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samedi 23 janvier 2010

Robert SOUBIE nous écrit

Robert SOUBIE, traducteur de Stanley WEINBAUM, a écrit à "Créatures et imagination", apportant différentes précisions au texte consacré à cet écrivain inventeur d'un grand nombre d'êtres extraterrestres; grâce à son obligeance, celles-ci complètent dorénavant l'article de mai 2009, pour le plus grand profit des lecteurs intéressés.

Les anglophones peuvent lire un entretien que celui-ci a accordé à un site de science-fiction, racontant comment cet ingénieur à la retraite, lecteur occasionnel de science-fiction, a décidé de consacrer son temps libre à la valorisation de l'oeuvre de l'écrivain dont il avait plus jeune lu la traduction de LA FLAMME NOIRE, dont le destin tragique l'a touché et qui admire son originalité:

ci-dessus, la couverture d'un des deux tomes des recueils de nouvelles de Stanley WEINBAUM, traduites par Robert SOUBIE parmi les autres fictions de l'auteur américain de l'Age d'or.

Robert SOUBIE a aussi commencé à traduire l'œuvre d'un autre auteur de science-fiction, réputé pour son inspiration poétique et notamment connu en France pour LE LEVIATHAN DE L'ESPACE, Robert F. YOUNG, se mettant en recherche d'un éditeur intéressé pour concrétiser cette nouvelle entreprise. On peut lire sa traduction de LA FILLE AUX CHEVEUX D'OR à la page: http://www.astrosurf.com/soubie/fichiers/RFY/Robert_F_Young-La_Fille_aux_Cheveux_d_Or.htm
( adresse à copier pour accéder au texte ).

dimanche 31 mai 2009

UN AUTEUR DES ANNEES 1930 MIS A L'HONNEUR

L'existence humaine est parfois tragiquement courte, comme l'a illustré tout récemment le décès à l'âge de 28 ans de l'acteur Heath LEDGER, acteur dans plusieurs films de Terry GILLIAM, dont LES FRÈRES GRIMM, décédé dans son sommeil d'un abus médicamenteux, comme avant lui le maquilleur français Benoît LESTANG ( article d'août 2008 ).
Certains écrivains ont aussi connu des carrières brèves, à l'image du Français Michel BERNANOS, auteur du cycle fantastique réputé LA MONTAGNE MORTE DE LA VIE, qui a mis fin à ses jours dans la forêt de Fontainebleau avant son quarantième anniversaire. Le créateur du personnage de CONAN LE BARBARE, Robert E. HOWARD, s'est lui donné la mort à l'âge de 30 ans après le décès de sa mère. L'infortune a aussi abrégé les carrières de d' autres auteurs. On sait qu'Howard Philip LOVECRAFT a disparu à l'âge de 47 ans des suites de la maladie. Un de ses inspirateurs, William Hope HODGSON, auteur de terrifiantes histoires maritimes, qui avait été incorporé comme artilleur durant la première guerre mondiale, a lui-même été victime d'un obus près de Ypres, en Belgique, à l'âge de quarante ans, dans ce conflit que LOVECRAFT qualifiait avec raison de "suicide de l'Europe". Il en va de même pour Stanley WEINBAUM, écrivain de science-fiction né en 1902, décédé le 14 décembre 1935, emporté par un cancer de la gorge à l'âge de 33 ans, carrière fulgurante, mais suffisante, pour, à l'instar de Robert HOWARD et William Hope HODGSON, avoir eu le temps de laisser une production significative et une trace mémorable dans l'histoire de la littérature d'imagination. Stanley WEINBAUM avait entamé des études de chimie, qu'il avait assez rapidement abandonnées pour se consacrer complètement à l'écriture. ( sa veuve a précisé qu'il s'investissait dans la littérature depuis l'âge de 20 ans, comme en attestent notamment ses poèmes et certaines ébauches; il avait abandonné ses études parce qu'il avait été mis en cause et exclu de l'université pour une tricherie, où il avait aidé un autre étudiant, décision à la suite de laquelle il avait, dans un sursaut d'orgueil, décidé de ne pas revenir ). H.P. LOVECRAFT loua son imagination lui permettant de concevoir des situations, des créatures et des psychologies réellement originales. Sa nouvelle la plus fameuse, L'ODYSSÉE MARTIENNE avait ainsi été choisie en 1970 par les plus grands écrivains de science-fiction pour figurer en tête de l'anthologie "The greatest SF stories of all time" constituée par l'Association des Écrivains de Science Fiction d’Amérique. On l'a comparé à Herbert George WELLS, avec lequel il aurait d'ailleurs partagé le sentiment que les récits de science-fiction, dont la qualité a pourtant assuré leur postérité, ne représentaient pas la part la plus "noble" de leur œuvre. Sa renommée valut même à un cratère martien d'être nommé en référence à son nom. En France, il était pratiquement le seul auteur issu des pulps des années 1930 à figurer dans les anthologies de science-fiction, et un roman avait paru, LA FLAMME NOIRE, un récit sur une terre post-apocalyptique sur laquelle des scientifiques devenus immortels combattent des mutants et œuvrent à la renaissance de l'humanité, en fait deux nouvelles refondues qui auraient été clairement destinées à être intégrées dans un cycle commun, le personnage principal étant déjà évoqué dans certains poèmes de ses débuts, et surtout dans le roman LE NOUVEL ADAM, dont les premiers jets sont largement antérieurs à l'écriture de LA FLAMME NOIRE.

