes actuels selon un arbre phylogénétique simplifié ; celui-là a été modernisé pour tenir compte de la conception actuelle de deux règnes distincts de bactéries, mais préserve la conception traditionnelle du règne animal, en ne retenant notamment pas la conception des vers nématodes comme ancêtres des animaux à pattes à articulations externes comme les araignées, crabes et insectes - sujet sur lequel se penchera notamment la seconde partie de ce dossier.


Le tournant des années 1990

Au cours des années 1990, le développement de la génétique, et ce qu’il faut bien appeler la mathématisation des esprits, a conduit certains dont l’influence a été exponentielle à rechercher des critères supposés plus "objectifs" que les ressemblances constatables entre des morphologies, qui peuvent parfois être trompeuses en raison notamment d’adaptations convergentes d’espèces à leur milieu, et même entre des dispositions anatomiques analogues, même si la plupart du temps, c’était moins un critère précis qu’un ensemble de corrélations qui incitaient à définir un groupe "naturel". Dorénavant, on établirait la cartographie des gènes, on séquencerait le génome de l’homme et de tous les autres organismes, et l’ordinateur n’aurait plus qu’à effectuer les correspondances, permettant d’établir les degrés de parenté et de préciser "l’horloge biologique" de chaque espèce, soit la date à laquelle elle était apparue dans l’histoire de la vie, grâce à des calculs précis. La nouvelle méthode dite de la biologie moléculaire ne tarda pas à se substituer à celles qui avaient assuré le succès de l’histoire naturelle, les généticiens l’imposant dans un premier temps aux zoologistes, dont les études comparatives étaient jugées plus empiriques, puis rapidement les zoologistes eux-mêmes s’y convertirent massivement, la classification moléculaire parée des atours de la modernité exerçant son hégémonie de la même manière impérieuse et même imprécatrice que l’imagerie numérique supplantait irrésistiblement les effets spéciaux physiques sur les écrans durant la même période avec la même apologie technophile.

Cependant, en dépit du faible nombre d’opinions critiques qui contestent cette conception, la classification moléculaire des organismes vivants n’est pas sans présenter des aspects critiquables qui devraient conduire à ne pas rejeter de manière si catégorique les méthodes jusque-là employées et affinées depuis la fin du XVIII ème siècle, lesquelles se basaient sur des éléments concrets tels qu’évoqués plus haut et permettaient de confronter les différentes interprétations enrichies des nouvelles découvertes.

Il est un peu déstabilisant pour qui s’est intéressé au monde animal dans les décennies précédentes d’appréhender la nouvelle systématique tant elle a été bouleversée façon tabula rasa, au point qu’elle pourrait sembler avoir été agencée de manière aléatoire, et aucun échelon n’est exempt de ces restructurations drastiques qui remettent en cause les certitudes, des embranchements aux familles, des groupes de Protozoaires aux Mammifères. Il en a résulté des réassignations et de nouvelles désignations, quelque peu barbares voire imprononçables, comme les Ecdysozoaires, dont il sera question dans la seconde partie de cette étude.

L’hippopotame en tête de gondole

Le colossal hippopotame paraît bien insignifiant à côté du rorqual bleu, plus grand mammifère vivant au côté duquel il figure dans le Hall du Muséum d'histoire naturelle de Londres.

Les médias assurent de manière récurrente que la science moderne considère dorénavant l’hippopotame comme l’ancêtre de la baleine ou peu s’en faut, et qu’il convient donc de réunir les deux animaux en un même ensemble. Il ne faut pas en l’occurrence blâmer les raccourcis de la vulgarisation, car il s’agit bien là d’une assertion certes schématisée de la biologie moléculaire, quasi-universellement acceptée par conformisme généralisé, qui présente l’hippopotame comme un proche parent des Cétacés, voire parfois comme leur forme originelle. Cela renvoie curieusement à la classification ancienne d’Ernst Haeckel qui rapprochait les deux lignées, en constatant que ces mammifères (Aristote fut le premier à déceler la nature mammalienne des baleines et dauphins) présentaient des adaptations au milieu aquatique permettant d’envisager que l’animal amphibie pût avoir possiblement engendré cette lignée totalement affranchie de la terre ferme. 


Reproductions de mammifères aquatiques dans un ouvrage du XIXème siècle, un sirénien, le dugong, deux cétacés, une baleine et un cachalot, et l'hippopotame amphibie représenté au dessus de son crâne.

Depuis, la systématique et la paléontologie ont considéré que les porcins auxquels on apparente traditionnellement les hippopotames s’étaient distingués de l’ensemble constitué par les ruminants, même si toutes ces catégories sont à présent remises en question par les biologistes moléculaires ; les Cétacés, quant à eux, semblent bien avoir suivi une voie singulière et ancienne, même si leur parenté avec les Artiodactyles regroupant porcins et ruminants a été estimée de longue date fort crédible. C’est vraisemblablement au sein de l’ordre éteint des Condylarthes dont sont probablement issus aussi bien les chevaux que les ruminants et peut-être même les éléphants et les ongulés indigènes éteints d’Amérique du Sud, que prennent naissance les ancêtres des Cétacés, possiblement dans un tronc commun qui conduit aussi aux porcins et aux ruminants. La lignée d’origine de ces mammifères marins a généralement été attribuée aux Mésonychides, de redoutables carnivores pourvus de sabots du début de l’ère des Mammifères qu’on appelle Cénozoïque, mais on a voulu récemment lui substituer un petit Artiodactyle aux allures de chevrotin, Indohyus. Il n’est pas absurde d’envisager que les baleines et les cétacés à dents soient les lointains cousins des hippopotames, Suidés, chameaux, cerfs et vaches. Cependant, ces rameaux ont divergé de longue date. Les restes de la forme transitoire des Cétacés, capable de passer d’un milieu à l’autre, l’Ambulocetus trouvé au Pakistan, remontent à 49 millions d’années, au début de l’Éocène, et arborent une incontestable dentition de prédateur. Les hippopotames, quant à eux, ne sont apparus qu’il y a 15 millions d’années, au Miocène, et présentent une dentition typique de végétarien permettant de broyer les plantes aquatiques. Les hippopotames ne peuvent ainsi représenter les ancêtres des baleines, maintenant que, depuis Haeckel, la série de fossiles est mieux connue. Par conséquent, il existe là une discordance temporelle majeure. Même si certaines adaptations peuvent rapprocher hippopotames et Cétacés, les seconds ne peuvent en aucun cas descendre des premiers apparus des dizaines de millions d’années plus tard, alors que les premiers représentants marins conduisant aux baleines et dauphins étaient déjà bien caractérisés. 


Ce tableau qui représente les formes transitoires dans l'évolution des Cétacés basées sur les fossiles découverts dans les dernières décennies rend bien compte que le lien des hippopotames avec les ancêtres de ces mammifères marins est très lointain, peut-être à peine plus proche qu'avec la vache, et encore ce tronc commun remonte à l'époque à laquelle les deux lignées étaient représentées par des formes fort différentes des actuelles et les hippopotames n'existaient pas encore en tant que tels.

Un fantaisiste chaînon manquant entre l'hippopotame et la baleine ? Non, seulement un hippopotame mutant imaginé par Adrian, un artiste norvégien.

De nouvelles études préciseront peut-être si le rapprochement traditionnel des porcins et des hippopotames, qui était jusque-là notamment fondé sur la famille éteinte des Anthracothères considérée comme ayant engendré ces derniers, était fondé ou non. Il est cependant manifeste que les branches du rameau ancestral ayant abouti aux cétacés, aux ruminants et aux porcins – en incluant potentiellement les hippopotames – ont divergé rapidement à partir de formes originelles probablement encore assez peu différenciées et que, quelle que soit la relative plus grande proximité entre deux lignées, la promotion médiatique d’une étroite parenté entre hippopotame et baleine s’avère une présentation tout à fait biaisée qui ne vise qu’à assurer la publicité destinée à entériner dans les esprits de manière assez spectaculaire la norme de la biologie moléculaire, selon un processus dirimant qui évoque un peu la manipulation ayant délibérément occulté lors de la sortie du film Jurassic Park les dinosaures mécanisés des studios Stan Winston pour faire la promotion exclusive du virtuel : ceux qui se prévalent de la modernité sont généralement imprégnés d’une dimension idéologique implicite masquée par un pragmatisme allégué, et avec ce cousinage quelque peu forcé, les tenants de la nouvelle taxonomie se sont saisis d’une figure marquante susceptible de représenter leurs vues auprès d’un large public relativement crédule.

