ENTRETIEN AVEC RICHARD KLEMENSEN
Après l’entretien pour le quinzième anniversaire de ce site avec Mario Giguère, créateur du Club des monstres qui fêtait également le sien, et qui nous a permis de nous pencher sur la symbolique du cinéma de l’imaginaire et de ses créatures, c’est à présent une discussion avec un des plus grands connaisseurs de la maison de production britannique Hammer qui est proposée, afin de permettre de redécouvrir ce que furent les caractéristiques de ces films colorés, jugés outranciers par certains, et qui mettaient en scène des personnages effrayants et quelquefois d’étranges créatures. Avec son épouse Nancy qui était infirmière, l’Américain Richard Klemensen, qui gagnait sa vie en vendant des pièces détachés de camion, se consacre depuis des décennies à évoquer et analyser ces films dans un magazine dont les numéros passés sont toujours réédités et qui nous en donne ici un avant-goût. Qu’il soit remercié pour sa grande affabilité et la qualité de ses réponses. Voici donc cet entretien réalisé par un Français auprès d’un Américain passionné par la célèbre maison anglaise.
Est-ce que vous vous souvenez quand vous avez pour la première fois éprouvé de l’attirance pour l’imaginaire ? Aimiez-vous les contes de fée, les histoires surnaturelles avec des fantômes ou même la science-fiction durant votre enfance ?
- Je lis de la science-fiction depuis ma prime jeunesse – probablement depuis la fin des années 1950. J’ai débuté avec Andre Norton et plus tard j’ai lu des œuvres d’Isaac Asimov, Jack Vance, Brian Lumley (série Necroscope) et Keith Laumer (ses nouvelles ainsi que son roman A Trace of Memory). Je n’ai pas lu beaucoup d’histoires d’horreur exceptés certains texte de Poe et H.P. Lovecraft. Mon imprégnation aux histoires de fantômes se fit principalement au travers des films.
- J’ai une question un peu anecdotique ; vous habitez la ville de Des Moines ; en tant que Français, j’ai appris pour la première fois le nom de cette ville à la sonorité française en lisant le roman de science-fiction de Robert Heinlein Marionnettes humaines (Puppet Masters) - adapté deux fois à l’écran, officieusement avec The Brain Eaters et plus tard avec Robert Heinlein’s Puppet Masters produit par Disney. L’avez-vous lu et en ce cas, cela-a-t-il suscité en vous une impression particulière étant donné que certaines scènes se déroulent dans la ville où vous vivez, ancrant le récit de science-fiction dans votre voisinage ?
- Des Moines appartenait, je pense, à une part de la Louisiane quand les Français, et Napoléon, vendirent une grande partie du centre de la région aux Etats-Unis d’Amérique, en 1803. Il existe un certain nombre de villes, même ici dans l’Iowa, portant des noms français – comme Dubuque. Et non, je n’ai pas lu Les maîtres du monde. Pour être franc, j’ai très peu lu d’œuvres d’Heinlein bien que j’ai beaucoup apprécié ce que j’ai lu de lui. Mes habitudes de lecture ont débuté loin de la science-fiction avec des livres sur le cinéma, l’armée et autres livres d’histoire au cours des années 1960.
- Quand avez-vous décidé que votre magazine consacré aux films fantastiques se tournerait exclusivement vers l’exploration du monde des productions Hammer ?
- En septembre 1969, je me rétablissait d’une mononucléose, et j’avais rompu avec ma petite amie Margot (un prénom ayant une bonne consonnance française !). Aussi, je suis allé jusqu'à un cinéma de plein air à Waterloo dans l’Iowa (où nous avions emménagés en 1963) projetant (les drive-ins sont très américain avec notre amour des voitures – et c'est une bonne façon d’emmener une famille entière, ou des amis, permettant avec un montant modeste de voir des films) Godzilla vs The Thing, The Valley of Gwangi (voir hommage à Ray Harryhausen) et Dracula has risen from the Grave. Une dose de monstres de la Toho (compagnie japonaise qui a produit la saga de Godzilla), de Ray Harryhausen et de film Hammer très coloré et divertissant ! J’aimais les films merveilleux, de science-fiction et d’horreur depuis le milieu des années 1950, mais il n’était pas fréquent de pouvoir en visionner en dehors de ce qui était à l’affiche des trois cinémas de Mason City, notre petite ville de l’Iowa comportant 25 000 habitants. J’ai acheté quelques numéros de revues comme Famous Monsters of Filmand et Castle of Frankenstein. J’ai même fait paraître un petit magazine d’humour quand j’étais au collège (9ème annéee) en 1962-1963 appelé “Fleabit”. Revenant tôt à mon domicile après une projection (avec mon travail débutant dès 8 heures du matin), j’ai commencé à acquérir des exemplaires de ces magazines et à les lire. Progressivement, je découvrais qu’il existait des fanzines amateurs comme Photon, Cinefantastique, Gore Creatures et beaucoup d’autres. J’ai commencé à en commander un paquet d’entre eux et voulais réellement en créer un moi-même. Alors l’Oncle Sam est venu avec sa convocation militaire en 1970 quand les Etats-Unis se trouvaient toujours plongés dans la Guerre du Vietnam. J’ai passé les deux années suivantes sous l’uniforme – heureusement, je n’ai jamais été envoyé au Vietnam comme le furent nombre de mes amis proches – et étant rendu à la vie civile en Janvier 1972, j’étais prêt à créer mon propre fanzine d’horreur. Ce qui vit le jour fut La petite boutique des horreurs en 1972 (j’ai toujours trouvé que c’était un nom qui sonnait bien) – le film lui-même n’était alors pas très connu et était tombé dans le domaine public tout comme la propriété du titre. C’est seulement par la suite que la comédie musicale fut créée. Mes trois premiers numéros traitaient de l’épouvante en général – évocation des acteurs Vincent Price, Lon Chaney, des films de la Toho, mais il y avait aussi une large place réservées aux productions britanniques et particulièrement à la Hammer. En 1974, après ces trois numéros, je décidais de refermer la parenthèse du magazine parce que je vivais avec ma première épouse et concevait une famille. Mais je décidais de rependre et quatre ans plus tard, en 1978, je réalisais un quatrième numéro, presque intégralement consacré aux films de la Hammer. A partir de ce moment, chaque numéro traitait de la Hammer, et plus tard, d’autres films merveilleux et d’horreur britanniques de la période classique des années 1950 à 1980.