L'année 2008 a remis à l'honneur cet auteur de l'âge d'or de la science-fiction américaine. Aux Etats-Unis, le prix de la "redécouverte Cordwainer Smith" * lui a été attribué; William Hope HODGSON en avait été précédemment gratifié en 2006. Un peu plus tôt, les éditions Coda** ont publié une édition française complète des nouvelles de l'auteur, "Une Odyssée martienne, intégrale des nouvelles", faisant suite à une première publication intégrale par les éditions de l'Age d'or l'année précédente, qui avaient proposé deux recueils de nouvelles de Stanley WEINBAUM traduites par Robert SOUBIE et enrichies de nombreuses notes, "La Péri rouge et autres histoires de science-fiction" ainsi qu' "Une odyssée martienne et autres histoires de science-fiction", de même qu' une réédition complétée de LA FLAMME NOIRE, ouvrages édités à compte d'auteur, investissement qui mérite d'être salué et encouragé***. L'autobiographie de Stanley WEINBAUM se lit avec une émotion particulière puisqu'il l'a écrit en juin 1935, pour "Fantasy Magazine", soit seulement six mois avant d'être emporté par la maladie. On peut noter que les éditions Coda ont choisi de présenter sous forme de cahier central les couvertures en petit format des différentes éditions des œuvres de Stanley WEINBAUM, ainsi que celles des magazines littéraires de l'époque au sein desquels ses nouvelles parurent initialement, et dont les couvertures n'illustraient pas toujours un récit de l'auteur; plus discutable est la mise en exergue pour la couverture du recueil lui-même d'une illustration de Virgil FINLAY certes attrayante, mais apparemment sans rapport avec une nouvelle de Stanley WEINBAUM. Robert SOUBIE propose quant à lui la première version intégrale de LA FLAMME NOIRE, toutes les versions précédentes ayant été expurgées d'environ douze mille mots, ainsi qu'un texte de Sam MOSKOWITZ narrant l'histoire étrange de ce roman. Un dernier roman, LE CERVEAU FOU, dont Robert SOUBIE vient d'achever la traduction, devrait paraître prochainement. On ne peut que saluer les initiatives des éditions de l'Age d'or et des éditions CODA, qui permettent pour la première fois au lecteur français d'accéder à l'œuvre de cet écrivain renommé, contribuant ainsi à réhabiliter une époque de la science-fiction américaine trop souvent déjugée d'emblée. La plus célèbre nouvelle de WEINBAUM traduite en français est incontestablement L'ODYSSÉE MARTIENNE selon l'appellation sous laquelle elle est traditionnellement connue (ou UNE ODYSSÉE MARTIENNE, selon le titre original, comme repris dans le recueil traduit par Robert SOUBIE), dans une veine qu'on pourrait rapprocher de celle de J.H. ROSNY AINE, en particulier de son roman LES NAVIGATEURS DE L'INFINI. Il s'agit d'un récit qu' un astronaute accidenté, Jarvis, fait à ses collègues de sa rencontre avec différentes formes de vie martiennes, racontée avec le naturel d'un récit de l'aventurier et ethnologue Paul-Émile VICTOR. La figure principale parmi celles-ci en est Tweel, bipède aux allures d'Autruche, pouvant aussi évoquer un Dinosaure coureur. L'auteur se montre bien plus imaginatif que tant de films hollywoodiens ultérieurs qui mettront en scène des extraterrestres à l'aspect humain - parfois même des starlettes en bikini - parlant souvent de surcroît un parfait anglais sans avoir jamais écouté la BBC... A l'opposé, Stanley WEINBAUM retranscrit avec réussite la tentative de communication du principal protagoniste avec ce "Vendredi" extraterrestre et la manière dont une certaine intelligibilité, certes limitée, parvient à s'établir entre les deux êtres. D'autres espèces parsèment le territoire traversé par le naufragé, représentées ci-dessous par différents artistes. Le succès de l'œuvre, et la brutale séparation entre l'humain et le Martien dans le dénouement, appelait une suite, ce qui fut réalisé avec LA VALLÉE DES RÊVES, laquelle fut également traduite en français dans les années 1980; l'auteur imagine que l'espèce des Martiens humanoïdes a pu visiter notre planète il y' a quelques milliers d'années, les explorateurs découvrant en effet des fresques rappelant celles observées dans l'Égypte antique, le long nez de l'extraterrestre se retrouvant chez la divinité Toth - qu'on pensait avoir été plus prosaïquement inspirée par l'Ibis et son bec courbé !.. LA VALLÉE DES RÊVES est en fait, comme le précise Robert SOUBIE, la version initiale de L'ODYSSÉE MARTIENNE, que l'auteur, insatisfait, avait repoussée, et qu'il a finalement reprise et travaillée à la demande de l'éditeur pour faire suite au succès rencontré par la célèbre nouvelle.

Jarvis, Tweel, et les tentacules de la Bête à rêves, qui fascine sa proie par une projection hypnotique, une belle illustration signée Robert PETILLO.
Comme dans LES NAVIGATEURS DE L'INFINI de J.H. ROSNY AINE, Stanley WEINBAUM imagine que la planète Mars est habitée par des créatures appartenant à différents règnes, comme l'illustre cet être semi-minéral ( extrait d'une adaptation en bande dessinée ).
Les créatures en tonnelet représentées respectivement pour l'édition russe et allemande ( à noter le petit air de famille de Jarvis avec le célèbre acteur Kevin McCARTHY ! )
Les créatures en forme de brins d'herbe mobiles, les Biopodes, ont enfiévré l'imagination sadique de l'illustrateur...

Cette illustration par Randolph Holmes d'une créature tentaculaire qui suscite des illusions pour piéger ses proies dans la bande dessinée PLANETE PAS NETTE (KILLER PLANET) renvoie directement à la Bête à rêve de L'ODYSSE MARTIENNE.

