Alors que l’infographie commençait à supplanter les véritables effets spéciaux, il avait agencé certains des derniers extraterrestres originaux concrets encore proposés sur grand écran pour Les maîtres du monde (Robert Heinlein’s Puppet Masters), un film qui était parfois resté longtemps en salles et qui était presque entièrement préservé des trucages virtuels. Bien que son nom demeure sans doute inconnu d’un très grand nombre de spectateurs, Greg Cannom, dont on savait qu’il était gravement malade, vient de s’éteindre le 9 mai 2025 à l’âge de 73 ans, comme annoncé par son collègue Rick Baker. Il était devenu une véritable sommité dans le métier et il mérite tout naturellement qu’on évoque sa carrière afin de lui rendre hommage sur ce site notamment dévolu aux concepteurs de créatures.
Une impressionnante progression dans le métier
Greg Cannom a découvert les maquillages spéciaux au travers de la revue "Famous Monsters" créée par Forrest J. Ackerman. Il était particulièrement admiratif de Jack Pierce, créateur du maquillage porté par Boris Karloff dans Frankenstein, de William B. Tuttle et des maquillages que celui-ci avait conçus pour les Morlocks de La Machine à explorer le temps (The Time Machine) ainsi que pour les différentes incarnations de Tony Randall dans Le cirque du Dr Lao (The Seven Faces of Dr Lao), de même que de John Chambers pour la transformation en mutant du futur au crâne hypertrophié de l’acteur David McCallum pour l’épisode L’Homme au sixième doigt (The Sixth Finger) de la série originelle Au-delà du réel (The Outer Limits) – il eut d’ailleurs la possibilité de visiter le second et de voir l’Oscar qui lui avait été attribué pour les maquillages de La planète des singes (Planet of the Apes), la deuxième distinction jamais décernée pour cette catégorie quatre ans après Le cirque du Dr Lao précité.
Le jeune passionné a commencé par apprendre par lui-même le maquillage au département théâtre du Cypress College de Buena Park en Californie en 1971, concevant des vieillissements et des prothèses, pour créer notamment le personnage d’Einstein et pour changer un acteur en Barbara Streisand. Ayant pu obtenir le numéro de téléphone de Rick Baker, il s’est permis d’appeler celui qui a également été le mentor de son collègue Rob Bottin. Le maquilleur le reçut et à la vue de son portfolio, il l’engagea peu après sur le film Fury de Brian de Palma. Il l’assiste ensuite sur la création de la famille de Wookies velus et revêtit un des costumes pour le téléfilm Au temps de la guerre des étoiles (Star Wars Holiday Special), ainsi que sur l’effrayante liquéfaction progressive de l’astronaute du Monstre qui vient de l’espace (The Incredible Melting Man) dont le réalisateur est récemment décédé (comme évoqué dans l’article de novembre 2024) de même que sur Le monstre est toujours vivant (It’s alive II) de Larry Cohen dans lequel il est amené à endosser à l’instar de l’épouse de Rick Baker le masque du bébé monstrueux pour des gros plans.
En 1981, il assiste Rick Baker pour la création du masque du chasseur de Terreur extraterrestre (Without Warning) réalisé en 1980 par Greydon Clark, mais le maquilleur réputé fait retirer son nom du générique après que son concept a été modifié, et son collaborateur se charge aussi des maquillages horrifiques du film – les parasites volants étant quant à eux agencés par le technicien John Quinlivan III. Suite à une infection sévère à la gorge, il doit renoncer à assister Dick Smith sur les effets de Scanners de David Cronenberg, ce qui ne l’empêchera pas d’obtenir ses conseils au vu de son travail sur La sentinelle des maudits (The Sentinel) pour réaliser un effet d’œil fendu sur le film Blind Date.