- Que pensez-vous à ce propos des films réalisés au Royaume-Uni par de petites compagnies cherchant à profiter des succès de la Hammer, engageant quelquefois les plus célèbres acteurs de la Hammer et même son réalisateur attitré Terence Fisher (Edward Small qui refusa de produire Le septième voyage de Sinbad (The Seventh Voyage of Sinbad) que lui proposait Ray Harryhausen fit de même pour Jack le tueur de géants (Jack the Giant Killer) cinq ans plus tard), avec L’île de la terreur (Island of Terror), Night of the Big Heat, Blood Beast Terror, The Creeping Flesh – ainsi que The Trollenberg Terror (The Crawling Eye) et Fiend without a Face, ces derniers complètement sans Vincent Price, Christopher Lee et Terence Fisher, des films qui peuvent sembler très proches de ceux de la Hammer aux yeux du public ?
- J’ai aimé tous les films venus d’Angleterre, au minimum quelque peu dans tous les cas, et ceux financés par des compagnies américaines mais réalisés par des Anglais créatifs – comme en 1979 Dracula avec Frank Langella. Au-delà de la Hammer, nous avons rendu compte de manière complète des productions d’Amicus, ainsi que Blood on Satan’s Claw, Dance of the Vampire/Fearless Vampire Killers, les deux films consacrés au Docteur Phibes, Frankenstein : the True Story – téléfilm cité dans les hommage à Michael Sarrazin et plus récemment à David McCallum, Le village des damnés (Village of the Damned), sa suite The Children of the Damned, The Creeping Flesh, les films de la compagnie Tempean (Blood of the Vampire) et beaucoup d’autres œuvres et d’entretiens.
Illustrations du magazine pour Frankenstein : the True Story, une coproduction anglo-américaine traitée par le magazine ; en haut, on reconnaît de gauche à droite les acteurs James Mason, Michael Sarrazin et David McCallum.
D'autres illustrations du magazine évoquant des productions concurrentes de la Hammer, notamment de la compagnie Amicus, particulièrement les monstres pittoresques de Centre Terre, septième continent (At the Earth's Core) avec Peter Cushing ; l'illustration du bas comporte aussi un vaisseau spatial et un envahisseur robotique des Daleks envahissent la Terre (Daleks' Invasion Earth : 2150 A.D.).
Un film anglais considéré comme un classique du cinéma même au-delà du cercle des amateurs de science-fiction, Le village des damnés (Village of the Damned) concernant de mystérieux enfants aux pouvoirs surnaturels nés après qu'une petite commune a été isolée, d'après un roman du Britannique John Wyndham.
- D’un point de vue plus général, qu’estimez vous définir le plus fondamentalement les films de la Hammer, en dehors de leur esthétique très colorée et saturée ? Diriez-vous par exemple qu’ils se caractérisent par un certain classicisme formel couplé à un certain goût de la transgression, mélange qui pourrait expliquer leur popularité ?
- Les films de la Hammer ne ressemblaient en rien à ce qui était produit aux Etats-Unis à la fin des années 1950. Aucune production américaine ne peut se comparer à Curse of Frankenstein, Horror of Dracula ou encore The Mummy. Même après les adaptations d’Edgar Poe par Roger Corman, l’allure des films de la Hammer est toujours si fort et unique. Dans cette réussite ne sont pas pour rien des réalisateurs comme Terence Fisher, les décors agencés par Bernard Robinson, les éclairages de Jack Asher et tant de merveilleux acteurs de la région de Londres ayant suivi une formation classique. Même lorsque l’époque de la Hammer touchait à sa fin, laquelle s’étend réellement de 1954 avec Le Monstre (Quatermass Experiment) à 1975 avec Une fille pour le diable (To the Devil… a Daughter), la Compagnie continuait toujours à produire des films attrayants et de qualité comme The Hands of the Ripper, Frankenstein and the Monster from Hell et Captain Kronos vs the Vampire Hunter.
- Peut-on percevoir une forme d’épouvante propre à la Hammer, de manière comparative si on rapporte par exemple les films de loups-garous de la Hammer à des films américains comme les productions de l’Universal Le monstre de Londres (The Werewolf of London) et Le loup-garou (The Wolf Man) et les productions des années 1950 I was a teenage Werewolf ainsi que The Werewolf de Fred Sears ?
- Les films de la Hammer étaient en couleur et avaient la possibilité de montrer du sang (et des soutien-gorge 😉) ; ce avec quoi les premiers et merveilleux films d’Universal ne pouvaient entrer en compétition. J’aime les productions de l’Universal des années 1930-1945, (avec une affection toute particulière pour Abbott and Costello meet Frankenstein de 1948, qui est à la fois amusant tout en étant un véritable hommage respectueux aux créations de l’Universal). Les derniers films de la Hammer n’ont pas pu rivaliser avec les sorties de L’Exorciste (The Exorcist), La Malédiction (The Omen) et autres films similaires. Comme déclara le producteur de la Hammer Aida Young : “Il y a eu un temps, et ce temps n’était plus”. La Hammer avait été dirigée par des hommes plus vieux de la génération de la Seconde Guerre mondiale, et ceux-là ne disposaient pas de l’argent ou de l’expérience pour des temps de changement, tel George Romero avec La nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead), permettant de demeurer sur le marché américain. A cela s’ajoute la fin du financement américain (toutes les grandes compagnies américaines de production connaissaient des difficultés fiscales à la fin des années 1960), cela sonna vraiment le glas pour le cinéma classique de la Hammer.
La transformation du personnage maudit joué par Oliver Reed dans The Curse of the Werewolf.
