Il en va de même pour Stanley WEINBAUM, écrivain de science-fiction né en 1902, décédé le 14 décembre 1935, emporté par un cancer de la gorge à l'âge de 33 ans, carrière fulgurante, mais suffisante, pour, à l'instar de Robert HOWARD et William Hope HODGSON, avoir eu le temps de laisser une production significative et une trace mémorable dans l'histoire de la littérature d'imagination. Stanley WEINBAUM avait entamé des études de chimie, qu'il avait assez rapidement abandonnées pour se consacrer complètement à l'écriture. ( sa veuve a précisé qu'il s'investissait dans la littérature depuis l'âge de 20 ans, comme en attestent notamment ses poèmes et certaines ébauches; il avait abandonné ses études parce qu'il avait été mis en cause et exclu de l'université pour une tricherie, où il avait aidé un autre étudiant, décision à la suite de laquelle il avait, dans un sursaut d'orgueil, décidé de ne pas revenir ). H.P. LOVECRAFT loua son imagination lui permettant de concevoir des situations, des créatures et des psychologies réellement originales. Sa nouvelle la plus fameuse, L'ODYSSÉE MARTIENNE avait ainsi été choisie en 1970 par les plus grands écrivains de science-fiction pour figurer en tête de l'anthologie "The greatest SF stories of all time" constituée par l'Association des Écrivains de Science Fiction d’Amérique. On l'a comparé à Herbert George WELLS, avec lequel il aurait d'ailleurs partagé le sentiment que les récits de science-fiction, dont la qualité a pourtant assuré leur postérité, ne représentaient pas la part la plus "noble" de leur œuvre. Sa renommée valut même à un cratère martien d'être nommé en référence à son nom. En France, il était pratiquement le seul auteur issu des pulps des années 1930 à figurer dans les anthologies de science-fiction, et un roman avait paru, LA FLAMME NOIRE, un récit sur une terre post-apocalyptique sur laquelle des scientifiques devenus immortels combattent des mutants et œuvrent à la renaissance de l'humanité, en fait deux nouvelles refondues qui auraient été clairement destinées à être intégrées dans un cycle commun, le personnage principal étant déjà évoqué dans certains poèmes de ses débuts, et surtout dans le roman LE NOUVEL ADAM, dont les premiers jets sont largement antérieurs à l'écriture de LA FLAMME NOIRE.

L'année 2008 a remis à l'honneur cet auteur de l'âge d'or de la science-fiction américaine. Aux Etats-Unis, le prix de la "redécouverte Cordwainer Smith" * lui a été attribué; William Hope HODGSON en avait été précédemment gratifié en 2006. Un peu plus tôt, les éditions Coda** ont publié une édition française complète des nouvelles de l'auteur, "Une Odyssée martienne, intégrale des nouvelles", faisant suite à une première publication intégrale par les éditions de l'Age d'or l'année précédente, qui avaient proposé deux recueils de nouvelles de Stanley WEINBAUM traduites par Robert SOUBIE et enrichies de nombreuses notes, "La Péri rouge et autres histoires de science-fiction" ainsi qu' "Une odyssée martienne et autres histoires de science-fiction", de même qu' une réédition complétée de LA FLAMME NOIRE, ouvrages édités à compte d'auteur, investissement qui mérite d'être salué et encouragé***. L'autobiographie de Stanley WEINBAUM se lit avec une émotion particulière puisqu'il l'a écrit en juin 1935, pour "Fantasy Magazine", soit seulement six mois avant d'être emporté par la maladie. On peut noter que les éditions Coda ont choisi de présenter sous forme de cahier central les couvertures en petit format des différentes éditions des œuvres de Stanley WEINBAUM, ainsi que celles des magazines littéraires de l'époque au sein desquels ses nouvelles parurent initialement, et dont les couvertures n'illustraient pas toujours un récit de l'auteur; plus discutable est la mise en exergue pour la couverture du recueil lui-même d'une illustration de Virgil FINLAY certes attrayante, mais apparemment sans rapport avec une nouvelle de Stanley WEINBAUM. Robert SOUBIE propose quant à lui la première version intégrale de LA FLAMME NOIRE, toutes les versions précédentes ayant été expurgées d'environ douze mille mots, ainsi qu'un texte de Sam MOSKOWITZ narrant l'histoire étrange de ce roman. Un dernier roman, LE CERVEAU FOU, dont Robert SOUBIE vient d'achever la traduction, devrait paraître prochainement. On ne peut que saluer les initiatives des éditions de l'Age d'or et des éditions CODA, qui permettent pour la première fois au lecteur français d'accéder à l'œuvre de cet écrivain renommé, contribuant ainsi à réhabiliter une époque de la science-fiction américaine trop souvent déjugée d'emblée.
La plus célèbre nouvelle de WEINBAUM traduite en français est incontestablement L'ODYSSÉE MARTIENNE selon l'appellation sous laquelle elle est traditionnellement connue ( ou UNE ODYSSÉE MARTIENNE, selon le titre original, comme repris dans le recueil traduit par Robert SOUBIE ), dans une veine qu'on pourrait rapprocher de celle de J.H. ROSNY AINE, en particulier de son roman LES NAVIGATEURS DE L'INFINI. Il s'agit d'un récit qu' un astronaute accidenté, Jarvis, fait à ses collègues de sa rencontre avec différentes formes de vie martiennes, racontée avec le naturel d'un récit de l'aventurier et ethnologue Paul-Émile VICTOR. La figure principale parmi celles-ci en est Tweel, bipède aux allures d'Autruche, pouvant aussi évoquer un Dinosaure coureur. L'auteur se montre bien plus imaginatif que tant de films hollywoodiens ultérieurs qui mettront en scène des extraterrestres à l'aspect humain - parfois même des starlettes en bikini - parlant souvent de surcroît un parfait anglais sans avoir jamais écouté la BBC... A l'opposé, Stanley WEINBAUM retranscrit avec réussite la tentative de communication du principal protagoniste avec ce "Vendredi" extraterrestre et la manière dont une certaine intelligibilité, certes limitée, parvient à s'établir entre les deux êtres. D'autres espèces parsèment le territoire traversé par le naufragé, représentées ci-dessous par différents artistes. Le succès de l'œuvre, et la brutale séparation entre l'humain et le Martien dans le dénouement, appelait une suite, ce qui fut réalisé avec LA VALLÉE DES RÊVES, laquelle fut également traduite en français dans les années 1980; l'auteur imagine que l'espèce des Martiens humanoïdes a pu visiter notre planète il y' a quelques milliers d'années, les explorateurs découvrant en effet des fresques rappelant celles observées dans l'Égypte antique, le long nez de l'extraterrestre se retrouvant chez la divinité Toth - qu'on pensait avoir été plus prosaïquement inspirée par l'Ibis et son bec courbé !.. LA VALLÉE DES RÊVES est en fait, comme le précise Robert SOUBIE, la version initiale de L'ODYSSÉE MARTIENNE, que l'auteur, insatisfait, avait repoussée, et qu'il a finalement reprise et travaillée à la demande de l'éditeur pour faire suite au succès rencontré par la célèbre nouvelle.