L’horloge moléculaire ne donne pas toujours l’heure exacte

Les zoologistes modernes acquis à la biologie moléculaire et attachés à distribuer les espèces selon de nouveaux rameaux ont aussi postulé qu’un certain nombre de mammifères africains étaient liés, les rassemblant dans le groupe des "Afrothères", les "bêtes d’Afrique". On savait que certains ongulés "primitifs" étaient issus d’ancêtres communs avec les éléphants, à savoir les Siréniens, retournés à la vie aquatique comme les lamantins, et les damans de l’ordre des Hyracoïdes dont les représentants actuels sont tous de petites taille et évoquent davantage des rongeurs que les pachydermes géants de la savane. Il s’agit bien de groupes ayant divergé à partir de formes communes, les fossiles des premiers Siréniens encore quadrupèdes sont assez similaires à ceux des Proboscidiens ancestraux qui mènent aux éléphants, et on les désigne parfois sous le terme de Subongulés. Un rameau plus lointain peut en être rapproché, celui des Tubulidentés qui ne comprend que l’oryctérope ou "cochon de terre", seul ongulé au régime insectivore, qui creuse des terriers avec ses sabots impressionnants et pourrait être apparenté aux ordres les plus anciens d’ongulés éteints comme les Pantodontes – on les appelle parfois globalement des Protongulés.

La biologie moléculaire a entrepris d’élargir cet ensemble en y intégrant des groupes qui étaient jusque-là rangés dans l’ordre des Insectivores, les tenrecs, homologues malgaches des hérissons, les taupes dorées et les macroscélides ou musaraignes à trompe dont le museau est curieusement allongé et flexible, rameaux séparés des précédents là encore notamment sur la base d’une évaluation moléculaire. Même s’il est vrai que les mammifères apparus les premiers présentaient une allure similaire, il est déjà au préalable quelque peu déconcertant, sauf à être un thuriféraire du cladisme moléculaire, de rapprocher davantage le hérisson malgache des éléphants que des hérissons du reste du monde (Afrique, Europe, Asie et il y eut aussi un genre qui vécut au Miocène en Amérique du Nord), tout comme d’estimer que les espèces américaines habituellement rangées dans les Insectivores ne leur sont nullement apparentées. Le concept des Afrothères suppose en effet que cette branche des Mammifères s’est constituée de manière autonome, endogène au continent, générant des espèces sans commune mesure avec d’autres branches existant par ailleurs, et la datation fixe fréquemment l’origine de cette lignée aux alentours de 100 millions d’années. Or l’Afrique n’a vraiment été séparée un temps de l’Eurasie qu’il n’y a que 30 millions d’années, ce qui géographiquement ne concorde donc pas avec ce concept d’un isolat engendrant une faune indigène. A l’inverse, l’Afrique s’est séparée de l’Amérique du Sud il y a 80 millions d’années, soit vraisemblablement à l’époque où coexistaient avec les dinosaures à la fin du Crétacé les premiers mammifères modernes de l’ordre des Insectivores, les hérissons et musaraignes, par conséquent, rien n’interdit au contraire de considérer que ces mammifères habituellement rassemblés dans l’ordre des Insectivores puissent être apparentés avant que la dérive des continents ne les amène à évoluer séparément par la suite, tout comme les ornithorynques d’Amérique du Sud qui vivaient à la fin du Crétacé sont très similaires à leurs cousins actuels observés en Australie et Tasmanie. Cela est d’autant plus à considérer que de probables fossiles parents des tenrecs ont été découverts dès le tout début du Tertiaire en Afrique alors que le groupe n’aurait trouvé asile à Madagascar qu’il n’y a qu’une trentaine de millions d’années, en y ayant accédé accidentellement peut-être par des radeaux dérivants, ce qui n’interdit pas une origine commune avec le tronc des autres insectivores du continent. Une autre étude moléculaire a quant à elle prétendu que l’ancêtre des Afrothères serait apparu sur le sol américain peu après l’extinction des Dinosaures, c’est-à-dire que ce groupe propre à l’Afrique y aurait vu le jour à des milliers de kilomètres de là tandis que les deux continents étaient déjà séparés depuis longtemps, ce qui là encore rend assez peu vraisemblable cette histoire évolutive supposée.


Représentation des Subongulés, en haut à gauche, éléphant d'Afrique, en dessous, oryctérope ou "cochon de terre", en bas, à daman et à sa droite, un dugong ou "vache marine" ; on les affilie dorénavant à des insectivores comme la macroscélide ou "musaraigne éléphant", en haut à droite et en dessous un tenrec malgache.

Si la réalité géographique paraît infirmer en tous points l’hypothèse des Afrothères, le fil chronologique la dessert tout autant. Les premiers fossiles de Proboscidiens remontent au début de l’Éocène, seconde période ayant suivi l’extinction des dinosaures ; non seulement, aucun fossile des précurseurs des éléphants n’a jamais été trouvé dans les couches antérieures du Crétacé contrairement à ce que prétendent établir certaines études de biologie moléculaire, mais il paraît logique que ces formes ancestrales (encore dépourvues des caractéristiques actuelles les plus spectaculaires de ces animaux comme la trompe et les défenses, et ainsi probablement proches du début de la lignée) ne soient apparues qu’au début du Tertiaire conformément aux fossiles découverts ; contrairement aux Insectivores polyvalents, les formes assez spécialisées de Mammifères n’ont pu se développer selon toute vraisemblance qu’une fois que les niches écologiques occupées par le groupe dominant du Mésozoïque ont été libérées suite à son extinction. Le seul point commun incontestable entre l’éléphant et la musaraigne-éléphant semble bien être la trompe.

photo de famille recomposée : en suivant la numérotation, Oryctérope (Tubulidenté), Dugongs (Siréniens), Macroscélide (anciennement insectivore), lamantin (Siréniens), taupe dorée (anciennement insectivore), daman (Hyracoïdes), éléphant d'Afrique (Proboscidiens) et tenrec malgache (anciennement insectivore).  

On voit que les estimations chronologiques de la biologie moléculaire peuvent s’avérer à l’occasion très fantaisistes. Un troisième anachronisme intéressant les mammifères est encore plus extravagant si c’était possible. Une estimation par l’horloge moléculaire date la séparation entre les rongeurs et les primates de 320 millions d’années, soit le Carbonifère, la première période à laquelle les Vertébrés terrestres se mirent réellement à dominer les terres émergées, après avoir entamé leur conquête à la fin de la précédente, le Dévonien supérieur. Le Carbonifère est connu comme le règne des Amphibiens, qui se sont diversifiés en engendrant des formes de grande taille. A la fin de la séquence, les reptiles des principales lignées sont apparus sous forme ancestrale, se présentant comme des animaux de petite taille à allure de lézards. Les reptiles mammaliens ne se distinguaient guère visuellement de ces espèces d’allure anodine, et ne prendront l’ascendant qu’au Permien, à l’époque suivante. La date de l’apparition des premiers mammifères modernes est discutée, mais il paraît établi que leurs précurseurs d’apparence la plus modeste ne se sont pas développés avant que les dinosaures ne soient devenus la lignée dominante, peut-être pas avant la dernière partie du Crétacé. Non seulement aucun rongeur, mais même aucun animal ne leur ressemblant un tant soit peu, n’aurait pu être alors observé, une très longue durée sera nécessaire avant que n’apparaissent les ancêtres des rats.