- Pensez-vous que le succès des films de la Hammer portant sur la Créature de Frankenstein et les vampires ont poussé la société de production à se détourner ouvertement de la science-fiction de ses débuts après Quatermass Xperiment/The Creeping Unknown, X the Unknown, Quatermass 2//Enemy from Space,à de très rares exceptions comme Les monstres de l’espace (Quatermass and the Pit) – par exemple, il n’y a guère de films comportant des robots ou traitant de menaces technologiques, ou bien parce que cela était plus facile et économique de réemployer les décors gothiques des Studios Bray. ?
- La Hammer a toujours fonctionné ainsi, comme le Colonel James Carreras, le responsable de la compagnie, disait à l’époque : “Donnez-moi un autre film comme le dernier qui a rapporté de l’argent”. La première production mettant en scène le Professeur Quatermass a été très rentable, la seconde a eu moins de succès, et X the Unknown rapporta encore moins de recettes. Alors, The Curse of Frankenstein fut un triomphe. Souvent, également, c’était moins une affaire de ce que les dirigeants de la Hammer voulaient faire (leur troisième film sur Quatermass en 1967, Les monstres de l’espace (Quatermass and the Pit), fut un échec commercial, que de ce à quoi les financiers accorderaient leur aval. De la sorte, la Hammer était connue pour des films d’action, certains films de guerre, quelques comédies, des films à suspens avec des maniaques… et BEAUCOUP de films d’horreur.
- On prétend parfois qu’un petit garçon serait mort de terreur durant une projection du Monstre (Quatermass Xperiment) ; diriez-vous qu’il s’agit juste d’une publicité de mauvais goût comme beaucoup le pensent ?
- Eh bien, je ne pourrais être affirmatif à 100%, mais j’ai toujours pensé que cela semblait sortir de l’imagination exacerbée de quelque chargé de la publicité, et que cela ne s’était jamais produit.
- John Carpenter souhaitait que Nigel Kneale, qui imagina le premier des extraterrestres tout à fait non humanoïdes pour l’écran avec les séries mettant en scène le Professeur Quatermass adaptées au cinéma par la Hammer, écrive le script de The Thing, mais décida d’y renoncer étant donné qu’il vivait hors des Etats-Unis, mais cela ne l’empêcha pas de lui demander un peu plus tard un scénario pour Halloween 3 (Halloween III : Season of Witch), même si le scénariste ne parut nullement satisfait du résultat à l’écran. Il y a eu nombre de productions américaines tournées en Angleterre comme Le Village des damnés (Village of the Damned), souvent dans les studios Pinewood comme pour Alien, suivant l’exemple de Ray Harryhausen qui s’établit en Europe – et œuvra sur une production Hammer, Un million d’années avant J.C. (One Million Years B.C.). Diriez-vous qu’il existe principalement un unique cinéma anglo-saxon faisant régulièrement recours à des talents de part et d’autre de l’Océan, ou distingueriez-vous deux approches différentes comme s’il existait un fossé entre les deux industries nationales – Ridley Scott reconnut avoir eu initialement des difficultés relationnelles lorsqu’il tourna Blade Runner aux Etats-Unis ?
- John Carpenter travailla avec Nigel Kneale et leur relation ne fut pas heureuse. Comme Carpenter le déclara ultérieurement : "ne rencontre jamais tes héros”. En ce qui concerne la raison pour laquelle tant de films furent tournés en Angleterre plutôt qu’aux Etats-Unis, c’était dû au fait qu’à l’époque, ils étaient moins onéreux à faire en Angleterre. Il y avait ce dispositif dénommé the Eady Levy (une partie de l’argent que rapportait chaque ticket de cinéma vendu au Royaume-Uni était reversé aux producteurs de films britanniques pour les aider à financer leurs films). Les Américains utilisaient cet argument pour faire baisser les coûts de production. De plus, le producteur James Carreras avait établi une relation amicale personnelle avec nombre de responsables d’Universal, Columbia, Warner Bros ou encore 7Arts et fut capable de conclure des contrats grâce à ces amitiés (la plupart au travers du Variety Club international). Au début des années 1970, toutes les grandes compagnies d’Hollywood traversaient des difficulté financières ; il n’était plus meilleur marché de filmer en Angleterre plutôt qu’aux Etats-Unis ; de surcroît, les lois fiscales américaines avaient été modifiées de manière à protéger l’industrie de la concurrence des œuvres tournées à l’étranger. Le but principal en était d’aider à financer la guerre au Vietnam se prolongeant. Toutes les personnes qu’avait connues James Carreras étaient alors décédés ou en retraite. Il savait que les choses touchaient à leur fin et c’est à cette époque qu’il vendit la compagnie à son fils, Michael. Celui-ci n’aurait jamais dû l’acheter, il n’y avait aucune possibilité qu’elle survive. Toutes les sociétés britanniques de production comme Hammer, Tigon et Amicus avaient fermé en 1980.
James Carreras sympathisant avec le producteur et réalisateur américain William Castle auquel fait allusion le film de Joe Dante Panic à Florida Beach (Matinee), un genre de cinéaste et producteur américain indépendant dans la lignée de Roger Corman (voir les hommages récemment publiés en juin et juillet 2024), Bert I. Gordon (voir hommage http://creatures-imagination.blogspot.com/2023/03/un-petit-qui-voyait-grand.html) ou Larry Cohen (hommage : https://creatures-imagination.blogspot.com/2019/04/un-brillant-cineaste-independant.html).
- Comment expliquer la consécration rapide de Christopher Lee étant donné que son premier grand rôle fut celui d’une brute muette défigurée dans La revanche de Frankenstein (Curse of Frankestein) et plus tard en tant que momie (à l’opposé de l’interprétation de Boris Karloff dans les versions originelles, très pathétique et tragique) ? Dans La revanche de Frankenstein, j’ai perçu son rôle comme très limité, n’étant appelé qu’à grommeler de temps en temps, le "vrai monstre" étant le savant fou joué par Peter Cushing, un expérimentateur très inhumain comme l’ancien Nazi testant le conditionnement humain qu’il a joué plus tard dans un épisode d’une série télévisée de la Hammer La maison de tous les cauchemars (The House of all the Nightmares) ?
