mardi 17 mai 2022

LE PLUS DOUE DE LA FAMILLE ADAMS


    Aux États-Unis, les bandes dessinées mettant en scène des super-héros, ces personnages dotés de pouvoirs extraordinaires comme les Dieux de l’Olympe de la mythologie gréco-romaine, connaissent un grand succès, notamment depuis les années 1950, et dans la période récente, elles constituent une des sources principales d’inspiration d’Hollywood. Nombre de dessinateurs se sont fait une réputation bien établie dans le domaine et sont adulés par les amateurs, comme Jack Kirby et John Buscema, puis Mike Ploog, Kerry Gammill ou encore Neal Adams, qui vient de disparaître à New-York l’âge de 80 ans le 28 avril 2022 des suites d’une infection. L’artiste a aussi dessiné un certain nombre de couvertures d’albums de bandes dessinées ainsi que des posters de films.

        Le dessinateur avait notamment donné vie dans les années 1960 aux aventures des personnages de Green Lantern et de Batman dans les séries éponymes, puis à celles des X-Men, en leur appliquant un graphisme dynamique évocateur du montage cinématographique. Il avait aussi contribué à conférer un style plus sombre aux aventures du justicier masqué n’intervenant dorénavant plus que la nuit dans sa croisade contre le crime, approche qui inspirera les adaptations cinématographiques. Très impliqué dans son domaine professionnel, il s’attachait à ce que les artistes soient reconnus et il obtint qu’à la suite de l’achat des droits à DC Comics par les producteurs de la Paramount pour l’adaptation sur grand écran des aventures de Superman, l’éditeur crédite et rémunère les concepteurs eux-mêmes. Il avait fondé avec Stan Lee, célèbre créateur de super-héros à l’origine de l’autre grande maison éditant des albums consacrés aux super-héros, la société Marvel, un syndicat de défense des scénaristes et dessinateurs et avait pris vigoureusement position contre le modèle de contrat que cette société, au temps où elle était dirigée par l’éditeur en chef Jim Shooter, voulait imposer aux artistes indépendants qu’elle engageait, en leur déniant d’emblée toute prétention à exciper de la propriété de leurs travaux. Son fils estime que le dessinateur faisait preuve d'une affection paternelle pour tous ceux qu'il rencontrait.

        Au sein de son abondante production, Neal Adams a eu rarement l’occasion de concevoir des créatures comme celles qui représentent le centre d’intérêt de ce site, à part quelques bandes dessinées consacrées à des êtres monstrueux comme les loups-garous. Il avait cependant à l'occasion de quelques bandes dessinées consacrées à Conan confronté le personnage de Barbare imaginé par l’écrivain Robert Howard à quelques monstres monumentaux, une gigantesque limace habitant une grotte dans le numéro 37 et une sorte de pieuvre monstrueuse d'allure lovecraftienne pour la couverture du numéro 45.

La limace titanesque que découvre Conan le Barbare dans The Curse of the Golden Skull dans l'album "Conan numéro 37", une aventure dessinée par Neal Adams.

Tandis que l'aventure de The Demon of Dark Valley était du ressort de Sal Buscema dans le numéro 45 de Conan, la couverture en fut dévolue à Neal Adams.  

Un monstre effrayant dessiné par Neal Adams.
                                  
Un Ptérodactyle emporte le héros dans cette adaptation de Tarzan at the Earth's Core d'après Edgar Rice Burroughs.

L'Homme-Chose (Man-Thing) de Marvel, un homologue de La Créature du Marais (The Swamp Thing) de Len Wein et Bernie Wrightson (voir hommage à celui-ci) chez DC Comics, ici recréé en 1998. Le dessinateur indépendant a collaboré aussi bien avec DC Comics et Marvel, les deux grands éditeurs concurrents.

Monstres démoniaques figurant sur la couverture de l'album Monsters de Neal Adams.

       De manière occasionnelle, Neal Adams a collaboré à quelques projets cinématographiques, particulièrement deux films réalisés en 1986 par Stuart Gordon (voir l’hommage posthume en ces pages), Les poupées (The Dolls), un inquiétant conte sur un couple changeant ses invités en poupées meurtrières, et Aux portes de l’au-delà (From Beyond), adaptation d’une nouvelle d’Howard Phillips Lovecraft traitant de l’invention d’un dispositif permettant d’ouvrir un passage dans une autre dimension, dont s’échappent de monstrueuses et redoutables créatures.