Un arbre généalogique moderne des Mammifères ; on note non seulement une partie des Insectivores d'Afrique (tenrecs et musaraignes-éléphants) sont totalement dissociés des autres (musaraignes, taupes et hérissons), mais aussi que les plus proches parents des chauve-souris sont les lamas, une hypothèse excédant les efforts d'imagination pourtant grands qu'on est prêt à consentir ici.

Mariés à la première analyse génétique, la roussette et le lama, qui n'en revient pas - nous non plus....

Ainsi donc, la biologie moléculaire est censée permettre de reconstituer l’arbre généalogique des organismes terrestres et également fournir avec le plus de précision possible la date à laquelle deux lignées ont divergé à partir de leur ancêtre commun. En apparence, on ne peut avoir restitution plus précise de l’histoire de la vie. Cependant, les thuriféraires hégémoniques de la méthode sont assez peu prolixes sur les résultats qui l’invalident comme le prouvent ces exemples significatifs mais qui suscitent étonnamment bien peu de contestations, et la seconde partie le confirmera davantage.


A SUIVRE : seconde partie, il ne leur manque (presque) que les pattes 

mise à jour du lien pour la suite de l'exposé : 

http://creatures-imagination.blogspot.com/2022/04/il-ne-leur-manque-presque-que-les-pattes.html


samedi 20 septembre 2014

UN FOSSILE VIVANT VRAIMENT INATTENDU ?


Même si la densité de la vie est si grande dans les régions tropicales qu’on y découvre régulièrement de nouvelles espèces, il ne s’agit souvent que de variations de formes déjà connues, notamment des insectes qui vivent à proximité d’espèces végétales particulières, en raison d’un mimétisme destiné à permettre le camouflage au sein d’une végétation n’existant que dans une région très restreinte (une flore dite endémique), ou bien de la coévolution qui a amené l’émergence d’un Insecte spécifique propre à une Orchidée particulière, sélectionnant un seul type de pollinisateur. Des Vertébrés peuvent aussi être parfois découverts, comme tout récemment l’Olingo, ce parent du Kinkajou appartenant à la famille des Procyonidés, une famille de Carnivores du Nouveau monde dont le plus célèbre représentant est le raton-laveur.
C’est cependant dans l’océan, berceau de la vie animale, qu’on trouve la plus grande variété de types animaux. Si l’on excepte la faune microscopique des sols (pédofaune) qui inclut plus de diversité, les espèces rencontrées sur la terre ferme sont bâties sur un tout petit nombre de modèles, essentiellement deux, les Vertébrés (comportant Mammifères, Oiseaux, Reptiles et Batraciens) ainsi que les Arthropodes (incluant Insectes, Arachnides, Myriapodes (les « mille-pattes ») et quelques Crustacés représentés par les Cloportes), embranchements auxquels il faut ajouter certains Mollusques (Gastéropodes tels qu’Escargots et Limaces ) et les Annélides, au travers des vers de terre qu’ont ne voit qu’accidentellement à l’air libre.
Il en va tout autrement dans les mers, où peuvent être trouvés des représentants de groupes jalonnant les étapes de l’histoire de l’évolution animale sur notre planète, depuis des formes unicellulaires abondant dans le plancton comme les délicats Foraminifères et Radiolaires, des animaux primitifs tels que les Eponges (Spongiaires), Méduses et anémones de mer (Cnidaires), jusqu’aux précurseurs des Vertébrés, comme l’Amphioxus aux allures de poisson sans tête, et aux Poissons eux-mêmes – sans parler des Vertébrés retournés à la mer tels que tortues marines, serpents de mer, manchots, phoques, baleines et dauphins.
A côté d’une dizaine d’embranchements d’importance, on recense plus d’une vingtaine d’embranchements dits mineurs, ne comportant qu’un nombre restreint d’espèces actuelles et dont les liens de parenté sont discutés – on a eu l’occasion d’en évoquer quelques-uns dans des articles précédents comme les Cténaires ( comprenant les « groseilles de mer » et la « ceinture de Vénus »), les Kinorhynques au corps cuirassé et segmenté, les Loricifères dont certains vivent sans oxygène, les Némertiens ou vers rubanés ou encore les Pogonophores tentaculés et les « Hémichordés » (« vers à gland » et Ptérobranches).
C’est donc un potentiel nouvel embranchement qui est sur le point d’intégrer la classification zoologique, avec deux espèces voisines qui viennent d’être identifiées par le Docteur Jean JUST et ses collègues. Elles ont été placées dans le genre Dendrogramma, ce qui signifie « mesure d’arbre » en raison de leur ressemblance, vue du dessus, avec une coupe d’arbre montrant les cernes qui indiquent son âge. Les créatures prélevées sur le fond marin se présentent comme des champignons pourvus d’une bouche sur la partie supérieure, menant à un tube digestif, doté de nombreux diverticules.
Elles ne sont constituées que de deux couches de cellules, de la matière gélatineuse épaisse séparant la couche externe de celle de l’estomac - comme la «mésoglée» des Cténaires au sein de laquelle quelques cellules migrent pour constituer une timide amorce de troisième feuillet. Lors du développement embryonnaire, la plupart des animaux, hommes compris, se constituent à partir de trois couches cellulaires, ce qui devrait conduire à rapprocher ces nouveaux venus des autres espèces diploblastiques que sont, outre les Cténaires, les Cnidaires (méduses, coraux, hydres…) et les Eponges.


Une relique d’une époque qu’on croyait révolue ?
Cependant, ceux qui s’intéressent à l’histoire de la vie sont tentés d’établir un rapprochement avec certaines formes énigmatiques très anciennes de l’ère dite précambrienne. La faune d’Ediacara (dite aussi vendienne en se référant à un site russe où des formes semblables ont été trouvées) remontant à plus de 600 millions présente bien des créatures ayant une morphologie assez similaire, avec un corps aplati et certaines pourvues de sillons similaires internes comme sur un exemplaire très bien préservé de Dickinsonia

Reconstitution d'un Dickinsonia du Précambrien; traditionnellement, ces créatures sont perçues comme des formes rudimentaires, aspirant les nutriments au travers de l'épiderme, absorbés dans le corps applati, mais quelques exemplaires fossiles laissent voir à l'intérieur de l'animal un réseau que certains assimilent au tube digestif ramifié de certains vers plats marins (Turbellariés) et de quelques vers rubanés planctoniques (voir photo de l'un d'eux plus bas).

Des formes sessiles dotées d’un pédoncule, trouvées en Namibie et en Terre-Neuve, évoquent quelque peu aussi la silhouette générale du Dendrogramma, voire dans une certaine mesure, vu du dessus, les fossiles incroyablement anciens dégagés à Franceville au Gabon par l'équipe du professeur El ALBANI, à la symétrie quelque peu indiscernable, semblant eux aussi appartenir à un règne indistinct. Si les Dendrogrammatidés étaient apparentés à certaines de ces formes disparues, généralement considérées comme émanant d’une première tentative sans suite de l’évolution animale, sa permanence à notre époque serait une découverte encore plus étonnante que celle du Cœlacanthe..


Un autre organisme énigmatique à pédoncule éteint au Précambrien, Swartpuntia.

