Imaginer que des animaux puissent vivre sans lumière solaire n'était par contre pas invraisemblable, en supputant l'existence d'une chaîne alimentaire basée sur des microorganismes déjà connus, élaborant leurs nutriments sur une autre base que la photosynthèse. Cela n'empêcha pas des scientifiques d'avouer leur surprise au moment de la découverte d'une faune dans les sources sous-marines, vivant en symbiose avec des Bactéries dégradant les composés chimiques, tels les vers vestimentifères au beau panache branchial écarlate. Sous terre, la faune de la grotte de Movile en Roumanie offre un écosystème assez analogue.
La vie ne cesse de défier les limites que l'esprit humain lui assigne, avec la découverte d'écosystèmes miniatures dans les glaciers et l'incroyable résistance de certains animaux microscopiques - Rotifères et Tardigrades - à la dessiccation.
Une nouvelle découverte peut réellement étonner tous ceux qui se passionnent pour la vie. Une équipe de chercheurs italiens conduite par Roberto DAVONARO a trouvé dans de la boue sous-marine à une profondeur de 3000 mètres, au large de la Grèce, des animaux microscopiques pluricellulaires vivant sans oxygène. L'absence d'oxygène est généralement considérée comme défavorable aux réactions chimiques nécessaires au métabolisme d'organismes un tant soit peu élaborés, et on songe alors spontanément aux Bactéries anaérobies, survivance d'espèces primordiales adaptées aux conditions de la Terre primitive, c'est à dire à des formes de vie rudimentaires, beaucoup moins complexes que ces nouvelles formes animales profitant de semblables conditions.
Ces animaux aussi extraordinaires ne sont pourtant que les espèces voisines d'animaux déjà connus, représentants d'un petit groupe récemment trouvé dans le sable (faune microscopique dite "intersticielle", évoluant entre les grains de sable), les Loricifères, décrits en 1983 par Reinhardt KRISTENSEN, découvreur de plusieurs embranchements. Ces animaux ressemblent assez à des pots de fleurs, leur corps en forme de vase recouvert de plaques (constituant la lorica, d'où leur nom) étant surmonté d'un assortiment rayonnant d'appendices tentaculaires évoquant de longues feuilles. Ils sont ainsi les seuls représentants pourvus de tentacules se rattachant au groupe des Pseudocoelomates, un vaste ensemble d'animaux ayant un schéma de développement anatomique particulier, regroupant divers groupes mineurs d'animaux vermiformes comme les Kinorhynques découverts par DUJARDIN (voir l'article « la peoplisation du monde vivant » d'octobre 2009), ainsi que les Rotifères (animaux microscopiques ciliés abondant dans les mousses humides et les eaux douces riches en matières organiques), et les Nématodes (comprenant nombre d'espèces libres comme l'Anguillule du vinaigre et certains parasites, comme l'Ascaris intestinal et l'Oxyure).
Très belle figuration d'un représentant du groupe des Loricifères, digne des illustrations scientifiques du XIXème siècle.
Spectaculaire, mais peut-être pas si inédit
Cette découverte remarquable doit cependant être quelque peu relativisée en raison de l'existence d'un certain nombre d'espèces d'animaux unicellulaires, organismes plus complexes et évolués que les Bactéries, ayant également un mode de vie anaérobie.
Certaines sont des parasites bien connus se rencontrant habituellement dans le tube digestif de l'Homme, où ils causent des diarrhées, mais sont susceptibles d'infecter d'autres organes, pouvant par exemple engendrer des maladies vénériennes. Trichomonas vaginalis est un Flagellé parasite assez typique; Giardia duodenalis appartient quant à lui à un petit ordre de Flagellés plus singulier, les Diplomonadines; enfin, Entamoeba histolyca est un genre d' Amibe. Les parasites sont susceptibles de connaître bien des modifications afin de se conformer au mieux à leurs conditions de vie spécifiques, et cette physiologie particulière pourrait en être une adaptation.
Tous les Protozoaires anaérobies ne sont pas des parasites. Certaines Amibes et certains Protozoaires ciliés (groupe auquel appartient la Paramécie), tels que Metopus et Caenomorpha, vivent sans oxygène dans des lacs, en symbiose avec des Bactéries tirant leur énergie du méthane, produit à partir du carbone extrait du gaz carbonique grâce à l'hydrogène.
Un animal unicellulaire du groupe des Ciliés, Metopus, vivant sans oxygène.
Une survivance du passé ?
Des chercheurs avaient suggéré que les Flagellés anaérobies représentaient peut-être des formes ancestrales, survivantes de l'époque à laquelle notre atmosphère ne comportait guère d'oxygène, comme c'est probablement le cas pour les Bactéries qui, de nos jours, se tiennent à l'écart de celui-ci. Cette hypothèse s'oppose à l'idée traditionnelle selon laquelle c'est la production d'oxygène liée à la photosynthèse, effectuée par des organismes rudimentaires de type bactérien comme les Stromatolithes fossiles, qui aurait permis aux premières cellules modernes à noyau ( eucaryotes ) comme les Protozoaires flagellés, de se développer. Le fait que les Protozoaires de groupes divers aient engendré des espèces anaérobies laisse plutôt à penser que celles-ci se sont modifiées secondairement, en transformant leurs mitochondries* en hydrogénosomes fonctionnant sans oxygène. Que des animaux pluricellulaires anaérobies soient eux-mêmes très proches d'espèces aérobies voisines, comme l'illustrent les Loricifères méditerranéens, conforte cette approche. Il y aurait ainsi, en dehors de microbes primordiaux issus des conditions de la Terre primitives, première étape de l'évolution du vivant, d'autres organismes plus élaborés s'étant accoutumés progressivement à des milieux sans oxygène, dans leur quête de niches écologiques vacantes, à la manière des animaux des sources hydrothermales, en lesquels on a parfois aussi voulu voir une faune résiduelle issue du magma originel.