Esquisses de Neal Adams pour le film Aux portes de l'au-delà (From Beyond), en haut, la matérialisation de créatures ondulant autour du "résonator", et l'apparition de celles-ci dans le film, en dessous.


Illustration représentant le savant Pretorius littéralement changé en "pervers polymorphe" pour reprendre l'expression de la psychanalyse freudienne.




Nouvelle incarnation du savant Pretorius ayant fusionné avec un être protéiforme, se métamorphosant en un être d'épouvante. 





Un plan non tourné d’Aux portes de l’au-delà (From Beyond) dessiné par Neal Adams devait montrer brièvement le personnage de Crawford Tillinghast joué par Jeffrey Combs à l’intérieur du gosier de la créature surgissant dans la cave, inspirée de la lamproie en dépit du renfort du policier joué par Bubba Smith, avant qu’elle ne le recrache. Dans le film, on le voit être englouti par la créature dont il ressort à peu près indemne, à l’exception de sa chevelure, réapparaissant totalement glabre.

    Neal Adams avait livré en 1980 un travail conceptuel pour l'adaptation d’un roman de l’auteur de science-fiction Arthur C. Clarke envisagée par le Studio Universal, Les enfants d’Icare (Childhood’s End). L'écrivain n’avait pas cherché à dépeindre des êtres extraterrestres vraisemblables comme dans ses romans La Cité et les astres, Chants de la Terre lointaine2010 : Odyssée Deux ou dans ses nouvelles Avant l’Eden et Hors du Soleil, mais s’était inspiré de son attrait pour le surnaturel, en imaginant des visiteurs de l’Espace affirmant vouloir aider l’humanité, bien que leur l’apparence déstabilisante pour les Terriens était exactement celle de démons, semblant issus des représentations de l’enfer de Hieronymus Bosch et de Gustave Doré. Neal Adams parvint à convaincre les producteurs que son procédé de fixation des ailes pour les créatures était réalisable, et l'essai le confirma. Cependant, l'ampleur du projet que laissaient augurer ses illustrations, avec ses vaisseaux spatiaux et ses vastes décors incluant aussi des dinosaures, finit par inciter le studio à renoncer. Le roman sera finalement transcrit par la Chaîne SyFy en 2015 sous forme de série télévisée, Childhood’s End : Les enfants d’Icare (Childhood’s End).

 Les extraterrestres d'allure diabolique inventés par Arthur C. Clarke, représentés en 1980 par Neal Adams pour le projet d'adaptation cinématographique par Universal. 


Scènes de Childhood's end figurées par Neal Adams, incluant des dinosaures.

Les extraterrestres cornus à l'apparence démoniaque voient finalement le jour à l'occasion d'une série télévisée produite en 2015 par la chaîne Sy-Fy (ex Sc-FI Channel).

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site officiel : http://nealadams.com/

biographie complète pour les anglophones : 

http://illustrationartgallery.blogspot.com/2012/10/neal-adams.html

http://www.tcj.com/neal-adams-1941-2022/

échantillons de ses contributions à la bande dessinée :

http://bibliosity.blogspot.com/2010/05/incredible-graphic-arts-of-neal-adams.html

Le film Aux portes de l'au-delà a déjà été évoqué à l'occasion de la disparition du réalisateur Stuart Gordon et de son spécialiste attitré des effects spéciaux et un des principaux responsables de ceux de cette adaptation d'une nouvelle de Lovecraft, John Carl Buechler.

Stuart Gordon : https://creatures-imagination.blogspot.com/2020/08/cetait-un-des-maitres-de-lempire.html

John Carl Buechler : https://creatures-imagination.blogspot.com/2019/05/un-serviteur-de-lempire-aux.html

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Disparition de l'acteur Fred Ward :

Décédé le 8 mai 2022 à l’âge de 79 ans, l’acteur américain Fred Ward était notamment connu des cinéphiles pour sa participation à un célèbre film de monstres de la fin des années 1980, Tremors. Après avoir servi durant trois années dans l’armée de l’air américaine, il avait suivi des cours de comédie. Il avait aussi pratiqué la boxe, se faisant casser trois fois le nez, contribuant à lui façonner son physique râblé.