Cependant, cette perspective n’est pas si illogique, les espèces reliques, évincées par de nouvelles espèces, ayant tendance à survivre dans des niches marginales, souvent dans les profondeurs, où elles affrontent moins de concurrence. Il en va ainsi en effet du célèbre Cœlacanthe, parent marin des poissons dont les Vertébrés terrestres sont issus - d’autres parents peut-être plus proches mais moins célèbres, Dipneustes et Polyptères, « poissons à poumon », vivent eux en eau douce - qui s’est établi à plusieurs centaines de mètres de profondeur aux Comores et en Indonésie, mais aussi de bien d’autres rameaux de l’évolution animale principalement connus à l’état fossile dont on rencontre quelques descendants dans les abysses comme les Sclérosponges, une classe d’Eponges presque éteinte, la Néopiline, qui comporte quelques espèces semblant appartenir à une ancienne classe de Mollusques, les Monoplacophores ou Trybidiliacés, ou bien les Brachiopodes, à coquille bivalve mais dépourvus de tout lien de parenté avec les Mollusques, ou encore le genre Holopus, un type primitif au sein de la classe des Crinoïde («lys de mer »).
Les exemplaires de Dendrogramma ont été récoltés en 1986, mais les résultats de leur étude n’ont été communiqués qu’au début septembre 2014, afin de ne pas faire d’annonce prématurée. Il est vrai que le monde marin abonde en espèces atypiques, qu’on pourrait interpréter trop hâtivement. Dans l’article « Le tentacule d’ABYSS existe réellement », on a évoqué d’autres animaux gélatineux tels que les colonies de Siphonophores, les Cténaires et les Salpes. Le plancton comporte aussi d’atypiques Gastéropodes, les Hétéropodes et les Ptéropodes, et une « limace de mer » également évoquée dans le même article, Akera bullata, avec sa forme allongée et les deux lobes de son manteau, n’est pas totalement sans évoquer l’espèce de Dendrogramma qui présente un bord échancré. Les « pensées de mer » du genre Renilla, des « coraux mous » analogues aux "plumes de mer", ont une silhouette qui se rapproche des Dendrogramma avec leur pédoncule et leur aspect de palette, sauf que celle-ci porte de nombreux polypes. Certains animaux sessiles du précambrien qui ressemblent superficiellement à des « plumes de mer » mais sans polypes, les "Rangéiformes", ont été rapprochés des Cténophores en raison de leur anatomie interne malgré leur symétrie interne ternaire; la double symétrie bilatérale des Cténophores pourrait davantage se rapprocher des deux canaux binaires de Dendrogramma, d’autant qu’il existe d’ailleurs un Cténophore sessile actuel, Lyrocteis. Certains Némertiens (« vers rubanés ») qui vivent en haute mer (dits pélagiques) ont quant à eux un corps aplati en forme de feuille, translucide, et laissant voir les ramifications internes du tube digestif qui rappellent assez le nouveau genre, bien que celui-ci ait été à l’inverse trouvé sur le fond marin ; néanmoins, les Némertiens possèdent un fourreau avec une trompe. Enfin, une mystérieuse larve marine, Planktosphaera, qu’on rapproche des « vers à gland » est aussi pourvue de nombreux canaux internes, dérivés de la cavité générale et l’adulte n’a jamais été observé à ce jour, ce qui pourrait constituer une autre piste potentielle, même si, comme les Némertiens, il s’agit d’animaux à trois couches de cellules, ce qui nécessiterait alors d’envisager une simplification anatomique chez le nouvel animal au cours de son développement. Notons plus anecdotiquement que Dendrogramma pourrait se nourrir en piégeant des micro-organismes avec le mucus sécrété par ses lobes, de la même manière que les Protozoaires géants des abysses, les Xénophyophores.


Le tube digestif ramifié de ce ver rubané de haute mer (Némertien pélagique) nommé Pelagonemertes n'est pas sans rappeler celui du Dendrogramma, même si ce dernier semble être issu d'un modèle d'organisation plus primitif.


Un carrefour évolutif de plus en plus embouteillé…
En réalité, les animaux pluricellulaires (Métazoaires) primitifs ne sont pas circonscrits aux Eponges (Spongiaires), méduses, coraux (Cnidaires) et groseilles de mer (Cténaires). D’autres formes existent mais leur place dans l’évolution animale est assez délicate à établir et pour chacune est justement envisagé l’hypothèse d’une possible simplification secondaire. Ainsi, le groupe des Mésozoaires a ainsi été nommé car on les pensait représenter une étape intermédiaire à partir d’animaux unicellulaires (Protozoaires). Ces petits organismes au cycle complexe, constitués d’une couche cellulaire entourant un groupe de cellules plus spécialisées, se répartissent en Dicyémides (vivant dans le rein des pieuvres) et Orthonectides (parasites de divers animaux marins). Ils sont à présent souvent plutôt perçus comme des Métazoaires régressés, et peut-être non apparentés, les premiers pourraient être d’anciens Nématodes (groupe auquel appartiennent l’Ascaris et l’Ankylostome), les seconds issus de genres de douves, les adultes ressemblant d’ailleurs quelque peu à la larve ciliée de ces dernières.
Un autre petit animal très simple, Trichoplax, ressemble à une amibe faîte de deux couches de cellules superposées. Il a longtemps été pris pour une larve d’éponge avant de devenir l’unique représentant des Placozoaires, peut-être une forme rudimentaire de Cnidaire annonçant lointainement la méduse; certains ont même voulu faire de cette étrange créature aux cellules peu spécialisées un extraterrestre, à l'image d'une version miniature du monstre de DANGER PLANÉTAIRE (THE BLOB) - comme pour d’autres auteurs, les Tardigrades capables de survivre dans le vide absolu et donc ayant pu transiter dans l'espace, lesquels seront d'ailleurs portés à l’écran dans HARBINGER DOWN. Salinella n’est quant à lui constitué que d’une unique couche de cellules ciliées, mais pourvu curieusement de deux ouvertures, alors que le Trichoplax n’a aucun orifice, et que l’anus n’apparaît quant à lui que chez des animaux beaucoup plus organisés, les Némertiens. Certains doutent de son existence étant donné que seul le naturaliste FRENZEL l’a observé à la fin du XIXème siècle, devenant ainsi le « monstre du Loch Ness » des « invertébrés.. Tandis que le mystère demeure, une autre forme quelque peu analogue, Haplozoon, s’est quant à elle avérée être une colonie de Protozoaires flagellés parasites du groupe des Péridiniens.
La liste n’est pas exhaustive. Des parasites trouvés chez les poissons, les Myxozoaires, comportent un stade dit syncitial dans lequel le noyau se divise en un certain nombre d’autres, comme si la forme allait devenir pluricellulaire, mais la cellule elle-même ne se divise pas (la créature colloïdale géante de SOLARIS inventée par Stanislas LEM est d’ailleurs décrite comme syncitiale elle aussi). Un organisme pluricellulaire vermiforme parasitant une Ascidie découvert récemment, Buddenbrokia, paraît aussi être un animal pluricellulaire primordial, mais ses spores pluricellulaires se sont avérées très proches de celles des Myxozoaires, ce qui lui a valu d’être rapproché de ces simili-unicellulaires. En raison de la conformation du dispositif d’éjection spiralé des spores pluricellulaires qui rappelle celui des cellules urticantes des Cnidaires et suite à certaines analyses moléculaires, des chercheurs veulent voir en ces formes des méduses ou polypes très dégénérés; il est vrai que quelques espèces de Cnidaires parasites ont été répertoriées, néanmoins, un groupe de Protozoaires parasites, les Microsporidies (comme le Nosema étudié par PASTEUR qui parasite le ver à soie) était jadis classé auprès des Myxosporidies à cause de leur spore similaire quoique que celle-là soit composées d’une seule cellule, ce qui peut indiquer une simple convergence plutôt qu’un rapprochement, aussi, de la même manière que ces deux derniers groupes ont déjà été dissociés, cette analogie entre les spores pluricelullaires "à ressort" des Myxozoaires et de Buddenbrockia, et d'autre part les cellules venimeuses des Méduses et coraux, pourrait également être interprétée comme une simple convergence de forme.


Échantillonnage d'animaux primitifs de groupes méconnus. De gauche à droite et de haut en bas: Un Mésozoaire de la classe des Dicyémides présentant un aspect typique (certaines espèces ont une allure beaucoup plus informe); un Mésozoaire de la classe des Orthonectides, en l'occurrence une jeune femelle de Rhopalura, et à sa droite le stade informe (plasmode) caractéristique du cycle des Orthonectides, au sein duquel se développent les mâles et femelles de la génération sexuée; région antérieure de Buddenbrockia, l'animal de la série qui ressemble le plus à un ver, classé dans les Malacosporidies; en dessous, une cellule syncytiale de Myxobolus, un Myxozoaire, que les spores du début de son cycle ont conduit à rapprocher du précédent; Trichoplax, un Placozoaire, forme primordiale d'animal à deux couches de cellules; et enfin, un dessin de Salinella figuré par le naturaliste FRENZEL, qui est le seul à avoir observé le seul animal fait d'une seule couche cellulaire jamais découvert.