Stanley WEINBAUM avait aussi imaginé l'écosystème de Venus. Beaucoup d'auteurs se sont interrogés sur la manière dont la vie pluricellulaire pouvait se distinguer suivant les deux catégories essentielles des végétaux et des animaux, cherchant à définir des critères discriminants en dépit des multiples variations audacieuses du modèle végétal déclinées dans la science-fiction telles que la mobilité, la carnivorité, voire l'intelligence. Stanley WEINBAUM a très probablement proposé la plus originale et intéressante définition de la question dans sa nouvelle LES MANGEURS DE LOTUS. Il imagine qu'une espèce intelligente, pourvue d'une forme de conscience, s'est développée sur Venus à partir d'une lignée végétale, et que ce qui la différencie des véritables animaux comme leurs prédateurs tripodes est l'absence d'instinct de survie, occasionnant leur passivité et leur résignation pathétique quelque peu poignante face à leur situation de proies. Se défiant décidément de tout anthropocentrisme, l'auteur rappelle que l'omniprésence des Insectes ou des Nématodes - dont un naturaliste a écrit que ces vers minuscules sont si abondants et omniprésents que si toute matière disparaissait subitement à l'exception des Nématodes, on reconnaîtrait encore la forme des paysages, et même celle des arbres - pourrait, d'un certain point de vue, être considérée tout autant comme une réussite au plan de l'évolution que celle de l'homme. Le titre de MANGEURS DE LOTUS choisi originellement par le traducteur et anthologiste Georges GALLET, qui a le premier proposé le texte aux lecteurs français, occulte quelque peu l'acception originale: les Lotus auxquels se réfère WEINBAUM sont sans rapport avec la plante à fleurs bien connue, mais sont des fruits fantastiques, plus couramment désignés sous le terme de "Lotos", provoquant chez celui qui l'ingère une torpeur, comme le rapporte HOMÈRE dans un épisode de L'ODYSSÉE, lequel avait également également inspiré à Lord Alfred TENNYSON un poème publié en 1832. C'est la raison pour laquelle Robert SOUBIE a quant à lui choisi pour son recueil de restituer la référence de WEINBAUM au mythe grec, en optant pour le titre LES LOTOPHAGES.

Stanley WEINBAUM a contribué de manière notable à alimenter le bestiaire extraterrestre; on pourrait encore citer, à titre d'exemple, le ver monophtalme de la nouvelle FUITE SUR TITAN - titre aussi traduit par VOL SUR TITAN si on ne fait pas directement référence à la notion de course contre le temps qui imprègne l'histoire, représenté avec la bouche dilatée, conformément à la description, sur la couverture de l'édition Avon, ce qui lui confère superficiellement l'allure d'un Nématode du sol, l'Anguillule, pris au lasso du piège à nœud coulant d'un Champignon microscopique.

La nouvelle FUITE SUR TITAN ( FLIGHT TO TITAN ) a aussi été publiée sous le titre A MAN, A MAID AND SATURN'S TEMPTATION, titre qui évoque le récit biblique d'Adam et Eve au Paradis, et l' illustrateur, du nom de J. GAMA, y fait explicitement référence.

Le "Pot à colle" ou "Pâte à pain" selon la traduction, de LA PLANETE PARASITE, même s'il n'est pas le premier monstre informe, s'inscrit dans la lignée menant au "Blob" des films de science-fiction; la créature a un tel appétit qu'elle a une propension, lorsque la nourriture vient à manquer, à se digérer elle-même, comme le font certains animaux marins vermiformes, les Némertiens ( évoqués dans l'article "Le tentacule d'ABYSS existe réellement" ). Quant au métamorphe mimétique protoplasmique adoptant l'apparence de ses victimes, et même une combinaison de celles de plusieurs d'entre elles, évoqué dans LA PLANETE DES MARÉES, il annonce un autre archétype d'extraterrestre popularisé conjointement par John CAMPBELL dans LA BETE D'UN AUTRE MONDE ( nouvelle adaptée au cinéma par John CARPENTER sous le titre de THE THING ) qui présente les mêmes capacités. LA PLANÈTE DES MARÉES a été achevée par la sœur de Stanley WEINBAUM, Helen, suite à son décès prématuré - selon la veuve de l'auteur, Margaret WEINBAUM KEY, seul le canevas, soit à peu près deux ou trois cents mots, auraient été écrits par son mari ( raison pour laquelle Robert SOUBIE a décidé de ne pas l'inclure dans son intégrale des nouvelles ). La veuve de l'écrivain a confié en 1993 les manuscrits de son époux à la bibliothèque de l'université de Philadelphie.
Un explorateur aux prises avec un arbre Jack Ketch ( d'après le nom d'un bourreau anglais de Charles II connu pour ses exécutions particulièrement abominables ) aux intentions malignes, dans la nouvelle LA PLANÈTE PARASITE, qu'on trouve sur Venus, comme les formes végétales contemplatives des MANGEURS DE LOTUS, preuve que tous les plantes vénusiennes de Stanley WEINBAUM ne sont pas d'un commerce agréable - document fourni parle site de notre ami Jacques HAMON.
Au cours de sa brève carrière, Stanley WEINBAUM a abordé bien des thèmes, certains tout à fait avant-gardistes, comme ceux de l'immigration mexicaine massive aux États-Unis, le refroidissement de l'Atlantique Nord au cas où le courant chaud du Gulf Stream viendrait à être perturbé et les mouvements de population occasionnés par les bouleversements climatiques, ou bien encore le transgénisme, croisement entre espèces réalisé par manipulation génétique dans L'ILE DE PROTEE, un de ses nombreux textes posthumes.
Stanley WEINBAUM se dissociait de l'enthousiasme pour la science d'écrivains de son époque comme Hugo GERNSBACK, l'initiateur de la science-fiction américaine, en laquelle, malgré ses promesses, il voyait non l'avènement d'un monde meilleur, mais un instrument qui pouvait être bénéfique ou contestable suivant l'utilisation qui en était faite, comme le dit en 1972 l'un des protagonistes de l'adaptation cinématographique de SOLARIS de Stanislas LEM par Andrei TARKOVSKI : "Il appartient à l'homme que la science soit morale ou qu'elle ne le soit pas". Il était animé par la volonté de tirer le meilleur parti de la science-fiction, désirant que l'imagination, dont il était si bien pourvu, ne soit pas mise au service du seul divertissement, mais utilise sa pleine potentialité critique pour faire réfléchir aux enjeux de société, voire, ce qui peut paraître très ambitieux, proposer, au delà-de l'analyse, des solutions aux différents problèmes contemporains. Il reste à souhaiter que les textes d'autres auteurs de l'âge d'or de la science-fiction américaine puissent à leur tour être proposés aux lecteurs francophones curieux de découvrir une période trop souvent dévalorisée.
Un autre écrivain susceptible d'être ainsi redécouvert pourrait être Raymond Z. GALLUN, surtout connu chez nous au travers de la nouvelle LE VIEUX FIDELE, histoire d'un Martien fuyant sa société conformiste dominée par les mathématiques ( non, il ne s'agit pas de la France... ) et qui s'avère, comme chez WEINBAUM, faire preuve de plus de grandeur d'âme que ses interlocuteurs humains - nouvelle qui donna, comme L'ODYSSÉE MARTIENNE, lieu à une suite, elle demeurée inédite en France.
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NOTE : On remerciera ici Robert SOUBIE ayant eu, suite à la découverte de cet article, l'obligeance de nous apporter certaines précisions sur l'auteur, lesquelles ont été bien volontiers intégrées dans le présent article. Souhaitons qu'à son exemple, de nouveaux lecteurs de marque honorent de leur intérêt "Créatures et imagination", le site francophone sur les êtres réels et les êtres imaginaires. On peut lire en ligne sa traduction de L'ILE DE PROTÉE : http://www.astrosurf.com/soubie/stanley_g__weinbaum.htm
* Cordwainer SMITH est le pseudonyme d'un ancien diplomate américain, en poste au temps de la Chine nationaliste, Paul LINEBARGER, qui a écrit un cycle de récits sur le futur comme Robert HEINLEIN; sa nouvelle la plus connue est sans doute LA PLANÈTE SHAYOL. Sa fille a créé un site en sa mémoire :
http://www.cordwainer-smith.com/ ** http://www.editions-coda.fr/ *** http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=1040304