- En fait, Christopher Lee avait eu des rôles mineurs depuis 1954 et n’avait guère impressionné le public. Il a même indiqué qu’il n’avait jamais reçu une lettre d’admirateur pour son interprétation de la Créature de Frankenstein. Pour la Hammer, à cette époque, il était seulement un acteur de grande taille. C’est avec Dracula que se produisit la révélation. Sa taille avait toujours été un inconvénient pour lui lorsqu’il apparaissait avec de petits acteurs comme Alan Ladd. Avec la Hammer, sa stature devint un avantage. Il n’était pas aussi bon qu’un acteur accompli tel que Peter Cushing, mais il était plus charismatique. Je ne peux imaginer personne d’autre aussi éclatant dans le rôle de Dracula que lui à cette époque.
- Comment les productions de la Hammer emplies d’histoires et de scènes horrifiques parvinrent à survivre à la censure ? En 1951, le premier extraterrestre réellement non humanoïde fait pour La Chose d’un autre monde (The Thing from another world) aux Etats-Unis fut écarté comme “trop horrible”. En Angleterre au début des années 1970, Orange mécanique (The Clockwork Orange) fut retiré des cinéma pour cause d’horribles crimes commis par imitation et alors dénoncé comme promotion de l’ultraviolence ?
- La Hammer a combattu durement les censeurs au travers des années. Les producteurs voulaient tourner une version du roman de Richard Matheson de 1958 Je suis une légende (I am Legend) et avaient même fait venir l’auteur en Angleterre pour qu’il écrive un script. Alors les censeurs affirmèrent que s’ils menaient à bien leur projet, ils banniraient le film aussitôt. Après une bataille vigoureuse quant à ce qu’il était possible de montrer dans La Nuit du loup-garou (The Curse of the Werewolf), la Hammer atténua le contenu de ses films. Kiss of the Vampire en 1962 n’était en aucune façon aussi spectaculaire que, par exemple, Brides of Dracula. A de rares exceptions, il faudra attendre le début des années 1970 pour que des films de la Hammer puissent montrer des images plus explicites - et une poitrine féminine dévoilée ici ou là.
- Que répondriez-vous à ceux affirmant que les films de la Hammer ressortissent principalement à du mauvais cinéma d’exploitation reposant sur des scènes choquantes, sanguinolentes, cruelles et sadiques – même s’il y existe moins d’horreur viscérale que dans les films d’horreur italiens ?
- Ils étaient de leur époque. Maintenant, ils ressemblent à de doux contes de fée. Mais pour faire venir le public des années 1950 à 1970 au cinéma, tu ne pouvais plus juste suggérer les choses comme dans les films de Val Lewton du début des années 1940. Les temps avaient changé. Les gens étaient plus sophistiqués. La Hammer a été aussi loin qu’elle pouvait, mais toujours en gardant à l’esprit qu’il devrait y avoir des changements pour obtenir la classification “X” appropriée. Comme pour les critiques, les auteurs étaient pris dans une époque de cinéma avec un long passé derrière. Les spectateurs n’étaient certainement pas d’accord avec eux.
- En tant que grand défenseur des productions de la Hammer, que pouvez-vous dire à ce qui croient que les séries de films impliquant Frankenstein et les vampires sont un peu répétitifs ?
- Les films relatifs à Dracula pourraient être perçus comme tels, parce que les auteurs semblaient ne jamais savoir comment employer le personnage. Il a pu faire son apparition occasionnellement mais à partir de Dracula Prince des ténèbres (Dracula Prince of Darkness), les films traitaient davantage de couples et d’autres personnages. La série sur Frankenstein était pittoresque et très bien écrite. Le Baron était au premier plan et au centre, créativement, ces films étaient bien meilleurs que ceux impliquant Dracula. Mais Christopher Lee était une figure si marquante, bien au-delà de son personnage de La revanche de Frankenstein, qu’il a toujours rapporté davantage de recettes que Frankenstein. Le dirigeant de la Hammer dans les années 1970 dit que Frankenstein faisait juste assez de bénéfice pour permettre d’en réaliser un autre. Dracula a été le gagne-pain de la Hammer jusqu’à la fin. S’agissant des films de vampires, la Hammer n’en a pas tant produit que cela. Et la plupart ont été réalisés après 1970. Je dirais que Brides of Dracula, Kiss of the Vampire, la trilogie Karnstein (The Vampire Lovers, Lust for a Vampire et Twins of Evil) étaient uniques). Comme l’étaient Vampire Circus, Captain Kronos vs Vampire Hunter et certainement Legend of the 7 Golden Vampires (qui était un univers en soi - nota l'histoire qui se déroule en Extrême-Orient est mêlée avec les arts martiaux). Countess Dracula n’était pas un film de vampire, en dépit du titre.
- Est-ce qu’au travers de la reprise des fameux personnages de l’Universal, les producteurs de la Hammer n’ont pas négligé des créatures plus originales au bénéfice exclusif de la peinture d’incarnations anthropomorphiques du Mal de manière classique, se privant d’explorer un nouveau registre de l’épouvante – le Grand Inconnu dans l’acception lovecraftienne – comme par exemple l’effrayant premier sketch du film Necronomicon ? Quelle est votre opinion à ce sujet, pensez-vous que cela manque à la gloire de la Hammer ?
- La compagnie a toujours fait ce pour quoi les financiers lui versaient de l’argent. A un moment, la Hammer a pu avoir trente projets ou même davantage en cours. Michael Carreras pour la Hammer voulait faire quelques fictions inspirées de Lovecraft ; la seconde moitié du Peuple des abîmes (The Lost Continent) en 1968 comporte certainement beaucoup d’images évoquant l’œuvre du célèbre écrivain. Une fois que la Hammer avait creusé son sillon, ses responsables écartaient tout ce qui n’était pas un clone de ce qui avait été fait auparavant. C’est en vérité l’histoire de la fabrication de films dans le genre d’Hollywood. Demons of the Mind était unique. Et cela fut un échec commercial, tout comme These are the Damned.