Par conséquent, la frontière entre animal unicellulaire et pluricellulaire est dorénavant parcellée d’une constellation de formes qui, aussi simples soient-elles, posent de complexes problèmes pour les interpréter, les situer les unes par rapport aux autres et reconstituer à travers elles cette étape majeure de l’histoire de la vie sur notre planète. Dendrogramma vient encore compliquer davantage cette généalogie ardue à établir mais passionnante.

L’inventaire zoologique toujours inachevé



Le scientifique Reinhardt KRISTENSEN arpentant le sol glacé hostile du Groenland; pas le genre d'endroit où l'on s'attendrait à découvrir un type d'animal totalement inconnu. Et pourtant...

Le nouvel organisme n’a plus jamais été découvert depuis sa capture initiale en 1986. Sa conservation dans l’alcool empêche de pouvoir procéder à des prélèvement d’A.D.N. valables. Même si les analyses moléculaires sont souvent contestables lorsqu’elles ne s’appliquent pas à des espèces proches, en raison du trop grand nombre de mutations intervenues qui faussent les comparaisons, une telle recherche aurait au moins permis de réduire la liste des hypothèses comme celle qui a envisagé que Dendrogramma ne représente que les écailles de certains vers marins annelés comme celles des « souris de mer » (par le passé, les mandibules, la bouche en forme de tranche d’ananas et le corps du plus ancien prédateur connu à l’état fossile, l’Anomolocaris, avaient initialement été interprétés comme des animaux distincts, respectivement un type de Crustacé, une forme de méduse discoïde et un concombre de mer).
Espérons que, si à la différence de nouveaux exemplaires toujours espérés de l’énigmatique Salinella, dont d’ailleurs le milieu naturel a disparu depuis, les chercheurs avaient la possibilité de trouver de nouveaux spécimens de Dendrogramma, ils sauraient se restreindre dans leurs prélèvements, pour éviter de mener à l’extinction une population peut-être rare, contrairement aux scientifiques qui ont causé la perte d’une espèce d’insecte très localisée et fait abattre pour leurs collections muséologiques les deux derniers Grands pingouins vivants, cet oiseau incapable de voler qui était pour les régions arctiques l’homologue des Manchots de l’hémisphère sud.


Le chercheur danois Reinhardt KRISTENSEN entouré des quatre derniers grands types animaux découverts, qu'il a contribué à étudier : de haut à droite et de haut en bas, une vue au microscope électronique de Dendrogramma, le petit dernier qu'on vient d'évoquer, le Symbion fixé sur un filament branchial vu au microscope électronique, seul représentant des Cycliophores, un Loricifère, et à l’extrême droite en bas Limnognathia, seul représentant des Micrognathozoaires, courageux conquérant des mares boréales.
Parmi les chercheurs ayant étudié le Dendrogramma figure un zoologiste incontournable, le Professeur Reinhardt KRISTENSEN. En incluant le nouveau venu, ce spécialiste des Tardigrades a ainsi contribué à la découverte de rien moins que quatre nouveaux embranchements, après les Loricifères, petits animaux en forme de pot de fleur, dont quelques-uns trouvés plus récemment se sont développés dans un milieu sans oxygène, les Cycliophores fixés sur les branchies des langoustines, au cycle vital incroyablement compliqué, puis enfin les Micrognathozoaires, avec le Limnognathia rampant à la surface des glaces groenlandaises, pourvu d’une impressionnante mâchoire. Des états de service assez glorieux, à une époque à laquelle beaucoup pourraient s’imaginer que les différentes branches de l’évolution animale sont déjà établies et inventoriées.



Même si cette créature aplatie imaginée par Al FELDSTEIN (à qui on a rendu hommage en mai dernier en ces pages ) pour une histoire de la série de bandes dessinées WEIRD SCIENCE, THE MONSTER FROM THE 4TH DIMENSION, ressemble à un Placozoaire, il est sans doute un peu audacieux d'imaginer que le Trichoplax soit d'origine extraterrestre...

liens : 
Pour rappel, on a déjà évoqué sommairement évoqué les Cténaires et les créatures du précambrien :
http://creatures-imagination.blogspot.com/2008/09/le-tentacule-dabyss-existe-reellement.html
http://creatures-imagination.blogspot.fr/2012/01/la-valeur-nattend-pas-le-nombre-des.html
http://creatures-imagination.blogspot.com/2009/02/charles-darwin-et-le-debat-sur.html
http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/07/la-vie-animale-sans-oxygene-est.html

Le présent article a notamment été précédé par cet autre que le lecteur intéressé pourra également lire :                                                http://fish-dont-exist.blogspot.com/2014/09/un-nouveau-casse-tete-pour-les.html

et la publication originale indiquée par le précédent, généreusement accessible en libre accès :
http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0102976




vendredi 30 septembre 2011

COMME DES POISSONS DANS L'EAU


L’embarcation des téméraires explorateurs de la mer intérieure est mise à mal lorsqu'apparaît un fougueux Plésiosaure dans le roman de Jules Verne VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE ( A JOURNEY TO THE CENTER OF THE EARTH ).

Dans l'article consacré à la controverse sur l'évolution (http://creatures-imagination.blogspot.com/2009/02/charles-darwin-et-le-debat-sur.html), on avait évoqué les Ichtyosaures, un groupe de Reptiles marins disparus qui s'étaient tant adaptés à la vie marine qu'à l'instar des Cétacés leur morphologie était devenu similaire à celle des Poissons. Cette transformation complète ( si on excepte bien évidemment leur respiration aérienne, qui subsiste chez tous les descendants de Vertébrés terrestres ) leur interdisant dorénavant de se mouvoir à terre, les amenaient obligatoirement à devoir se reproduire en pleine mer, et effectivement, un fossile d'Ichtyosaure femelle mettant bas fut découvert.

L'étude d'un fossile de Plésiosaure, animal que Jules VERNE décrivait dans son roman VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE comme "un serpent caché dans la carapace d'une tortue", a également révélé récemment la présence des éléments squelettiques d'un embryon sur le spécimen. Ce fossile de Polycotylus latippinus a été exhumé en 1987 mais la découverte vient seulement d'être décrite dans un article daté du 13 août 2011 de la revue "Science". Il semble aussi raisonnable de penser que les Mosasaures du Crétacé, des Sauriens marins très proches des Varans, pouvaient être également vivipares. Aussi, nombre de Reptiles marins du Mésozoïque auraient poussé plus loin l'adaptation au milieu marin que nos Reptiles actuels, ce qui est un peu étonnant quand on songe que les Tortues marines sont elles-mêmes anciennes, ayant conquis l'océan dès le Jurassique.

La présence d'un seul embryon, de bonne taille, dans le fossile du Kansas, amène par ailleurs à songer que la femelle du Plésiosaure devait porter en son sein un seul petit, et par conséquent, veillait probablement sur lui après sa naissance comme c'est la règle dans ce cas.

On a évoqué à plusieurs reprises la série de Tim HAINES, SUR LA TERRE DES DINOSAURES ( WALKING WITH DINOSAURS ), laquelle comporte notamment un épisode sur les dinosaures affrontant les climats australs plus froids. La série comportant une grande majorité d'images d'animaux générées par ordinateur, on lui préférera sur le même sujet LIFE IN GONDWANA, court métrage d'animation primé réalisé en 1993 pour la chaîne australienne ABC par Graham BINDING et Norman YEEND. Ici, un Plésiosaure en situation.