mercredi 15 avril 2009

P.J. FARMER, UN CELEBRE ECRIVAIN D'APRES GUERRE

On vient d'apprendre la disparition de James BALLARD, auteur de textes poético-écologiques - dont le fameux CRASH adapté au cinéma par David CRONENBERG*. Un autre écrivain de science-fiction emblématique des années 1960-70 l'avait de peu précédé. Disparu à l'âge de 91 ans le 25 février 2009, Philip José FARMER était un écrivain de science-fiction qui ne rechignait pas à prendre à rebours la tradition du genre en abordant, parfois de manière concrète, la sexualité, comme au travers de cette relation intime entre un homme et une extraterrestre dans LES AMANTS ÉTRANGERS, motif qui lui valut d'être refusé par plusieurs revues de science-fiction, notamment par le célèbre rédacteur en chef John CAMPBELL. FARMER écrira aussi des œuvres versant ouvertement dans la pornographie, telles que COMME UNE BETE qui traite de vampirisme, ce qui ne suscitera naturellement pas l'unanimité parmi les lecteurs de science-fiction.

On lui doit aussi des récits mettant en scène des personnages célèbres de l'imaginaire populaire, parmi lesquels un roman propulsant le Phileas Fogg du TOUR DU MONDE EN 80 JOURS dans des aventures interplanétaires. FARMER les présentait comme des personnages ayant réellement existé et dont les caractéristiques les plus extraordinaires s'expliquaient par l'influence d'une météorite au rayonnement de laquelle ils avaient été simultanément exposés. Le film LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES est basé sur une approche comparable. La biographie de ces personnages était parfois déclinée sur un mode grivois. L'écrivain de science-fiction s'est aussi amusé à écrire un roman sous le nom de Kilgore TROUT, un écrivain imaginaire apparaissant dans les oeuvres de Kurt VONNEGUT; ce dernier aurait paraît-il peu apprécié cet accaparement.

Couverture pour l'édition américaine de CHACUN SON TOUR ( THE OTHER LOG OF PHILEAS FOGG ), qui change le célèbre globe-trotter de Jules VERNE en émule du Docteur WHO.

Une de ses œuvres les plus connues est LE MONDE DU FLEUVE, cycle passionnant mais assez interminable dans lequel les défunts, incluant des personnages historiques connus, comme l'écrivain Cyrano de BERGERAC popularisé par Edmond ROSTAND, et même des hominiens de la préhistoire, ressuscitent sur une planète géante, certains entreprenant de remonter le cours d'un fleuve gigantesque car convaincus que la solution de l'énigme puisse être découverte à sa source. L'une des figures les plus importantes du cycle, le personnage de GOERING, a été évincée de l'adaptation télévisée au bénéfice d'un dictateur de l'Empire romain, NERON, sans doute par crainte d'alimenter la controverse en risquant de conférer un minimum de sympathie à ce personnage d'un passé encore récent**, quoique présenté par l'écrivain comme non dépourvu d'ambiguïté quant à son prétendu amendement ( on peut de plus relever que l'empereur incendiaire - d'ailleurs plus machiavélique que fou dans cette incarnation - affiche plus immédiatement son penchant pour la violence que son pendant nazi chez FARMER, et que, par ailleurs, son interprète, qui ressemble à l'acteur David WARNER, est physiquement plutôt éloigné des portraits connus de l'intéressé, plus rond de visage ). L'écrivain était l'auteur d'un autre cycle, LA SAGA DES HOMMES-DIEUX, témoignant d'une imagination échevelée.

Une créature hybride issue des mondes fantasmagoriques du cycle de la SAGA DES HOMMES-DIEUX ( illustration de SIUDMAK choisie pour la couverture française du roman LES PORTES DE LA CRÉATION ).

FARMER semble s'être assez fréquemment inspiré
de thèses psychanalytiques, très en vogue durant la décennie ( comme s'en faisait d'ailleurs écho le remake de 1978 de L'INVASION DES PROFANATEURS ). Dans LA PLANETE DU DIEU, des hommes sont confrontés à une entité qui se présente comme l'image du Dieu paternaliste, figure absolue du Père par excellence, paraissant issu de l'Ancien testament. Dans LA MERE, il assigne à une créature extraterrestre sessile le rôle de la génitrice protectrice, réduite à sa fonction symbolique, un humain s'y lovant pour y retrouver la quiétude et la douceur de la vie intra-utérine.