- Quelquefois, la Hammer a proposé quelques créatures plus inhabituelles comme la femme reptile interprétée par Jacqueline Pearce, et Barbara Shelley jouant une villageoise possédée par une Gorgone diabolique de la mythologie grecque. Ces films ont-ils reçu un accueil du public décevant expliquant que les producteurs de la Hammer soient revenus vers des monstres plus conventionnels comme la Créature de Frankenstein, les vampires, et les loups-garous ?
- La Gorgone fonctionna bien pour Columbia en 1964, mais entraîna une perte financière pour La Hammer car le film avait nécessité un investissement trop important pour sa production. Les deux doubles sorties que la Hammer fit en 1965 – Dracula Prince of Darkness/Plague of the Zombies et Rasputine the Mad Monk/The Reptile connurent aussi un certain succès commercial, mais les quatre films ont été tournés aux Studios Bray dans la foulée, ce qui avait permis de combiner les frais et ainsi de réduire les coûts. Deux années plus tard, en 1967, la Hammer a dépensé plus de 250 000 livres sur des films comme Les monstres de l’espace (Quatermass and the Pit) et The Devil rides out (les quatre films de 1965 avaient à peine dépassé 100 000 livres chacun) et Le continent perdu (The Lost Continent) avait largement dépassé 500 000 livres. Tous perdirent de l’argent. Les pontes de la Hammer avaient découvert qu’à l’exception de Dracula, il y avait une limite aux bénéfices que leurs films d’horreur pouvaient rapporter, et ils veillèrent soigneusement alors sur leur budget.
- L’horreur est souvent dépeinte par les psychanalystes comme un substitut de la sexualité à l’écran, et les critiques expliquent que celle-là est sous-jacente. Nous nous souvenons cependant que le Baron Frankenstein joué par Peter Cushing viole une femme dans le bien nommé Frankenstein must be destroyed. Le personnage de prêtre joué par Christopher Lee dans la dernière production Hammer pour le grand écran, Une fille pour le diable (A Daughter for the Devil) est vu en train de commettre un acte sexuel explicite (en réalité doublé par le futur cascadeur d’Alien Eddie Powell vu de dos), et l’auteur du roman originel s’offusqua pour cette raison. Selon vous, la fin de la Hammer au cinéma s’explique-t-elle par ce changement de registre dû à la volonté du studio de correspondre davantage au climat plus licencieux des années 1970 ou au contraire ce film est-il l’ultime tentative quelque peu désespérée pour ne pas être supplantée par des productions comme Tanya’s Island (un des premiers contrats du maquilleur Rob Bottin) se tournant résolument vers l’érotisme – nous savons que Roger Corman exigeait souvent de la sorte pour les productions de sa compagnie New World des scènes de nudité dans l’intention d’attirer un assez jeune public, notamment un certain nombre d’adolescents ?
- La Hammer dut évoluer avec le temps. Le début des années 1970, en particulier, fut une période prolixe en nudité et en scènes de sexe au moins implicites. Faire venir les spectateurs au cinéma a toujours été la motivation première de ceux qui financent les films. Et très certainement, la Hammer et d’autres compagnies comme American International Pictures repoussaient les limites. A cette époque, la fréquentation des salles de cinéma continuait de décliner, elle ne représentait plus qu’une fraction de ce qu’elle avait été après la Seconde Guerre mondiale et avant que la télévision prenne réellement toute sa place. Détacher les gens de leur poste de télévision signifie qu’on DOIT LEUR DONNER quelque chose sur le grand écran qu’ils ne pourraient voir sur le petit. Le sexe et la violence représentaient la grande affaire de ce temps en la matière.
- Avez-vous appris au travers de vos contacts avec des personnalités du cinéma, et en particulier concernant la Hammer, certaines informations et anecdotes qui vous ont étonné et que vous voudriez bien nous révéler ?
- Il y a toujours beaucoup d’histoires. On doit être précautionneux de ce qu’on imprime afin de ne pas blesser les sentiments des personnes, bien que la plupart des gens concernés ne soient plus parmi nous, car on ne veut pas non plus heurter les familles. Cependant, si tout ce qu’on peut écrire est “elle était charmante, il était charmant, tout le monde était charmant”, ce serait ennuyeux – nota, c’est d’ailleurs la tonalité de ce qui tient souvent lieu de documentaire sur les DVD et même ceux dont les effets spéciaux ont été supprimés au profit du virtuel se montrent ravis… On a ainsi trouvé qu'un producteur de films fameux des années 1960 avait une liaison avec le compositeur. Ou que le dernier maquilleur de la Hammer, Roy Ashton (un chanteur d’opéra accompli avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, mais lorsqu’elle prit fin, il a eu besoin d’un travail rémunérateur), requis pour être la voix chantante de Christopher Lee, a dit “Bien, il était assourdissant..” Ou que lorsque le responsable précédent du maquillage, Phil Leakey, se rendit dans son atelier pour prendre un engrenage tandis qu’une scène était filmée, la porte était verrouillée – des membres de l’équipe s’adonnaient à une relation sexuelle à l’intérieur de sa pièce et dirent “Phil, prend patience. Nous avons presque fini…” - nota, c’est sans doute plutôt la perspective d’un poste mieux payé que cette infortune ponctuelle qui a poussé le supérieur de Roy Ahston à quitter la compagnie…
- Les films de la Hammer n’ont-ils pas mis essentiellement en avant l’allure effrayante du monstre en laissant de côté sa capacité à susciter la sympathie au delà de sa différence comme l’acteur Boris Karloff dans ses incarnations de la Créature de Frankenstein et de la momie dans les productions de l’Universal des années 1930, à la possible exception du film La révolte de Frankenstein (Frankenstein must be destroyed) en 1969 présentant une Créature vengeresse mais aussi pitoyable interprétée par le talentueux Freddie Jones – on pourrait aussi dans ce registre penser au personnage disgracié de Quasimodo, à la fin émouvante du remake de King Kong de 1976, à Martin Brundle métamorphosé en mouche humanoïde et au chien affreusement transformé dans La Mouche 2 (The Fly 2). Est-ce que, d’une certaine façon, la Hammer n’a-t-elle pas été un peu enfermée dans un moule qu’elle s’est elle-même forgée ?