Dans le documentaire LIFE IN GONDWANA, la femelle Plésiosaure vient pondre sur la terre ferme, enfouissant les œufs dans le sable comme les Tortues de mer, représentation qui était généralement adoptée jusqu'à la publication de l'article paru dans la revue Science.

L'adaptation du mode de reproduction au milieu océanique des différents groupes de Reptiles éteints illustre une nouvelle fois la plasticité de la vie. La viviparité se rencontre cependant de nos jours chez certains Reptiles terrestres. Si on en croît l'étude réalisée en 1986 par BLACKBURN et EVANS, la viviparité serait apparue indépendamment 118 fois chez les Vertébrés. La découverte en 2005 d'un fossile d'un type de Poisson cuirassé, un Placoderme aux allures de Chimère ( animal cartilagineux actuel apparenté aux raies et requins ) qui vivait il y'a 380 millions d'années, Materpiscis attenboroughi*, a démontré sans ambiguïté que cette espèce donnait naissance à un petit vivant bien avant que les Vertébrés ne soient amenés à répondre aux défis de la vie sur la terre ferme : le rejeton était encore rattaché au corps de sa mère par un cordon.

Maquette de Materpiscis avec le petit encore suspendu à sa génitrice.

Une étude basée sur les isotopes paraît par ailleurs établir que les Ichtyosaures, les Plésiosaures et les Mosasaures avaient le sang chaud, c'est-à-dire qu'ils étaient capables de réguler leur température interne comme le font les Mammifères et les Oiseaux. Par conséquent, les Reptiles marins ayant régné dans les mers au temps des Dinosaures, bien que s'étant éteints sans descendance, représentaient des rameaux particulièrement aboutis de l'évolution. Une étude toute récente de dents de Dinosaures sauropodes, basée sur des mesures de distance des isotopes, indicatrice de la température, démontre par ailleurs, selon les chercheurs qui ont conduit l'étude, que les espèces terrestres contemporaines de ces géants des mers auraient elles aussi trouvé un moyen de maintenir leur température interne, selon un mécanisme qui n'est pas encore établi. Décidément, les Reptiles géants qui foulèrent notre terre il y'a plus de 65 millions d'années étaient bien différents de l'image de gros lézards plutôt indolents tels que la paléontologie, sur la base des reptiles actuels, les avait initialement conçus.

Quelques esprits audacieux se laissent à imaginer que l'hypothétique animal inconnu dont la présence a été signalée à différentes reprises dans les eaux du Loch Ness pourrait être un Plésiosaure ( c'est d'ailleurs la vision qu'en donne le film LOCH NESS de John HENDERSON évoqué dans l'article sur Jim HENSON (http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/05/le-maitre-des-marionnettes.html), pour lequel Mak WILSON a réalisé un cou et une tête mécanique incroyablement réalistes, et dont l'aspect s'écartait des caractéristiques reptiliennes typiques pour mieux évoquer celle d'une créature parfaitement convertie à la vie océanique, homologue aux Cétacés ). On se gardera bien ici, au risque de décevoir les plus prompts à s'émerveiller, de cautionner cette théorie; même si le fossile du Plésiosaure Polycotylus est relativement récent puisqu'il vivait il y'a 78 millions d'années, soit seulement quelques millions d'années avant la grande catastrophe de la fin du Crétacé, on voit mal - l'exemple du Cœlacanthe amenant à être prudent - pourquoi quelques représentants d'un groupe marin de grands Reptiles éteints en même temps que les Dinosaures se seraient soudain retrouvés piégés dans un lac glaciaire du Nord de l'Europe il y'a 10 000 ans. Néanmoins, la découverte de la viviparité chez les Plésiosaures pourrait apporter aux derniers irréductibles une explication quant à la raison pour laquelle on ne verrait pratiquement jamais le monstre sur les rives, objection que je formulais auparavant, lorsque je m'attendais à ce que de tels animaux viennent déposer leurs œufs dans le sable, de même que son homéothermie pourrait justifier sa présence dans des eaux si septentrionales.

(*: nom d'espèce donné en hommage au célèbre naturaliste anglais présentateur d'émissions sur la nature qui avait le premier attiré l'attention sur l'intérêt du site australien où les restes de Materpiscis furent mis à jour. )

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L'INVASION DES PLAGES ANNONCÉE EN CES PAGES

Les lecteurs de France métropolitaine les plus fidèles et attentifs de ce site n'auront sans doute pas été surpris par l'invasion cet été de Physalies, ces créatures étranges mais peu fréquentables qui causent des blessures aux baigneurs; ceux-ci avaient en effet pu lire dans l'article "La revanche des plus humbles" (http://creatures-imagination.blogspot.com/2010/08/la-revanche-des-plus-humbles.html) l'année dernière que ces organismes des mers chaudes parvenaient dorénavant sur les rives de l'Atlantique nord, puisqu'ils étaient remontés jusqu'en Grande Bretagne.

Cette sculpture créée pour la série ROYAL PAINS par le créateur d'effets spéciaux Andrew CLEMENT*, concepteur de créatures pour des séries télévisées comme FRINGE, ne représente pas une étrange créature extraterrestre conçue pour le cinéma, mais une colonie flottante et urticante bien réelle nommée Physalie, surnommée par les Anglo-saxons "Guerrier portugais" (Portuguese man of war) en raison de son flotteur en forme de casque, qui est en fait un individu spécialisé.

(*http://www.creativecharacter.com )

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Le cap des 30 000 visites vient d'être franchi. Plus étonnant encore, selon les statistiques de Wikio.fr qui nous suit depuis décembre 2009, l'audience du site ne cesse de progresser, se classant à présent dans les blogs les plus lus. Enfin, ces pages sont dorénavant parcourues par des personnalités éminentes, comme un grand créateur d'effets spéciaux américain, ce qui particulièrement gratifiant. Merci au grand Todd et à tous les autres!...

lundi 30 août 2010

LA REVANCHE DES PLUS HUMBLES


La controverse sur le réchauffement climatique se poursuit, en dépit de la fonte importante de glaciers observée dans le monde entier. Le dirigeant russe, à présent premier ministre, Vladimir POUTINE, qui abordait la question avec dérision en estimant que le réchauffement de la Sibérie serait favorable à la culture des céréales, a eu tout lieu de constater, sans en tirer cependant d'enseignement, les conséquences dramatiques probablement imputables au réchauffement climatique sur le climat continental, engendrant des décès causés par l'air irrespirable des grandes villes - ainsi que l'embrasement des champs de blé qui devaient selon lui être les grands bénéficiaires de cette évolution. En réalité, nier la responsabilité de l'homme dans la hausse globale des températures mise en évidence par de nombreuses études n'a guère d'intérêt, sauf à prouver que le dégagement de grandes quantités de gaz carbonique engendré par les activités humaines n'a aucune incidence sur l'environnement : en effet, même si la hausse globale des températures était imputable, comme cela peut se concevoir, à des variations dans le fonctionnement de l'astre solaire, l'effet de serre produit par les émissions humaines en amplifierait encore dramatiquement les effets.

Le célèbre glacier de la Mer de glace en France, dans les Alpes, s'est beaucoup réduit depuis quelques décennies, comme en Alaska ( voir l'article "Allegro fortissimo" de mars 2010) - photo trouvée sur le blog http://leblogphoto.blogspot.com/2007/09/la-mer-de-glace-chamonix).

CLIMAT GLACIAL A COPENHAGUE

On le constate, les instances internationales n'ont guère suivi l'avertissement du naturaliste Jean DORST, auteur de l'essai AVANT QUE NATURE NE MEURT, qui affirmait que la vie à la surface de la terre serait irrémédiablement dévastée si l'espèce humaine ne révisait pas fondamentalement son comportement avant l'an 2000. Ainsi, la conférence de Copenhague sur le climat s'est déroulée en décembre 2009 dans un climat glacial, et pas seulement pour cause de frimât hivernal: les représentants des États n'ont guère fait de concessions et le nouveau président américain, en dépit de ses engagements pris un peu vite pour argent comptant par l'opinion, n'a daigné y passer que de mauvaise grâce. L'échec flagrant de ce sommet se traduit par l'absence de toute sanction pour les pays qui refusent de respecter les objectifs désignés; c'est exactement comme si l'on condamnait la violence terroriste sans chercher à démanteler les réseaux ni à empêcher les actes d'être perpétrés.