Il œuvre de nouveau au côté de Rick Baker sur la comédie La femme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Woman) puis ultérieurement sur le clip Thriller de Michael Jackson, interprétant lui-même un des morts vivants. En 1981 toujours, il travaille durant neuf mois sous l’autorité du maquilleur en pleine ascension Rob Bottin, en contribuant à la création des loups-garous de Hurlements (The Howling), plus particulièrement à l’application de poches gonflables pour concrétiser la déformation de visages exprimant la métamorphose lycanthropique. Sur L'Epée sauvage (The Sword and the Sorcerer), le premier film dont il a la responsabilité principale des effets spéciaux, il se charge de maquillages présentant les stigmates de la peste sur des visages victimes d’une malédiction ainsi que de la transformation d’un homme en démon.
Greg Cannom semble avoir exprimé quelque regret que son supérieur Rob Bottin aspirant à la reconnaissance l’ait laissé dans l’ombre quant aux qualités dont il avait fait preuve sur Hurlements, mais il est vrai qu’on retient toujours principalement le responsable principal d’un travail, et il n’eut pas longtemps à attendre avant de se voir créditer d’une certaine notoriété. Il assiste Rick Baker sur la création des singes de Greystoke et sous la direction de Craig Reardon qui a fait appel à lui pour une séquence, crée pour une scène onirique la transformation de la tête du héros interprété par Dennis Quaid qui s'ouvre en deux pour révéler celle d’un cauchemardesque cobra humanoïde pour Dreamscape.
On retrouve ensuite le maquilleur au générique de nombre de films d’épouvante, même s’il admet ne pas être lui-même passionné par les maquillages sanglants – ce qui ne l’a pas empêché au début de sa carrière de visiter une morgue pour s’assurer du réalisme de son travail. Se succèdent ainsi les vampires de Vamp, Génération perdue (The Lost Boys), Vampire, vous avez dit vampire 2 (Fright Night Part 2) avec John Vulich, Bart Mixon et Brian Wade, Blade, ainsi que des maquillages pour Les Griffes de la nuit 3 : les guerriers du rêve (Nightmare on Elm Street Part 3), L’Exorciste 3 : Legion (The Exorcist Part 3), Highlander 2, Alien 3, la série Les contes de la crypte (Tales from the Crypt) ou encore Star Trek VI. Il arrive cependant qu’il ne soit pas crédité au générique comme en 1990 pour L’expérience interdite (Flatliners) et Dick Tracy avec sa galerie de malfrats patibulaires et grotesques.
L’époque de la consécration
En 1991, il revient dans la lumière avec les maquillages de Hook, adaptation de Peter Pan par Steven Spielberg pour laquelle il vieillit Maggie Smith pour lui faire incarner Wendy en grand-mère - récemment disparue, qui lui vaut pour la première fois de se voir proposer aux Oscars. L’année suivante, il obtient une grande visibilité avec les maquillages de l’adaptation du roman Dracula de Bram Stoker. Contrairement à nombre de ses homologues actuels qui s’appuient sur le virtuel, le producteur et réalisateur Francis Ford Coppola, ainsi que la directrice artistique chargée des costumes, ont fait totalement confiance au maquilleur, lui laissant imaginer le maquillage du vieux comte vampirique interprété par Gary Oldman ainsi que ses incarnations monstrueuses en loup-garou et chauve-souris géante. Le résultat est spectaculaire, en particulier le chiroptère glabre qui se dresse devant ses adversaires en déployant ses ailes membraneuses. Il s’applique à créer un maquillage translucide pour l’apparence du vieillard démoniaque.