Fred Ward (à gauche) et Kevin Bacon, vedettes du film TREMORS.

Il fit ses débuts à l’écran au début des années 1979, à la télévision dans la série L’ère des Médicis en 1973 puis sur le grand écran l’année suivante. Il incarne au côté de Clint Eastwood dans L’évadé d’Alcatraz (Escape from Alcatraz) de Don Siegel en 1979 un des trois fugitifs de la célèbre évasion réussie le 11 juin 1962 depuis ce lieu dont les limites étaient censées être infranchissables, à la consternation du directeur de la prison interprété par Patrick McGoohan, qui s’est fait ironiquement connaître pour le rôle-titre de sa série Le Prisonnier (The Prisoner) dans lequel il ne cessait de tenter de s’évader – autre touche piquante, le réalisateur concrétise une séquence véritable au cours de laquelle les évadés trompent la vigilance des gardiens en façonnant des mannequins à leur effigie, rappelant les duplicatas d’origine extraterrestre en cours d’achèvement destinés à se substituer à de véritables êtres humains dans ce classique de la science-fiction que Siegel avait mis en scène en 1956 dans L’Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers) qu’avait confectionnés le studio de Don Post.

Fred Ward apparaîtra dans l’évocation d’autres restitutions de l’histoire américaine récente, la Guerre du Vietnam dans Retour vers l’enfer (Uncommon valor) en 1983, réalisé par Ted Kotcheff qui avait déjà abordé le thème de ce conflit avec Rambo (First Blood) et la même année la restitution des débuts du vol supersonique dans L’Étoffe des héros (The Right Stuff) dans lequel il joue l'astronaute Gus Grissom sous la direction de Philip Kaufman – lequel pour l’anecdote a réalisé le premier remake de L’Invasion des profanateurs de sépultures de Siegel cité ci-dessus. En 2009, il incarne le Président Ronald Reagan dans une recréation d'un affaire célèbre d'espionnage de la guerre froide, Farewell, mise en scène par Christian Carion.

Tremors de Ron Underwood renouvelle en 1989 l’approche des films de monstres, avec contant les infortunes d’un petit groupe assiégés par des vers géants d’une espèce inconnue, qui trouve refuge momentanément sur les toits d’habitations – film qui a aussi permis aux créateurs d’effets spéciaux Tom Woodruff et Alec Gillis, fondateurs du Studio ADI, de retrouver du travail après l’échec de leur projet de film. Fred Ward dans le rôle d’Earl Bassett et Kevin Bacon et dans celui de Valentine McKee sont les deux hommes à tout faire qui affrontent les premiers les redoutables créatures inconnues, avec bientôt le renfort d’un maniaque des armes, Burt Gummer joué par Michael Gross. Ce dernier revient en 1996 dans la première suite, Tremors II : les dents de la terre (Tremors : Aftershocks), suppléer au partenaire manquant, Bassett travaillant dorénavant seul, les deux hommes aguerris étant cette fois confrontés aux rejetons bipèdes des créatures, avant que dans les volets ultérieurs, Michael Gross finisse par tenir seul la vedette, devenant la nouvelle incarnation de la franchise.

Le réalisateur de TREMORS, Ron Underwood, entre ses deux vedettes, Kevin Bacon et Fred Ward.

Fred Ward contemple le bec fendu dont dépasse un des tentacules buccaux d'un "Graboïde" mort.

Fred Ward (au fond) et Michael Gross (avec l'arme) aux côtés d'Helen Shaver dans Tremors 2 : les dents de la terre.

Un poulet ? Un oiseau ? Non, la forme juvénile des vers géants.

En 1991, Fred Ward se voit investi de la responsabilité d’incarner une version très libre du fameux écrivain américain Howard Phillips Lovecraft, en dépit d’une ressemblance physique approximative (Jeffrey Combs est plus vraisemblable dans le rôle de l’auteur intervenant entre les sketchs de Necronomicon produits par Brian Yuzna en 1993), dans Détective Philippe Lovecraft (Cast a Deadly Spell), comédie fantastique dans laquelle le personnage renommé exerce curieusement la profession de détective et se heurte à des êtres surnaturels, notamment à un monstre lovecraftien convoqué par un arriviste prêt à lui sacrifier sa propre fille vierge à la manière de la Reine maléfique de Conan le destructeur (Conan the destructor) avec sa nièce, et qui est incarné par David Warner également à l’affiche de Necronomicon. Fred Ward était aussi apparu dans une courte série télévisée de science-fiction de la BBC, Invasion : Earth, en 1998, et dans un autre domaine fit partie de la distribution de la comédie Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ? (Naked Gun 31 1/3 : the final insult) de Peter Segall en 1994. 