L'été 2010 a été particulièrement chaud : des forêts et des champs qui s'embrasent, tandis que 500 personnes décèdent chaque jour à Moscou de l'air irrespirable dû à la chaleur combinée à la pollution, et celà pendant que les glaces polaires fondent; ce n'est hélas pas un film d'anticipation catastrophiste des années 1970, mais la stricte réalité. Comme dirait l'écrivain britannique Brian ADLISS, la science-fiction est rattrapée par le présent, d'ailleurs souvent plus pour le pire que pour le meilleur, malheureusement.

Pourtant, le système économique a prouvé que, passées les crises, l'innovation pouvait permettre de relancer l'économie - voir les travaux des économistes SCHUMPETER, KONDRATIEV, etc..., mais les responsables paraissent obnubilés par le court terme, cherchant à exploiter le pétrole jusqu'à la toute dernière goutte quoi qu'il puisse en coûter à la biosphère, plutôt que de relever les défis techniques qui s'offrent à notre espèce. De quoi finir par se demander si l'homme est vraiment à la hauteur de l'intelligence qui lui a permis de s'affranchir des contingences de la nature, à l'issue d'une évolution s'étalant sur des millions d'années.

ÉVOLUTION OU INVOLUTION ?


L'histoire de la vie telle qu'elle s'est écrite au travers du processus de l'évolution, et qui se révèle au travers de l'examen des fossiles relatifs aux différentes époques, peut être entendue comme le passage de formes rudimentaires à des espèces de plus en plus complexes; même parmi les Vertébrés, on assiste à une complexification d'organes comme le cœur, se dotant de compartiments supplémentaires chez les groupes plus récents, ou le cerveau, avec l'apparition chez les Mammifères supérieurs du cortex, capable d'un traitement beaucoup plus élaboré de l'information, jusqu'à l'homme, pourvu de la capacité d'élaborer des raisonnements et de se projeter - du moins en théorie - dans l'avenir.

Cette compétition qui se manifeste notamment au sommet de la chaîne alimentaire n'empêche naturellement pas des espèces moins évoluées de se maintenir lorsqu'elles sont bien adaptées à leur niche écologique. Le grand Requin blanc est un exemple remarquable de prédateur redoutable, bâti sur un modèle inchangé pour l'essentiel depuis des centaines de millions d'années, et qui est parvenu à conserver son rang en dépit de l'apparition d'animaux beaucoup plus modernes comme l'Orque épaulard. La fabuleuse diversité du monde animal provient de l'existence, dans la faune actuelle, d'espèces correspondant à des lignées issues d'époques les plus diverses et jusqu'aux plus anciennes. Les Hérissons existaient déjà au temps des derniers Dinosaures, les Scorpions n'ont guère changé depuis l'époque du carbonifère durant laquelle les animaux conquirent pour la première fois les terres émergées, et des Méduses assez semblables aux espèces actuelles peuplaient déjà les mers il y'a plus de 600 millions d'années, à l'orée de l'évolution des animaux multicellulaires dans l'océan antique.

Les transformations que l'homme fait subir à son environnement bouleversent évidemment l'équilibre constitué au cours des derniers milliers d'années. L'exemple des Algues proliférant en raison des excès de nitrates et phosphates rejetés par l'agriculture productiviste est bien connue. Mais au sein du règne animal, la compétition se traduit paradoxalement par la revanche des créatures les plus modestes, celles dont l'organisation interne est bien moins élaborée.

Avec l'accroissement de la température, les alertes sanitaires concernant la consommation de coquillages se sont multipliées. Les organismes qui sont à l'origine de ces mises en garde en raison de leur toxicité et qui prolifèrent dans ces conditions sont généralement des Dinoflagellés, des organismes unicellulaires photosynthétiques, pourvus d'un test ( enveloppe externe rigide ) ainsi que, dans la plupart des cas, de deux flagelles leur permettant de se mouvoir, dont la position systématique est souvent discutée, ceux-là étant classés tantôt à côté des Algues unicellulaires plus classiques comme les Diatomées, tantôt rangés parmi les Protozoaires flagellés comme l'agent de la maladie du sommeil, le redoutable Trypanosome véhiculé par la Mouche Tsé-Tsé; au XIX ème siècle, le grand naturaliste HAECKEL avait résolu le problème en créant l'ensemble des Protistes regroupant tous les organismes unicellulaires pourvus d'un noyau ( à l'exclusion donc des Bactéries plus rudimentaires ), y incluant ces formes un peu ambiguës. Les Dinoflagellés, aussi appelés Péridiniens, sont parfois tellement abondants qu'ils peuvent colorer les flots: le Noctiluque confère alors à la mer un reflet de lune argentée, tandis qu'on parle parfois en raison de la concentration d'autres espèces de "marées rouges". Lorsque la densité de ces organismes est maximale, les Poissons eux-mêmes périssent d'intoxication.

Marée rouge imputable aux Dinoflagellés.

Un Noctiluque, unicellulaire iridescent, pourvu d'un seul flagelle minuscule et d'un tentacule.


"SOUPE DE MÉDUSE" ET GELÉE DE GROSEILLES DE MER AU MENU

Le cas des Méduses est bien connu également, et les médias se font écho régulièrement de l'augmentation du nombre d' "années à méduses". Non seulement l'accroissement de la température semble profiter à leur cycle, mais elles bénéficient aussi de l'élimination de leurs principaux prédateurs, tels les Cétacés par le fait de la pollution et les Poissons victimes de la pêche intensive, sans parler des malheureuses Tortues marines étouffées par des sacs en plastique, qu'elles confondent avec leur mets favoris, laissés sur les plages par des inconscients. Jules VERNE avait eu une remarquable préfiguration dans son roman 20 000 LIEUES SOUS LES MERS, anticipant le jour où "les mers seront dépeuplées de baleines et de phoques", en ajoutant cette belle préfiguration: "Alors, encombrées de poulpes, de méduses, de calmars, elles deviendront de vastes foyers d'infection, puisque leurs flots ne posséderons plus ces vastes estomacs, que Dieu avait chargés d'écumer la surface des mers."


Cette illustration du roman de Jules VERNE met en valeur la profusion d'"invertébrés" pélagiques, grandes Méduses ( à droite et au centre ) et Physalies ( à gauche ), en attendant la célèbre scène d'attaque par un Céphalopode géant.

Les eaux clémentes comme celles de la Méditerranée ou la Mer du Japon ne sont pas les seules à connaître de plus en plus fréquemment une très forte densité en Méduses. En novembre 2007, une prolifération soudaine de ces animaux a entraîné la perte de plus de 100 000 saumons dans un élevage du Nord de l'Irlande, victimes des contacts répétés imputables à la promiscuité avec les cellules urticantes ( cnidoblastes ) de ces animaux.

Une espèce de grande taille hante aussi les mers du Japon, Nemopilema nomurai. En dépit de sa ressemblance avec la dangereuse Cyanée ou "crinière de lion", elle appartient à un ordre différent de Méduses, les Rhizostomes, dont le contact est rarement mortel pour l'homme. Sa prolifération est sans doute facilitée par la raréfaction des prédateurs, la hausse des températures et l'accroissement de la matière organique occasionnée par le barrage chinois sur le fleuve Yangtze qui a déjà causé l'extinction du Dauphin d'eau douce chinois peu après l'an 2000 ). Sa population est si abondante qu'elle entrave l'activité des pêcheurs. Au début du mois de novembre 2009, un chalutier, le Diasan Shinsho-maru a coulé lorsque plusieurs dizaines de ces animaux, pesant chacun aux environs de 200 kilos, se sont pris dans ses filets, les hommes ayant dû leur salut à la proximité d'un autre bâtiment...