Le Comte Dracula dans une de ses monstrueuses transformations bestiale destinée à effrayer les chasseurs de vampires conduit par Van Helsing qu'interprète Anthony Hopkins.,
Son expérience des vieillissements – outre le masque de vieille femme porté par Robin Williams dans Mrs Doubtfire, il a notamment vieilli Kate Winslett pour incarner Rose dans l’épilogue de Titanic, lui vaut de concevoir et d’appliquer les maquillages requis par L’incroyable histoire de Benjamin Button (Strange Case of Benjamin Button) dans lequel le personnage interprété par Brad Pitt naît avec un visage de vieillard et rajeunit ensuite toute sa vie jusqu’au stade de bébé. Il a par ailleurs aussi contribué au film The Mask prêtant des traits sardoniques à un Jim Carrey possédé, mais il a la déconvenue de voir nombre de ses maquillages remplacés par des trucages numériques, et à La passion du Christ (The Passion of the Christ) en 2004 sur lequel il est de nouveau amené à travailler avec Mel Gibson qui se trouve cette fois au poste de réalisateur.
Un des maquillages les plus saisissants et malaisants réalisés par Greg Cannom est celui de l’antagoniste défiguré du tueur en série personnifié par Anthony Hopkins et duquel il veut se venger dans Hannibal, suite du Silence des agneaux (Silence of the Lambs). Grâce à une pince à paupière, Greg Cannom parvient en complément à lui conférer des yeux vitreux grands ouverts, touche morbide supplémentaire achevant de rendre ce maquillage particulièrement dérangeant à l’instar du film dans son ensemble, qui est à déconseiller aux publics sensibles. Avec sa société Cannom Creations, il réalise sous la supervision de Vincent Guastini les maquillages spéciaux de l'adaptation du roman de Stephen King La peau sur les os (Thinner).
Avec son collègue Wesley Wofford, Greg Cannom avait perfectionné l’utilisation de la silicone pour les maquillages, obtenant un prix d’innovation en 2025. Il avait mis au point un procédé de superposition de différentes couches de silicone sur le visage, permettant avec une coloration appropriée d’obtenir les tons les plus naturels. Il a utilisé cette technique pour transformer Robin Williams en robot humanoïde doré pour L'Homme bicentenaire (Bicentennial Man), pour L’incroyable histoire de Benjamin Button et il l’a encore perfectionnée pour permettre à l’acteur Christian Bale d’incarner avec un grand réalisme l’homme politique Dick Cheney coresponsable de l’invasion américaine de l’Irak dans Vice (titre à la double signification, au premier degré pour vice-président).
Une triste fin accompagnée d’un véritable élan de solidarité
Le jeune maquilleur prodige est donc devenu un professionnel très reconnu avec l’obtention de quatre Oscars pour Dracula, Mrs Doubtfire, L’incroyable histoire de Benjamin Button et Vice, ainsi qu’une récompense en 2019 pour l’ensemble de sa carrière par la Guilde des maquilleurs et perruquiers, et l’estime de l’ensemble de la profession. Malheureusement, la fin de son existence fut gâchée par d’innombrables problèmes de santé. Souffrant du diabète et de complications rénales et cardiaques, il avait aussi une vue très dégradée et une infection par des staphylocoques a nécessité l’amputation partielle d’une jambe. De plus, en dépit de sa brillante réussite, l’artiste était devenu impécunieux, incapable de disposer des sommes nécessitées par ses soins. Attristés par sa tragédie, nombre de ses collègues se sont mobilisés pour lui venir en aide en 2023 au travers d’une collecte organisée sur le site GoFundMe, répercutée par le magazine "Variety" et ont recueilli plus de 100 000 dollars, au-delà de la somme espérée de 75 000. Le maquilleur espérait qu’à l’issue des opérations, il pourrait intégrer la maison de retraite des artistes nécessiteux d’Hollywood. Dans ces terribles épreuves, Greg Cannom a au moins pu constater qu’il n’était pas oublié et que toute la profession s’était unie autour de lui. Ses nombreuses contributions au cinéma demeureront.