Vue en coupe de LA MERE telle que représentée par l'illustrateur Wayne BARLOWE, un des rares exemples de forme animale sessile de la science-fiction; à maturité, la créature donne naissance à sa progéniture, des êtres mobiles qui ressemblent à des limaçons.

OUVRE MOI, Ô MA SŒUR est une autre histoire de rapport interplanétaire entre un homme et une extraterrestre humanoïde. L'auteur y dépeint des cycles biologiques très différents du nôtre; comme dans la plupart des œuvres de science-fiction, le personnage principal paraît tirer remarquablement vite des conclusions de ses observations et des explications par gestes de son interlocutrice. Il semble n'exister sur la planète Mars qu'une seule espèce animale, les différentes formes correspondant à des stades ou des générations différentes. L'organisation des Martiens s'apparente à celle des Insectes sociaux, avec une reine, des ouvrières, des larves, ressemblant pour certaines à des Vers luisants, pour d'autres à des Raies, lesquelles contribuent à la subsistance et aux conditions écologiques de la colonie exploitant une plantation. Le personnage humain y fait aussi la connaissance d'une extraterrestre humanoïde venue étudier notre système solaire, face à laquelle il est tiraillé entre sa gratitude, celle-là lui ayant sauvé la vie, de même que par une certaine attirance physique, et d'autre part, par son souci de protéger l'espèce humaine d'une civilisation à la technique plus avancée. Les deux espèces étrangères ont en commun d'être essentiellement féminisées; chez les Martiens, il n'existe qu'un seul mâle fécondant la colonie, dont la férocité est une menace telle qu'il doit être maintenu en cage en permanence, tandis que chez la seconde espèce, il ne semble même pas exister de mâles - à l'instar de ce qui s'observe sur notre monde chez nombre d'espèces de Rotifères, animaux microscopiques vivant dans les mousses humides et les eaux douces. La créature extraterrestre héberge en son sein une forme embryonnaire aux allures de ver, qui collecte son ovule ainsi que celui d'autres femelles lors de rapprochements, puis, une fois adulte, opère une fusion de ces gamètes engendrant de nouveaux individus. Les deux espèces extraterrestres ont aussi en commun que les communications ont pour l'essentiel lieu au travers d'échanges buccaux et de salive; les freudiens diraient que ces êtres demeurent au "stade oral" chez lequel le nouveau né entre en contact avec son environnement en portant tout à sa bouche, comme sans doute nos lointains ancêtres avant qu'ils ne se dotent de mains pour la préhension. A l'issue de la nouvelle, le personnage principal laissera triompher l'instinct destructeur de l'humanité, ici identifié d'ailleurs à la violence masculine. Le pardon qui est accordé à l'humain sera pour lui synonyme de la plus terrible des punitions.

Les ouvrières martiennes dépeintes dans la nouvelle OUVRE MOI, Ô MA SŒUR, reposant grâce à leurs pattes spatulées sur la nappe gélatineuse constituée de micro-organismes, dans laquelle les membres de l'expédition terrienne ont sombré. En arrière-plan, l'humanoïde tenant l'embryon.

La première fois que le personnage central de OUVRE MOI, Ô MA SŒUR aperçoit l'extraterrestre humanoïde, il lui prête deux têtes en interprétant ainsi la présence dans le casque de la tête de l'embryon accompagnant sa mère porteuse; bien que vermiforme, sa tête rappelle un peu celle d'un bébé, et il est dépeint, en dépit de l'horreur qu'il suscite chez l'humain, d'une manière un peu moins horrifiante que celle par laquelle l'illustrateur l'a représenté.

Une analyse très complète de la thématique de l'auteur récompensé par trois prix Hugo - distinction importante en l'honneur du prénom de l'initiateur de la science-fiction américaine - due à la plume du célèbre écrivain de science-fiction Gérard KLEIN, peut être lue à cette adresse :
www.quarante-deux.org/archives/klein/divers/farmer.html


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Mentionnons au passage la disparition conjointe de quelques autres personnes ayant quelque lien lointain avec notre thématique. Natasha RICHARDSON est décédée le 18 mars 2009 des suites d'un accident de ski alors qu'elle suivait son premier cours d'initiation. Son mari l'acteur Liam NEESON ( qui était notamment apparu pour un de ses premiers rôles dans un film fantastique, KRULL, dans lequel il incarnait un membre d'une troupe de brigands ) a accepté que ses organes soient donnés à des receveurs, ce qui est tristement approprié en cette année officielle du don d'organes. Fille de l'actrice britannique Vanessa REDGRAVE, Natasha RICHARDSON avait notamment, après Elsa LANCHESTER dans LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN de James WHALE, interprété dans GOTHIC***, sous la direction de Ken RUSSELL, avec une grâce un peu sulfureuse, l'écrivain Mary SHELLEY à travers le récit des circonstances ayant présidé à la création du roman FRANKENSTEIN, lequel, en dépit de son atmosphère de fantastique romantique gothique, est l'œuvre fondatrice la plus ancienne et incontestable de la science-fiction, augurant notamment d'une longue descendance de savants fous créateurs des monstres les plus divers. Marilyn CHAMBERS, disparue à 56 ans le 12 avril 2009, était quant à elle une actrice pornographique qui s'est fait connaître des cinéphiles au travers du rôle principal du second long métrage du cinéaste passionné par les mutations, David CRONENBERG, RAGE, dans lequel elle incarnait le cobaye d'un chirurgien dément; elle interprète avec une candeur inquiétante cette jeune fille qui donne la mort à ceux qu'elle rencontre, alors qu'elle paraît de prime abord sans défense et fort inoffensive, préfiguration, comme le film précédent du cinéaste, FRISSONS, du SIDA, corollaire mortel de la libération sexuelle.