- Il est certain que les productions de la Hammer ont usé de l’aspect horrifique de leurs créatures. Freddie Jones suscite la sympathie dans Frankenstein must be destroyed. En dehors de celui-là, la Hammer a élaboré une formule – qui naturellement fonctionnait, mais ne laissait pas beaucoup de place pour l’analyse de la raison pour laquelle les choses se produisaient ou le ressenti de ceux qui en souffraient. Il haut ajouter que la fin de The Gorgon est marquée par les tristes sorts de personnes fondamentalement innocentes. Tout le monde périt… Les enfants de Never take Sweets/From a Stranger et These are the Damned (des enfants radioactifs enfermés dans un bunker comme survivants potentiels d’une guerre nucléaire) sont des personnages tragiques.
La souffrante Créature de Frankenstein incarnée par Freddie Jones dans Le retour de Frankenstein (Frankenstein must be destroyed) auquel un petit hommage a été consacré en ces pages suite à sa disparition (https://creatures-imagination.blogspot.com/2020/03/a-la-recherche-des-racines-des-etres.html), au travers des très réalistes illustrations que lui consacre le magazine de Richard Klemensen.
- Pour vous, est-ce que le cinéma fantastique est principalement source de divertissement, ce que des grands noms des effets spéciaux comme Jim Henson et Rick Baker - auxquels des dossiers ont été ici consacrés - semblaient considérer, ou bien s’apparente à une catharsis traitant de nos angoisses existentielles, comme l’écrivain Stephen King et le réalisateur David Cronenberg l’ont dit, de menaces mondiales comme Joe Dante le suggère au sujet de la bombe atomique dans Panic à Florida Beach (Matinee), ou même à une introspection de la réalité, presque comme un langage capable de convoquer au travers du symbolisme la nature profonde de la réalité – nous avons en mémoire qu’un certain nombre de spectateurs furent désorientés ou même déçus par la fin ouverte de The Thing, John Carpenter ayant souhaité se soustraire au standard de la fin heureuse réconfortante afin de laisser entendre, comme déjà dans l’épilogue du remake de 1978 de L’invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers), que le Mal n’est jamais vaincu comme nous le voyons aussi à la fin de La tempête du siècle (Storm of the Century), et que les torts et incompréhensions se faisant jour entre les individus sont irrémédiables comme à la fin de l’épisode de La Quatrième dimension (The Twilight Zone) L'abri (The Shelter) ?
- Je suis âgé et pas toujours un grand partisan des fins ouvertes. Naturellement, The Thing tel que tourné par John Carpenter est aussi réussi que possible. Mais un spectateur de mon âge est nostalgique du brillant final de la version réalisée en 1951 par Howard Hawks, La Chose d'un autre monde (The Thing from Another World). La Hammer, en quelque sorte, a plus en commun avec Monogram et PRC que de plus grands studios. Ses responsables étaient si tributaires des produits que le distributeur demandait qu’ils craignaient souvent de s’aventurer hors des sentiers battus. Le film favori du producteur Anthony Hind qu’il fit mener à terme était Never take Sweets/From a Stranger en 1959. Un triste conte sur l’enfance maltraitée. Il n’eut pas de succès au Royaume Uni et fut peu projeté aux Etats-Unis bien que le distributeur, Columbia, considérait qu'il s’agissait d’un merveilleux film et voulait le diffuser. Les censeurs et la Ligue catholique le firent pratiquement interdire. La même chose s’est produite avec These are the Damned. Le merveilleux film de Joseph Losey fut mis de côté.
- Est-ce que le genre d’épouvante de la Hammer vous semble intemporel en dépit du décor historique dans lequel les intrigues sont contées qui pourrait le rendre particulièrement attrayant pour un certain public, ou diriez vous néanmoins que ces productions reflètent même à minima certaines angoisses contemporaines ?
- Intemporel ? Oui. Depuis les Contes des Frères Grimm jusqu’à Poe et à ses pareils – Hammer les a concrétisés, bien qu’en tant qu’hommes d’affaires à la tête froide, les responsables restèrent soigneusement très loin de ce qui était attendu. Ses promoteurs savaient qu’ils devaient fournir un film bien fait, de qualité, avec une interprétation talentueuse, une bonne mise en scène et une photographie soignée. Par ailleurs, les dirigeants de la Hammer n’ont pas toujours obtenu l’aval nécessaire pour leur partition musicale généralement réussie. Anthony Hinds disait “nous n’avons jamais eu beaucoup d’argent en banque et la seule politique de la compagnie était de faire ce que les grands studios d’Hollywood nous demandaient”. Les critiques comme les fans appréciaient beaucoup les films, ce qui est gratifiant. Mais je suspecte qu’aucun d’entre eux n’a jamais rencontré les esprits des gens de la Hammer. Ceux-là étaient des artisans de grand talent, capables de créer des films qui ont passé l’épreuve du temps. Un statut dont beaucoup de films à l’approche plus ouvertement tournée vers une ambition artistique ne peuvent se targuer.
- Quels sont les films de la Hammer qui méritent le plus selon vous d’être visionnés ?
- Dans la veine science-fictionnelle, je conseillerais Les monstres de l’espace (Quatermass and the Pit). Celui que je montrerais à un cinéphile qui n’a jamais vu un film de la Hammer, afin de lui laisser apprécier par lui-même ce qu’était la compagnie Hammer, serait Horror of Dracula, un film bien écrit, sans temps mort ou fin inachevée, avec certains passages visuellement étonnants et une conclusion qui à l’époque fit hurler de terreur les spectateurs. Cependant, le meilleur des films d’horreur de la Hammer est The Brides of Dracula en 1960. Tout y est achevé, c’est la grande œuvre de Terence Fisher.
- Parmi les projets non concrétisés de la Hammer, lequel auriez-vous le plus aimé voir réaliser ?
- Je ne sais pas ce que cela aurait donné à l’écran, mais si Vampirella était sorti en 1976 comme prévu, je pense que cela aurait sauvé la carrière de Michel Carreras et la société Hammer.