Fred Ward dans le rôle éponyme d'un Lovecraft détective sur l'épaule duquel s'épanche une gargouille.

L'enquêteur Lovecraft s'apprête à interroger en prison un suspect patibulaire qu'on pourrait même qualifier de bestial.

Un aperçu du Grand Ancien.

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Si vous avez déjà entendu parler du film JUNK HEAD, film de Takahide Hori, sorti en salle le 18 mai 2022, c'était peut-être sur ce site. En effet, "Créatures et imagination, les êtres réels et les êtres imaginaires" avait évoqué ce projet de film apocalyptique animé image par image selon la technique popularisée par le créateur de King Kong Willis O'Brien et par son brillant successeur Ray Harryhausen (voir le long hommage sur ces pages à ce dernier en juillet 2013). L'oeuvre a pu être achevée grâce aux contributions des internautes ayant permis de concrétiser cet univers sombre comparable à celui de Phil Tippett, MAD GOD, réalisé avec la même technique et concrétisé au travers du même procédé de financement.


Les deux entreprises avaient été évoquées dans le même article, en novembre 2014, en même temps que d'autres intiatives, en cours ou pour beaucoup ayant déjà abouti, à l'exception du projet NEBULA en raison du décès de son initiateur : 

http://creatures-imagination.blogspot.com/2014/11/le-futur-de-lanimation-hors-dhollywood.html

Le lecteur peut visionner ci-dessous la bande-annonce du film :

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Un jour, j'avais été obsédé par tous les thèmes de Total Recall, le lendemain, j'appris que Jerry Goldsmith avait disparu la veille. Et le 18 mars en début d'après-midi, j'avais un thème flûté de 1492 qui me trottait dans la tête, je m'étais dit au vu de ce précédent que, si ça tombe, Vangelis était décédé et effectivement, il était mort le jour précédent à l'âge de 79 ans, bien que certains aient initialement dénoncé une rumeur - je pensais d'ailleurs aussi à lui ces tous derniers jours. Je n'affirmerais pas que je crois au surnaturel mais je ne suis pas sans m'étonner de ces coïncidences, comme si j'avais un lien particulier avec les génies de la musique de film...

Ce compositeur singulier composait en ignorant le solfège. D'origine grecque, Vangelis Papathanasiou avait d'abord était compositeur pour le groupe Aphrodite's Child autour du chanteur Demis Roussos. Il avait composé des musiques pour les documentaires de Frédéric Rossif sur la vie animale, collaboration débutée par L'Apocalypse des animaux, de nombreux thèmes inspirés par l'espace et l'univers futuriste avec notamment ses albums Direct en 1988 et The City en 1990, et ainsi illustré la série vulgarisatrice de Carl Sagan sur l'Univers, Cosmos. Il avait été à plusieurs reprises associé au cinéma, dès 1970 pour Sex Power d'Henry Chapier et avait reçu en 1982 l'Oscar pour la meilleure musique de film pour Les Chariots de feu (Chariots of God). Il savait composer une atmosphère envoûtante comme pour Blade Runner pour lequel il élabora un vrai univers sonore, Antarctica, 1492 (1492 : Conquest of Paradise) ou encore Les Révoltés du Bounty (The Bounty), le second remake avec Anthony Hopkins.


Pas réellement de créatures dans Blade Runner, mais un univers étouffant à l'atmosphère mélancolique généré par Vangelis, dans lequel on s'interroge sur ce qui différencie les humains des êtres artificiels.

Le morceau de Blade Runner "Tears in rain" a été repris avec la même charge émotionnelle par Hans Zimmer dans l'épilogue de Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. Adieu, Cher Vangelis, merci pour ces souvenirs qui mêleront nos larmes à la pluie...

    

Dossier sur sa composition pour Blade Runner pour les anglophones : http://www.nemostudios.co.uk/bladerunner/