Scène de RAGE : la solitude de Rose, interprétée par Marilyn CHAMBERS - on peut voir à gauche l'affiche de CARRIE avec Sissi SPACEK, qui avait été initialement pressentie pour le rôle.

Pat HINGLE ( à ne pas confondre avec Art HINDLE qui a joué dans plusieurs films fantastiques des années 1970 ), né Martin Patterson HINGLE, disparu à l'âge de 84 ans le 3 janvier 2009, avait souvent interprété, en particulier à la télévision, des grands-pères un peu bougons mais au cœur généreux, avec pratiquement la même physionomie depuis toujours. Il était notamment apparu dans MAXIMUM OVERDRIDE, film réalisé par Stephen KING d'après une de ses nouvelles, ainsi que dans les différents films autour du justicier BATMAN. En matière de créatures, il avait joué dans le fort peu connu téléfilm SHOCK INVADER - NOT OF THIS WORLD, réalisé par John HESS, dans lequel il affrontait des extraterrestres se nourrissant du potentiel électrique de leur victime, des êtres étranges dont la texture rappelait celle du papier mâché et dont la morphologie évoquait quelque peu les souches d'arbre inquiétantes vues dans la scène du cauchemar dans la forêt du dessin animé de DISNEY, BLANCHE-NEIGE.

L'acteur Pat HINGLE, qui impose sa présence
de grand-père protecteur et décidé dans SHOCK INVADER

La créature du téléfilm SHOCK INVADER, mâchoire ouverte
( les mandibules sont disposées horizontalement tel un sécateur ),
conçue par Alex RAMBALDI, fils de Carlo RAMBALDI,
grand concepteur d'effets spéciaux évoqué dans l'article d'octobre 2008

Les médias français ont unanimement rendu hommage à Maurice JARRE décédé le 29 mars 2009 à Los angeles à 84 ans, alors qu'ils avaient totalement ignoré la disparition d' un autre compositeur de cinéma, très inventif et talentueux, Jerry GOLDSMITH, il y'a quelques années ; il est vrai que JARRE, installé depuis très longtemps aux Etats-Unis, était français. Il était l'auteur des compositions de bien des films connus, d
e LAWRENCE D'ARABIE à GORILLES DANS LA BRUME ( le film rendant hommage à Dian FOSSEY, protectrice des Gorilles de montagne ) en passant par le très réussi JESUS DE NAZARETH de Franco ZEFFIRELLI. En matière de science-fiction, il avait composé la musique épique du film ENEMY MINE de Wolfgang PETERSEN, dans lequel on peut admirer quelques espèces extraterrestres conçues par Chris WALAS. (* film très apprécié des critiques, dont l'intérêt m'a cependant paru bien peu évident, au point de n'être pas allé le voir au cinéma et de l'avoir visionné à la télévision le doigt rivé à la touche d'avance rapide, moi qui suis pourtant un inconditionnel de la première partie de la carrière cinématographique du réalisateur; à noter que deux ans avant la parution du roman de BALLARD en 1973, Brian LUMLEY, disciple de LOVECRAFT, avait écrit une nouvelle intitulée UN FOU DU VOLANT, qui traite aussi de la fascination pour l'automobile et de l'acceptation des accidents de la route comme sacrifice consenti à l'idole de la modernité .)

(**curieusement, ce sont les auteurs de science-fiction les plus marqués à gauche qui se montrent les mieux disposés au sujet des criminels nazis : FARMER présente au départ GOERING en lui prêtant une certaine bonhommie, Philip K. DICK paraît fugitivement admirer l'ascétisme de HIMMLER dans le célèbre roman uchronique LE MAITRE DU HAUT CHATEAU et Normad SPINRAD a écrit la biographie d'un HITLER fictif devenu un auteur d'heroic-fantasy après avoir trouvé refuge aux Etats-Unis suite à la victoire des communistes spartakistes dans REVE DE FER. )

( ***un autre film, HAUNTED SUMMER, revient sur la genèse de cette création fondatrice. )

jeudi 6 novembre 2008

LA TRILOGIE JURASSIC PARK DE NOUVEAU ENDEUILLEE


Triste 4 novembre 2008 aux Etats-Unis pour les amateurs de littérature et de cinéma : après la disparition cet été du spécialiste d'effets spéciaux qui avait donné vie aux Dinosaures de la série JURASSIC PARK, Stan WINSTON, c'est l'auteur des livres dont s'inspirait la série de films, Michael CRICHTON, qui est victime à son tour du cancer à l'âge de 66 ans. Bien que n'ayant pas à proprement parler inventé de créatures imaginaires ( si l'on excepte la molécule infectante à structure cristalline de LA VARIETE ANDROMEDE ), il avait redonné brillamment vie aux géants disparus dans le célèbre roman et sa suite.

De grande taille puisqu'il dépassait les deux mètres, Michael CRICHTON connut également les hauteurs du succès de librairie, et, cas assez rares, il se fit également régulièrement metteur en scène pour le cinéma à partir de 1973 avec MONDWEST, bien qu'il n'était pas apparenté au cinéaste Charles CRICHTON ( la comédie UN POISSON NOMME WANDA et une version cinématographique d'un épisode de la série COSMOS 1999 ). Cependant, sa propension au succès ne l'empêcha pas de douter, traversant une période durant laquelle il perdit l'inspiration, et, insatisfait de sa vie privée, il fut marié cinq fois.

Contrairement à nombre d'écrivains de science-fiction plus âgés décédés ces dernières années, comme Alfred Elton VAN VOGT, Arthur C. CLARKE ou encore le génial Stanislas LEM, Michael CRICHTON n'était pas à proprement parler un auteur de science-fiction mais plutôt un écrivain généraliste. Auteur de la célèbre série télévisée URGENCES, inspirée par ses études de médecine, il abordait en effet les sujets les plus divers avec la même curiosité intellectuelle, recréant par exemple en 1975 un hold-up ferroviaire célèbre avec son film LA GRANDE ATTAQUE DU TRAIN D'OR, avec Sean CONNERY.