Stanley WEINBAUM avait aussi imaginé l'écosystème de Venus. Beaucoup d'auteurs se sont interrogés sur la manière dont la vie pluricellulaire pouvait se distinguer suivant les deux catégories essentielles des végétaux et des animaux, cherchant à définir des critères discriminants en dépit des multiples variations audacieuses du modèle végétal déclinées dans la science-fiction telles que la mobilité, la carnivorité, voire l'intelligence. Stanley WEINBAUM a très probablement proposé la plus originale et intéressante définition de la question dans sa nouvelle LES MANGEURS DE LOTUS. Il imagine qu'une espèce intelligente, pourvue d'une forme de conscience, s'est développée sur Venus à partir d'une lignée végétale, et que ce qui la différencie des véritables animaux comme leurs prédateurs tripodes est l'absence d'instinct de survie, occasionnant leur passivité et leur résignation pathétique quelque peu poignante face à leur situation de proies. Se défiant décidément de tout anthropocentrisme, l'auteur rappelle que l'omniprésence des Insectes ou des Nématodes - dont un naturaliste a écrit que ces vers minuscules sont si abondants et omniprésents que si toute matière disparaissait subitement à l'exception des Nématodes, on reconnaîtrait encore la forme des paysages, et même celle des arbres - pourrait, d'un certain point de vue, être considérée tout autant comme une réussite au plan de l'évolution que celle de l'homme. Le titre de MANGEURS DE LOTUS choisi originellement par le traducteur et anthologiste Georges GALLET, qui a le premier proposé le texte aux lecteurs français, occulte quelque peu l'acception originale: les Lotus auxquels se réfère WEINBAUM sont sans rapport avec la plante à fleurs bien connue, mais sont des fruits fantastiques, plus couramment désignés sous le terme de "Lotos", provoquant chez celui qui l'ingère une torpeur, comme le rapporte HOMÈRE dans un épisode de L'ODYSSÉE, lequel avait également également inspiré à Lord Alfred TENNYSON un poème publié en 1832. C'est la raison pour laquelle Robert SOUBIE a quant à lui choisi pour son recueil de restituer la référence de WEINBAUM au mythe grec, en optant pour le titre LES LOTOPHAGES.
Stanley WEINBAUM a contribué de manière notable à alimenter le bestiaire extraterrestre; on pourrait encore citer, à titre d'exemple, le ver monophtalme de la nouvelle FUITE SUR TITAN - titre aussi traduit par VOL SUR TITAN si on ne fait pas directement référence à la notion de course contre le temps qui imprègne l'histoire, représenté avec la bouche dilatée, conformément à la description, sur la couverture de l'édition Avon, ce qui lui confère superficiellement l'allure d'un Nématode du sol, l'Anguillule, pris au lasso du piège à nœud coulant d'un Champignon microscopique.
La nouvelle FUITE SUR TITAN ( FLIGHT TO TITAN ) a aussi été publiée sous le titre A MAN, A MAID AND SATURN'S TEMPTATION, titre qui évoque le récit biblique d'Adam et Eve au Paradis, et l' illustrateur, du nom de J. GAMA, y fait explicitement référence.

On peut lire en ligne sa traduction de L'ILE DE PROTÉE :
http://www.astrosurf.com/soubie/stanley_g__weinbaum.htm
** http://www.editions-coda.fr/
*** http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=1040304