- Pour moi, en dehors du mystérieux script de Jimmy Sangster Goldenfish Bowl in the Sun, une expédition solaire découvrant des extraterrestres, dont on ne connaît rien, c’est celui qui devait être consacré au monstre du Loch Ness, qui je suppose aurait été présenté sous un jour effrayant, une coproduction avec le studio japonais Toho – avez-vous certains détails sur le scénario envisagé ? Et connaissez-vous la raison exacte pour laquelle ce partenariat échoua ?
- Nessie était juste un projet trop ambitieux pour la Hammer à l’époque. Ils n’avaient pas de fonds à leur disposition et l’équipe ne comptait que trois personnes. A la fin, ils essayaient d’arracher plus qu’ils ne pouvaient mâcher. Le Nessie de la Toho aurait semblé surgir de l’univers de Godzilla, et ce n’est pas ce à quoi on se serait attendu de la part d’un film de plusieurs millions de dollars. Les producteurs de la Hammer voulaient engager Jim Danforth, qui avait fait les merveilleux effets spéciaux de Quand les dinosaures dominaient le monde (When Dinosaurs ruled the Earth) en 1968, mais il était indisponible car il travaillait alors sur un projet de remake de King Kong – nota : lequel devait utiliser comme son modèle l’animation par image et fut abandonné suite à la concurrence de la production de Dino de Laurentiis. A la fin, un film plus dans la lignée de ce que le Studio Amicus avait produit pour la compagnie American International (trois films inspirés par les aventures d’Edgar Rice Burroughs) aurait pu être mené à bien par la Hammer. Et encore une fois, aurait fait partie d’un long cheminement pour préserver la compagnie de la faillite. J’ai lu une fois que Michael Carreras au nom de la Hammer, tandis qu’il s’efforçait de persuader Columbia Pictures de financer Nessie, montra aux responsables le type d’effets spéciaux que Toho employait pour ses monstres. Les dirigeants de la Columbia se mirent à rire. Ce n’était pas encourageant…
- Je crois qu’il avait été envisagé d’utiliser principalement l’animation image par image pour donner vie aux reptiles volants du projet Zeppelin versus Pterodactyls ?
- En 1970, La Hammer ne pouvait une fois de plus obtenir les fonds nécessaires pour faire un brillant film épique comme Quand les dinosaures dominaient le monde (dont le coût final, publicité incluse, s’éleva pratiquement à une hauteur de 5 millions de dollars). Ils pensaient peut-être à user d’animation au début et à la fin, tandis que le milieu du film se déroulerait parmi les hommes sauvages comme leur production ratée de 1970 Creatures the World forgot – nota : le film fut réécrit plusieurs fois, finalement produit par Charles Band et achevé en juin 2023 sous le titre The Primevals ; il en a été largement rendu compte sur ce site dans l’article de novembre 2023.
- La Hammer se tourna finalement vers la télévision en proposant notamment La maison de tous les cauchemars (The House of All Nightmares), qui génère une certaine angoisse – avez-vous une même considération pour cette production que pour les films, et dans le cas contraire, qu’est-ce qui vous paraît faire défaut par rapport à eux ? Les épisodes que j’ai vus m’ont paru effrayants, en est-il de même pour vous ?
- La Hammer a toujours essayé d’obtenir un succès à la télévision. Cela remonte à 1958 lorsqu’elle produisit un pilote avec Columbia Pictures/Screen Gems – Tales of Frankenstein (que Columbia vient juste d’acheter afin d’obtenir les droits de diffusion de la suite de Frankenstein, Revenge of Frankenstein). Hell of the City en 1959 était un film que le directeur de la Hammer Michael Carreras espérait décliner en une série, de même pour Visa to Canton en 1960. La Hammer réalisa une grande série pour ABC en 1968, Journey to the Unknown, qui ne connut qu’une saison de 17 épisodes.
Durant toute le règne de Michael Carreras à la tête de la Hammer, les producteurs pensèrent toujours que leur seul espoir de perdurer résidait dans la télévision. Il y eut en 1980 la série La maison de tous les cauchemars (The Hammer House of Horror) fait par Roy Skeggs et Brian Lawrence, qui acquirent la Hammer de Michael Carreras en dépôt de bilan auprès de ses créanciers, et en 1983 la production Skeggs-Lawrence-la Hammer Hammer House of Mystery and Suspense. Un des plus récents groupes possédant la Hammer créa une série en streaming en douze parties Let the Right One in/ Let Me in en 2022 basée sur un film de la Hammer de 2012 lui-même inspiré d’un film suédois.
- La Hammer fut relancée récemment bien que les Studios Bray devraient être vendus. Souhaitez-vous que la Hammer soit fidèle à son héritage ou bien essaie d’explorer de nouvelles directions dans la limite de sa marque de fabrique, et concevez-vous des attentes particulières en la matière ?
- A la fin du mois de septembre 2023, John Gore a acquis la société Hammer Films. Il a une longue expérience du théâtre et de la télévision, ainsi que l’argent nécessaire pour produire plus de films Hammer. Je pense que les propriétaires précédents ont fait du bon travail avec notamment les deux films Woman in black. Mais l’aspect financier étant hors de leur contrôle, la compagnie a été entravée jusqu’à être mise sous séquestre au début de l’année 2023. Aussi, un tout nouveau futur débute pour la Hammer. Difficile de dire ce qui peut fonctionner auprès du public actuel. Espérons que la nouvelle Hammer saura trouver la bonne approche. De plus, les Studios Bray existent toujours. Tous les projets ayant envisagé de les transformer en appartements ont été abandonnés. De nombreuses émissions y sont réalisées et en 2020 y a été tournée la troisième partie du Dracula diffusé sur Netflix.
- Merci beaucoup pour ce long entretien qui je l’espère aura intéressé les lecteurs.
Mentionnons succinctement quatre disparitions récentes concernant lointainement notre sujet.