La réédition de faits anciens ?
La découverte de petits animaux marins pluricellulaires vivant totalement sans oxygène éclaire par ailleurs la mise à jour, en 2008 au Gabon, d'un site de fossiles âgé de 2,1 milliards d'années. Ces formes sont antérieures d'environ un milliard et demi d'années aux fossiles d'organismes macroscopiques, comme les premiers animaux authentifiés, à tel point que nombre de spécialistes ont commencé par nier jusqu'à leur existence, et qu'un géologue qui avait mis à jour un premier exemplaire des années plus tôt, avait fini par le jeter, gagné par l'incrédulité.
Comme pour toutes les fossiles d'organismes rudimentaires d'espèce inconnue, les spécimens se prêtent à bien des interprétations. Leur taille comme leur forme induisent spontanément à les considérer comme des organismes pluricellulaires. Néanmoins, il faut là encore se rappeler de l'extrême plasticité de la vie. Kakabekia, de très petite taille, qui existe depuis 2 milliards d'années, ne ressemble guère, avec son allure tenant à la fois du champignon et du parapluie, à l'idée qu'on se fait généralement d'un microorganisme. Par ailleurs, l'algue Acetubularia, qui ressemble à un parasol, peut atteindre six centimètres de haut, ce qui est déjà fort respectable pour une simple cellule, d'ordinaire invisible à l'œil nu. Par conséquent, ni l'aspect ni la taille ne doivent conduire à discréditer à priori l'hypothèse d'Unicellulaires de taille inhabituelle.
Il existe des fossiles assez énigmatiques qui se rapprochent de ceux du Gabon, trouvés notamment en Namibie et en Terre-Neuve, et qui sont interprétés comme des Pluricellulaires - lesquels furent déjà sommairement évoqués dans l'article sur DARWIN et la controverse sur l'évolution en février 2009. Il s'agit là aussi de créatures paraissant plutôt végétatives, parfois ancrées par un pédoncule, à la manière du genre de "tige" repliée visible sur certains fossiles gabonais. Certains chercheurs les interprètent comme des esquisses sans lendemain, d'autres, plus pragmatiques, dont j'aurais plutôt tendance à partager l'opinion, sont enclins à les rapprocher de formes actuelles équivalentes, Eponges et Anémones de mer. Quelles qu'elles soient, ces structures existaient il y a un peu plus de 700 millions d'années, soit bien après celles trouvées au Gabon. Si l'étude de ces formes fossiles africaines confirmait l'interprétation pluricellulaire - Chris NEDIN donne à l'inverse des exemples de structures similaires imputables à des colonies de bactéries sur son blog : http://ediacaran.blogspot.com/2010/07/21-ga-multicellular-colonial-organisms.html - tandis que le spécialiste renommé de la vie précambrienne, Adolf SEILACHER, pense quand à lui qu'il ne s'agît pas de véritables fossiles mais de concrétions - l'âge des formes animales les plus anciennes serait ainsi triplé...
Un timbre australien représentant un fossile assez mystérieux, Inaria, qui rappelle quelque peu les fossiles du Gabon, bien que celui-ci vivait beaucoup plus récemment, aux alentours de "seulement" 600 millions d'années.
L'idée que l'on se fait de la chronologie du développement de la vie sur notre planète ne serait pas la seule à être affectée. En effet, à cette époque, l'atmosphère était encore tout à fait toxique selon nos critères contemporains, même si les organismes photosynthétiques les plus rudimentaires avaient commencé à augmenter légèrement le taux ambiant (autour de 2%). Stefan BENGSTON du Muséum d'histoire naturelle de Stockholm suppose ainsi que cet événement connu des géologues sous le nom de "Grande oxydation" aurait permis l'essor, peut-être éphémère, d'une première vie animale. Il est vrai que des microorganismes comme Kakabekia qui supporte très bien les grandes concentrations d'ammoniac paraîtraient davantage appropriés à vivre dans les conditions qui régnaient il y a un peu plus de 2 milliards d'années sur notre planète, mais après tout, les Loricifères de Méditerranée démontrent que, si la vie animale prospère dans une atmosphère riche en oxygène, celui-ci ne lui est pas indispensable.
Que des animaux relativement élaborés puissent ainsi vivre sans oxygène au sein même de notre planète ne peut en tout cas que relancer les spéculations sur la possibilité d'existence d'espèces extraterrestres qui seraient susceptibles de vivre dans des milieux qui nous semblent à priori hostiles, comme la planète Venus ou même au sein d'astéroïdes ou de comètes. Démonstration est une nouvelle fois faite de l'incroyable capacité d'adaptation de la vie...
Nombre d'auteurs de science-fiction ont imaginé une vie extraterrestre se développant dans des atmosphères très différentes de la nôtre, comme Hal CLEMENT dans son roman QUESTION DE POIDS (MISSION OF GRAVITY) et sa planète Mesklin pourvue d'une atmosphère d'hydrogène et d'un océan de méthane (ci dessus, deux habitants évoquant des mille-pattes), Arthur CLARKE et ses formes de vie adaptées au mélange d'hydrogène et d'hélium de Jupiter dans la nouvelle RENDEZ-VOUS AVEC MEDUSE (A MEETING WITH MEDUSA), ou encore John CHRISTOPHER dont les envahisseurs de sa trilogie LES TRIPODES (THE TRIPODS) viennent d'un monde pourvu d'une atmosphère qui nous apparaîtrait comme toxique.