Ajoutons quelques lignes pour signaler la disparition durant son sommeil le 20 mai 2025 de l’acteur américain George Wendt à l’âge de 76 ans d’une crise cardiaque et de diverses complications, qui avait joué dans des séries populaires et figuré dans diverses émissions, et était suffisamment reconnu pour que ses apparitions récurrentes dans le rôle de Norm avec un comparse, John Ratzenberger dans le rôle de Cliff, dans un bar de la série comique Cheers, valent au duo d’être reproduit au travers de personnages robotisés imitant leur allure dans les bars d’aéroport par la compagnie Host international, ce qui entraîna une action en justice de l’acteur, remportée en seconde instance – on peut relever pour l'anecdote qu'à l'instar de l'inspecteur Columbo dans la série éponyme, on ne voit jamais la femme du personnage, Vera, mais qu'on l'entend parfois en voix off, laquelle est celle de sa véritable épouse, l’actrice Bernadette Birkett.
George Wendt devait apparaître dans le rôle d’un étudiant dans le film Quelque part dans le temps (Somewhere in Time), évoqué dans la publication précédente à propos de la disparition du réalisateur Jeannot Zwarc à la suite de l’hommage à David Lynch, mais la scène avait été coupée. On le vit dans d’autres films fantastiques, notamment comme écrivain dans Dreamscape et responsable d'un programme de cryogénie ayant sacrifié la vie d'un sujet se prêtant à l'expérience dans Forever Young (deux films évoqués ci-dessus dans l’hommage à Greg Cannom), mais son rôle le plus marquant en la matière est probablement celui d’Harold Golton, le débonnaire voisin dans le film horrifico-comique House de Steve Miner, appelé à prêter main-forte à un écrivain hanté par la guerre du Vietnam ainsi que par la disparition inexplicable de son jeune fils, Roger Cobb (William Katt) et dont la demeure fait l’objet de manifestations surnaturelles monstrueuses.
Autre visage que le public pouvait reconnaître sans toujours identifier l’acteur, Harris Bart Goldberg, d'après le patronyme du père adoptif de cet orphelin, et qui était connu sous l'identité d'artiste d'Harris Yulin est décédé le 10 juin 2025 à l’âge de 87 ans. Après un an d'engagement dans l'armée américaine puis avoir vécu en Israël à Tel-Aviv, il retourne aux Etats-Unis où le professeur d'art dramatique et acteur Jeff Corey, ami de son père dentiste, l'oriente vers l'art théâtral. Il s’est tout au long de sa carrière partagé entre le théâtre, la télévision et le cinéma. Il avait interprété aussi bien un policier corrompu dans Scarface que le directeur de la galerie d’art de la comédie Bean, le film le plus catastrophe et avait incarné le célèbre hors-la-loi du Far West Jesse James dans la production télévisée La dernière chevauchée des Dalton (The Last Ride of the Dalton Gang) en 1979. En matière de comédie fantastique, il avait prêté ses traits sévères au juge de S.O.S. Fantômes 2 (Ghostbusters 2) et joué un savant dans Ma femme, mes doubles et moi (Multiplicity), film dans lequel le personnage crée des copies de lui-même pour leur déléguer les tâches fastidieuses.
Il interprétait aussi le Docteur Mercer persuadé de l’existence d’une espèce inconnue dans Loch Ness. Il était apparu dans diverses séries télévisées de La petite maison dans la prairie (Little House on the Prairie) à Dynasty, y compris fantastiques à l’occasion du 19ème épisode de la première saison de Star Trek Deep Space Nine, Duel (Duet), avait joué un cardinal dans un épisode parodique d’Aux frontières du réel (The X-Files), Hollywood, et dans la série Buffy contre les vampires (Buffy the Vampire Slayer), il avait incarné à l’occasion de trois épisodes le personnage de Quentin Travers, dirigeant le conseil des Observateurs, des parapsychologues en lutte contre les manifestations démoniaques, s’attachant à conseiller le personnage éponyme, "L’élue" (Sarah Michelle Gellar), chargée de traquer les vampires.
filmographie : http://www.lefilmdujour.fr/2025/06/harris-yulin-1937-2025.html