En raison de son intérêt pour les sciences, nombre de ses oeuvres s'apparentaient à la science-fiction. C'était le cas de THE TERMINAL MAN ( 1972 ), évoquant l'application de l'informatique à la neurologie, de LA VARIETE ANDROMEDE ( 1969 ) sur la contagion par un virus extraterrestre ou encore de MORTS SUSPECTES ( COMA ) en 1977, films qui abordaient le sujet de l'éthique médicale. Dans ce dernier, classique dont L'AMBULANCE de Larry COHEN paraît s'inspirer, une doctoresse découvre que son hôpital sacrifie certains patients pour alimenter le trafic d'organes, les dernières avancées thérapeutiques servant des objectifs purement lucratifs. Le directeur de la clinique, interprété par le squelettique et glacial Richard WIDMARK, estime qu'au regard de la médecine, "une grande force sociale", le sacrifice de quelques vies humaines est bien peu de choses. Cette plongée clinique et angoissante dans les coulisses et recoins les plus obscurs et secrets des institutions médicales suscite un malaise évident.

couverture française pour le roman LA VARIETE ANDROMEDE
Si la mise en scène de LOOKER est un peu terne, le film anticipait dès 1981 les problèmes de droit à l'image consécutif à la numérisation des modèles; on sait depuis que nombre des mannequins apparaissant dans les publicités sont retouchés par ordinateur. Un chirurgien esthétique joué par Albert FINNEY, enquêtant sur la mort de ses patientes, comprend que leur meurtre a été commandité par leur employeur, le directeur d’une société de télévision, John Reston (James COBURN), qui veut les remplacer dans les publicités par leur double informatique exempt de tout défaut. Au-delà, Reston fomente le projet plutôt paradoxal de promouvoir les vertus individualistes grâce à un procédé de conditionnement des téléspectateurs. Le scénario de LOOKER n'est pas très vraisemblable, car on ne voit pas très bien pour quelles raisons un publicitaire assassinerait ses modèles lorsqu'il peut leur acheter le droit à l'image (les vedettes de cinéma font d'ailleurs couramment appel à des doublures lorsqu'elles doivent montrer à l'écran une partie de leur anatomie qu'elles jugent insuffisamment flatteuse). Le dénouement s'achève par un combat loufoque et réjouissant au milieu des plateaux de télévision affectés à la publicité subliminale.

RUNAWAY ( 1984 ), au rythme haletant, un film sans doute un peu sous-évalué, dans lequel Michael CRICHTON dirigeait Tom SELLECK ( connu notamment pour le personnage éponyme de la série policière MAGNUM ), demeure encore quelque peu en avance sur son temps en postulant la généralisation d'appareils robotisés complètement autonomes, bien que le détournement de la technologie par des terroristes soit beaucoup plus actuel. Son roman LA PROIE donnait corps aux craintes que peuvent susciter les nanotechnologies, avec ses minuscules machines auto-réplicantes de taille moléculaire - même si le thème avait déjà été précédemment abordé dans le roman LA MUSIQUE DU SANG de Greg BEAR, puis dans l'épisode UNE NOUVELLE GENERATION de la série AU DELA DU REEL, L'AVENTURE CONTINUE ( THE OUTER LIMITS ).


les automates arachnoïdes de RUNAWAY
Son roman SPHERE, porté à l'écran par Barry LEVINSON ( LE SECRET DE LA PYRAMIDE ), invoque lointainement les extraterrestres, puisque l'artefact inconnu n'est principalement que le moyen de révéler les peurs des explorateurs, à la manière de l'océan organique de SOLARIS; contrairement au dénouement plus subtil du livre de CRICHTON, le film s'achève sur une pirouette qui pourrait sembler « tarkovskienne », si celle-ci n'apparaissait pas comme procédant d'une naïveté déplacée alors que le grand cinéaste russe fait sourdre le surgissement brusque du paranormal d'un contexte mystique omniprésent dans son STALKER, où là aussi les pouvoirs psychokinétiques sont révélés par une puissance supra-humaine.

JURASSIC PARK ( 1990 ) - et sa suite LE MONDE PERDU ( 1995 ), en hommage au roman de Conan DOYLE - est bien sûr son roman de science-fiction le plus connu, qui repose sur une idée à la fois simple et géniale, à savoir le clonage de Dinosaures à partir de gouttes de leur sang contenues dans des moustiques préservés dans l'ambre - le spécialiste d'effets spéciaux Jim DANFORTH déclare avoir cependant précédemment envisagé un projet de comédie basée sur un concept voisin. A la suite des manigances d'un employé indélicat, les Reptiles mésozoïques ressuscités parviennent bientôt à s'échapper des enclos dans lesquels on les a placés afin de les présenter au public. Le roman met encore plus que le film l'accent sur l'enthousiasme que suscite le projet de longue haleine de rendre la vie à des espèces disparues, ce qui ne l'empêche pas de comporter également des scènes très angoissantes, comme l'attaque des Compsognathus ( qui est retranscrite à l'écran dans la séquence d'ouverture du second volet, LE MONDE PERDU de Steven SPIELBERG ), la volière avec les Ptéranodons ( séquence vue dans JURASSIC PARK 3, hélas beaucoup moins effrayante pour cause de Reptiles volants en image de synthèse ), ou encore la scène nocturne très sinistre dans laquelle un tout jeune Tyrannosaure s'amuse avec une cruauté évidente avec un personnage, avant de le mettre à son menu, séquence par contre demeurée inadaptée à ce jour. En dépit d'un certain nombre d'autres différences, telles la transformation de l'avocat téméraire en un personnage assez falot rapidement gobé par un Tyrannosaure dans une posture humiliante, l'interversion des personnalités des deux enfants, ou encore la première visite du parc préhistorique qui tourne au drame alors que, dans le roman, elle se déroule normalement, la tragédie ne survenant qu'ultérieurement, le film de Steven SPIELBERG restitue l'essentiel de l'esprit du livre, Richard ATTENBOROUGH incarnant avec un enthousiasme bonhomme le milliardiaire enthousiaste à l'idée de concrétiser un rêve d'enfant.