Epilogue du naufrage du chalutier nippon; après le Radeau de la Méduse, les naufragés des Méduses...

Les grandes Méduses des côtes occidentales comme l'Aurélie et la Pélagie, bien que pourvues de cellules urticantes susceptibles de provoquer des brûlures chez le baigneur ne sont pas les plus dangereuses, mais les "Guêpes de mer" comme Chironex fleckeri, une Cuboméduse ( Méduses de forme cubique ), sont autrement redoutables en dépit de leur petite taille et causent fréquemment la mort dans les mers orientales, où elles prolifèrent depuis ces dernières années.

Une autre Cuboméduse, Carukia barnesi, dont le contact peut également s'avérer mortel, présente une ombrelle dont le diamètre peut ne pas dépasser le centimètre; devenue à son tour très abondante, elle parvient grâce à sa petite taille à franchir les filets destinés à mettre les baigneurs hors d'atteinte des Chironex.


La Guêpe de mer n'a pas usurpé son surnom.

Les Siphonophores qui ressemblent souvent à des Méduses n'en sont en fait que des parents très éloignés. Les naturalistes ont découvert progressivement que tous les représentants de ce groupe étaient en réalité des colonies flottantes constituées de différents types d'individus se multipliant en se diversifiant pour assurer différentes fonctions, alimentaires ou reproductrices, certains capturant les proies tandis que le flotteur lui-même est un individu spécialisé. Le plus connu de leurs représentants, la Physalie, surnommée "vaisseau de guerre portugais", (voir illustration de 20 000 LIEUES SOUS LES MERS, plus haut ) a été signalée comme s'échouant dorénavant assez fréquemment sur les côtes de Grande-Bretagne alors que ces animaux vivent dans les mers chaudes. La violente brûlure provoquée par les cellules urticantes des polypes prédateurs est très douloureuse et peut quelquefois entraîner la mort.

Les Cténaires, autres animaux translucides dérivants, représentent une branche très éloignée de l'embranchement rassemblant Coraux, Méduses et Siphonophores: à leur différence, ils sont dépourvus de cellules urticantes. Si ces animaux, dont les plus courants sont surnommés "groseilles de mer", ne constituent aucun danger pour l'homme, la part croissante de prédation que représente notamment l' espèce Mnemiopsis leidyi perturbe considérablement la chaîne alimentaire par un prélèvement accru sur les proies de petite taille, incluant larves de Crustacés et de Poissons dont dépendent les populations humaines - et ce bien que ces formes soient-elles même englouties par un prédateur issu de leur propre groupe, le Béroé.



Mnemiopsis leidyi illumine les flots, les mouvements de ses palettes ciliées décomposant le filtre solaire comme pour un arc-en-ciel.

Dans certaines zones, Mnemiopsis leidyi peut représenter jusqu'à 90% de la biomasse. Après s'être récemment multipliée des eaux du Massachusetts à la Mer noire, cette espèce invasive vient de faire tout récemment son apparition sur les côtes françaises. Selon le biologiste Sean COLIN, cette prolifération semble être imputable à l'accroissement de la température des eaux. Comme les Méduses, les Cténaires ont tendance à se substituer aux Poissons dans la chaîne alimentaire, concrétisant la prédiction de Jules VERNE.




Cet ouvrage est consacré à une époque fort ancienne, l'Ordovicien, dans la région de Cincinnati, mais son titre, "Une mer sans Poisson", pourrait peut-être s'appliquer aussi bien au futur proche qu'au passé lointain.

Ainsi, ces animaux ancestraux pélagiques, Méduses, Siphonophores, Cténaires, rassemblés dans le grand ensemble des Cœlentérés, constitués seulement de deux couches cellulaires et pratiquement dépourvus d'organes internes, d'où leur surnom de "gelée vivante", sont en train de devenir les nouveaux maîtres des océans, après avoir dû quitter leur position dominante pendant 600 millions d'années.

Faudra-t-il un jour, pour tenir compte de l'épuisement des ressources biologiques, se mettre à consommer un "jellyfishburger" à base de Méduse, à l'instar des extrême-orientaux qui ont depuis longtemps inclus cet animal dans leur gastronomie?

Ce restaurant israélien sous-marin a déjà, si on en juge par son mobilier, mis la Méduse à la mode.


LA GRANDE-BRETAGNE ENVAHIE PAR DES VERS GÉANTS

Les "Vers plats" ou Plathelminthes représentent l'étape suivante dans l'évolution. Regroupant les plus primitifs des animaux constitués de trois couches cellulaires ( ce qui est le cas de tous les animaux modernes ), ils ont encore une organisation interne très simple et ne possèdent comme les Méduses qu'un orifice unique servant à la fois à l'ingestion et à la digestion. Là encore, ces créatures paraissent vouées à un rôle subalterne, supplantées par des espèces plus complexes, en demeurant au bas de la chaîne alimentaire ( Turbellariés, comme les Planaires des eaux douces ) ou se spécialisant dans cette niche particulière que représente le parasitisme ( Douves et Ténias ).

Cependant, un Ver plat carnivore de Nouvelle-Zélande qui avait été rapporté accidentellement au Royaume-Uni et qui s'était maintenu dans les serres,
Arthurdendyus triangulatusa, a fini par s'acclimater et se répandre, notamment en Écosse et Irlande, ainsi que sur les îles Feröe, pourtant peu réputées pour leur climat tropical, et pourrait menacer la pérennité de certaines espèces de Vers de terre indispensables au recyclage de l'humus, bien que ces envahisseurs servent à leur tour de pitance à certaines larves de Coléoptères indigènes; nonobstant, les animaux qui se nourrissent de Lombrics pâtissent de la réduction du nombre de leurs proies.


Un Ver plat conquérant.

Il n'est pas conseillé de toucher à main nue cette Planaire terrestre qui peut atteindre 17 cm, en raison des puissantes enzymes qu'elle utilise pour digérer sa proie - autre belle photographie trouvée à la page internet suivante ( dont le titre de l'article semble faire allusion au sous-titre du film LA MOUCHE 2 ! ) :
http://cabinetofcuriosities-greenfingers.blogspot.com/2010/06/alien-alert-be-afraidbe-very-afraid
)

Bien que placées plus haut dans l' évolution, les Araignées sont parmi les animaux à pattes articulées les plus ancestraux, et ont fait partie des toutes premières lignées à investir les terres émergées. Le réchauffement climatique permet à un nombre croissant d'espèces d'Araignées exotiques, de plus grande taille que les indigènes, et généralement plus dangereuses, de s'installer en Europe et d'y étendre leur zone de diffusion, y compris des espèces agressives comme la Ségestrie florentine. En Belgique, il n'est pas rare qu'on découvre des Veuves noires et leur cocon sous le capot de voitures importées d'Afrique. Le radoucissement des hivers permet à ces espèces venues des contrées chaudes de survivre, laissant augurer leur installation définitive dans nos foyers.

L'ironie de la situation est que les organismes les plus sophistiqués sont aussi souvent les plus spécialisés; ils sont parfaitement adaptés à certains paramètres mais vulnérables lorsque ceux-ci se mettent à changer de manière trop importante. Ceux qui ont un mode de fonctionnement plus frustre peuvent souvent davantage surmonter les difficultés, ayant une plus grande propension à la survie, comme en témoignent leurs grandes capacités de régénération. Ainsi, l'espèce qui se veut la plus évoluée concoure-t-elle à donner l'avantage aux formes les plus primitives et les plus modestes... A croire que le film d'épouvante italien CALTIKI sur une forme de vie protoplasmique vorace était quelque peu prophétique, si l'on en juge par le texte de l'affiche : « Est-ce que la plus ancienne forme de vie sur Terre sera la dernière terreur de l'humanité ? "

CALTIKI, un film italien d'épouvante de 1959, inspiré par DANGER PLANETAIRE (THE BLOB, avec Steve McQUEEN ) réalisé l'année précédente.

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