L'actrice britannique Maggie Smith s'est éteinte paisiblement le 27 septembre 2024 dans sa quatre-vingt dixième année. Récompensée par de nombreuses distinctions et notamment deux Oscars, elle avait figuré dans le dernier film mythologique usant d'effets spéciaux concrets, Le Choc des Titans (Clash of the Titans) de Desmond Davis en 1981, incarnant la déesse Thétis qui déchaîne sa colère contre le héros Persée, lequel est alors contraint d'affronter le redoutable Kraken pour sauver sa bien-aimée Andromède auquel elle doit être sacrifiée. Elle était l'épouse en second mariage du scénariste du film, Beverley Cross. Dans le domaine du fantastique, elle avait joué un autre personnage revêche dans Hook, la revanche du Capitaine Crochet (Hook) de Steven Spielberg et aussi incarné le Professeur Minerva McGonagall dans nombre de films de la saga Harry Potter jusqu'à ce que ses problèmes de santé l'en éloignent. Elle déplorait qu'à la différence du théâtre, sa notoriété imputable au cinéma et plus encore à la télévision avec la série Dowtown Abbey l'avait empêché de pouvoir dorénavant circuler seule dans l'espace public. Elle s'était consacrée à certaines actions caritatives, en tant que membre d'une association pour la prévention du glaucome, avait réalisé un dessin pour une vente aux enchères au profit de la protection des chats nécessiteux et avait versé en septembre 2011 4,6 millions de dollars néozélandais pour la reconstruction du théâtre de Christchurch détruit par un tremblement de terre. Elle avait survécu à un cancer du sein. Les deux enfants de sa première union sont eux aussi devenus acteurs.
Le scénariste Pierre Christin a disparu le 2 octobre 2024, suivant d'assez près le dessinateur Jean-Claude Mezières éteint le 23 janvier 2022 comme il en avait été rendu compte ici à l'époque. Il retrouva en 1965 à Salt Lake City où il enseignait la littérature cet ami d'enfance dont il avait fait la connaissance durant la guerre dans un abri anti-bombardements. Ils s'associèrent pour envoyer depuis les États-Unis au journal Pilote une courte bande dessinée, Les mauvais rêves, première aventure de la saga de science-fiction Valérian et Laureline qui débouchera sur de nombreux albums. Pierre Christin écrivit ses premiers scénarios sous pseudonyme afin de ne pas pâtir de la mauvaise réputation qu'avait alors la bande dessinée dans les cercles universitaires. Il écrivit aussi des nouvelles de science-fiction pour la revue française Fiction, puis des romans comme Les prédateurs enjolivés. Une autre association de longue date de Pierre Christin, toujours dans le registre de la science-fiction, l'unit au dessinateur d'origine serbe Enki Bilal, au style brut très reconnaissable. comme pour le recueil Mémoires d'outre-espace ; lorsque ce dernier passa à la mise en scène, il écrivit parmi d'autres scénarios celui de son film Bunker Palace Hotel, un huis-clos sur la fin d'une dictature imaginaire.
Dans le récit Le Plitch, figurant dans Mémoires d'Outre espace, qu'Enki Bilal a illustré, le dessinateur n'a pas hésité à donner à deux dirigeants confrontés à une créature amorphe carnivore à l'instar de la menace de Danger planétaire (The Blob), et qui rappelle aussi visuellement l'extraterrestre plastique de la nouvelle Le pantomorphe (The Pliable) de Daniel Galouye, les traits du président et du premier ministre de l'époque, tournés en ridicule, Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre.
Mentionnons au passage la disparition cet été, le 24 août 2024 à Nice, de l'explorateur français Michel Siffre des suites d'une pneumonie. Passionné par l'exploration des grottes dès l'âge de dix ans, il a fait partie des chercheurs qui expérimentaient sur eux-mêmes les conséquences physiologiques d'un séjour prolongé dans les grottes, où l'obscurité permanente fait rapidement perdre la notion du temps sans parler d'autres facteurs singuliers comme un taux considérable d'humidité qui façonne stalactites et stalagmites. Ces incidences sur la biochronologie de l'organisme ont des implications sur la vie dans l'espace où les systèmes sensoriels sont également désorientés, de sorte que ses expériences ont intéressé aussi bien le cosmonaute russe Youri Gagarine que la NASA qui l'a missionné pour passer pas moins de 205 jours dans la Midnight Cave au Texas.
On vient juste de l'apprendre, le réalisateur et scénariste William Sachs, ancien pilote durant la guerre du Vietnam pour l'aviation américaine, conflit auquel il a consacré un film, There is no No 13, et diplômé en sociologie, est décédé en avril de cette année. Il était notamment connu pour avoir réalisé deux petits films de science-fiction. Le premier, Le monstre qui vient de l'espace (The Incredible Melting Man), suit le parcours d'un astronaute dont la chair se liquéfie et qui est poussé à tuer pour assouvir son besoin de sang humain, alors que son ami le Docteur Nelson joué par Burr DeBenning* s'efforce de la protéger ; le film bénéficie des horrifiants maquillages de Rick Baker. Le réalisateur avait initialement l'intention d'opter pour une parodie de films d'horreur portée sur le surréalisme, mais les producteurs qui ont fait retourner postérieurement des scènes, ont préféré conserver à l’œuvre une tonalité plus tragique. Plus léger, Galaxina en 1980 est un space opera comique, qui fut couronné au festival du film fantastique de Bruxelles en 1983 et demeure tristement célèbre pour l’assassinat de l'interprète de son héroïne, Dorothy Stratten, par son petit ami jaloux - comme un peu plus tard Dominique Dunn après la sortie de Poltergeist. De la même manière que Le monstre qui vient de l'espace fut retouché postérieurement par les producteurs, il fut lui-même souvent amené à tourner en post-production des scènes pour des films réalisés par d'autres cinéastes dont les producteurs n'étaient pas satisfaits en l'état. Ses mérites furent régulièrement reconnus et seule la peur de la polémique en raison du sujet empêcha que son film sur le Vietnam se voit décerner l'Ours d'or au Festival international du film de Berlin en 1974.
* pour le spectateur français, l'acteur est surtout connu des plus observateurs comme l'adjoint du redoutable directeur d'une pension militaire joué par Patrick McGoohan dans l'épisode assez fameux Entre le crépuscule et l'ombre (By Dawn's Early Light) de la série Columbo.
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