mardi 23 juin 2009

RETOUR SUR LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN

On avait signalé récemment à l'intention des lecteurs, à la suite de l'article de février 2009 évoquant le 200ème anniversaire de la naissance du grand naturaliste britannique, la diffusion sur la chaîne franco-allemande Arte du documentaire retraçant sa vie, LE GRAND VOYAGE DE CHARLES DARWIN, réalisé par Hannes SCHULER et Katharina Von FLOTOW, représentant le savant au travers de reconstitutions, tournées en Bretagne, que le montage mêlait assez habilement à des plans issus de documentaires réalisés dans les contrées lointaines, séquences assortis de commentaires par des spécialistes.

DARWIN n'était sûrement pas du genre à voir des Iguanes roses partout; pourtant, il n'aurait pas été inconcevable qu'il en vît s'il avait séjourné plus longtemps dans l'archipel des Galapagos; cette espèce récemment découverte ne se trouve que sur les pentes d'un unique volcan.

Mettant en exergue la rupture que l'on pourrait qualifier de "révolution darwinienne" ( même si, de la même manière que je l'avais évoqué dans mon article sur "Darwin et la controverse sur l'évolution", le commentaire semble à un moment sous-entendre que les naturalistes précédents étaient déjà enclins à déceler dans la classification les affinités naturelles entre les espèces, soit en germe à esquisser une parenté entre elles ), le documentaire s'attache particulièrement à démontrer que cette nouvelle théorie explicative de la diversité du vivant s'est constituée avant tout en réaction contre la religion, le naturaliste anglais apparaissant comme une sorte de figure iconoclaste, prométhéenne, s'extrayant par son audace de l'obscurantisme chrétien, même si la fin du documentaire rappelle brièvement les états d'âme ayant baigné l'existence du savant. Ainsi, selon cette lecture, la science, s'appuyant sur les faits observables, rendrait compte de la réalité du monde en opposition directe avec la religion demeurant prisonnière de conceptions mythiques totalement obsolètes.

Il est bien connu que la religion chrétienne a commis effectivement de redoutables excès lorsqu'elle était avant tout un pouvoir, réfutant toute interprétation s'écartant de la vérité officielle, et dont l'un des faits les plus consternants fut l'exécution, non sans lui avoir préalablement coupé la langue, du théologien et astronome Gordiano BRUNO, accusé d'interprétation trop libre des textes sacrés, et notamment d'avoir postulé, pour exalter la Création divine dans toute sa richesse, la pluralité des mondes (il semble bizarrement qu'à l'époque, pour une raison qui mériterait d'être précisée par les historiens, il aurait été considéré comme acceptable d'émettre des doutes sur la virginité de la Vierge Marie ou de la divinité du Christ, mais pas d'évoquer l'existence d'autres planètes susceptibles d'abriter la vie*). Cependant à l'époque de GALILEE, le bûcher n'était déjà plus aussi certain pour ceux qui s'avançaient à remettre en cause les représentations du monde de l'époque. Au XIXème siècle en Europe, la religion imprégnait fortement les esprits mais n'interdisait plus les idées philosophiques variées et les théories scientifiques audacieuses - on se rappelle qu'auparavant, le Français Jean-Baptiste LAMARCK avait déjà connu quelque notoriété en postulant, en d'autres termes, la transformation des espèces. Ce rappel permet de relativiser quelque peu le clivage absolu esquissé par le documentaire, même si l'on n'omet en rien les réactions virulentes qui accueillirent la publication de ses travaux dans les milieux traditionnels et qui continuèrent longtemps à animer ses détracteurs.

Gordiano BRUNO, théologien et esprit audacieux à l'époque lointaine à laquelle, en Europe, les précurseurs de Camille FLAMMARION devaient faire preuve du plus grand courage pour affronter la censure religieuse.

Le documentaire présente dans cette optique le père de Charles DARWIN comme un chrétien obtus qui aurait porté sur la science le regard outragé d'un gardien du Temple face au dévoilement profane. Là encore, le temps était passé depuis que les institutions religieuses avaient proscrit toute étude du corps humain, et le père de DARWIN encourageait son fils à poursuivre des études de médecine, lesquelles ne convenaient d'ailleurs guère à ses dispositions personnelles. Charles DARWIN, effaré notamment par l'âpre lutte pour la survie dans la jungle sud-américaine ( tout autant cependant que par son étonnante profusion ), aurait été selon les auteurs animé d'un envie d'en découdre avec les conceptions chrétiennes. En réalité, le jeune homme était un vrai naturaliste passionné par la multiplicité de la vie. Il se consacra notamment à des études très complètes sur des espèces atypiques comme les Plantes carnivores et comme les Cirripèdes, ces Crustacés vivant fixés à l'âge adulte par la tête, telle la Balane de nos côtes, dont il étudia tous les types - à l'exception du sous-groupe des Rhizocéphales renfermant les espèces parasites spécialisées. Un polémiste essentiellement motivé par la volonté d'élaborer une grande théorie iconoclaste contre la religion, avec la fougue d'un NIETZSCHE, n'aurait certainement pas investi tant de temps à étudier les détails anatomiques et le fonctionnement particulier de tant d'organismes avant d'élaborer ses hypothèses, avec la passion de l'entomologiste FABRE cherchant avant tout à comprendre le monde le plus discret qui nous entoure.

Une des planches illustrant la monographie qu'à consacré DARWIN aux Cirripèdes, curieux Crustacés sessiles ( en bas, au milieu, un Conchoderma auritum de profil, animal parfois fixé aux Baleines, qui possède deux siphons aux allures d'oreilles de Lapin ; ci-dessous un groupe de ces plaisantes créatures conservées au Musée d'histoire naturelle de San Diego ).


DARWIN avait confié que, marqué par son éducation religieuse, ce n'était pas sans réticence que, progressivement, l'accumulation de ses observations l'avait amené à remettre en cause la représentation du monde qui était enseignée par la religion. Il semblerait même que ce soient en fait des raisons personnelles tragiques, la disparition de sa petite fille, qui aient fini par le faire douter définitivement de la bonté divine et de la Providence. Et cependant, alors même qu'il n'accompagnait plus le dimanche matin son épouse à l'office, Charles DARWIN continuait de faire des dons à des œuvres religieuses.

L'opposition entre science et religion n'est donc pas un clivage aussi absolu que les auteurs tendent à l'indiquer. D'ailleurs, comme évoqué dans l'article précédé, le Père Theilard de CHARDIN avait considéré que l'évolution était tout à fait compatible avec l'existence de Dieu, même si, contrairement à DARWIN, il imaginait qu'elle obéissait à un schéma directeur général univoque, ce qui paraît beaucoup moins évident de nous jours en dépit de son mouvement général vers la complexification, de la Bactérie à l'Homme.

Le Père THEILARD de CHARDIN.

Evidemment, le récit de la Genèse n'a plus qu'un rapport lointain avec l'histoire de notre planète telle que les disciplines scientifiques l'ont reconstituée, avec de plus en plus de précision. La naissance d'un individu plutôt que d'un autre semble effectivement relever de la plus incontestable contingence. L'évolution quant à elle, comporte encore des points demeurant partiellement obscurs en raison de la complexité des phénomènes, mais il est vrai qu'on pourrait admettre que le hasard a une part prépondérante dans l'histoire de la vie sur notre planète. Par contre, l'origine et la finalité de l'univers, ainsi que la question du sens qu'il conviendrait éventuellement de lui prêter, sont des interrogations qui demeurent problématiques, et la science, du moins en l'état actuel des connaissances, ne peut établir de manière irréfutable ni l'existence d'un Créateur, ni au contraire la nier fermement. Quant aux valeurs que chacun décide de donner à son existence, à la conception qu'on se fait de la morale, de l'éthique ou encore de la sexualité, aucun scientifique le plus brillant soit-il ne peut à bon droit s'en imposer le prescripteur, car cela relève des intimes convictions de chacun - point de vue que partageait également le fameux paléontologiste Stephen J. GOULD, évoqué dans l'article de février 2009, détracteur résolu des créationnistes, ce qui ne l'empêchait pas de fustiger l'ingérence des scientistes hors de leur discipline. Dans l'article précité, j'avais réfuté les différents procédés des auteurs se réclamant du créationnisme, qui visaient à discréditer l'idée d'une transformation progressive des êtres vivants au cours des âges au nom de la défense de la religion. Symétriquement, des auteurs utilisent les enseignements de DARWIN pour promouvoir une conception athée militante, voire même comme Richard DAWKINS, le célèbre auteur du GÈNE ÉGOÏSTE, pour organiser une campagne de dénigrement des prescriptions du christianisme, déviation contestable qui conduit un chercheur reconnu à quitter le terrain scientifique pour s'ingérer dans les valeurs morales de chacun.

Le scientifique Richard DAWKINS et son "service athée", un bus promouvant la conception libertarienne de la vie.

Une nouvelle fois, en tout cas, on vérifie la passion que les découvertes de Charles DARWIN continuent de susciter, de la part des fondamentalistes chrétiens en Amérique ainsi que de musulmans en Europe qui les rapportent à la religion dans la perspective de faire interdire, ou dans le meilleur des cas, de relativiser, leur enseignement en classe, tandis que des zélateurs du naturaliste instrumentalisent ses théories pour un combat qui relève d'un tout autre plan.

Il est tout de même un peu surprenant que ce débat, qui a été tranché à l'extrême fin du XIX ème dans le milieu scientifique par le ralliement de l'écrasante majorité des naturalistes, ne cesse de resurgir en étant mêlé à d'autres enjeux; on n'imagine pas, à l'inverse que les controverses au sujet de l'héliocentrisme défendu par GALLILE se soient maintenues jusqu'à notre époque, ou qu'il y'ait encore des esprits forts affirmant que la Terre est plate et que la rotondité qui se révèle depuis l'espace est soit une illusion d'optique soit une imposture scientifique. La réaction des religions paraît en retour engendrer, au-delà de la contre-argumentation légitime qu'on a présentée précédemment, un activisme anti-religieux qui, là aussi, dépasse le cadre du débat et concourt à son tour à radicaliser les positions.

L'horreur engendrée chez beaucoup par l'idée que l'espèce humaine trouve son origine dans l'évolution animale est d'autant plus anachronique que le moindre journal télévisé laisse voir une barbarie - parfois même commise au nom de la religion - qui excède la cruauté parfois observée chez les bêtes, comme l'illustre John FRANKENHEIMER dans son remake de L'ILE DU DOCTEUR MOREAU, dans lequel le prologue avec l'âpre lutte entre naufragés et l'épilogue sur fond d'images d'actualités sont comme un écrin pathétique enserrant l'épisode sur la sauvagerie des Hommes-Bêtes créés par le savant fou, dont l'auteur, H.G. WELLS, notait déjà les convergences profondes du comportement avec celui, à peine enfoui par le vernis de la civilisation, de nos semblables. Ce qui caractérise la grandeur humaine n'est pas son éloignement d'avec le monde animal où il puise ses origines, mais au contraire les efforts qu'il accomplit pour s'élever, en privilégiant le raisonnement en place de la brutalité, la compassion plutôt que la loi du plus fort, la défense de valeurs et d'idéaux au lieu de la satisfaction immédiate des pulsions instinctuelles. De l'autre côté, au contraire, certains matérialistes prosélytes paraissent se délecter de tout ce qui peut nier toute perspective de transcendance chez l'homme, voire de liberté individuelle, par une vision triviale de la condition humaine, qui, sous le prétexte théorique d'en ériger l'autonomie et la raison, aboutissent en fait souvent à le rabaisser plus ou moins au niveau de l'entité physiologique. DARWIN, promu malgré lui en prophète, n'a semble-t-il pas encore fini d'enflammer les passions...

* c'est en tout cas ce que rapporte le célèbre astronome français Camille FLAMMARION dans son essai LES MONDES REELS ET LES MONDES IMAGINAIRES, dont le titre a inspiré la dénomination de ce site.

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Les médias ont évoqué la disparition de l'actrice Farrah FAWCETT, victime du cancer comme récemment l'écrivain Philip José FARMER évoqué tantôt, laquelle était connue notamment pour sa participation à la série policière DRÔLES DE DAMES. Elle avait aussi joué en 1980 au côté de Kirk DOUGLAS et Harvey KEITEL dans le souvent injustement sous-estimé SATURN 3 de Stanley DONEN, en compagnie d'un robot inspiré de dessins de Leonard de VINCI, qui annonçait l'endo-squelette en acier chromé conçu par Stan WINSTON pour TERMINATOR. Le film convoque toutes les inquiétudes liées aux potentialités de la cybernétique.

La partie d'échecs de SATURN 3 : jouer une partie avec une machine peut s'avérer périlleux.

Hector semble tout aussi doué pour le bras de fer...

Ceux qui n'ont pas vu le film pourront lire un résumé et un petit commentaire intéressant indiquant notamment que c'est John BARRY ( pas le compositeur de musique de film mais le chef décorateur ) qui devait initialement le réaliser : http://www.scifi-movies.com/francais/dvd.php?data=saturn31980film

dimanche 31 mai 2009

UN AUTEUR DES ANNEES 1930 MIS A L'HONNEUR

L'existence humaine est parfois tragiquement courte, comme l'a illustré tout récemment le décès à l'âge de 28 ans de l'acteur Heath LEDGER, acteur dans plusieurs films de Terry GILLIAM, dont LES FRÈRES GRIMM, décédé dans son sommeil d'un abus médicamenteux, comme avant lui le maquilleur français Benoît LESTANG ( article d'août 2008 ).
Certains écrivains ont aussi connu des carrières brèves, à l'image du Français Michel BERNANOS, auteur du cycle fantastique réputé LA MONTAGNE MORTE DE LA VIE, qui a mis fin à ses jours dans la forêt de Fontainebleau avant son quarantième anniversaire. Le créateur du personnage de CONAN LE BARBARE, Robert E. HOWARD, s'est lui donné la mort à l'âge de 30 ans après le décès de sa mère. L'infortune a aussi abrégé les carrières de d' autres auteurs. On sait qu'Howard Philip LOVECRAFT a disparu à l'âge de 47 ans des suites de la maladie. Un de ses inspirateurs, William Hope HODGSON, auteur de terrifiantes histoires maritimes, qui avait été incorporé comme artilleur durant la première guerre mondiale, a lui-même été victime d'un obus près de Ypres, en Belgique, à l'âge de quarante ans, dans ce conflit que LOVECRAFT qualifiait avec raison de "suicide de l'Europe". Il en va de même pour Stanley WEINBAUM, écrivain de science-fiction né en 1902, décédé le 14 décembre 1935, emporté par un cancer de la gorge à l'âge de 33 ans, carrière fulgurante, mais suffisante, pour, à l'instar de Robert HOWARD et William Hope HODGSON, avoir eu le temps de laisser une production significative et une trace mémorable dans l'histoire de la littérature d'imagination. Stanley WEINBAUM avait entamé des études de chimie, qu'il avait assez rapidement abandonnées pour se consacrer complètement à l'écriture. ( sa veuve a précisé qu'il s'investissait dans la littérature depuis l'âge de 20 ans, comme en attestent notamment ses poèmes et certaines ébauches; il avait abandonné ses études parce qu'il avait été mis en cause et exclu de l'université pour une tricherie, où il avait aidé un autre étudiant, décision à la suite de laquelle il avait, dans un sursaut d'orgueil, décidé de ne pas revenir ). H.P. LOVECRAFT loua son imagination lui permettant de concevoir des situations, des créatures et des psychologies réellement originales. Sa nouvelle la plus fameuse, L'ODYSSÉE MARTIENNE avait ainsi été choisie en 1970 par les plus grands écrivains de science-fiction pour figurer en tête de l'anthologie "The greatest SF stories of all time" constituée par l'Association des Écrivains de Science Fiction d’Amérique. On l'a comparé à Herbert George WELLS, avec lequel il aurait d'ailleurs partagé le sentiment que les récits de science-fiction, dont la qualité a pourtant assuré leur postérité, ne représentaient pas la part la plus "noble" de leur œuvre. Sa renommée valut même à un cratère martien d'être nommé en référence à son nom. En France, il était pratiquement le seul auteur issu des pulps des années 1930 à figurer dans les anthologies de science-fiction, et un roman avait paru, LA FLAMME NOIRE, un récit sur une terre post-apocalyptique sur laquelle des scientifiques devenus immortels combattent des mutants et œuvrent à la renaissance de l'humanité, en fait deux nouvelles refondues qui auraient été clairement destinées à être intégrées dans un cycle commun, le personnage principal étant déjà évoqué dans certains poèmes de ses débuts, et surtout dans le roman LE NOUVEL ADAM, dont les premiers jets sont largement antérieurs à l'écriture de LA FLAMME NOIRE.

L'année 2008 a remis à l'honneur cet auteur de l'âge d'or de la science-fiction américaine. Aux Etats-Unis, le prix de la "redécouverte Cordwainer Smith" * lui a été attribué; William Hope HODGSON en avait été précédemment gratifié en 2006. Un peu plus tôt, les éditions Coda** ont publié une édition française complète des nouvelles de l'auteur, "Une Odyssée martienne, intégrale des nouvelles", faisant suite à une première publication intégrale par les éditions de l'Age d'or l'année précédente, qui avaient proposé deux recueils de nouvelles de Stanley WEINBAUM traduites par Robert SOUBIE et enrichies de nombreuses notes, "La Péri rouge et autres histoires de science-fiction" ainsi qu' "Une odyssée martienne et autres histoires de science-fiction", de même qu' une réédition complétée de LA FLAMME NOIRE, ouvrages édités à compte d'auteur, investissement qui mérite d'être salué et encouragé***. L'autobiographie de Stanley WEINBAUM se lit avec une émotion particulière puisqu'il l'a écrit en juin 1935, pour "Fantasy Magazine", soit seulement six mois avant d'être emporté par la maladie. On peut noter que les éditions Coda ont choisi de présenter sous forme de cahier central les couvertures en petit format des différentes éditions des œuvres de Stanley WEINBAUM, ainsi que celles des magazines littéraires de l'époque au sein desquels ses nouvelles parurent initialement, et dont les couvertures n'illustraient pas toujours un récit de l'auteur; plus discutable est la mise en exergue pour la couverture du recueil lui-même d'une illustration de Virgil FINLAY certes attrayante, mais apparemment sans rapport avec une nouvelle de Stanley WEINBAUM. Robert SOUBIE propose quant à lui la première version intégrale de LA FLAMME NOIRE, toutes les versions précédentes ayant été expurgées d'environ douze mille mots, ainsi qu'un texte de Sam MOSKOWITZ narrant l'histoire étrange de ce roman. Un dernier roman, LE CERVEAU FOU, dont Robert SOUBIE vient d'achever la traduction, devrait paraître prochainement. On ne peut que saluer les initiatives des éditions de l'Age d'or et des éditions CODA, qui permettent pour la première fois au lecteur français d'accéder à l'œuvre de cet écrivain renommé, contribuant ainsi à réhabiliter une époque de la science-fiction américaine trop souvent déjugée d'emblée. La plus célèbre nouvelle de WEINBAUM traduite en français est incontestablement L'ODYSSÉE MARTIENNE selon l'appellation sous laquelle elle est traditionnellement connue (ou UNE ODYSSÉE MARTIENNE, selon le titre original, comme repris dans le recueil traduit par Robert SOUBIE), dans une veine qu'on pourrait rapprocher de celle de J.H. ROSNY AINE, en particulier de son roman LES NAVIGATEURS DE L'INFINI. Il s'agit d'un récit qu' un astronaute accidenté, Jarvis, fait à ses collègues de sa rencontre avec différentes formes de vie martiennes, racontée avec le naturel d'un récit de l'aventurier et ethnologue Paul-Émile VICTOR. La figure principale parmi celles-ci en est Tweel, bipède aux allures d'Autruche, pouvant aussi évoquer un Dinosaure coureur. L'auteur se montre bien plus imaginatif que tant de films hollywoodiens ultérieurs qui mettront en scène des extraterrestres à l'aspect humain - parfois même des starlettes en bikini - parlant souvent de surcroît un parfait anglais sans avoir jamais écouté la BBC... A l'opposé, Stanley WEINBAUM retranscrit avec réussite la tentative de communication du principal protagoniste avec ce "Vendredi" extraterrestre et la manière dont une certaine intelligibilité, certes limitée, parvient à s'établir entre les deux êtres. D'autres espèces parsèment le territoire traversé par le naufragé, représentées ci-dessous par différents artistes. Le succès de l'œuvre, et la brutale séparation entre l'humain et le Martien dans le dénouement, appelait une suite, ce qui fut réalisé avec LA VALLÉE DES RÊVES, laquelle fut également traduite en français dans les années 1980; l'auteur imagine que l'espèce des Martiens humanoïdes a pu visiter notre planète il y' a quelques milliers d'années, les explorateurs découvrant en effet des fresques rappelant celles observées dans l'Égypte antique, le long nez de l'extraterrestre se retrouvant chez la divinité Toth - qu'on pensait avoir été plus prosaïquement inspirée par l'Ibis et son bec courbé !.. LA VALLÉE DES RÊVES est en fait, comme le précise Robert SOUBIE, la version initiale de L'ODYSSÉE MARTIENNE, que l'auteur, insatisfait, avait repoussée, et qu'il a finalement reprise et travaillée à la demande de l'éditeur pour faire suite au succès rencontré par la célèbre nouvelle.

Jarvis, Tweel, et les tentacules de la Bête à rêves, qui fascine sa proie par une projection hypnotique, une belle illustration signée Robert PETILLO.
Comme dans LES NAVIGATEURS DE L'INFINI de J.H. ROSNY AINE, Stanley WEINBAUM imagine que la planète Mars est habitée par des créatures appartenant à différents règnes, comme l'illustre cet être semi-minéral ( extrait d'une adaptation en bande dessinée ).
Les créatures en tonnelet représentées respectivement pour l'édition russe et allemande ( à noter le petit air de famille de Jarvis avec le célèbre acteur Kevin McCARTHY ! )
Les créatures en forme de brins d'herbe mobiles, les Biopodes, ont enfiévré l'imagination sadique de l'illustrateur...

Cette illustration par Randolph Holmes d'une créature tentaculaire qui suscite des illusions pour piéger ses proies dans la bande dessinée PLANETE PAS NETTE (KILLER PLANET) renvoie directement à la Bête à rêve de L'ODYSSE MARTIENNE.

Stanley WEINBAUM avait aussi imaginé l'écosystème de Venus. Beaucoup d'auteurs se sont interrogés sur la manière dont la vie pluricellulaire pouvait se distinguer suivant les deux catégories essentielles des végétaux et des animaux, cherchant à définir des critères discriminants en dépit des multiples variations audacieuses du modèle végétal déclinées dans la science-fiction telles que la mobilité, la carnivorité, voire l'intelligence. Stanley WEINBAUM a très probablement proposé la plus originale et intéressante définition de la question dans sa nouvelle LES MANGEURS DE LOTUS. Il imagine qu'une espèce intelligente, pourvue d'une forme de conscience, s'est développée sur Venus à partir d'une lignée végétale, et que ce qui la différencie des véritables animaux comme leurs prédateurs tripodes est l'absence d'instinct de survie, occasionnant leur passivité et leur résignation pathétique quelque peu poignante face à leur situation de proies. Se défiant décidément de tout anthropocentrisme, l'auteur rappelle que l'omniprésence des Insectes ou des Nématodes - dont un naturaliste a écrit que ces vers minuscules sont si abondants et omniprésents que si toute matière disparaissait subitement à l'exception des Nématodes, on reconnaîtrait encore la forme des paysages, et même celle des arbres - pourrait, d'un certain point de vue, être considérée tout autant comme une réussite au plan de l'évolution que celle de l'homme. Le titre de MANGEURS DE LOTUS choisi originellement par le traducteur et anthologiste Georges GALLET, qui a le premier proposé le texte aux lecteurs français, occulte quelque peu l'acception originale: les Lotus auxquels se réfère WEINBAUM sont sans rapport avec la plante à fleurs bien connue, mais sont des fruits fantastiques, plus couramment désignés sous le terme de "Lotos", provoquant chez celui qui l'ingère une torpeur, comme le rapporte HOMÈRE dans un épisode de L'ODYSSÉE, lequel avait également également inspiré à Lord Alfred TENNYSON un poème publié en 1832. C'est la raison pour laquelle Robert SOUBIE a quant à lui choisi pour son recueil de restituer la référence de WEINBAUM au mythe grec, en optant pour le titre LES LOTOPHAGES.

Stanley WEINBAUM a contribué de manière notable à alimenter le bestiaire extraterrestre; on pourrait encore citer, à titre d'exemple, le ver monophtalme de la nouvelle FUITE SUR TITAN - titre aussi traduit par VOL SUR TITAN si on ne fait pas directement référence à la notion de course contre le temps qui imprègne l'histoire, représenté avec la bouche dilatée, conformément à la description, sur la couverture de l'édition Avon, ce qui lui confère superficiellement l'allure d'un Nématode du sol, l'Anguillule, pris au lasso du piège à nœud coulant d'un Champignon microscopique.

La nouvelle FUITE SUR TITAN ( FLIGHT TO TITAN ) a aussi été publiée sous le titre A MAN, A MAID AND SATURN'S TEMPTATION, titre qui évoque le récit biblique d'Adam et Eve au Paradis, et l' illustrateur, du nom de J. GAMA, y fait explicitement référence.

Le "Pot à colle" ou "Pâte à pain" selon la traduction, de LA PLANETE PARASITE, même s'il n'est pas le premier monstre informe, s'inscrit dans la lignée menant au "Blob" des films de science-fiction; la créature a un tel appétit qu'elle a une propension, lorsque la nourriture vient à manquer, à se digérer elle-même, comme le font certains animaux marins vermiformes, les Némertiens ( évoqués dans l'article "Le tentacule d'ABYSS existe réellement" ). Quant au métamorphe mimétique protoplasmique adoptant l'apparence de ses victimes, et même une combinaison de celles de plusieurs d'entre elles, évoqué dans LA PLANETE DES MARÉES, il annonce un autre archétype d'extraterrestre popularisé conjointement par John CAMPBELL dans LA BETE D'UN AUTRE MONDE ( nouvelle adaptée au cinéma par John CARPENTER sous le titre de THE THING ) qui présente les mêmes capacités. LA PLANÈTE DES MARÉES a été achevée par la sœur de Stanley WEINBAUM, Helen, suite à son décès prématuré - selon la veuve de l'auteur, Margaret WEINBAUM KEY, seul le canevas, soit à peu près deux ou trois cents mots, auraient été écrits par son mari ( raison pour laquelle Robert SOUBIE a décidé de ne pas l'inclure dans son intégrale des nouvelles ). La veuve de l'écrivain a confié en 1993 les manuscrits de son époux à la bibliothèque de l'université de Philadelphie.
Un explorateur aux prises avec un arbre Jack Ketch ( d'après le nom d'un bourreau anglais de Charles II connu pour ses exécutions particulièrement abominables ) aux intentions malignes, dans la nouvelle LA PLANÈTE PARASITE, qu'on trouve sur Venus, comme les formes végétales contemplatives des MANGEURS DE LOTUS, preuve que tous les plantes vénusiennes de Stanley WEINBAUM ne sont pas d'un commerce agréable - document fourni parle site de notre ami Jacques HAMON.
Au cours de sa brève carrière, Stanley WEINBAUM a abordé bien des thèmes, certains tout à fait avant-gardistes, comme ceux de l'immigration mexicaine massive aux États-Unis, le refroidissement de l'Atlantique Nord au cas où le courant chaud du Gulf Stream viendrait à être perturbé et les mouvements de population occasionnés par les bouleversements climatiques, ou bien encore le transgénisme, croisement entre espèces réalisé par manipulation génétique dans L'ILE DE PROTEE, un de ses nombreux textes posthumes.
Stanley WEINBAUM se dissociait de l'enthousiasme pour la science d'écrivains de son époque comme Hugo GERNSBACK, l'initiateur de la science-fiction américaine, en laquelle, malgré ses promesses, il voyait non l'avènement d'un monde meilleur, mais un instrument qui pouvait être bénéfique ou contestable suivant l'utilisation qui en était faite, comme le dit en 1972 l'un des protagonistes de l'adaptation cinématographique de SOLARIS de Stanislas LEM par Andrei TARKOVSKI : "Il appartient à l'homme que la science soit morale ou qu'elle ne le soit pas". Il était animé par la volonté de tirer le meilleur parti de la science-fiction, désirant que l'imagination, dont il était si bien pourvu, ne soit pas mise au service du seul divertissement, mais utilise sa pleine potentialité critique pour faire réfléchir aux enjeux de société, voire, ce qui peut paraître très ambitieux, proposer, au delà-de l'analyse, des solutions aux différents problèmes contemporains. Il reste à souhaiter que les textes d'autres auteurs de l'âge d'or de la science-fiction américaine puissent à leur tour être proposés aux lecteurs francophones curieux de découvrir une période trop souvent dévalorisée.
Un autre écrivain susceptible d'être ainsi redécouvert pourrait être Raymond Z. GALLUN, surtout connu chez nous au travers de la nouvelle LE VIEUX FIDELE, histoire d'un Martien fuyant sa société conformiste dominée par les mathématiques ( non, il ne s'agit pas de la France... ) et qui s'avère, comme chez WEINBAUM, faire preuve de plus de grandeur d'âme que ses interlocuteurs humains - nouvelle qui donna, comme L'ODYSSÉE MARTIENNE, lieu à une suite, elle demeurée inédite en France.
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NOTE : On remerciera ici Robert SOUBIE ayant eu, suite à la découverte de cet article, l'obligeance de nous apporter certaines précisions sur l'auteur, lesquelles ont été bien volontiers intégrées dans le présent article. Souhaitons qu'à son exemple, de nouveaux lecteurs de marque honorent de leur intérêt "Créatures et imagination", le site francophone sur les êtres réels et les êtres imaginaires. On peut lire en ligne sa traduction de L'ILE DE PROTÉE : http://www.astrosurf.com/soubie/stanley_g__weinbaum.htm
* Cordwainer SMITH est le pseudonyme d'un ancien diplomate américain, en poste au temps de la Chine nationaliste, Paul LINEBARGER, qui a écrit un cycle de récits sur le futur comme Robert HEINLEIN; sa nouvelle la plus connue est sans doute LA PLANÈTE SHAYOL. Sa fille a créé un site en sa mémoire :
http://www.cordwainer-smith.com/ ** http://www.editions-coda.fr/ *** http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=1040304

lundi 18 mai 2009

DISPARITION DE JACK CARDIFF

Jack CARDIFF, disparu à l'âge de 94 ans le 22 avril 2009, était un directeur de la photographie, qui était aussi passé à la mise en scène et avait même été quelquefois acteur, polyvalence qui ne l'aurait pas empêché de remettre en place Sylvester STALLONE, la vedette du film RAMBO 2, lequel, désirant déplacer un projecteur, s'ingérait ainsi dans son art. Il avait reçu en 2001 un Oscar pour l'ensemble de sa carrière.

Né de parents artistes de music hall, il débute enfant dans des films muets anglais, puis devient cadreur lors de l'avènement du cinéma parlant. Il a participé en 1936 au tournage de LA VIE FUTURE (THINGS TO COME), qui bénéficiait de la contribution active du grand écrivain de science-fiction Herbert George WELLS, celui-ci écrivant lui-même le scénario du film d'après son roman utopique. Jack CARDIFF se voit confier l'année suivante la responsabilité de la lumière du premier film britannique en Technicolor. Il a travaillé avec Alfred HITCHCOCK et également assuré la photographie du célèbre THE AFRICAN QUEEN. Il fut l'orchestrateur de l'ambiance irréelle de PANDORA, variation librement inspirée de la légende du navire fantôme dite du Hollandais volant dirigée par Albert LEWIN. Dans le genre fantastique, il avait illustré d'autres histoires de femmes inquiétantes se défiant de la mort avec LA MALEDICTION DE LA VALLEE DES ROIS ( THE AWAKENING ) bénéficiant de l'interprétation de Charlton HESTON et LE FANTOME DE MILBURN ( GHOST STORY ) où l'esthétisme soigné voisinait avec des maquillages réalistes particulièrement morbides agencés par Dick SMITH qui retranscrivaient toutes les étapes de décomposition de la protagoniste vengeresse.

Jack CARDIFF a entre autres œuvré sur plusieurs réalisations de Richard FLEISCHER, notamment LES VIKINGS, film d'aventures historiques avec Kirk DOUGLAS, Tony CURTIS et Ernest BORGNINE, et sur deux de ses derniers films, des films fantastiques. Le premier, CONAN LE DESTRUCTEUR, suite de CONAN LE BARBARE de John MILLIUS, baigne dans une atmosphère de mystère et de sorcellerie, grâce également à la belle partition, grave et gracieuse à la fois, de Basil POLEDOURIS. Le héros Conan y affronte un démon païen qu'une reine maléfique assoiffée de pouvoir, incarnée par Sarah DOUGLAS, cherche à faire venir sur Terre en lui sacrifiant sa propre fille. On peut d'ailleurs se demander s'il ne faut pas imputer à l'absence de Jack CARDIFF sur la resucée de CONAN LE DESTRUCTEUR réalisée peu après par Richard FLEISCHER, KALIDOR, LA LEGENDE DU TALISMAN, le peu de magie qui s'en dégage cette fois.

CONAN LE DESTRUCTEUR, une épopée fabuleuse dans des lieux fantastiques ( ici l'arrivée au château de cristal d'un mage )
Dagoth, vaincu dans un fracassement d'éclairs par CONAN qui lui arrache sa corne magique, dont il tire sa force à l'image de la chevelure de Samson. L'illustrateur William STOUT avait au départ imaginé une sorte de Limace à tête d'insecte, aux bras griffus et malingres et au corps terminé par trois éperons, comme les extraterrestres du film DREAMCATCHER, mais la version finale élaborée par Carlo RAMBALDI ( voir l'article d'octobre 2008 sur cet artiste) qui n'en conserve que la corne est un humanoïde aux extrémités palmées, évoquant quelque peu un croisement entre les Profonds dépeints par LOVECRAFT dans la nouvelle LE CAUCHEMAR D'INNSMOUTH et la future MOUCHE du film de CRONENBERG.

Le second film, AMITYVILLE 3, qui comme le premier POLTERGEIST, convoque une équipe spécialisée dans l'enregistrement de phénomènes surnaturels, s'achève sur l'irruption d'un démon digne de Jérôme BOSCH, déjà entrevu fugitivement à la fin du volet précédent à l'issue d'une horrible possession. CARDIFF y fait régner une luminosité colorée et surnaturelle assez envôutante.

Indubitablement, il y'a une certaine humidité dans la cave de la maison maléfique d'AMITYVILE 3 : l'invitation au bain vue par les auteurs du film; plutôt réfrigérant ! La créature a été conçue par John CAGLIONE, déjà auteur de celle d'AMITYVILLE 2; le célèbre maquilleur Dick SMITH avait initialement tenté de décourager CAGLIONE de percer dans le domaine, doutant de ses capacités, mais il accepta nonobstant de lui prodiguer ses conseils, ce qui lui réussit plutôt bien puisque le maquilleur contribua avec Christopher TUCKER - ELEPHANT MAN, LA COMPAGNIE DES LOUPS - au maquillage des acteurs interprétant nos ancêtres dans LA GUERRE DU FEU, lequel valut au film un Oscar pour ses effets spéciaux de maquillage. 

  Parmi les quelques films dirigés par Jack CARDIFF en personne, l'un d'eux relève pleinement de notre domaine. Il s'agit de MUTATIONS, réalisé en 1973. Donald PLEASANCE, barbu - en dépit de la jaquette de la vidéo, exécutée par un artiste qui a dû travailler sur une photo de l'acteur, mais sans s'être renseigné sur le film* - incarne le docteur Nolter, un universitaire et chercheur qui aspire à créer une forme de vie supérieure associant la mobilité de l'animal à l'autosuffisance photosynthétique du végétal. