mercredi 9 septembre 2009

RETOUR ANNONCE DE DEUX GRANDS MONSTRES

Contrairement au pilote extraterrestre, le film ALIEN ne s'est pas fossilisé dans l'esprit des cinéphiles.

On se souvient que Barry LEVINSON avait réalisé un film, LE SECRET DE LA GRANDE PYRAMIDE, imaginant la jeunesse de Sherlock Holmes, plutôt réussi et étonnamment sombre pour une œuvre en principe destinée au jeune public. Le personnage d'Indiana Jones s'était lui vu gratifié d'une série décrivant les jeunes années de l'archéologue aventurier. Georges LUCAS a conçu plus récemment une trilogie de LA GUERRE DES ETOILES antérieure à celle qu'il avait préalablement initiée, narrant le dévoiement de chevaliers Jedi au service de sombres desseins, et montrant comment ceux-ci avaient évolué pour devenir les personnages maléfiques de la première saga, laquelle chronologiquement devint donc la seconde.

Le défi que représente l'élaboration d'œuvres conçues comme le prologue de films connus, à plus forte raison quand il ne s'agit pas de sagas se prêtant à de multiples épisodes, est particulièrement ardu, car même en admettant que les films parviennent à se hisser à la hauteur des chefs-d'œuvres initiaux, ce qui n'est pas une entreprise aisée, il leur manquera néanmoins toujours la touche d'originalité de leur modèle. La meilleure solution, difficile à appliquer au concept d'une préquelle, est d'instiller une nouvelle perspective lorsqu'on décline un concept connu, comme avec ALIENS adoptant une perspective plus guerrière mettant l'action au premier plan, POLTERGEIST 2 se focalisant sur un personnage maléfique central et ses surprenantes métamorphoses, ou encore LA MOUCHE 2, reprenant des éléments délaissés du scénario car jugés alors accessoires, notamment les enjeux financiers de la téléportation pour la société technologique qui veut s'accaparer l'invention, en les combinant intelligemment avec le thème du fils de Brundle soumis aux aléas génétiques imputables à son géniteur.

A présent, le concept pourrait être appliqué à deux grands chefs d'œuvre du cinéma de science-fiction, sans doute les deux films majeurs narrant les agissements de formes de vie extraterrestres prédatrices, ALIEN de Ridley SCOTT et THE THING de John CARPENTER - même si pour le second nous avions été bien peu à l'époque, au milieu des critiques condescendantes, à l'identifier comme un chef-d'oeuvre et un futur classique; les deux font actuellement l'objet d'un projet décrivant la situation antérieure aux événements portés à l'écran ( bien qu'un premier projet pour THE THING avait d'abord été envisagé comme une suite et qu'il a même été question de remake ) ; il est vrai que celle-ci est déjà évoquée explicitement dans les deux œuvres.

La filiation entre les films originaux et les préquelles: Ridley SCOTT, réalisateur du premier ALIEN ( en haut ), devrait diriger le film qui va narrer les évènements antérieurs au classique de 1979; il faut espérer qu'il saura livrer un nouvel opus à la hauteur de l'oeuvre fondatrice, mais au moins peut-on supputer qu'il sera peu enclin à en trahir l'esprit. Stuart COHEN (en bas ), co-producteur de THE THING, avait été l'initiateur du projet d'adapter la nouvelle de John CAMPBELL en en préservant l'essence même à l'écran, et a aussi oeuvré avec constance pour que la réalisation en soit confiée à John CARPENTER qu'il supposait avec raison comme le directeur le plus approprié à la peinture de ce huis-clos horrifique; COHEN étant à nouveau aux manoeuvres, on peut là encore raisonnablement envisager qu'il va s'efforcer de renouveler le prodige du chef d'oeuvre de 1982.

Bien que cela n'ait guère été noté, le début des deux films s'inscrit dans un schéma similaire: les protagonistes découvrent que l'organisme terrifiant qui les attaque s'en ait pris auparavant à une autre expédition, à ceci près que cette dernière est extraterrestre dans ALIEN, mais la barrière de la langue ( aucun Américain de l'avant-poste 31 dans THE THING ne connaissant le norvégien ) empêche dans les deux cas que les futures victimes puissent être instruite par l'expérience malheureuse de leurs devanciers. Le procédé permet à la fois de révéler l'intrigue progressivement tout en lui conférant une touche de réalisme puisqu'il présente des faits qui se sont déjà déroulés et que le spectateur considère ainsi spontanément comme avérés.

Les épaves des vaisseaux extraterrestres de ALIEN (en haut) et THE THING (au-dessous)

La découverte des restes de l'expédition décimée dans ALIEN (haut) et THE THING (bas)

ALIEN et THE THING ont été produits à peu près en même temps; les difficultés des producteurs du second à s'accorder sur le traitement de l'histoire et finalement les hésitations du studio quant à la rentabilité du projet, jusqu'à ce que le succès d'ALIEN démontre qu'un film de monstre à gros budget pouvait rapporter des bénéfices, explique que THE THING ne soit sorti en salles que trois ans plus tard.

Le scénario d'ALIEN était pour l'essentiel défini dès le début; il reposait sur une idée originale de Dan O'BANNON - même si on peut toujours trouver une filiation avec d'autres œuvres comme un petit film de monstre des années 1950, IT ! THE TERROR FROM BEYOND SPACE, et que le célèbre écrivain VAN VOGT entama une action en estimant qu'il s'inspirait de son roman LA FAUNE DE L'ESPACE, notamment les passages mettant en scène un extraterrestre du nom d'Ixtl. THE THING est par contre l'adaptation déclarée d'une nouvelle remarquable écrite en 1938 par John CAMPBELL - et dont seul le point de départ avait été conservé lors d'une première transcription à l'écran par Christian NIBY en 1951. Les premières approches du projet tiraient naturellement profit des potentialités cinématographiques de l'histoire, en prévoyant des scènes spectaculaires de poursuite dans les glaces, incluant des avalanches. Cependant, aucune ne faisait réellement l'unanimité, jusqu'à ce que soit engagé le scénariste Bill LANCASTER, fils du célèbre acteur Burt LANCASTER - interprète entre autre d'un Docteur Moreau particulièrement sadique dans l'adaptation de Don TAYLOR de 1976 ; celui-là, même s'il ouvre l'histoire sur une poursuite entre ce qui paraît être un chien de traîneau et un hélicoptère qui le traque, relègue l'action au second plan au profit du huis-clos, restant fidèle à l'esprit du texte originel. Même si le procédé d'introduction de l'intrigue de THE THING n'est pas totalement sans rappeler celui d'ALIEN ( qui lui-même avait eu un prédécesseur en la matière avec PLANET OF THE VAMPIRES de Mario BAVA et sa découverte de l'épave d'un vaisseau spatial ainsi que des restes squelettiques de ses occupants attaqués par des entités meurtrières ), on peut penser que sans l'habileté de Bill LANCASTER, ce chef d'œuvre qu'est THE THING serait probablement demeuré l'un de ces innombrables projets de film qui n'ont jamais vu le jour.

En haut, le scénariste d'ALIEN, Dan O'BANNON ( à gauche) en compagnie du peintre suisse GIGER, concepteur des éléments extraterrestres du film. En dessous, le scénariste de THE THING, Bill LANCASTER, dont sa participation au chef d'oeuvre de CARPENTER est l'élément majeure de sa brève carrière, écourtée par sa santé précaire - même s'il s'était montré à l'époque déçu que certaines scènes qu'il avait écrites n'aient pas été portées à l'écran, notamment une scène de panique au moment où la station est subitement plongée dans l'obscurité.

On peut se demander ce que donnera le nouvel épisode, rétrospectif, d'ALIEN, basé sur un scénario signé par Jon SPAIHTS. Logiquement, celui-ci devrait nous montrer, entre autres, les gigantesques humanoïdes extraterrestres aux prises avec les créatures meurtrières qui ont causé leur perte ( le film montre l'un d'entre eux, fossilisé sur son siège, devant ce qui semble être un poste de pilotage, les côtes ayant été percées de l'intérieur par le stade parasite de l'organisme surnommé "Chest burster"). Le spectateur jusque là mystifié par l'extraordinaire atmosphère d'ALIEN risque alors de découvrir que les Face-huggers, le stade initial qui se fiche sur le visage et pond dans le corps la génération suivante, et dont la morphologie paraît calquée sur l'anatomie humaine ( conformément aux indications du scénario ), paraissent un peu menus comparés à leurs premières victimes, comme représenté ci-dessous.

Les Extraterrestres en proie aux Face-huggers ( illustration originale ).

Il avait été un temps entendu que Sigourney WEAVER pourrait y faire une nouvelle apparition, bien qu'on ne voit pas trop comment son personnage pourrait être impliqué dans l'histoire, à moins d'imaginer à la manière d'ALIEN IV de CARO et JEUNET que le personnage d'Helen Ripley qu'elle interprétait dans le premier film était
déjà un clone réalisé par la compagnie, et qu'elle joue ainsi le personnage original, probablement elle-même un membre de la Compagnie ou/et une scientifique.

Il sera en tout cas un peu ardu d'inclure dans l'intrigue des protagonistes humains étant donné que la rencontre entre l'Alien et les humains étaient censée être une première. Peut-être pourrait-on imaginer une intrigue sur un contact dramatique entre des humains et les extraterrestres, en espérant que les auteurs joueront habilement sur les effets de perspective et l'inclusion à l'image des interprètes par des trucages visuels classiques pour représenter la différence de taille, sans recourir à des créatures créées banalement par ordinateur. Néanmoins, un élément troublant de l'œuvre de 1979 n'a guère été relevé jusqu'à ce jour : alors qu'un détachement explore l'étrange épave extraterrestre conçue par le peintre suisse H.R. GIGER, le responsable scientifique Ash ( brillamment interprété par Ian HOLM ) découvre, mais trop tard - ou feint de découvrir seulement à ce moment-là, en raison de son rôle trouble ( il s'agit en réalité d'un androïde chargé par la Compagnie de ramener, quoi qu'il puisse en coûter, l'organisme inconnu à des fins de recherche appliquée ) que le signal extraterrestre qui a attiré le Nostromo sur l'astéroïde n'est pas un appel au secours mais un avertissement. Malgré toute la ressource de l'ordinateur de bord, on ne peut qu'être déconcerté par la capacité du système à interpréter un message dans une langue totalement inconnue. Pour que l'ordinateur puisse distinguer entre ces deux types d'émissions, il paraît évident qu'il dispose d'un minimum d'informations sur la syntaxe et la sémantique des extraterrestres ( rappelons pour point de comparaison que la langue des Etrusques, peuple européen qui a précédé les Romains - et dont les habitants du Latium pourraient être plus ou moins les descendants, ces derniers ayant fondé l'Empire romain qui s'est étendu à toutes les provinces d'Italie avant de conquérir les contrées étrangères - n'a à ce jour pas pu être déchiffrée en dépit des nombreux objets étrusques mis à jour ). De là, on pourrait imaginer que la Compagnie ait déjà eu connaissance d'un certain nombre de données avant que l'équipage du Nostromo ne fasse la funeste rencontre, ce qui ouvre quelques pistes scénaristiques.


Ridley SCOTT paraît enclin à envisager les créatures meurtrières comme étant des créations de l'ingénierie génétique conçues par les extraterrestres, un genre d'arme biologique comme celà avait aussi été évoqué pour la Chose mise en scène par John CARPENTER à l'occasion d'une monture abandonnée de THE THING. Celà pourrait expliquer une similitude quant à l'apparence "bio-mécanique" des extraterrestres et celui de leur création; celà conduirait aussi à porter un regard cynique sur les civilisations, puisque les Extraterrestres qui auraient créé les Aliens et la Compagnie qui veut se les accaparer, comme elle le démontre aussi dans ALIENS de James CAMERON à travers le personnage de Burke, auraient le même dessein, s'assurer de la puissance technologique en croyant obtenir le contrôle d'une effroyable arme biologique : on est loin de la vision optimiste de certains auteurs qui imaginent que l'avènement de civilisations hautement développées irait de pair avec une grande sagesse et qu'elles seraient nécessairement pacifiques.

Le scénario d'ALIEN avait initialement envisagé que les œufs des créatures carnassières étaient hébergés dans une mystérieuse structure extraterrestre, comme représenté ici par Hans Rudi GIGER.

Quand à THE THING, il est vrai que le dénouement laissé quelque peu en suspens à la fin du film de John CARPENTER fait davantage travailler l'imagination que les faits qui précèdent l'histoire et qui sont approximativement connus, d'autant que les 45 premières minutes y étaient consacrées au dévoilement progressif de l'intrigue.

Le dénouement de THE THING : l'un des deux survivants n'est-il pas une nouvelle incarnation de la "Chose" ?

Néanmoins, la "préquelle" permettrait sans doute de découvrir quelle forme avait originellement la Chose lorsqu'elle a été découverte, avant qu'elle n'e
ntreprenne d'imiter des formes de vie terrestres ( dans le film, elle apparaît essentiellement sous une forme composite, passant d'une apparence à une autre en empruntant certains attributs de ses victimes ), même si cela ne résoudrait pas nécessairement la question de savoir si elle reproduisait alors l'aspect des extraterrestres pilotant le vaisseau qu'elle a attaqué, ou si la silhouette trouvée dans le bloc de glace était bien sa véritable forme comme l'imaginait apparemment CAMPBELL, à moins qu'on la représente comme une masse informe à l'instar de celle entraperçue à la fin de la séquence du chenil et qui paraît en effet représenter la conception de ses concepteurs - d'ailleurs, avant que Rob BOTTIN ne s'attelle à la tâche avec son monstre indéfinissable et organique, sorte de masse cellulaire indéfinie, le scénario de Bill LANCASTER envisageait la forme extraterrestre pratiquement comme une sorte de virus, un programme génétique qui s'incarnait en détournant les organismes dont elle s'emparait, bien loin de la créature à trois yeux et aux bras tentaculaires de la nouvelle.

Un premier scénariste, Ron MOORE, avait proposé un traitement réitérant l'intrigue du film de John CARPENTER, transférée dans le camp norvégien, lieu initial du déferlement de l'horreur; un nouveau scénariste, Eric HEISSERER, a achevé un travail de réécriture. La nouvelle mouture devrait se concentrer en premier lieu su
r la découverte de la soucoupe volante telle que relatée dans la nouvelle originelle de John CAMPBELL - d'autant que l'épave explorée par MacReady et Norris ne paraît pas avoir été totalement consumée par l'explosion destinée à la dégager de sa gangue de glace contrairement à ce qui survient dans la nouvelle originelle, ce qui pourrait ouvrir quelque possibilité d'exploration, puis se poursuivre par la destruction de la base norvégienne par la redoutable créature mimétique.

MacReady (Kurt RUSSELL) devant le bloc de glace ramené dans la base de recherche norvégienne (photo du haut), ayant contenu le corps de la créature extraterrestre revenue à la vie, dont l'apparence initiale demeure inconnue; peut-être pourrait-elle présenter quelque ressemblance avec la version de la Chose dessinée ci-dessus par un artiste pour un jeu vidéo inspiré du film de John CAPENTER.

Il est question de recourir pour l'essentiel à de "vrais" effets spéciaux, à l'instar du projet abandonné de série pour lequel il avait été fait appel à Vincent GUASTINI, qui a précédemment œuvré sur de petits films de monstres comme SPOOKIES et ALIEN FACTOR : METAMORPHOSIS, et a aussi sculpté les créatures goulues du téléfilm LES LANGOLIERS, malheureusement réduits à une version virtuelle; Rob BOTTIN, concepteur des effets spéciaux de maquillage du film de CARPENTER, injustement boudé par les producteurs depuis trop longtemps, ne paraît quant à lui pas avoir été contacté. Celà dit, il convient de rester prudent, si on veut bien considérer qu'il y'a déjà eu tant de films pour lesquels leurs promoteurs faisaient la même profession de foi, comme pour THE MIST, LE PACTE DES LOUPS, PITCHBLACK, lesquels se révélaient au final comporter principalement au montage final des trucages virtuels, quand bien même des animatroniques avaient été effectivement réalisés... Néanmoins, si jamais le nouveau film était fidèle à l'original et qu'il remportait suffisamment de succès, celui-ci pourrait peut-être contribuer à relancer la vogue des films de monstres utilisant des effets physiques - voire permettre le retour des maquilleurs délaissés comme Rob BOTTIN, Chris WALAS et Steve JOHNSON, comme évoqué en mars 2009 dans l'article "Les grands créateurs déclarent forfait" (*); ce serait une belle revanche pour un extraterrestre qui, en raison de recettes décevantes et de critiques assassines lors de sa sortie, a été surnommé "le monstre le plus mal aimé du cinéma"...

Comme les premiers artistes engagés sur la préproduction de THE THING avant l'arrivée de Bill LANCASTER, le studio GUASTINI a proposé pour la préquelle sa propre version de la "Bête d'un autre monde" de la nouvelle initiale de John CAMPBELL.

Si ce chien en cours de transformation ne ressemble guère à un husky, c'est qu'il est directement réminiscent du travail de GUASTINI sur le "Terminator canin" du film ROTTWEILER .


Cette main dans laquelle un œil est apparu, réminiscente d'une autre réalisation précédente du maquilleur, THE REGENERATED MAN, rappelle la main vue dans LEVIATHAN, dans laquelle s'ouvrait une mâchoire.

Autre monstruosité mutante, cette masse de chair hétéroclite combinant des caractéristiques de différentes victimes, incluant Poisson et Manchot, évoque les formes à la fois inquiétantes et grotesques entraperçues dans un autre film de John CARPENTER, L'ANTRE DE LA FOLIE.


La plupart des versions envisagées par le studio GUASTINI sont des hybridations d'homme et d'Insecte, à la manière des mutants du film THE NEST; une inspiration que Vincent GUASTINI pourriat de nouveau illustrer avec son engagement sur le projet de remake de LA MOUCHE. D'autres variations peuvent être vues sur le site original :
http://www.moviesonline.ca/gallery.php?movie=VGP-TheThing
( *lien : http://creatures-imagination.blogspot.com/2009/03/les-derniers-grands-createurs-declarent.html )

vendredi 17 juillet 2009

L'HOMME QUI FAISAIT CHANTER LES MOGWAI




Malgré toute l'implication du spécialiste d'effets spéciaux Chris WALAS, la petite créature pelucheuse de GREMLINS aurait pu ne rester qu'un jouet animé comme son apparence enjoignait à se la représenter, si le compositeur Jerry GOLDSMITH, auteur d'un nombre important de musiques de films, ne lui avait conféré cet extraordinaire gazouillis tellement attendrissant. L'apparition de créatures hors du commun au cinéma survient généralement une fois qu'une impression d'étrangeté, de mystère, a été engendrée chez le spectateur, par la combinaison judicieuse de différents éléments tels que les mouvements de caméra, le choix d'un éclairage approprié ou encore la musique de film participant de la création d'une atmosphère particulière. Ainsi, la musique inquiétante qui ouvre le film LEVIATHAN, réalisé par Georges Pan COSMATOS, prépare-t-elle le spectateur à l'immersion dans le monde ténébreux des abysses, où règne une pesanteur écrasante, et le met-elle en condition pour la tragédie qui s'annonce, la plongée dans l'effroi avec les mutations qui s'emparent bientôt de l'équipage et changent les victimes en créatures d'épouvante.

A mi-chemin du Rongeur et du Lémurien, Gizmo le Mogwaï. Avec son délicieux roucoulement et la délicate musique de Jerry GOLDSMITH, ce petit personnage pelucheux a de quoi attendrir les plus endurcis ( à l'exception naturellement de ses affreux rejetons dans GREMLINS et de l'odieux vivisecteur interprété par Christopher LEE dans GREMLINS 2: THE NEW BATCH ).

Le final féérique de GREMLINS

Le genre de la musique de film, genre à part entière - à ne pas assimiler à la bande originale du film, qui peut inclure des succès de la variété, ce qui n'a rien à voir - est souvent mésestimé, tenu pour de la musique d'arrangement sans valeur artistique par les musicologues et autres puristes de la musique classique, ou bien ignoré en grande partie par les spectateurs qui, à l'exception de quelques thèmes célèbres, ne la remarquent pas particulièrement tant celle-ci fait partie intégrante du film. Mais elle peut néanmoins, en dépit de sa fonction utilitaire, être une création à part entière, digne d'intérêt.

La musique de film vise principalement l'efficacité, cherchant à suggérer une atmosphère plutôt qu'à se complaire dans une sophistication formelle, ce qui permet de la définir comme une "musique réaliste" ; on pourrait identifier parmi ses précurseurs Richard WAGNER et ses superbes ouvertures souvent très mélancoliques, dont John WILLIAMS (LA GUERRE DES ETOILES) semble être un héritier; s'il avait vécu à notre époque, il est fort probable que le compositeur allemand aurait fini par œuvrer sur des films dans le genre de CONAN LE BARBARE. Jerry GOLDSMITH, par l'originalité dont il fait souvent preuve, se rattacherait quant à lui plus précisément à des compositeurs comme Eric SATIE ou bien Claude DEBUSSY et son CLAIR DE LUNE.

La disparition de Jerrald King GOLDSMITH il y a cinq ans, le 21 juillet 2004, n'a pas eu le moindre écho dans les médias, audiovisuels français* alors même que ses partitions ont contribué au succès de nombreux films - et que la télévision ne se prive pas d'utiliser ses partitions pour renforcer l'impact de ses documentaires sans cependant jamais l'indiquer au générique... (il semble d'ailleurs que la célèbre série radiophonique d'"histoires extraordinaires" narrées par Pierre BELLEMARE ait utilisé comme générique un thème de QB VII composé par Jerry GOLDSMITH en 1974). Il est vrai qu'il n'était pas une icône médiatique, mais juste un compositeur de musique de film particulièrement inventif, ayant signé des centaines de compositions dont celles de nombre de films célèbres, et ayant été sélectionné dix-huit fois pour l'Oscar. Privilégiant souvent les films d'action, d'aventures ou relevant du fantastique ou de la science-fiction, Jerry GOLDSMITH n'a de la sorte pas eu davantage de reconnaissance en provenance du monde culturel, puisque cette orientation l'assimilait au "divertissement" plutôt qu'aux "films d'auteurs".

Jerry GOLDSMITH dirigeant l'orchestre. Un extraordinaire compositeur disparu il y'a cinq ans, le 21 juillet 2004, auxquels les médias audiovisuels français n'ont pas, c'est le moins qu'on puisse dire, rendu justice, et qui n'a pas eu réellement la consécration qu'il mérite. Né en 1929 à Pasadena, en Californie, il s'est passionné très jeune pour la musique, à laquelle il s'est voué toute son existence.

Pragmatique, le compositeur perçoit très rapidement que l'audiovisuel représente un débouché susceptible de lui permettre de vivre de sa passion pour la composition, et aussi, au travers du divertissement, de pouvoir toucher un large public sur une grande échelle - jusque dans ses derniers instants, il appréciait de recevoir les témoignages de ses admirateurs qui le touchaient particulièrement. Jerry GOLDSMITH a appris l'efficacité en illustrant des séries télévisées comme THE TWILIGHT ZONE (LA QUATRIÈME DIMENSION) de Rod SERLING - il écrira à nouveau pour le petit écran en 1981 à l'occasion de MASADA qui colle parfaitement à l'ambiance de cette série historique, laquelle bénéficiait par ailleurs des deux excellentes prestations de Peter O'TOOLE et David WARNER. Très éclectique, il a conçu aussi bien des partitions inspirées de la musique contemporaine brute comme LA PLANÈTE DES SINGES que LA GRANDE ATTAQUE DU TRAIN D'OR marquée du sceau du classicisme. Les amateurs ont surtout remarqué le rythme trépidant des thèmes les plus violents; cependant, ces passages soulignant l'action, moins harmonieux et plus standardisés, ne doivent pas faire oublier la qualité de son travail, la manière dont il suscite de légères variations d'un thème pour lui conférer une tonalité distincte et une qualité d'émotion différente lors de sa reprise.

Durant la première partie de sa carrière, la production de Jerry GOLDSMITH reste, souvent, il faut l'admettre, assez conventionnelle. A l'exception des thèmes romantiques de LA MALEDICTION (1976) et de MORTS SUSPECTES (1977) qui, sans rompre complètement avec les standards de la musique hollywoodienne, laissent affleurer une certaine propension à l'expression des sentiments, il demeure pour l'essentiel, plus encore que Bernard HERRMANN, dans une optique visant principalement l'illustration sonore des œuvres, avec une forte similarité avec la musique contemporaine, compositions qui se prêtent peu à une écoute indépendante du support. Dans le genre fantastique, notamment, la musique de film s'est longtemps cantonnée à souligner, avec plus ou moins d'ingéniosité, les moments de tension ou d'horreur, comme Max STEINER pour le premier KING KONG en 1933 ou James BERNARD et ses violons stridents pour les films anglais produits par la Hammer. Jerry GOLDSMITH s'inscrit tout à fait dans cette lignée avec LA PLANETE DES SINGES (1968), très violente et cacophonique, celle de MORTS SUSPECTES, proche du bruitisme industriel, ou encore L'AGE DE CRISTAL (1076) à base de dissonances électroniques qui créent une ambiance technologique austère. De la même manière, PAPILLON (1973) est extrêmement efficace, générant une atmosphère moite, oppressante, suscitant une impression de malaise, mais il ne s'agit pas nécessairement du type de composition qu'on se sent spontanément enclin à écouter pour elle-même hors du contexte filmique. Jerry GOLDSMITH voit cependant sa notoriété croître, jusqu'à obtenir un Oscar - qui demeurera étrangement le seul de sa carrière - pour LA MALEDICTION, (1976) composition qui consiste essentiellement en des chants évocateurs de messe noire en latin (même si la suite comporte quelques rares mesures instrumentales plus élaborées qui laissent percer l'étrangeté).

Jerry GOLDSMITH recevant un Oscar pour la musique du film d'épouvante satanique LA MALEDICTION, le seul de sa carrière. Plusieurs Emmy awards lui ont par contre été attribués, notamment pour STAR TREK VOYAGER en 1995.

Le compositeur John BARRY est l'un des premiers à rompre avec cette conception de la musique de film fantastique, à l'occasion de sa partition pour le remake de KING KONG en 1976. Il conçoit différents thèmes mélodieux retranscrivant la personnalité romantique de l'héroïne, l'esprit aventureux qui anime l'expédition, celui de l'île évocateur de son mystère, ou encore celui de la captivité du grand singe, aux accents si douloureux qu'il faudra attendre LA MOUCHE 2 de Christopher YOUNG pour en retrouver de comparables. Pour la première fois, la musique supporte très bien d'être écoutée pour elle-même, hors la vision du film ( à noter que quelques mesures de L'HOMME SANS OMBRE (2000) par Jerry GOLDSMITH évoquent quelque peu cette œuvre; on retrouve aussi l'espace de quelques mesures quelque ressemblance d'un passage de LEVIATHAN de Jerry GOLDSMITH avec le thème romantique d'OUT OF AFRICA de John BARRY, compositeur digne d'intérêt qui s'est cependant sans doute un peu gâché en étant accaparé par la série des JAMES BOND - même si DANSE AVEC LES LOUPS dont BARRY est aussi l'auteur s'est avéré un peu répétitif et sans relief ). Aussi, on pourrait se demander si Jerry GOLDSMITH, qui avait une culture musicale très étendue, n'a pas entrevu à ce moment la perspective de concevoir des thèmes plus mélodieux pour illustrer, au moins en partie, les films car il se détache alors progressivement de l'influence de la musique contemporaine plus rugueuse.

Jerry GOLDSMITH dans les années 1970-1980.

Jalon de cette évolution, CAPRICORN ONE (1978) orchestre la dichotomie entre le rythme saccadé martelant le thème principal incisif et le débordement d'émotion du thème sentimental qui le contient et qui trouve son plein sens lorsque surgit au grand ébahissement de sa famille, et des bureaucrates qui l'ont trahi, un astronaute au cours de son propre enterrement, celui-ci ayant échappé à la mort programmée devant dissimuler l'imposture d'une fausse mission sur Mars.

Le final de CAPRICORN ONE : une veuve et son mari revenu d'entre les morts.

1979 marque l'année charnière pour Jerry GOLDSMITH, qui se voit confier la responsabilité de l'illustration de deux grandes productions de science-fiction. Si les thèmes appuyant les scènes d'horreur d'ALIEN, avec leurs staccatos, leurs percussions violentes et leurs coups de cymbales, ne s'écartent pas sensiblement de ceux de LA PLANETE DES SINGES, la partition recèle d'autres passages tout à fait marquants. Certaines mesures, tout en retenue, avec quelques notes suspendues, évoquent tout à fait l'impression de vide intersidéral, d'espace profond nimbé de mystère et d'inconnu, comme si le silence lui-même était partie prenante de la composition. L'atmosphère du film bénéficie aussi de l'expérience d'une composition précédente de Jerry GOLDSMITH, aux notes très inquiétantes, celle de FREUD (1962), dont le réalisateur Ridley SCOTT a repris quelques passages pour ALIEN - notamment celui durant lequel l'acide produit par le parasite externe s'écoule en manquant de peu de trouer la coque du navire spatial. L'autre grand film de genre de l'année, STAR TREK-LE-FILM, s'ouvre sur une fanfare très glorieuse digne d'un péplum, conformément à la demande du studio, le compositeur ayant initialement proposé une partition moins solennelle; néanmoins, sa reprise ultérieure avec un rythme plus posé au cours de la suite du film, lui confère une plus grande gravité et un intérêt musical plus évident, se combinant avec davantage de facilité avec la musique cérébrale et métaphysique qui accompagne les évolutions des personnages au gré de l'investigation de l'énigme cosmique presque insondable (voir entretien et extrait relatif à la première partition composée pour  STAR TREK-LE-FILM : http://www.youtube.com/watch?v=TpcJPm80TPQ&list=FLc6EaE8C914J_rossCy3vGA&index=1).
 
Le réveil de l'équipage cryogénisé dans ALIEN. La partition lumineuse de Jerry GOLDSMITH nimbe la séquence d'une touche d'aventure - mais celle-ci basculera dans l'horreur avec l'irruption d'un prédateur extraterrestre.

Jerry GOLDSMITH avait confié ne pas avoir un intérêt particulier pour le fantastique ou la science-fiction; cependant, il va apporter sa contribution à bien des films s'y rapportant. En 1981, il propose avec OUTLAND une nouvelle plongée dans l'univers industriel, le ramenant à ses compositions assez austères. POLTERGEIST (1982) comporte des tutti frutti très agressifs, mais, comme pour ALIEN, offre également quelques passages mémorables. L'apparition d'un spectre dans le salon est accompagnée d'une utilisation très particulière, irréelle, des cordes, à la manière d'Eric SATIE, compositeur favori de Jerry GOLDSMITH. Quant au morceau "The Light", il est en parfaite adéquation avec le discours de la paraspychologue sur l'au-delà, renforçant chaque phrase, chaque intonation, sans jamais cesser d'être une composition mélodique à part entière, retranscrivant à la fois l'appréhension que suscite le monde surnaturel et la grâce des âmes rendues à leur pureté immatérielle. POLTERGEIST 2 (1986) est quant à lui baigné dans une musique envoûtante, évocatrice du monde chamanique, notamment le thème "The Power". Le morceau "Late Call" qui illustre le lien surnaturel qui permet à Carol-Ann de communiquer avec sa grand-mère décédée génère l'émotion sans effets appuyés. Dans le même domaine, sa partition pour le remake de LA MAISON DU DIABLE en 1999, HANTISE (THE HAUNTING), retrouve l'atmosphère inquiétante des meilleurs passages de POLTERGEIST, suggérant la résurgence d'un passé douloureux; on peut parier qu'il sera longtemps utilisé pour illustrer des reportages télévisés sur des crimes ou des histoires de maison hantée.

L'apparition du spectre dans le salon de POLTERGEIST sous le regard ébahi de la famille Freeling, ainsi que des parapsychologues qui ne s'attendaient pas à une manifestation si spectaculaire. Une ambiance d'autre monde due aussi bien aux effets spéciaux de John BRUNO qu'à la partition de Jerry GOLDSMITH.

FIRST BLOOD (RAMBO) assume en 1982 toute la gravité du thème du soldat perdu, délaissé par la société après avoir risqué sa vie pour son pays. Les quelques mesures durant lesquelles John Rambo s'échappe d'une mine abandonnée, quittant le monde des ténèbres et de la mort où il avait été laissé, pour retrouver la lumière, préfiguration des envolées de TOTAL RECALL, méritent d'être également évoquées. Jerry GOLDSMITH a déclaré en réponse à une question portant sur ce qu'il avait retiré du film, qu'il lui avait permis de s'offrir une belle demeure à Hollywood; cette saillie ironique ramenant son art à un exercice strictement mercantile pourrait être perçue comme une marque de modestie tant la formidable transcription musicale du sentiment de solitude de l'ancien militaire, marqué par la souffrance indicible de ses frères d'armes ( repris en 1985 dans RAMBO 2 au travers du morceau "Day by day" ), devenu un surhomme pathétique, un colosse aux pieds d'argile, témoigne d'inspiration et d'implication du compositeur. Son incroyable talent s'exprime encore au travers de PSYCHOSE 2 (1983). Pour une fois, un instrument se détache de l'ensemble orchestral, un piano dessinant une complainte triste augurant le combat impossible du psychopathe Norman Bates contre sa déraison. Les morceaux illustrant le basculement irrésistible dans la folie sont réellement dérangeants.

"Tout ce que je voulais, c'était manger un morceau.." La détresse de John Rambo, soldat perdu, dans FIRST BLOOD, si bien rendue par Jerry GOLDSMITH, ainsi que dans RAMBO 2 mettant au premier plan le thème de la trahison, et même dans le troisième volet, dont la partition est l'intérêt principal ( en ce dernier cas, l'écoute de la bande originale s'impose plus que la vision du film.. )

En 1983, THE TWILIGHT ZONE-THE-MOVIE (LA QUATRIEME DIMENSION) fait tour à tour surgir l'insolite avec grâce ("That's a good Life") et l'émotion empreinte de nostalgie autour de la prestation empreinte d'humanité chaleureuse de Scatman CROTHERS ("Kick the can"), sensibilité que l'on retrouve également dans GREMLINS (1984) au travers du merveilleux thème de Gizmo et de l'épilogue empreint d'une délicate mélancolie ainsi que dans GREMLINS 2 (1990).

Jerry GOLDSMITH a longtemps considéré, vraisemblablement jusqu'à BASIC INSTINCT (1992), que LEGEND était sa composition préférée. Le thème du Mal y est cependant un peu succinct, et la grâce délicate, éthérée, de l'ensemble, à l'image du film qui n'est qu'une suite de belles images, rend peut-être cette composition moins marquante que d'autres. Le compositeur n'était en tout cas pas rancunier, puisqu'il avait accepté de travailler à nouveau avec Ridley SCOTT bien que celui-ci ait retouché sa partition d'ALIEN contre son gré; cette fois, l'expérience fut plus amère, puisque la totalité de sa musique fut éliminée de la version américaine. Jerry GOLDSMITH avait pourtant toujours à coeur l'intérêt du film, ne cherchant pas à se mettre particulièrement en avant; il proposa ainsi lui-même que LA PLANETE DES SINGES s'achève sans musique, estimant que le jeu de Charlton HESTON était suffisamment puissant à lui seul sans qu'il soit nécessaire de le souligner par des effets musicaux.

La partition distribuée dans le commerce de L'AVENTURE INTERIEURE (1987) s'est longtemps limitée en dehors du thème principal à un ensemble conventionnel et un peu poussif faisant prééminer l'action, l'espace étant occupé par différents morceaux de variété issus de la bande originale, à l'instar de celle de CHRISTINE de John CARPENTER dont la version d'origine ne comportait guère de morceaux composés par le cinéaste avec son collaborateur Allan HOWARTH. Une version plus complète permet à présent d'en apprécier toute l'inventivité, déclinant toutes les tonalités de cette aventure extravagante, de son étrangeté la plus marquée dans la lignée de sa composition pour "That's a good Life" du film LA QUATRIEME DIMENSION à son romantisme le plus délicat en passant par des musiques d'action variées, qu'on peut découvrir dans la seconde partie de cette sélection et qui amène à réévaluer très notablement la partition du film par rapport à la portion sommaire qu'il nous était jusqu'à présent permis d'écouter indépendamment des images : http://www.youtube.com/watch?v=Pacm-YUDz1E

RAMBO 3 (1988), qui, en dépit de sa distribution notable (dans les seconds rôles, Richard CRENNA, Marc de JONGE et même Kurtwood SMITH, même si sa présence relève plus de la figuration) n'est qu'une sorte de bande dessinée d'action d'un intérêt très discutable, bénéficie en sus des musiques d'action de quelques thèmes sublimes, comme "Another time" et "I'll stay". Jerry GOLDSMITH s'est encore surpassé là où il aurait été tout à fait fondé à se limiter à une partition de commande, comme il le fit davantage en 1998 pour UN CRI DANS L'OCEAN - dont le réalisateur avait supprimé la créature conçue par Rob BOTTIN par gain de temps, celà n'incitait pas à la qualité. 

Le thème principal de LEVIATHAN (1989) réussit le prodige, au travers de son thème ample et puissant, de retranscrire le dépaysement représenté par les grandes profondeurs marines, la pression et la lenteur qui y règnent, le danger, le mystère et l'inquiétude, la peur et l'angoisse de la maladie engendrée par une mutation génétique. Comme pour ALIEN, la réapparition au sein de la violence orchestrale de quelques petites touches épurées qui amorcent un thème mélodique avec une pureté cristalline signe la résurgence d'un espoir possible au sein de l'épouvante et du chaos.

LEVIATHAN, enfer sous-marin.
Tournage avec le monstre - fugitivement vu à l'écran - aux membres changés en tentacules; la couleur argentée rappelle les Poissons auxquels il emprunte une bonne part de son héritage génétique.

Stan WINSTON, grand maquilleur auquel le premier article de ce blog a rendu hommage deux jours après sa disparition il y'a un an, devant un prototype de l'abomination génétique de LEVIATHAN.

Ce n'est sans doute pas un hasard si les toutes premières mesures de TOTAL RECALL (1990) rappellent celles du thème principal de CONAN LE BARBARE composé par Basil POLEDOURIS, film qui a fait connaître Arnold SCHWARZENEGGER. La suite est par contre empreinte d'une atmosphère futuriste, alternant le dynamisme martial du thème principal avec des plages plus oniriques et avec le souffle cosmique d'une envolée puissante et éblouissante accompagnant la plongée dans les fascinants décors de Mars. Le final avec ses notes appuyées et sa tonalité un peu évasive se rapproche quelque peu de certains passages composés par VANGELIS pour BLADE RUNNER.

L'arrivée sur Mars dans TOTAL RECALL, époustouflante grâce aux superbes maquettes et à la composition puissante de Jerry GOLDSMITH, illustration brillante de sa faculté à mêler orchestre et synthétiseur.

Rencontre au sommet entre deux immenses artistes dans TOTAL RECALL : SCHWARZENEGGER face à une stupéfiante création du maquilleur Rob BOTTIN ( voir article "Les grands créateurs déclarent forfait" de mars 2009 ), le mutant Kuato, sur la formidable et vertigineuse montée chromatique de Jerry GOLDSMITH. Le morceau intitulé "The big jump" a dans la réédition été rebaptisé "The Mutant", associant ainsi davantage les deux créateurs - le compositeur avait cependant déjà été précédemment engagé sur des films mettant en scène des créatures du maquilleur, notamment EXPLORERS et LEGEND.

Jerry GOLDSMITH n'avait apparemment pas fait d'allusion au thème de la série télévisée STAR TREK lorsqu'il a signé la musique de la première adaptation cinématographique, contrairement à James HORNER qui ouvrit STAR TREK 2 et 3 avec quelques mesures caractéristiques; en réalité, il avait bien agencé un morceau qui le reprenait, mais qui n'avait pas été retenu (http://www.youtube.com/watch?v=NompbaBMvB0). Ce manque de référence offcielle n'empêcha pas une grande considération mutuelle entre le compositeur de musique de film et le créateur du générique de la série, Alexander COURAGE, qui eut pour bien des films la responsabilité de conduire l'orchestre lorsque Jerry GOLDSMITH ne le dirigeait pas lui-même. Le nom de Jerry GOLDSMITH devait être à nouveau associé à l'univers STAR TREK, avec la partition de nouveaux films ainsi, pour l'essentiel, que celle des nouvelles séries télévisées. Les bandes originales de STAR TEK V (1989), STAR TREK INSURRECTION (1998) et STAR TREK NEMESIS (2002) sont tout en retenue, empreintes de sérénité. Le thème principal de STAR TREK FIRST CONTACT (1996) est quant à lui tout particulièrement remarquable, exprimant une sorte de noblesse contenue avec une touche nostalgique. Le générique de la série STAR TREK VOYAGER (1995), d'un genre très différent, s'impose par sa majesté et son originalité.

La saga STAR TREK marquée durablement par les sublimes compositions de Jerry GOLDSMITH.

En dehors du cinéma fantastique, Jerry GOLDSMITH a conçu bien d'autres musiques de film remarquables et touchantes; parmi ces réussites, citons LIONHEART (1987), FIRST KNIGHT (1995 ) - dont quelques passages évoquent ALIEN ainsi que le final de TOTAL RECALL - et LE 13EME GUERRIER (1999), qui restituent l'esprit chevaleresque, FOREVER YOUNG (1992) et POWDER (1995) bouleversantes de sensibilité et de sentimentalité, ou encore THE SUM OF ALL FEARS (2002) aux allure de liturgie apocalyptique en dépit de sa sobriété.

Dans FOREVER YOUNG, Mel GIBSON incarne un homme découvert dans un caisson cryogénisé, fruit d'une expérience militaire abandonnée, à qui on a volé sa vie. La partition de Jerry GOLDSMITH rend poignante cette évocation de la fuite du temps. Jerry GOLDSMITH forever.

Le romantisme n'était pas chez Jerry GOLDSMITH une posture artistique. Il fut semble-t-il fort éprouvé lorsque sa femme le quitta en 1970. Il se remaria en 1980 avec une épouse plus jeune avec laquelle il partagea toujours une grande complicité; loin de toute prétention, il s'amusa d'ailleurs à faire une courte apparition à ses côtés dans le film GREMLINS 2. Le compositeur savait aussi se montrer accessible comme il le prouva en prenant comme agent un admirateur rencontré dans un supermarché alors qu'il faisait ses courses, lequel avait entrepris de lui demander un autographe - un exemple qui devrait en inspirer beaucoup qui manquent dramatiquement d'humilité...


Jerry GOLDSMITH a été un innovateur particulièrement brillant, combinant au plus haut degré la fusion entre orchestre philharmonique et synthétiseurs. Il en résulte une osmose parfaite; à l'inverse du soliste accaparant l'attention en voulant faire montre de sa virtuosité comme dans nombre d'œuvres classiques, tous les instruments participent d'un même mouvement, d'une respiration commune, à la manière d'un organisme vivant. Ce qu'il y'a peut-être de plus spécifique chez ce compositeur - même si on peut trouver une approche voisine avec GOONIES de Dave GRUSIN - est peut-être aussi ce mélange fascinant et assez bouleversant de mélancolie indissociable d'un merveilleux réminiscent de l'univers magique de l'enfance, comme pour les épilogues de GREMLINS et SMALL SOLDIERS, contraste détonant qui donne de la profondeur à ses œuvres sans que celles-ci soient pour autant totalement déprimantes, comme peut l'être par exemple à contrario le final d'IL ETAIT UNE FOIS DANS L'OUEST d'Ennio MORRICONE. Le génie du compositeur réside dans les variations subtiles qui déclinent les thèmes sans monotonie, et son incroyable propension à, une fois le thème principal exposé, obtenir un surcroît d'émotion par une utilisation habile et fort remarquable de l'orchestration dans ce qui est à l'opposé d'une simple redondance, comme c'est bien souvent le cas chez d'autres compositeurs pourtant fort estimables - on pourrait à contrario citer DRACULA et FURY de John WILLIAMS, CABAL et BATMAN de Danny ELFMAN... Il fait ainsi prendre conscience que la musique ne se réduit pas à un thème, aussi original soit-il, mais procède aussi d' une interprétation, d'une exécution dans laquelle l'expression de la subtilité et des nuances est tout aussi déterminante que la structure mélodique. Ainsi, même un thème comme celui d'A COUTEAU TIRE, qui n'est pas le plus mémorable de son œuvre, emporte l'adhésion par son caractère épique, aventureux et tragique à la fois, qui contribue immédiatement à hausser la portée du film.

Dans les années 1990, Jerry avait adopté une coiffure fort différente avec les cheveux attachés à l'arrière.

Jerry GOLDSMITH continua à composer malgré le cancer qui lui fut finalement fatal à l'approche de ses 76 ans, le 21 juillet 2004. Il a communiqué son amour de la musique à son fils Joël GOLDSMITH, qui l'assista sur la composition de RUNAWAY en 1985. Ce dernier a depuis signé les partitions de diverses séries de science-fiction comme celles de AU DELA DU REEL - L'AVENTURE CONTINUE, avec sa composition un peu atonale aux accords étranges frisant avec la dissonance, générant une atmosphère très particulière, et STARGATE ATLANTIS - qui se rapproche quelque peu de la veine de STAR TREK VOYAGER. Il a d'ailleurs créé son site avec humour puisque "personne d'autre ne s'était dévoué": http://www.freeclyde.com/index.html

Le nom de GOLDSMITH est toujours présent dans la création musicale au travers de son fils Joël, qui jusqu'à présent a surtout écrit pour les séries télévisées.

Jerry GOLDSMITH a eu raison d'œuvrer dans le cinéma. Même s'il lui arrivait de livrer des œuvres d'un intérêt supérieur à celui de certains films, il a pu diffuser de la sorte largement son travail. Un compositeur classique contemporain talentueux comme Samuel BARBER aurait pu sombrer dans un oubli assez général si le cinéma n'avait pas remis au goût du jour son pathétique et sublime ADAGIO FOR STRINGS entendu dans l'épilogue de THE ELEPHANT MAN de David LYNCH ( repris peu après dans PLATOON ).

Il est vrai que Jerry GOLDSMITH n'est certes pas le seul compositeur remarquable du cinéma fantastique - on pourrait citer John WILLIAMS ( la saga STAR WARS, JURASSIC PARK ), James HORNER ( STAR TREK 3, KRULL ), Ennio MORRICONE ( THE THING, MISSION TO MARS ), Basil POLEDOURIS ( CONAN LE BARBARE, CONAN LE DESTRUCTEUR ), Howard SHORE ( LA MOUCHE ), Trevor JONES ( THE DARK CRYSTAL, LOCH NESS ), Michael KAMEN ( THE DEAD ZONE, BRAZIL, HIGHLANDER ), ou encore Angelo BADALAMENTI et ses complaintes planantes et envoûtantes de nombre de films de David LYNCH, mais il en est probablement le plus représentatif et inventif, bien que son nom soit curieusement souvent omis.

Récemment, une compilation des 30 musiques de films préférées des Français, selon les résultats d'un sondage, intitulée Les élections de la musique de film, était commercialisée. Beaucoup de compositeurs connus y figuraient, Ennio MORRICONE, Howard SHORE, John WILLIAMS, John BARRY, VANGELIS, Georges DELERUE, Bernard HERRMAN... Parmi les laissés pour compte, un grand absent, Jerry GOLDSMITH. Mais l'ignorance récurrente de ce grand nom de la culture contemporaine n'abuse pas les vrais connaisseurs : une recherche image par google indexe 171 000 résultats approchant... Il ne fait aucun doute que l'art de Jerry GOLDSMITH sera tôt ou tard intégré dans les enseignements dispensant une formation à la musique de film et deviendra une véritable référence. Pour l'heure, les mélomanes n'auront sans doute jamais l'idée d'aller rechercher dans la bande originale d'un film commercial une belle partition, à fortiori quand il ne s'agit pas d'un film "prestigieux" comme LE DERNIER EMPEREUR; ils ne savent pas ce dont ils se privent...

Depuis, malgrè tout, un site français a été créé pour rendre hommage au grand compositeur et tenter de pallier en partie le faible écho de sa disparition. On peut ne pas partager nécessairement l'enthousiasme des auteurs pour la partition de LA PLANETE DES SINGES, aux staccatos violents et aux sonorités discordantes, et il semble par ailleurs que Jerry GOLDSMITH et le compositeur attitré des films d'Alfred HITCHCOCK et de plusieurs œuvres de Ray HARRYHAUSEN, Bernard HERRMANN, n'auraient pas nécessairement éprouvé une forte sympathie mutuelle comme évoqué ( Le premier trouvait d'ailleurs ironique de succéder au second sur la saga PSYCHOSE ), mais il convient d'indiquer que ceux-ci ont rassemblé pour le lecteur français une masse d'informations biographiques impressionnantes, notamment sur les débuts de sa carrière au sein de la communauté juive de compositeurs d'Hollywood, ainsi que sous l'égide de Miklos ROZSA, que les connaisseurs ne se priveront pas de consulter et qu'on recommande bien volontiers :
Evidemment, il existe aussi pour les anglophones un beau site très complet sur Jerry : http://www.jerrygoldsmithonline.com
Une courte vidéo lui rend aussi un petit hommage: http://www.youtube.com/watch?v=M3XF8j6xjqQ

Il y a cependant encore toujours à faire pour faire connaître et reconnaître son talent pourtant éclatant, ce à quoi on s'est efforcé bien modestement de contribuer ici. Monsieur GOLDSMITH, où que vous soyez à présent, sachez que vous manquez à beaucoup d'admirateurs, et que vos compositions si marquantes ont contribué à rendre notre existence un peu moins désenchantée, à préserver notre capacité à faire preuve de sensibilité et d'émotion dans un monde moderne affreusement cynique. La disparition de la musique de Jerry GOLDSMITH, s'additionnant à la suprématie écrasante des images générées par ordinateur, signe définitivement la fin d'une certaine magie au cinéma.
* la télévision belge a par contre produit un documentaire intitulé "Film music-Jerry Goldsmith" en 1987.

PS: n'oublions pas malgré tout au passage deux autres compositeurs de musiques de films disparus à peu près à la même époque que Jerry GOLDSMITH : le grec Basil POLEDOURIS, auteur des thèmes si variés et remarquables de CONAN LE BARBARE et CONAN LE DESTRUCTEUR, à qui l'on doit aussi la musique de ROBOCOP, autre fresque sur l'émergence d'un héros purifié par l'ascèse d'une légitime vengeance, et Michaël KAMEN, à qui l'on devait la partition très mélancolique de THE DEAD ZONE, le noble romantisme de HIGHLANDER ou encore la composition éclectique et tout à fait digne d'intérêt de BRAZIL. Conservons encore longtemps au travers de leurs œuvres le souvenir de ces créateurs qui ont contribué à porter le cinéma fantastique jusqu'à l'excellence dans les années 1980 et qui ont donné ses lettres de noblesse à la musique de film.

Note : Les lecteurs qui estimeraient qu'il n'existe qu'un rapport assez ténu entre cet article et le thème des créatures seront peut-être curieux de savoir que Jerry GOLDSMITH est indirectement à l'origine de ce blog, créé il y'a un peu plus d'un an. L'auteur ayant appris quelque peu fortuitement la disparition du grand créateur de monstres Stan WINSTON deux jours plus tôt s'attendit à ce que les médias audiovisuels fassent preuve à son égard de la même indifférence que lors de la disparition du compositeur, ce qui le décida à écrire de mémoire en trois quart d'heures un hommage spontané que vous avez pu lire en juin 2008 en ces pages. Ce blog fut ainsi créé pour, à cette échelle modeste, honorer la mémoire du maquilleur, l'auteur ignorant que Mario GIGUERE, avec qui il avait correspondu à plusieurs reprises, le trouverait suffisamment digne d'intérêt pour avoir l'amabilité de le mettre sur son propre site - qu'il soit encore remercié ici pour son soutien et ses encouragements. Ce blog néanmoins créé entre temps appelait d'autres articles, aussi, bien que sa création n'ait en rien été préméditée, il devint rapidement l'opportunité de traiter avec un regard non conformiste des sujets en rapport avec la diversité des créatures vivantes et avec les créations imaginaires qu'elles peuvent inspirer, les Dinosaures et monstres de Stan WINSTON en fournissant le prologue idéal. L'hommage à Jerry GOLDSMITH, même s'il se situe à la périphérie de sa thématique, renoue donc avec l'histoire de la genèse de ce blog. A noter que l'auteur a été un jour été pratiquement possédé, non par un thème comme celà arrive de temps à autre lorsqu'un air vous trotte dans la tête, mais par la totalité des morceaux de TOTAL RECALL, y compris ceux qu'il aimait moins, d'une manière telle que celà ne lui était jamais arrivé. Le lendemain, il apprit que le compositeur avait disparu la veille. Curieuse coïncidence.

mardi 23 juin 2009

RETOUR SUR LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN

On avait signalé récemment à l'intention des lecteurs, à la suite de l'article de février 2009 évoquant le 200ème anniversaire de la naissance du grand naturaliste britannique, la diffusion sur la chaîne franco-allemande Arte du documentaire retraçant sa vie, LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN, réalisé par Hannes SCHULER et Katharina Von FLOTOW, représentant le savant au travers de reconstitutions, tournées en Bretagne, que le montage mêlait assez habilement à des plans issus de documentaires réalisés dans les contrées lointaines, séquences assortis de commentaires par des spécialistes.

DARWIN n'était sûrement pas du genre à voir des Iguanes roses partout; pourtant, il n'aurait pas été inconcevable qu'il en vît s'il avait séjourné plus longtemps dans l'archipel des Galapagos; cette espèce récemment découverte ne se trouve que sur les pentes d'un unique volcan.

Mettant en exergue la rupture que l'on pourrait qualifier de "révolution darwinienne" ( même si, de la même manière que je l'avais évoqué dans mon article sur "Darwin et la controverse sur l'évolution", le commentaire semble à un moment sous-entendre que les naturalistes précédents étaient déjà enclins à déceler dans la classification les affinités naturelles entre les espèces, soit en germe à esquisser une parenté entre elles ), le documentaire s'attache particulièrement à démontrer que cette nouvelle théorie explicative de la diversité du vivant s'est constituée avant tout en réaction contre la religion, le naturaliste anglais apparaissant comme une sorte de figure iconoclaste, prométhéenne, s'extrayant par son audace de l'obscurantisme chrétien, même si la fin du documentaire rappelle brièvement les états d'âme ayant baigné l'existence du savant. Ainsi, selon cette lecture, la science, s'appuyant sur les faits observables, rendrait compte de la réalité du monde en opposition directe avec la religion demeurant prisonnière de conceptions mythiques totalement obsolètes.

Il est bien connu que la religion chrétienne a commis effectivement de redoutables excès lorsqu'elle était avant tout un pouvoir, réfutant toute interprétation s'écartant de la vérité officielle, et dont l'un des faits les plus consternants fut l'exécution, non sans lui avoir préalablement coupé la langue, du théologien et astronome Gordiano BRUNO, accusé d'interprétation trop libre des textes sacrés, et notamment d'avoir postulé, pour exalter la Création divine dans toute sa richesse, la pluralité des mondes (il semble bizarrement qu'à l'époque, pour une raison qui mériterait d'être précisée par les historiens, il aurait été considéré comme acceptable d'émettre des doutes sur la virginité de la Vierge Marie ou de la divinité du Christ, mais pas d'évoquer l'existence d'autres planètes susceptibles d'abriter la vie*). Cependant à l'époque de GALILEE, le bûcher n'était déjà plus aussi certain pour ceux qui s'avançaient à remettre en cause les représentations du monde de l'époque. Au XIXème siècle en Europe, la religion imprégnait fortement les esprits mais n'interdisait plus les idées philosophiques variées et les théories scientifiques audacieuses - on se rappelle qu'auparavant, le Français Jean-Baptiste LAMARCK avait déjà connu quelque notoriété en postulant, en d'autres termes, la transformation des espèces. Ce rappel permet de relativiser quelque peu le clivage absolu esquissé par le documentaire, même si l'on n'omet en rien les réactions virulentes qui accueillirent la publication de ses travaux dans les milieux traditionnels et qui continuèrent longtemps à animer ses détracteurs.

Gordiano BRUNO, théologien et esprit audacieux à l'époque lointaine à laquelle, en Europe, les précurseurs de Camille FLAMMARION devaient faire preuve du plus grand courage pour affronter la censure religieuse.

Le documentaire présente dans cette optique le père de Charles DARWIN comme un chrétien obtus qui aurait porté sur la science le regard outragé d'un gardien du Temple face au dévoilement profane. Là encore, le temps était passé depuis que les institutions religieuses avaient proscrit toute étude du corps humain, et le père de DARWIN encourageait son fils à poursuivre des études de médecine, lesquelles ne convenaient d'ailleurs guère à ses dispositions personnelles. Charles DARWIN, effaré notamment par l'âpre lutte pour la survie dans la jungle sud-américaine ( tout autant cependant que par son étonnante profusion ), aurait été selon les auteurs animé d'un envie d'en découdre avec les conceptions chrétiennes. En réalité, le jeune homme était un vrai naturaliste passionné par la multiplicité de la vie. Il se consacra notamment à des études très complètes sur des espèces atypiques comme les Plantes carnivores et comme les Cirripèdes, ces Crustacés vivant fixés à l'âge adulte par la tête, telle la Balane de nos côtes, dont il étudia tous les types - à l'exception du sous-groupe des Rhizocéphales renfermant les espèces parasites spécialisées. Un polémiste essentiellement motivé par la volonté d'élaborer une grande théorie iconoclaste contre la religion, avec la fougue d'un NIETZSCHE, n'aurait certainement pas investi tant de temps à étudier les détails anatomiques et le fonctionnement particulier de tant d'organismes avant d'élaborer ses hypothèses, avec la passion de l'entomologiste FABRE cherchant avant tout à comprendre le monde le plus discret qui nous entoure.

Une des planches illustrant la monographie qu'à consacré DARWIN aux Cirripèdes, curieux Crustacés sessiles ( en bas, au milieu, un Conchoderma auritum de profil, animal parfois fixé aux Baleines, qui possède deux siphons aux allures d'oreilles de Lapin ; ci-dessous un groupe de ces plaisantes créatures conservées au Musée d'histoire naturelle de San Diego ).


DARWIN avait confié que, marqué par son éducation religieuse, ce n'était pas sans réticence que, progressivement, l'accumulation de ses observations l'avait amené à remettre en cause la représentation du monde qui était enseignée par la religion. Il semblerait même que ce soient en fait des raisons personnelles tragiques, la disparition de sa petite fille, qui aient fini par le faire douter définitivement de la bonté divine et de la Providence. Et cependant, alors même qu'il n'accompagnait plus le dimanche matin son épouse à l'office, Charles DARWIN continuait de faire des dons à des œuvres religieuses.

L'opposition entre science et religion n'est donc pas un clivage aussi absolu que les auteurs tendent à l'indiquer. D'ailleurs, comme évoqué dans l'article précédé, le Père Theilard de CHARDIN avait considéré que l'évolution était tout à fait compatible avec l'existence de Dieu, même si, contrairement à DARWIN, il imaginait qu'elle obéissait à un schéma directeur général univoque, ce qui paraît beaucoup moins évident de nous jours en dépit de son mouvement général vers la complexification, de la Bactérie à l'Homme.

Le Père THEILARD de CHARDIN.

Evidemment, le récit de la Genèse n'a plus qu'un rapport lointain avec l'histoire de notre planète telle que les disciplines scientifiques l'ont reconstituée, avec de plus en plus de précision. La naissance d'un individu plutôt que d'un autre semble effectivement relever de la plus incontestable contingence. L'évolution quant à elle, comporte encore des points demeurant partiellement obscurs en raison de la complexité des phénomènes, mais il est vrai qu'on pourrait admettre que le hasard a une part prépondérante dans l'histoire de la vie sur notre planète. Par contre, l'origine et la finalité de l'univers, ainsi que la question du sens qu'il conviendrait éventuellement de lui prêter, sont des interrogations qui demeurent problématiques, et la science, du moins en l'état actuel des connaissances, ne peut établir de manière irréfutable ni l'existence d'un Créateur, ni au contraire la nier fermement. Quant aux valeurs que chacun décide de donner à son existence, à la conception qu'on se fait de la morale, de l'éthique ou encore de la sexualité, aucun scientifique le plus brillant soit-il ne peut à bon droit s'en imposer le prescripteur, car cela relève des intimes convictions de chacun - point de vue que partageait également le fameux paléontologiste Stephen J. GOULD, évoqué dans l'article de février 2009, détracteur résolu des créationnistes, ce qui ne l'empêchait pas de fustiger l'ingérence des scientistes hors de leur discipline. Dans l'article précité, j'avais réfuté les différents procédés des auteurs se réclamant du créationnisme, qui visaient à discréditer l'idée d'une transformation progressive des êtres vivants au cours des âges au nom de la défense de la religion. Symétriquement, des auteurs utilisent les enseignements de DARWIN pour promouvoir une conception athée militante, voire même comme Richard DAWKINS, le célèbre auteur du GÈNE ÉGOÏSTE, pour organiser une campagne de dénigrement des prescriptions du christianisme, déviation contestable qui conduit un chercheur reconnu à quitter le terrain scientifique pour s'ingérer dans les valeurs morales de chacun.

Le scientifique Richard DAWKINS et son "service athée", un bus promouvant la conception libertarienne de la vie.

Une nouvelle fois, en tout cas, on vérifie la passion que les découvertes de Charles DARWIN continuent de susciter, de la part des fondamentalistes chrétiens en Amérique ainsi que de musulmans en Europe qui les rapportent à la religion dans la perspective de faire interdire, ou dans le meilleur des cas, de relativiser, leur enseignement en classe, tandis que des zélateurs du naturaliste instrumentalisent ses théories pour un combat qui relève d'un tout autre plan.

Il est tout de même un peu surprenant que ce débat, qui a été tranché à l'extrême fin du XIX ème dans le milieu scientifique par le ralliement de l'écrasante majorité des naturalistes, ne cesse de resurgir en étant mêlé à d'autres enjeux; on n'imagine pas, à l'inverse que les controverses au sujet de l'héliocentrisme défendu par GALLILE se soient maintenues jusqu'à notre époque, ou qu'il y'ait encore des esprits forts affirmant que la Terre est plate et que la rotondité qui se révèle depuis l'espace est soit une illusion d'optique soit une imposture scientifique. La réaction des religions paraît en retour engendrer, au-delà de la contre-argumentation légitime qu'on a présentée précédemment, un activisme anti-religieux qui, là aussi, dépasse le cadre du débat et concourt à son tour à radicaliser les positions.

L'horreur engendrée chez beaucoup par l'idée que l'espèce humaine trouve son origine dans l'évolution animale est d'autant plus anachronique que le moindre journal télévisé laisse voir une barbarie - parfois même commise au nom de la religion - qui excède la cruauté parfois observée chez les bêtes, comme l'illustre John FRANKENHEIMER dans son remake de L'ILE DU DOCTEUR MOREAU, dans lequel le prologue avec l'âpre lutte entre naufragés et l'épilogue sur fond d'images d'actualités sont comme un écrin pathétique enserrant l'épisode sur la sauvagerie des Hommes-Bêtes créés par le savant fou, dont l'auteur, H.G. WELLS, notait déjà les convergences profondes du comportement avec celui, à peine enfoui par le vernis de la civilisation, de nos semblables. Ce qui caractérise la grandeur humaine n'est pas son éloignement d'avec le monde animal où il puise ses origines, mais au contraire les efforts qu'il accomplit pour s'élever, en privilégiant le raisonnement en place de la brutalité, la compassion plutôt que la loi du plus fort, la défense de valeurs et d'idéaux au lieu de la satisfaction immédiate des pulsions instinctuelles. De l'autre côté, au contraire, certains matérialistes prosélytes paraissent se délecter de tout ce qui peut nier toute perspective de transcendance chez l'homme, voire de liberté individuelle, par une vision triviale de la condition humaine, qui, sous le prétexte théorique d'en ériger l'autonomie et la raison, aboutissent en fait souvent à le rabaisser plus ou moins au niveau de l'entité physiologique. DARWIN, promu malgré lui en prophète, n'a semble-t-il pas encore fini d'enflammer les passions...

* c'est en tout cas ce que rapporte le célèbre astronome français Camille FLAMMARION dans son essai LES MONDES REELS ET LES MONDES IMAGINAIRES, dont le titre a inspiré la dénomination de ce site.

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Les médias ont évoqué la disparition de l'actrice Farrah FAWCETT, victime du cancer comme récemment l'écrivain Philip José FARMER évoqué tantôt, laquelle était connue notamment pour sa participation à la série policière DRÔLES DE DAMES. Elle avait aussi joué en 1980 au côté de Kirk DOUGLAS et Harvey KEITEL dans le souvent injustement sous-estimé SATURN 3 de Stanley DONEN, en compagnie d'un robot inspiré de dessins de Leonard de VINCI, qui annonçait l'endo-squelette en acier chromé conçu par Stan WINSTON pour TERMINATOR. Le film convoque toutes les inquiétudes liées aux potentialités de la cybernétique.

La partie d'échecs de SATURN 3 : jouer une partie avec une machine peut s'avérer périlleux.

Hector semble tout aussi doué pour le bras de fer...

Ceux qui n'ont pas vu le film pourront lire un résumé et un petit commentaire intéressant indiquant notamment que c'est John BARRY ( pas le compositeur de musique de film mais le chef décorateur ) qui devait initialement le réaliser : http://www.scifi-movies.com/francais/dvd.php?data=saturn31980film