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vendredi 30 juillet 2010

LA VIE ANIMALE SANS OXYGENE EST POSSIBLE

Loricifère, animal minuscule vivant dans les boues océaniques


Il arrive que les biologistes manquent d'audace, n'envisageant la vie qu'au travers de ce qu'ils en connaissent déjà. Néanmoins, sa prodigalité outrepasse fréquemment les projections des esprits les plus audacieux.

Avant l'invention du microscope, seuls des philosophes avaient envisagé l'existence d'un monde vivant infiniment petit. De la même manière, on pouvait difficilement concevoir, au XIXème siècle, qu'une vie variée pût exister dans les abysses sous-marins sous une pression considérable, avant de découvrir que des organismes, aussi bien à corps mou que d'autres frêles aux articulations fragiles, avaient pu s'adapter à ces conditions.

Imaginer que des animaux puissent vivre sans lumière solaire n'était par contre pas invraisemblable, en supputant l'existence d'une chaîne alimentaire basée sur des microorganismes déjà connus, élaborant leurs nutriments sur une autre base que la photosynthèse. Cela n'empêcha pas des scientifiques d'avouer leur surprise au moment de la découverte d'une faune dans les sources sous-marines, vivant en symbiose avec des Bactéries dégradant les composés chimiques, tels les vers vestimentifères au beau panache branchial écarlate. Sous terre, la faune de la grotte de Movile en Roumanie offre un écosystème assez analogue.

La vie ne cesse de défier les limites que l'esprit humain lui assigne, avec la découverte d'écosystèmes miniatures dans les glaciers et l'incroyable résistance de certains animaux microscopiques - Rotifères et Tardigrades - à la dessiccation.

Une nouvelle découverte peut réellement étonner tous ceux qui se passionnent pour la vie. Une équipe de chercheurs italiens conduite par Roberto DAVONARO a trouvé dans de la boue sous-marine à une profondeur de 3000 mètres, au large de la Grèce, des animaux microscopiques pluricellulaires vivant sans oxygène. L'absence d'oxygène est généralement considérée comme défavorable aux réactions chimiques nécessaires au métabolisme d'organismes un tant soit peu élaborés, et on songe alors spontanément aux Bactéries anaérobies, survivance d'espèces primordiales adaptées aux conditions de la Terre primitive, c'est à dire à des formes de vie rudimentaires, beaucoup moins complexes que ces nouvelles formes animales profitant de semblables conditions.

Ces animaux aussi extraordinaires ne sont pourtant que les espèces voisines d'animaux déjà connus, représentants d'un petit groupe récemment trouvé dans le sable (faune microscopique dite "intersticielle", évoluant entre les grains de sable), les Loricifères, décrits en 1983 par Reinhardt KRISTENSEN, découvreur de plusieurs embranchements. Ces animaux ressemblent assez à des pots de fleurs, leur corps en forme de vase recouvert de plaques (constituant la lorica, d'où leur nom) étant surmonté d'un assortiment rayonnant d'appendices tentaculaires évoquant de longues feuilles. Ils sont ainsi les seuls représentants pourvus de tentacules se rattachant au groupe des Pseudocoelomates, un vaste ensemble d'animaux ayant un schéma de développement anatomique particulier, regroupant divers groupes mineurs d'animaux vermiformes comme les Kinorhynques découverts par DUJARDIN (voir l'article « la peoplisation du monde vivant » d'octobre 2009), ainsi que les Rotifères (animaux microscopiques ciliés abondant dans les mousses humides et les eaux douces riches en matières organiques), et les Nématodes (comprenant nombre d'espèces libres comme l'Anguillule du vinaigre et certains parasites, comme l'Ascaris intestinal et l'Oxyure).

Très belle figuration d'un représentant du groupe des Loricifères, digne des illustrations scientifiques du XIXème siècle.

spectaculaire, mais peut-être pas si inédit

Cette découverte remarquable doit cependant être quelque peu relativisée en raison de l'existence d'un certain nombre d'espèces d'animaux unicellulaires, organismes plus complexes et évolués que les Bactéries, ayant également un mode de vie anaérobie.

Certaines sont des parasites bien connus se rencontrant habituellement dans le tube digestif de l'Homme, où ils causent des diarrhées, mais sont susceptibles d'infecter d'autres organes, pouvant par exemple engendrer des maladies vénériennes. Trichomonas vaginalis est un Flagellé parasite assez typique; Giardia duodenalis appartient quant à lui à un petit ordre de Flagellés plus singulier, les Diplomonadines; enfin, Entamoeba histolyca est un genre d' Amibe. Les parasites sont susceptibles de connaître bien des modifications afin de se conformer au mieux à leurs conditions de vie spécifiques, et cette physiologie particulière pourrait en être une adaptation.

Tous les Protozoaires anaérobies ne sont pas des parasites. Certaines Amibes et certains Protozoaires ciliés (groupe auquel appartient la Paramécie), tels que Metopus et Caenomorpha, vivent sans oxygène dans des lacs, en symbiose avec des Bactéries tirant leur énergie du méthane, produit à partir du carbone extrait du gaz carbonique grâce à l'hydrogène.

Un animal unicellulaire du groupe des Ciliés, Metopus, vivant sans oxygène.

Une survivance du passé ?

Des chercheurs avaient suggéré que les Flagellés anaérobies représentaient peut-être des formes ancestrales, survivantes de l'époque à laquelle notre atmosphère ne comportait guère d'oxygène, comme c'est probablement le cas pour les Bactéries qui, de nos jours, se tiennent à l'écart de celui-ci. Cette hypothèse s'oppose à l'idée traditionnelle selon laquelle c'est la production d'oxygène liée à la photosynthèse, effectuée par des organismes rudimentaires de type bactérien comme les Stromatolithes fossiles, qui aurait permis aux premières cellules modernes à noyau ( eucaryotes ) comme les Protozoaires flagellés, de se développer. Le fait que les Protozoaires de groupes divers aient engendré des espèces anaérobies laisse plutôt à penser que celles-ci se sont modifiées secondairement, en transformant leurs mitochondries* en hydrogénosomes. Que des animaux pluricellulaires anaérobies soient eux-mêmes très proches d'espèces aérobies voisines, comme l'illustrent les Loricifères méditerranéens, conforte cette approche. Il y'aurait ainsi, en dehors de microbes primordiaux issus des conditions de la Terre primitives, première étape de l'évolution du vivant, d'autres organismes plus élaborés s'étant accoutumés progressivement à des milieux sans oxygène, dans leur quête de niches écologiques vacantes, à la manière des animaux des sources hydrothermales, en lesquels on a parfois aussi voulu voir une faune résiduelle issue du magma originel.

La réédition de faits anciens ?

Franceville au Gabon, site hébergeant d'énigmatiques fossiles.

La découverte de petits animaux marins pluricellulaires vivant totalement sans oxygène éclaire par ailleurs la mise à jour, en 2008 au Gabon, d'un site de fossiles âgé de 2,1 milliards d'années. Ces formes sont antérieures d'environ un milliard et demi d'années aux fossiles d'organismes macroscopiques, comme les premiers animaux authentifiés, à tel point que nombre de spécialistes ont commencé par nier jusqu'à leur existence, et qu'un géologue qui avait mis à jour un premier exemplaire des années plus tôt avait fini par le jeter, gagné par l'incrédulité.

Comme pour toutes les fossiles d'organismes rudimentaires d'espèce inconnue, les spécimens se prêtent à bien des interprétations. Leur taille comme leur forme induit spontanément à les considérer comme des organismes pluricellulaires. Néanmoins, il faut là encore se rappeler de l'extrême plasticité de la vie. Kakabekia, de très petite taille, qui existe depuis 2 milliards d'années, ne ressemble guère, avec son allure tenant à la fois du champignon et du parapluie, à l'idée qu'on se fait généralement d'un microorganisme. Par ailleurs, l'algue Acetubularia, qui ressemble à un parasol, peut atteindre six centimètres de haut, ce qui est déjà fort respectable pour une simple cellule, d'ordinaire invisible à l'œil nu. Par conséquent, ni l'aspect ni la taille ne doivent conduire à discréditer à priori l'hypothèse d'Unicellulaires de taille inhabituelle.

Un des énigmatiques fossiles extrêmement anciens découverts au Gabon.

Il existe des fossiles assez énigmatiques qui se rapprochent de ceux du Gabon, trouvés notamment en Namibie et en Terre-Neuve, et qui sont interprétés comme des Pluricellulaires - lesquels furent déjà sommairement évoqués dans l'article sur DARWIN et la controverse sur l'évolution - article de février 2009. Il s'agit là aussi de créatures paraissant plutôt végétatives, parfois ancrées par un pédoncule, à la manière du genre de "tige" repliée visible sur certains fossiles gabonais. Certains chercheurs les interprètent comme des esquisses sans lendemain, d'autres, plus pragmatiques, dont j'aurais plutôt tendance à partager l'opinion, sont enclins à les rapprocher de formes actuelles équivalentes, Eponges et Anémones de mer. Quelles qu'elles soient, ces structures existaient il y'a un peu plus de 700 millions d'années, soit bien après celles trouvées au Gabon. Si l'étude de ces formes fossiles africaines confirmait l'interprétation pluricellulaire - Chris NEDIN donne des exemples de structures similaires imputables à des colonies de bactéries sur son blog : http://ediacaran.blogspot.com/2010/07/21-ga-multicellular-colonial-organisms.html - tandis que le spécialiste renommé de la vie précambrienne, Adolf SEILACHER, pense quand à lui qu'il ne s'agît pas de véritables fossiles mais de concrétions - l'âge des formes animales les plus anciennes serait ainsi triplé...

Un timbre australien représentant un fossile assez mystérieux, Inaria, qui rappelle quelque peu les fossiles du Gabon, bien que celui-ci vivait beaucoup plus récemment, aux alentours de "seulement" 600 millions d'années.

L'idée que l'on se fait de la chronologie du développement de la vie sur notre planète ne serait pas la seule à être affectée. En effet, à cette époque, l'atmosphère était encore tout à fait toxique selon nos critères contemporains, même si les organismes photosynthétiques les plus rudimentaires avaient commencé à augmenter légèrement le taux ambiant (autour de 2%). Stefan BENGSTON du Muséum d'histoire naturelle de Stockholm suppose ainsi que cet événement connu des géologues sous le nom de "Grande oxydation" aurait permis l'essor, peut-être éphémère, d'une première vie animale. Il est vrai que des microorganismes comme Kakabekia qui supporte très bien les grandes concentrations d'ammoniac paraîtraient davantage appropriés à vivre dans les conditions qui régnaient il y' a un peu plus de 2 milliards d'années sur notre planète, mais après tout, les Loricifères de Méditerranée démontrent que, si la vie animale prospère dans une atmosphère riche en oxygène, celui-ci ne lui est pas indispensable.

Que des animaux relativement élaborés puissent ainsi vivre sans oxygène au sein même de notre planète ne peut en tout cas que relancer les spéculations sur la possibilité d'existence d' espèces extraterrestres qui seraient susceptibles de vivre dans des milieux qui nous semblent à priori hostiles, comme la planète Venus ou même au sein d'astéroïdes ou de comètes. Démonstration est une nouvelle fois faite de l'incroyable capacité d'adaptation de la vie...

Nombre d'auteurs de science-fiction ont imaginé une vie extraterrestre se développant dans des atmosphères très différentes de la nôtre, comme Hal CLEMENT dans son roman QUESTION DE POIDS et sa planète Mesklin pourvue d'une atmosphère d'hydrogène et d'un océan de méthane ( ci dessus, deux habitants évoquant des mille-pattes ), Arthur CLARKE et ses formes de vie adaptées au mélange d'hydrogène et d'hélium de Jupiter dans la nouvelle RENDEZ-VOUS AVEC MEDUSE, ou encore John CHRISTOPHER dont les envahisseurs de sa trilogie LES TRIPODES viennent d'un monde pourvu d'une atmosphère qui nous apparaîtrait comme toxique.

( *: corpuscule (organite) de la cellule tirant de l'énergie de réactions chimiques basées sur l'oxygène, tandis que l'hydrogénosome réalise une opération similaire avec l'hydrogène ).

mardi 23 juin 2009

RETOUR SUR LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN

On avait signalé récemment à l'intention des lecteurs, à la suite de l'article de février 2009 évoquant le 200ème anniversaire de la naissance du grand naturaliste britannique, la diffusion sur la chaîne franco-allemande Arte du documentaire retraçant sa vie, LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN, réalisé par Hannes SCHULER et Katharina Von FLOTOW, représentant le savant au travers de reconstitutions, tournées en Bretagne, que le montage mêlait assez habilement à des plans issus de documentaires réalisés dans les contrées lointaines, séquences assortis de commentaires par des spécialistes.

DARWIN n'était sûrement pas du genre à voir des Iguanes roses partout; pourtant, il n'aurait pas été inconcevable qu'il en vît s'il avait séjourné plus longtemps dans l'archipel des Galapagos; cette espèce récemment découverte ne se trouve que sur les pentes d'un unique volcan.

Mettant en exergue la rupture que l'on pourrait qualifier de "révolution darwinienne" ( même si, de la même manière que je l'avais évoqué dans mon article sur "Darwin et la controverse sur l'évolution", le commentaire semble à un moment sous-entendre que les naturalistes précédents étaient déjà enclins à déceler dans la classification les affinités naturelles entre les espèces, soit en germe à esquisser une parenté entre elles ), le documentaire s'attache particulièrement à démontrer que cette nouvelle théorie explicative de la diversité du vivant s'est constituée avant tout en réaction contre la religion, le naturaliste anglais apparaissant comme une sorte de figure iconoclaste, prométhéenne, s'extrayant par son audace de l'obscurantisme chrétien, même si la fin du documentaire rappelle brièvement les états d'âme ayant baigné l'existence du savant. Ainsi, selon cette lecture, la science, s'appuyant sur les faits observables, rendrait compte de la réalité du monde en opposition directe avec la religion demeurant prisonnière de conceptions mythiques totalement obsolètes.

Il est bien connu que la religion chrétienne a commis effectivement de redoutables excès lorsqu'elle était avant tout un pouvoir, réfutant toute interprétation s'écartant de la vérité officielle, et dont l'un des faits les plus consternants fut l'exécution, non sans lui avoir préalablement coupé la langue, du théologien et astronome Gordiano BRUNO, accusé d'interprétation trop libre des textes sacrés, et notamment d'avoir postulé, pour exalter la Création divine dans toute sa richesse, la pluralité des mondes (il semble bizarrement qu'à l'époque, pour une raison qui mériterait d'être précisée par les historiens, il aurait été considéré comme acceptable d'émettre des doutes sur la virginité de la Vierge Marie ou de la divinité du Christ, mais pas d'évoquer l'existence d'autres planètes susceptibles d'abriter la vie*). Cependant à l'époque de GALILEE, le bûcher n'était déjà plus aussi certain pour ceux qui s'avançaient à remettre en cause les représentations du monde de l'époque. Au XIXème siècle en Europe, la religion imprégnait fortement les esprits mais n'interdisait plus les idées philosophiques variées et les théories scientifiques audacieuses - on se rappelle qu'auparavant, le Français Jean-Baptiste LAMARCK avait déjà connu quelque notoriété en postulant, en d'autres termes, la transformation des espèces. Ce rappel permet de relativiser quelque peu le clivage absolu esquissé par le documentaire, même si l'on n'omet en rien les réactions virulentes qui accueillirent la publication de ses travaux dans les milieux traditionnels et qui continuèrent longtemps à animer ses détracteurs.

Gordiano BRUNO, théologien et esprit audacieux à l'époque lointaine à laquelle, en Europe, les précurseurs de Camille FLAMMARION devaient faire preuve du plus grand courage pour affronter la censure religieuse.

Le documentaire présente dans cette optique le père de Charles DARWIN comme un chrétien obtus qui aurait porté sur la science le regard outragé d'un gardien du Temple face au dévoilement profane. Là encore, le temps était passé depuis que les institutions religieuses avaient proscrit toute étude du corps humain, et le père de DARWIN encourageait son fils à poursuivre des études de médecine, lesquelles ne convenaient d'ailleurs guère à ses dispositions personnelles. Charles DARWIN, effaré notamment par l'âpre lutte pour la survie dans la jungle sud-américaine ( tout autant cependant que par son étonnante profusion ), aurait été selon les auteurs animé d'un envie d'en découdre avec les conceptions chrétiennes. En réalité, le jeune homme était un vrai naturaliste passionné par la multiplicité de la vie. Il se consacra notamment à des études très complètes sur des espèces atypiques comme les Plantes carnivores et comme les Cirripèdes, ces Crustacés vivant fixés à l'âge adulte par la tête, telle la Balane de nos côtes, dont il étudia tous les types - à l'exception du sous-groupe des Rhizocéphales renfermant les espèces parasites spécialisées. Un polémiste essentiellement motivé par la volonté d'élaborer une grande théorie iconoclaste contre la religion, avec la fougue d'un NIETZSCHE, n'aurait certainement pas investi tant de temps à étudier les détails anatomiques et le fonctionnement particulier de tant d'organismes avant d'élaborer ses hypothèses, avec la passion de l'entomologiste FABRE cherchant avant tout à comprendre le monde le plus discret qui nous entoure.

Une des planches illustrant la monographie qu'à consacré DARWIN aux Cirripèdes, curieux Crustacés sessiles ( en bas, au milieu, un Conchoderma auritum de profil, animal parfois fixé aux Baleines, qui possède deux siphons aux allures d'oreilles de Lapin ; ci-dessous un groupe de ces plaisantes créatures conservées au Musée d'histoire naturelle de San Diego ).


DARWIN avait confié que, marqué par son éducation religieuse, ce n'était pas sans réticence que, progressivement, l'accumulation de ses observations l'avait amené à remettre en cause la représentation du monde qui était enseignée par la religion. Il semblerait même que ce soient en fait des raisons personnelles tragiques, la disparition de sa petite fille, qui aient fini par le faire douter définitivement de la bonté divine et de la Providence. Et cependant, alors même qu'il n'accompagnait plus le dimanche matin son épouse à l'office, Charles DARWIN continuait de faire des dons à des œuvres religieuses.

L'opposition entre science et religion n'est donc pas un clivage aussi absolu que les auteurs tendent à l'indiquer. D'ailleurs, comme évoqué dans l'article précédé, le Père Theilard de CHARDIN avait considéré que l'évolution était tout à fait compatible avec l'existence de Dieu, même si, contrairement à DARWIN, il imaginait qu'elle obéissait à un schéma directeur général univoque, ce qui paraît beaucoup moins évident de nous jours en dépit de son mouvement général vers la complexification, de la Bactérie à l'Homme.

Le Père THEILARD de CHARDIN.

Evidemment, le récit de la Genèse n'a plus qu'un rapport lointain avec l'histoire de notre planète telle que les disciplines scientifiques l'ont reconstituée, avec de plus en plus de précision. La naissance d'un individu plutôt que d'un autre semble effectivement relever de la plus incontestable contingence. L'évolution quant à elle, comporte encore des points demeurant partiellement obscurs en raison de la complexité des phénomènes, mais il est vrai qu'on pourrait admettre que le hasard a une part prépondérante dans l'histoire de la vie sur notre planète. Par contre, l'origine et la finalité de l'univers, ainsi que la question du sens qu'il conviendrait éventuellement de lui prêter, sont des interrogations qui demeurent problématiques, et la science, du moins en l'état actuel des connaissances, ne peut établir de manière irréfutable ni l'existence d'un Créateur, ni au contraire la nier fermement. Quant aux valeurs que chacun décide de donner à son existence, à la conception qu'on se fait de la morale, de l'éthique ou encore de la sexualité, aucun scientifique le plus brillant soit-il ne peut à bon droit s'en imposer le prescripteur, car cela relève des intimes convictions de chacun - point de vue que partageait également le fameux paléontologiste Stephen J. GOULD, évoqué dans l'article de février 2009, détracteur résolu des créationnistes, ce qui ne l'empêchait pas de fustiger l'ingérence des scientistes hors de leur discipline. Dans l'article précité, j'avais réfuté les différents procédés des auteurs se réclamant du créationnisme, qui visaient à discréditer l'idée d'une transformation progressive des êtres vivants au cours des âges au nom de la défense de la religion. Symétriquement, des auteurs utilisent les enseignements de DARWIN pour promouvoir une conception athée militante, voire même comme Richard DAWKINS, le célèbre auteur du GÈNE ÉGOÏSTE, pour organiser une campagne de dénigrement des prescriptions du christianisme, déviation contestable qui conduit un chercheur reconnu à quitter le terrain scientifique pour s'ingérer dans les valeurs morales de chacun.

Le scientifique Richard DAWKINS et son "service athée", un bus promouvant la conception libertarienne de la vie.

Une nouvelle fois, en tout cas, on vérifie la passion que les découvertes de Charles DARWIN continuent de susciter, de la part des fondamentalistes chrétiens en Amérique ainsi que de musulmans en Europe qui les rapportent à la religion dans la perspective de faire interdire, ou dans le meilleur des cas, de relativiser, leur enseignement en classe, tandis que des zélateurs du naturaliste instrumentalisent ses théories pour un combat qui relève d'un tout autre plan.

Il est tout de même un peu surprenant que ce débat, qui a été tranché à l'extrême fin du XIX ème dans le milieu scientifique par le ralliement de l'écrasante majorité des naturalistes, ne cesse de resurgir en étant mêlé à d'autres enjeux; on n'imagine pas, à l'inverse que les controverses au sujet de l'héliocentrisme défendu par GALLILE se soient maintenues jusqu'à notre époque, ou qu'il y'ait encore des esprits forts affirmant que la Terre est plate et que la rotondité qui se révèle depuis l'espace est soit une illusion d'optique soit une imposture scientifique. La réaction des religions paraît en retour engendrer, au-delà de la contre-argumentation légitime qu'on a présentée précédemment, un activisme anti-religieux qui, là aussi, dépasse le cadre du débat et concourt à son tour à radicaliser les positions.

L'horreur engendrée chez beaucoup par l'idée que l'espèce humaine trouve son origine dans l'évolution animale est d'autant plus anachronique que le moindre journal télévisé laisse voir une barbarie - parfois même commise au nom de la religion - qui excède la cruauté parfois observée chez les bêtes, comme l'illustre John FRANKENHEIMER dans son remake de L'ILE DU DOCTEUR MOREAU, dans lequel le prologue avec l'âpre lutte entre naufragés et l'épilogue sur fond d'images d'actualités sont comme un écrin pathétique enserrant l'épisode sur la sauvagerie des Hommes-Bêtes créés par le savant fou, dont l'auteur, H.G. WELLS, notait déjà les convergences profondes du comportement avec celui, à peine enfoui par le vernis de la civilisation, de nos semblables. Ce qui caractérise la grandeur humaine n'est pas son éloignement d'avec le monde animal où il puise ses origines, mais au contraire les efforts qu'il accomplit pour s'élever, en privilégiant le raisonnement en place de la brutalité, la compassion plutôt que la loi du plus fort, la défense de valeurs et d'idéaux au lieu de la satisfaction immédiate des pulsions instinctuelles. De l'autre côté, au contraire, certains matérialistes prosélytes paraissent se délecter de tout ce qui peut nier toute perspective de transcendance chez l'homme, voire de liberté individuelle, par une vision triviale de la condition humaine, qui, sous le prétexte théorique d'en ériger l'autonomie et la raison, aboutissent en fait souvent à le rabaisser plus ou moins au niveau de l'entité physiologique. DARWIN, promu malgré lui en prophète, n'a semble-t-il pas encore fini d'enflammer les passions...

* c'est en tout cas ce que rapporte le célèbre astronome français Camille FLAMMARION dans son essai LES MONDES REELS ET LES MONDES IMAGINAIRES, dont le titre a inspiré la dénomination de ce site.

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Les médias ont évoqué la disparition de l'actrice Farrah FAWCETT, victime du cancer comme récemment l'écrivain Philip José FARMER évoqué tantôt, laquelle était connue notamment pour sa participation à la série policière DRÔLES DE DAMES. Elle avait aussi joué en 1980 au côté de Kirk DOUGLAS et Harvey KEITEL dans le souvent injustement sous-estimé SATURN 3 de Stanley DONEN, en compagnie d'un robot inspiré de dessins de Leonard de VINCI, qui annonçait l'endo-squelette en acier chromé conçu par Stan WINSTON pour TERMINATOR. Le film convoque toutes les inquiétudes liées aux potentialités de la cybernétique.

La partie d'échecs de SATURN 3 : jouer une partie avec une machine peut s'avérer périlleux.

Hector semble tout aussi doué pour le bras de fer...

Ceux qui n'ont pas vu le film pourront lire un résumé et un petit commentaire intéressant indiquant notamment que c'est John BARRY ( pas le compositeur de musique de film mais le chef décorateur ) qui devait initialement le réaliser : http://www.scifi-movies.com/francais/dvd.php?data=saturn31980film

jeudi 12 février 2009

Charles DARWIN ET LE DEBAT SUR L'EVOLUTIONNISME

        Il y a exactement deux siècles, le 12 février 1809, naissait Charles DARWIN, qui allait se révéler un esprit brillant; son fameux ouvrage L'ORIGINE DES ESPECES fut quant à lui publié il y'a 150 ans. Inscrit en faculté de médecine conformément aux vœux paternels, le jeune étudiant supporte difficilement la vue du sang et selon son propre aveu, préfère passer tout son temps à chasser les Oiseaux. Pourtant, peu à peu, il se met à éprouver davantage de plaisir à les observer qu'à les tuer. C'est alors qu'un enseignant lui offre l'opportunité qui changera définitivement son destin : embarquer sur un navire d'exploration en tant que jeune naturaliste. Durant les années passées à bord du Beagle ( le titre original, THE SPACE BEAGLE, du roman de science-fiction de A.E. VAN VOGT, LA FAUNE DE L'ESPACE, s'y réfère de manière transparente), le jeune DARWIN accumulera les observations le long de sa travere en Amérique du sud, effectuera une étude très complète sur les Crustacés sessiles cirripèdes, étudiera les plantes carnivores, examinera les fossiles de Mammifères disparus comme le Toxodon et le Paresseux géant, mais surtout élaborera à la suite de ses observations sa théorie de l'évolution, notamment en étudiant la variété des becs des pinsons des Iles Galapagos, différant suivant le régime alimentaire, et postulera qu'ils se soient diversifiés à partir des représentants d'une même espèce ayant gagné l'archipel. Certes, l'idée de transformation progressive des êtres vivants au fil du temps n'était pas totalement inédite, puisqu'elle avait été suggérée dès l'Antiquité au temps des présocratiques, par ANAXIMANDRE qui se disait convaincu que l'homme était issu d'un ancêtre aquatique. Jean-Baptiste de LAMARCK l'avait théorisée, en prêtant cependant à tort aux modifications survenant à l'individu au cours de son existence la possibilité d'être transmises aux descendants (les caractères acquis n'étant pratiquement jamais héréditaires, sauf dans quelques exceptions faisant débat), et le propre grand-père du naturaliste, Erasmus DARWIN, avait eu quelque pressentiment alors qu'il étudiait la botanique. Ainsi, l'évolution passe-telle par la sélection naturelle, qui élimine à chaque génération les moins aptes. Cette vision, n'en déplaise à des scientifiques qui tentent régulièrement de présenter comme dépassées les conceptions de DARWIN, est tout à fait compatible avec le concept de mutations génétiques se produisant régulièrement à chaque génération, la nature conservant les expérimentations les plus profitables; par sa plasticité, le vivant produit spontanément des transformations, la sélection naturelle les orientant dans un sens profitable à l'espèce.

Une maquette reconstituant le Beagle à bord duquel prit place Charles DARWIN

Alors qu'à l'issue d'une âpre lutte avec des figures comme le Baron CUVIER, brillant anatomiste et paléontologue, et son élève BLAINVILLE, l'évolutionnisme s'est imposé en Europe à la fin du XIXème siècle, des réticences subsistent malgrè tout de nos jours, en particulier dans le monde anglo-saxon, notamment de la part de ceux qui font une lecture littérale des textes religieux, désireux qu'ils sont de préserver pour l'être humain une dimension transcendante qui fait, il est vrai, de plus en plus défaut dans le monde moderne.

Aux Etats-Unis, un courant fondamentaliste chrétien s'est maintenu dans certains états très religieux ("Bible belt"), entraînant le fameux "procès du singe" à Dayton en juillet 1925, alors qu'une procédure avait été lancée pour interdire l'enseignement de la théorie de l'évolution - l'avocat renommé qui avait plaidé en ce sens décéda d'ailleurs d'une crise cardiaque à l'issue du procès durant lequel il fut rudement éprouvé alors que sa démonstration rhétorique se heurtait au contre-argumentaire scientifique, fin malheureuse sans doute en rapport avec l'exacerbation, quelque peu excessive, des passions. En dépit de cette défaite des partisans du créationnisme, cette contestation du darwinisme persiste avec quelque force en Amérique.

Aux Etats-Unis, le Musée de la Création propose une version littérale de la Bible : l'Homme et les Dinosaures ont vécu simultanément, au temps où régnait l'harmonie du Paradis terrestre - d'où sans doute l'attitude peu hostile de ces Dinosaures carnivores à l'endroit de la jeune fille. Les créationnistes expliquent que les Dinosaures n'ont pas survécu au Déluge car ils étaient trop gros pour que NOE les prenne à bord de son Arche ; celà n'explique pas pourquoi le personnage biblique a sauvé les Eléphants et pas certains Dinosaures qui n'étaient pas plus gros que des Poulets, comme Compsognathus (reconstitution ci-dessous).

Dans le monde musulman, la théorie de l'évolution ne manque pas de détracteurs, comme l'a mis en lumière récemment un livre luxueux adressé aux établissements scolaires par un théoricien turc, Harun YAHYA.

DARWIN au ban des accusés

L'auteur y avance d'emblée des assimilations plutôt contestables; il considère pratiquement la théorie élaborée par Charles DARWIN comme un "péché originel" dont découleraient tous les crimes modernes - thèse cependant également défendue dans un documentaire télévisé anglo-saxon il y'a une douzaine d'années. L'évolutionnisme aurait inspiré, en faisant prévaloir une conception du monde vivant basée sur la domination du plus fort, le libéralisme économique le plus débridé et injuste (il paraît un peu outré de laisser entendre que les rapports de force et la violence n'existaient pas avant que le zoologiste ne divulguasse ses travaux ), tout autant que le nazisme planifiant l'extermination des races jugées plus primitives (l'auteur prête au naturaliste l'affirmation selon laquelle "les races de couleur moins évoluées que les Européens s'exposaient mécaniquement à être dominées et que, sur le long terme, elles pourraient être amenées à s'éteindre" alors que le naturaliste n'établissait semble-t-il guère de hiérarchie entre les races humaines) et même, pour des raisons qui m'ont toujours paru moins évidentes, le communisme, peut-être parce que la dialectique matérialiste marxiste postulait l'existence d'un processus évolutif qui, depuis l'esclavage, mode de domination économique ancestral de l'individu par le possédant, ultérieurement un peu adouci avec le servage puis le passage au prolétariat salarié, devait conduire prochainement au progrès général avec l'émancipation universelle des individus pour peu que, là aussi à l'issue d'une lutte basée sur les rapports de force, les dominés fassent advenir de manière accélérée la dernière phase de cette évolution. 

Par rapport au reportage britannique évoqué, le dit exégète turc ajoute aussi à la liste de la funeste descendance supposée de DARWIN l'engeance islamiste du 11 septembre 2001, sans préciser aucunement sa pensée - si ce n'est que l'on croit comprendre que les affidés d'Al Quaïda seraient eux aussi tout autant gangrenés par cette culture de la violence, alors même que ceux-là rejettent très vraisemblablement l'idée d'évolution en qualité d'islamistes: sans naturellement créditer d'aucune sorte Harun YAHYA d'un penchant pour la violence, il semble cependant que, sur le plan culturel, Ben LADEN ait davantage en commun avec les fondamentalistes turcs, dont l'auteur, qu'avec DARWIN, et que le contempteur de l'évolution affirme le contraire pour se dédouaner lui-même d'une telle proximité apparaît comme un pur exercice réthorique n'apportant rien à la critique de l'oeuvre du "père de l'évolution".


Le célèbre exemple de la différenciation du bec des espèces de Pinsons des Iles Galapagos à partir d'une souche commune, fondant la théorie darwinienne.

Les interprétations sur les premiers âges de la vie animale

Autre raccourci plutôt abusif, l'auteur se réclam
e, à l'appui de son propos, des écrits de Stephen J. GOULD, universitaire américain qui s'étonnait à juste de titre de "l'explosion cambrienne" - apparition assez soudaine, à l'échelle géologique, de types d'animaux modernes, sans qu'on trouve trace de leurs ancêtres - au début de l'ère paléozoïque (ancienne "ère primaire") ; GOULD en tirait la conclusion que le rythme de l'évolution n'était pas constant, pouvant connaître de brusques accélérations, mais défendait néanmoins vigoureusement l'idée d'évolution, étant, de surcroît, en tant que virulent détracteur des créationnistes et des spiritualistes, sans doute plus irréligieux que DARWIN ne l'a jamais été, lui qui n'avait admis qu'avec embarras, et non sans réticence de son propre aveu, les inflexions qu'entraînaient sur les conceptions bibliques ses découvertes.. Il est vrai que GOULD étant récemment décédé, l'intéressé n'est plus là pour protester, mais il aurait vraisemblablement été partagé entre la colère et l'ironie devant cet enrôlement. 

Il faut cependant convenir qu'on voit effectivement assez soudainement apparaître dans la série géologique un grand nombre d'animaux constitués plus ou moins sur le même modèle que les espèces marines actuelles (Crustacés, Vers annelés, etc...), ainsi que d'autres plus difficilement classables, comme le prédateur Anomalocaris, au début de la période cambrienne - même s'il ne faut pas perdre de vue que la fossilisation est par nature très aléatoire et qu'il est déjà miraculeux de trouver autant de restes d'animaux mous et parfois même presque immatériels comme les Méduses composées principalement d'eau, ce qui rend incertaine la perspective de disposer un jour de séries complètes, comme c'est à présent par contre de plus en plus le cas pour les Vertébrés dont le squelette est davantage susceptible de fossilisation; il faut aussi remarquer par ailleurs que dans le foisonnement des espèces (le "buissonnement" écrivait GOULD pour faire comprendre qu'à partir d'une forme initiale pouvaient rayonner de multiples espèces dérivées), la probabilité est plus grande de trouver les fossiles d'espèces émanant de rameaux parallèles que de découvrir l'ancêtre direct (le "chaînon manquant") d'un animal actuel permettant la reconstitution intégrale de la lignée.


Un remarquable exemple de Méduse primitive conservée dans les terrains précambriens.

Moi-même, je m'étais demandé dès l'adolescence si les formes primitives plus anciennes que le Cambrien - en particulier la faune dite "édiacarienne", composée notamment de créatures plates marquées d'étranges sillons, se prêtant à bien des interprétations - avaient subitement disparu ou avaient été, comme cela me paraissait plus logique, progressivement supplantées par les animaux plus évolués, croyant ainsi voir dans le peu connu Arumberia du début du Paléozoïque une de ces formes aplaties faite de renflements, comme celles des espèces précambriennes d'Ediacara, qui aurait perduré quelque temps. Je viens de lire qu'Arumberia (rien à voir avec le fétiche arumbaya évoqué par HERGE ! ) ne serait en fait qu'une trace de boue fossilisée (un pseudofossile), mais, depuis, d'autres animaux similaires, eux bien réels, ont été trouvés dans des couches géologiques plus récentes que la date supposée de leur extinction massive, comme Aspidella et Stromatoveris

Parallèlement à ce maintien dans le temps de ces formes ancestrales, des traces remontant à la même époque que celle à laquelle ont régné les êtres énigmatiques du Précambrien paraissent déjà indiquer l'existence conjointe d'animaux fouisseurs, probablement plus complexes sur le plan organisationnel, et des pièces dures ( épines et tubes en forme de petites défenses d'Eléphant ) de la faune dite "tommotienne", à peu près contemporaine, mettent à bas l'idée (préconçue) selon laquelle les animaux pourvus de pièces dures (carapace des Animaux à pattes articulées, coquille des Mollusques, test des premiers Oursins et même squelettes coralliens) ne seraient pas apparus avant le Cambrien. De toute manière, même si la faune précambrienne était une tentative évolutive tout à fait isolée, un règne à part de créatures, ni végétales ni animales, (comme l'ont imaginé les paléontologues SEILACHER et PFLUG), homologues des Zoomorphes martiens du beau roman de ROSNY AINE de l'Académie Goncourt, LES NAVIGATEURS DE L'INFINI, il n'en resterait pas moins que cette prétendue "expérience sans lendemain", tout comme l'épisode ultérieur des Dinosaures, n'est pas aussi propice aux vues des créationnistes qu'ils feignent de le croire, car l'idée d'un Créateur s'amusant à concevoir des "culs-de-sac évolutifs" comme ils l'imaginent est assez loin aussi de la Genèse, dans laquelle tout se met en place uniquement dans la perspective de l'avènement du genre humain.

Une belle reconstitution au Smithsonian museum of natural history des premières formes de vie animales dites "édiacariennes" : des Méduses, des créatures plates et des êtres fixés en forme de plume.

Fossile de Stromatoveris; on reconnaît chez cette forme du Cambrien les sillons qui caractérisent les animaux plus anciens des sites édiacariens.


Le temps, élément-clé de la querelle

Par ailleurs, il faut noter que des créationnistes ont déjà été amenés à infléchir leur discours à la suite des découvertes successives. Ceux qui professaient jadis une lecture littérale du récit biblique étaient convaincus qu'il n'y avait eu qu'un unique Déluge, destiné à punir l'humanité pré-chrétienne de sa vie dissolue et de son impiété. La découverte des Dinosaures a constitué une première entrave à cette conception car, malgré quelques récits mythiques sur les Dragons, desquels on pourrait en effet rapprocher les Reptiles géants du Mésozoïque, les textes anciens n'évoquaient pas de coexistence entre humains et Dinosaures - en dépit de quelques canulars récents sans doute initiés par des mouvements créationnistes américains pour tenter de persuader du contraire sur la base de peintures et sculptures précolombiennes assez suspectes. Il aurait donc fallu qu'il y'eût un premier déluge, non évoqué par les Ecritures, ayant balayé les Dinosaures pour laisser la place à nos ancêtres (quant à savoir où se trouvait le Jardin d'Eden, c'est encore un autre débat...).

une iconographie créationniste audacieuse

Compte tenu des différentes vagues massives d'extinctions successives, comme celle du Permien, période à l'issue de laquelle, à la suite d'une catastrophe majeure, un nombre important de nos cousins et ancêtres reptiliens (Synapsides ou "Reptiles mammaliens") ont été effacés en nombre de la surface de la Terre, laissant ainsi la place aux futurs Dinosaures émergeant au Trias, un grand paléontologue créationniste comme le Baron Georges CUVIER en était arrivé assez rapidement à postuler quatre déluges, nombre bientôt porté à dix. Il apparaît en effet que l'histoire de la vie s'est déroulée sur une longue période de temps - on peut toujours mettre en cause telle méthode de datation comme pour l'analyse du Saint Suaire de Turin, mais il est plus difficile de faire l'impasse sur l'ordre assez immuable (en dehors des accidents de terrain) des couches géologiques, empilées toujours dans le même sens, avec pour chacune des faunes similaires à toute époque de part le monde (la faune édiacarienne d'Australie a son correspondant en Sibérie avec la faune vendienne et au Canada avec le gisement de la plage sud de la péninsule Avalon de Terre-Neuve; de même le premier prédateur marin géant, l'étrange Anomalocaris du Cambrien, est maintenant trouvé en Chine, après sa découverte initiale en Colombie britannique).

L'extinction des Dinosaures à la fin du Crétacé ne représente qu'une des catastrophes qui a décimé la vie au cours de son histoire; mais celles-ci ne peuvent expliquer la succession d'espèces qui se poursuit entre deux épisodes dramatiques.

Aussi, certains créationnistes comme Harun YAHYA ne contestent à présent plus la chronologie de l'histoire de la vie telle qu'elle est reconstituée sur plusieurs milliards d'années, mais se limitent à nier la transformation des espèces résultant d'un processus naturel, au profit de créations divines successives, abandonnant en quelque sorte le concept des "dix déluges" de CUVIER au profit d'un nombre incalculable de "recréations". Si le monde entier procède bien d'un plan totalement préétabli, il paraît un peu curieux que Dieu, incarnation de la perfection, retouche sans arrêt son œuvre comme un artiste insatisfait annihilant ses premiers travaux; en outre, cette conception postulant des créations spontanées d'espèces à de multiples reprises, suivies d'extinctions, s'écarte déjà fortement, là encore, du récit biblique selon lequel les différents types d'animaux s'ajoutent simplement les uns aux autres lors de la Genèse à la manière des pièces d'un puzzle, et cette interprétation paraît au moins aussi difficile à se représenter concrètement que d'imaginer que la sélection naturelle, en privilégiant certaines mutations par d'innombrables petites retouches successives, finisse par faire d'Amibes unicellulaires des Girafes au bout d'un milliard d'années.

Dans le film LA VALLEE DE GWANGI, le merveilleux animateur Ray HARRYHAUSEN a donné vie à l'Eohippus, premier représentant de la lignée des Chevaux, rencontrant son lointain descendant moderne.


Evolution et finalité

L'ouvrage d'Harun YAHYA, essentiellement constitué de t
rès belles photos de fossiles, les met en vis-à-vis de l'équivalent vivant, le commentaire, réitéré à chaque page, concluant immanquablement que la similitude entre le fossile et l'animal actuel prouve qu'il n'y aucune évolution, comme si l'auteur feignait d'ignorer que son rythme n'est pas constant pour toutes les espèces, que les groupes les premiers apparus demeurent ainsi souvent sans grand changement tant qu'ils sont adaptés à leur niche écologique (Méduses, Eponges, Scorpions, Requins, Esturgeons, Coelacanthe,..) tandis que les espèces les plus récentes et plus complexes n'existent que depuis quelques millions d'années comme certains Mammifères modernes ou comme les espèces insulaires qui se sont récemment singularisées, permettant de constater des changements perceptibles au cours de la lignée, comme l'accroissement régulier de la taille chez les Chevaux (Equidés) ainsi que des modifications morphologiques et anatomiques, alors que l'apparition des Méduses à l'organisation plus sommaire est bien plus ancienne, remontant vraisemblablement à au moins 700 millions d'années, ce qui conduit à rechercher leurs ancêtres dans les terrains beaucoup plus âgés. D'ailleurs, c'est l'exégète musulman, et non le chercheur évolutionniste, qui postule pour sa démonstration que l'évolution est un phénomène invariant et quelque peu abstrait, tandis que le naturaliste se borne à constater l'existence de "fossiles vivants" suivant tranquillement leur route sur d'innombrables générations car parfaitement adaptés à leur niche écologique alors même qu'on s'affronte sans ménagement au sommet de la chaîne alimentaire pour occuper la place de prédateurs - les Requins eux-mêmes semblent avoir dû un temps céder leur place de prédateurs dominants lorsque de nombreuses espèces de Reptiles marins géants régnaient dans les océans, au temps des Dinosaures.


Contrairement aux Vertébrés terrestres, les premiers animaux ayant conquis les terres émergées, Scorpions, Libellules, Mille-pattes, issus d'une très ancienne évolution, ont peu changé jusqu'à nos jours, excepté que ces créatures, représentées par des reconstitutions réalistes, étaient alors beaucoup plus grandes : La Libellule Meganeura présentait un corps d'un mètre de long et des ailes de 8O centimètres d'envergure; quant à l'Arthropleura, ce Mille-pattes primitif atteignait près de 3 mètres de longueur !

De la même manière, des créationnistes américain
s se sont intéressés à un groupe éteint d'Ongulés sud-américains dépourvu de tout lien de parenté avec des espèces modernes, les Litopternes, qui comportent des formes rappelant le Cheval, comme Thoatherium ou Diadiaphorus. On observe chez ces Litopternes une tendance très nette à la réduction du nombre de sabots en rapport avec les adaptations à la course, comme chez les Equidés originellement pourvus de cinq doigts tel l'Eohippus, mais les créationnistes s'appuient sur un autre genre très différent de Litopterne contemporain des précédents, Macrauchenia, un animal aux allures de Lama pourvu d'un crâne très particulier, en concluant que, puisque celui-ci ne s'inscrit pas dans le même processus évolutif, on ne peut poursuivre le parallèle avec les Chevaux et que donc l'idée même d'évolution est infondée. Il s'agit là d'une erreur d'appréciation procédant d'un mésusage de la classification zoologique : les Litopternes représentent un ordre, rassemblant en son sein plusieurs schémas évolutifs séparés suivant les familles : une lignée hippomorphe avec notamment Thoatherium et Diadiaphorus, et une seconde avec des adaptations spécifiques différentes chez Macrauchenia. De la même manière, les Equidés adaptés à la course ne constituent qu'une tendance au sein des Périssodactyles, végétariens actuels à nombre impair de doigts, au sein desquels les Rhinocéros sont à l'inverse devenus au fil du temps, à partir d'ancêtres analogues à l'Eohippus, des animaux massifs peu adaptés à la vélocité sur grande distance - dans l'autre groupe actuel, les Artiodactyles (à nombre pair de doigts), on retrouve là encore les deux modèles avec des coureurs, comme les Antilopes, et des pachydermes, comme l'Hippopotame - à noter d'ailleurs que le groupe des Ruminants, au sein desquels se rangent les Antilopes et les Cervidés, a commencé à supplanter dans le monde entier celui des Equidés, tout comme les Litopternes avaient sans doute jadis été concurrencés par les Equidés jusqu'à extinction complète, preuve d'une compétition sans cesse renouvelée au sein du monde vivant (sans d'ailleurs, il faut dire, que les raisons amenant à la suprématie d'un groupe sur un autre soient nécessairement évidentes).

Représentant d'un ordre éteint d'Ongulés sud-américain, les Litopternes, Diadiaphorus présente une remarquable convergence morphologique avec les Chevaux; au dessous, son parent plus trappu, Macrauchenia. L'ordre a été invoqué par des créationnistes pour contester la démonstration de Charles DARWIN.


Considérations anatomiques

Le paragraphe d'Harun YAHYA sur les Cétacés est
, il faut en convenir, assez léger : après avoir affirmé qu'il est absurde - à priori guère scientifique - d'envisager que les Baleines puissent descendre d'un ancêtre terrestre quadrupède (ARISTOTE - premier à avoir classé les Eponges au sein du règne animal - avait pourtant déjà noté, entre autre, que le procédé de respiration aérienne des Baleines et Dauphins les apparentaient plus aux Mammifères qu'aux Poissons pourvus de branchies, et il les en avait rapprochés), l'auteur assure qu'il n'en existe aucun indice. Un nombre croissant de fossiles de Cétacés aussi bien que de Siréniens ("vaches marines") primitifs traduisent leur origine terrestre, notamment par les membres postérieurs rudimentaires encore présents à cette époque. Il en va de même pour les Serpents, également descendants d'animaux quadrupèdes; on peut même en trouver encore des traces chez des représentants actuels, ainsi la naissance quelquefois d' un individu né avec des pattes vestigielles, signifiant que même de nos jours le programme génétique ancestral n'a pas tout à fait disparu, ou bien le rudiment de membre griffu subsistant naturellement chez le Boa près du cloaque, jouant un rôle dans la posture de l'accouplement pour s'agripper à la femelle.


Dorudon, un Cétacé disparu, qui possédait encore deux pattes postérieures réduites, héritées des ancêtres quadrupèdes.

Un site créationniste américain tire quant à lui argument de la plus grande ressemblance de la main humaine avec la patte de la Grenouille qu'avec celle du Cheval pour contredire l'idée d'évolution, dans la mesure où le Cheval est pourtant effectivement davantage proche de l'Homme, en tant que Mammifère placentaire; évoquant alors l'idée que les spécificités de la patte du Cheval puissent être simplement dues à son adaptation progressive à la course à partir d'un modèle de base à cinq doigts commun à tous les Vertébrés terrestres, le rédacteur rejette simplement cet argument logique comme relevant d'une fable délirante; là encore, le procédé de la réfutation est un peu court et apparaît plus léger que les approximations scientifiques que l'on s'ingénie à combattre..

De même, que nos ancêtres se soient mis un jour debout sur leurs pattes arrières paraît difficile à se représenter, mais le processus s'est produit à diverses reprises, avec le Kangourou, ainsi qu'avec les Dinosaures comme l'Iguanodon, l'Anatosaure (Dinosaure à bec de canard) ou le terrible Tyrannosaure. Notre capacité de représentation des choses est souvent en-deçà de l'inventivité de la nature, mais ce n'est pas parce que nous éprouvons des difficultés à nous représenter d'une manière immédiate des processus complexes que ceux-là n'ont pas de réalité. Comme écrivait William SHAKESPEARE, il y'a plus de chose dans l'Univers que les imaginations ne sauraient l'envisager, mais ce n'est pas pour autant qu'elles n'existent pas.


L'évolutionnisme et l'évolution des connaissances : une rupture relative ?

L'évolution n'est pourtant pas un concept si scandaleusement révolutionnaire qu'on le prétend. A la suite de LEIBNIZ et de ses monades, les naturalistes des Lumières, puis les savants créationnistes du XIXème siècle comme CUVIER, cherchaient des types transitoires entre toutes les séries, entre végétal et animal, entre vers et insectes, etc.. témoignant d'une continuité entre les êtres vivants, même si Dieu les avait conçus simultanément - l'idée que les variantes anatomiques sont reliées les unes aux autres par des déclinaisons subtiles n'est en fin de compte pas si éloignée du concept d'évolution déduisant que tous les êtres vivants descendent d'ancêtres communs; par ailleurs, l'Eglise catholique, en condamnant des animaux au cours de procès au Moyen-Age, les rapprochait finalement plus de l'Homme que DARWIN lui-même nous apparentant aux grands singes anthropoïdes !

Deux célèbres naturalistes du XIXème siècle qui n'adhéraient pas à la théorie évolutionniste : le baron Georges CUVIER (en haut) et son irrévérencieux élève Henri de BLAINVILLE, venu étudier la peinture à Paris, à qui le célèbre paléontologiste donna sa chance, à une époque à laquelle les scientifiques étaient plus ouverts d'esprit à l'endroit de ceux qui n'étaient pas issus du cursus imposé. CUVIER ne croyait pas que les animaux à pattes articulées comme les Mille-pattes étaient issus des Vers annelés comme le Lombric, mais il pensait qu'ils procédaient d'un même modèle, ce qui n'est finalement pas si loin de l'idée que ces deux groupes puissent avoir pris naissance sur un même rameau de l'évolution de la vie.

La problématique de l'histoire de la vie est suffisamment captivante et complexe pour qu'on ne s'égare pas dans des à priori - les paléontologues eux-mêmes ont d'abord eu tendance à rapporter systématiquement à des espèces connues toutes les découvertes problématiques et leurs successeurs sont à présent à l'inverse enclins à considérer toute forme un tant soit peu inhabituelle comme étant nécessairement représentative d'un rameau tout à fait nouveau du règne animal (tendance lourde à la diversité taxonomique, puisque pour les Poissons et Oiseaux actuels les classificateurs modernes ont éclaté la douzaine d'ordres des années 1950 - comme les Echassiers ou les Palmipèdes - en environ une soixantaine pour chacune des deux classes !), de fait qu'il est un peu difficile de trouver soi-même le juste milieu entre ces interprétations conventionnelles ou bien à l'inverse plus audacieuses, singularisantes, des premières formes de vie animales fossiles. J'aurais moi-même tendance à trouver quelque séduction à l'idée d'épisodes de l'histoire de la vie originaux et distincts dans le temps, faciles à catégoriser, comme celui caractérisé par les curieuses créatures plates des collines d'Ediacara, ou, encore plus anciennement, celui recélant d'énigmatiques êtres mi-animaux mi-végétaux trouvés en Namibie, comme autant d'épisodes traduisant des ébauches étranges et sans lendemain, des expérimentations de la nature, représentant des mondes spécifiques, presque extraterrestres - même si je m'interroge quant à savoir si les créatures sessiles de Namibie sont vraiment l'expression d'un règne vivant totalement inédit ou si celles-ci ne sont que de lointains équivalents de nos Eponges et Anémones de mer. Mais, même en Namibie, on aurait trouvé au milieu des formes végétatives mystérieuses quelques restes d'animaux plats semblant s'apparenter d'assez près à ceux d'Ediacara, preuve que les créatures vivantes ne se succèdent pas simplement dans le temps, mais que les nouvelles coexistent durant une certaine période avec des formes plus anciennes, dont elles peuvent dériver (Harun YAYAH signale ainsi que l'Archæoptéryx, Oiseau considéré comme le plus primitif, aurait été, selon ce qu'il en rapporte, trouvé dans le même site fossilifère qu'un Oiseau d'allure plus moderne), indiquant effectivement selon moi que de nouvelles espèces apparaissent continûment et qu' une partie des précédentes avec lesquelles elles entrent directement en concurrence finissent par être supplantées, sur un terme plus ou moins long - je pense qu'on observe aussi un processus en partie analogue dans l'histoire, une partie de la culture d' Empires vaincus ne disparaissant pas immédiatement, comme la culture grecque recyclée par l'Empire romain par exemple, ou la Révolution française n'ayant pas empêché que trois rois règnent à nouveau sur la France au XIXème siècle ; les choses ne sont pas aussi immédiates qu'on veut se les représenter, les transitions aussi linéaires et ordonnées que dans les conceptions schématiques qu'on invente; la nature crée de la nouveauté puis, à la manière du processus continu de la marée, les "moins aptes" finissent sur un terme plus ou moins lointain (en fonction notamment de la plus ou moins grande âpreté de la concurrence inter-spécifique corrélée aux ressources disponibles) par être emportés dans le grand cimetière des espèces "réformées" définitivement.


Les naturalistes de l'ancien temps avaient tendance, en s'appuyant sur ce qu'ils connaissaient, à rapprocher systématiquement les espèces disparues d'équivalents vivants. Charles DARWIN notait ainsi que le Toxodon (en haut, squelette, et dessin d'un crâne) aux allure d'Hippopotame, évoquait un genre de Rongeur gigantesque évoquant le Capybara (représentation en dessous), le plus grand Rongeur actuel tout en prése,tant aussi des ressemblances avec les rhinocéros et l'hippopotame, et, de la même manière, le naturaliste décelait une lointaine parenté entre le Litopterne Macrauchenia précité probablement pourvu d'une courte trompe et le Lama, sur la base du cou ; il avait toutefois pressenti que ces deux fossiles sud-américains devaient appartenir à des ordres de Mammifères ongulés complètement éteints - les deux dessins sont des illustrations issues du livre consacré par le naturaliste à l'expédition du Beagle, qui peut être lu dans sa langue d'origine sur le site http://darwin-online.org.uk. L'évolution a en fait donné naissance à bien des branches éteintes, mais ce foisonnement et ces extinctions ne remettent nullement en cause la vision darwinienne.


Enjeux philosophiques

Il est selon moi un peu curieux que ceux qui contestent la vision
matérialiste du monde moderne fassent de l'évolution leur cible prioritaire - alors même que les sciences naturelles étudiées par des scientifiques souvent assez outrecuidants intéressent de moins en moins le grand public, particulièrement ignare en la matière (qui peut seulement énumérer, sur plus de trente embranchements encore existants, les dix types zoologiques les plus courants, qui sont pourtant tous représentés par des animaux connus du grand public ? On n'imagine pas semblable inculture dans tout autre domaine de la culture générale "classique"). D'ailleurs, ce n'est pas tant la notion d'évolution elle-même qui contredit toute vision un tant soit peu transcendante de l'homme que le réductionnisme moderne de biochimistes du comportement anglo-saxons poussant le concept à son extrême, en expliquant que le moindre sentiment, la plus petite de nos actions, est totalement réductible à des signaux chimiques et aux manoeuvres insidieuses de nos gènes, conception qui aboutit à dépeindre l'être humain comme n'étant rien d'autre qu'une simple addition de cellules dépourvue du moindre libre arbitre (même s'il est vrai que nombre d'espèces comme les Poulpes, les Calmars et des Crustacés parasites meurent dès qu'ils ont engendré la génération suivante, comme si le rôle de l'individu n'était effectivement que de transmettre son modèle génétique au fil du temps) ; mais cependant, dire, avec la distanciation un peu goguenarde de l'entomologiste averti, que l'homme n'est rien d'autre qu'une "marionnette" manipulée par ses gènes est faire fi de sa complexité comportementale et de la variabilité interindividuelle de celle-ci - à l'instar d'ailleurs des partisans du transgénisme qui ne voient la vie que comme un Mécano géant !

La théorie de l'évolution ne procède cependant pas, comme on s'est efforcé à le montrer ici, d'une conviction préétablie mais résulte d'un raisonnement de type hypothétique basé sur un certain nombre de faits et de déductions.

Une des nombreuses illustrations concrètes de l'évolution est fournie par le groupe des Ichtyosaures, les plus adaptés des Reptiles à la vie marine, équivalents des Dauphins et Baleines pour les Mammifères, qui donnaient même naissance à des petits vivants, s'affranchissant ainsi de la nécessité d'aller pondre sur le rivage. Les Ichtyosaures comme Ophtalmosaurus, en bas ( reconstitution animatronique pour la B.B.C. par les studios Crawley Creatures ) avaient une morphologie rappellant beaucoup celle des Poissons, mais les formes plus anciennes comme Besanosaurus, au-dessus ( superbe reconstitution du musée de Milan par Valter FOGATO, http://www.fogato.com ) présentent une allure se rapprochant davantage du Reptile quadrupède dont ils dérivent.

La perspective que l'homme soit issu d'une espèce de singe préhistorique n'est pas en soit contraire à l'idée d'un dessein divin comme l'indiquait le père THEILARD de CHARDIN - même si celui-ci voulait déceler dans l'évolution une téléologie, un mouvement ordonné et progressif témoignant d'un plan divin, alors que son mouvement apparaît à présent plus complexe voire aléatoire, certains défendant l'idée que les Vertébrés seraient issus d'animaux disparus singuliers, les Calcicordés, les Poissons dérivant selon cette théorie d'animaux ayant changé à plusieurs reprises d'axe de symétrie, accréditant l'idée d'un caractère très hasardeux du cheminement évolutif. Une perspective par contre bien plus dérangeante résulte du fait que la naissance de chaque individu, très loin d'être voulue par le Créateur, dépend elle-même totalement du hasard, soumise à tant d'aléas de la vie et à la loterie des innombrables spermatozoïdes, comme même l'Eglise ne le nie pas - ce qui est peut-être à rapprocher de sa conception nataliste, visant à donner une chance à davantage d'individus de pouvoir être engendrés et donc d'exister, à l'inverse des Bouddhistes qui croient que l'âme est préexistante à toute incarnation et que les avatars de ses vies successives sont accessoires. Un chrétien serait ainsi en droit de s'effrayer davantage, rétrospectivement, de l'évidence qu'il aurait très bien pu ne jamais exister ( qu'il y'avait même de forte chance qu'un frère ou une sœur fut engendrée à sa place, si un autre spermatozoïde était parvenu le premier à s'unir à l'ovule maternel ) plutôt que de déplorer que ses lointains ancêtres soient issus du monde animal. Car si le problème de l'évolution concerne finalement la question un peu technique des modalités de l'origine de l'humanité, le hasard de la naissance, lui, touche de la manière la plus directe au problème de l'ontologie même de l'individu humain, chacun s'apercevant qu'il sort miraculeusement du Néant, et que son existence est donc parfaitement accidentelle..