Un rêve de gosse: le plus fabuleux des parcs zoologiques, derrière une porte d'entrée monumentale faisant référence à KING KONG


Un placide herbivore issu du film
(à la création duquel a contribué un artiste français du studio Winston)

L'écrivain cédera, non sans réticence, à la tentation de ressusciter dans LE MONDE PERDU le mathématicien Ian Malcolm, porte-parole de « la théorie du chaos » - laquelle réintroduit la notion d'aléatoire en rupture avec la causalité mécanique définie par la physique newtonienne – qui avait trouvé la mort à la fin du roman JURASSIC PARK, à l'inverse de la version scénarisée qui en avait été tirée pour le film réalisé par Steven SPIELBERG. La nouvelle vague de médiatisation des Dinosaures imputable à l'écrivain lui a valu l'honneur qu'on forme à partir de son patronyme le nom générique d'un Dinosaure végétarien cuirassé de la famille des Ankylosauridés, Crichtonsaurus.


maquette d'une famille de Ptéranodons réalisée par le Studio Winston

Le canevas de JURASSIC PARK est à peu près comparable à celui de MONDWEST ( WESTWORLD ), écrit et réalisé en 1973 par Michael CRICHTON, dans lequel les automates d'un parc d'attraction, dont un terrifiant cow-boy joué par Yul BRYNNER, se dérèglent soudain et se mettent à tirer pour de vrai sur les visiteurs qui se réjouissaient d'avance de participer à une simulation. La première partie du film décrit avec quelque ironie cet univers admirablement organisé et totalement factice, peuplé de vacanciers assez puérils ; la seconde bascule dans la terreur avec la traque impitoyable des survivants par un androïde habillé en desperado (Yul Brynner), avançant implacablement vers ses victimes, insensible aux balles. De facture classique, le film est extrêmement efficace, réglé comme une mécanique à l'instar de celles, meurtrières, qu'il met en scène; l'androïde incoercible joué par Yul BRYNNER est réellement terrifiant, et Arnold SCHWARZENEGGER a reconnu qu'il avait constitué sa référence essentielle pour l'interprétation de l'androïde meurtier de TERMINATOR. Les producteurs décidèrent de donner une suite au film, LES RESCAPES DU FUTUR ( FUTUREWORLD ), dans lequel la technologie du parc est détournée par des conspirateurs qui veulent remplacer les hommes politiques par des androïdes à leur image, afin de servir leurs intérêts malhonnêtes; les plus cyniques diront sans doute qu'il n'est pas toujours aisé de différencier les politiques des pantins....
maquettes préliminaires réalisées par les studios Stan WINSTON pour le film, lesquels ont aussi conçu les Singes agressifs de CONGO, une autre adaptation

CRICHTON n'hésitait pas à opter pour des points de vue irrévérencieux, comme dans son roman HARCELEMENT ( 1994 ), jugé anti-féministe car montrant comment les femmes peuvent être tout autant susceptibles que les hommes d'abuser du pouvoir – on se rappelle qu' il avait aussi été accusé par certains d'alimenter la xénophobie en mettant en avant l'emprise des sociétés japonaises sur l'économie américaine dans son roman SOLEIL LEVANT ( crainte déjà illustrée lors de scènes oniriques dans le célèbre classique BRAZIL de Terry GILLIAM ). A l'occasion de son roman ETAT D' URGENCE ( 2004 ) qui, à l'intar de l'excellent téléfilm BULLETIN SPECIAL d'Edward ZWICK de 1983 avec David CLENNON ( THE THING ), met en scène des éco-terroristes, il avait également récemment alerté sur les dérives potentielles de l'écologie lorsque celle-ci devenait une idéologie dogmatique - l'exemple des ampoules basse tension potentiellement dangereuses en fournit une illustration récente - même si on pourra se montrer plus réservé sur sa propension à minimiser les risques environnementaux, comme le réchauffement climatique conforté par divers relevés*, l'extinction dramatique de nombre d'espèces liée notamment à la réduction des espaces naturels ou encore les risques engendrés par l'utilisation de composés phytosanitaires chimiques potentiellement toxiques, alors que sa propre disparition illustre tristement l'augmentation constante du nombre de cas de cancers, même si l'écrivain contribuait à sa manière à rappeler que l'étude des faits ne doit jamais anticiper les conclusions.
Site officiel pour les anglophones : http://www.crichton-official.com
( *: on vient par exemple d'apprendre tout récemment qu'entre 1971 et 1993, la végétation a conquis environ 65 mètres en hauteur suite à la montée des températures, sans parler de la régression générale des glaciers, au Mont-Blanc, au Kilimanjaro ou encore en Himalaya. )

A cette occasion, rappelons qu'un autre esprit éclectique a disparu peu avant. Le Français Dominique FREMY s'est éteint le 3 octobre 2008 à l'âge de 77 ans. Né dans une famille aristocratique, cet homme discret qui ne fréquentait que peu les médias est connu comme l'inventeur du Quid, ce concentré encyclopédique en un volume qui est mis à jour chaque année, et dans lequel la science-fiction n'était pas oubliée. Très tôt, cet ancien élève plutôt moyen s'était mis à noter compulsivement toutes les informations qui lui paraissaient dignes d'intérêt, faisant de cet esprit curieux un digne héritier des polygraphes du Moyen-Age et des encyclopédistes du siècle des Lumières. On notera notamment sa liberté d'esprit en ce qui concerne le chapitre sur la zoologie, dans lequel il ne cédait pas au conformisme ambiant, en considérant avec un esprit critique salutaire les classifications récentes recueillant une quasi-unanimité en dépit de méthodes pour le moins contestables - sujet sur lequel ce site reviendra prochainement.
hommages et pages officielles du Quid :
http://www.quid.fr/zoom/index.php/2008/10/03/587-disparition-de-dominique-fremy-fondateur-du-quid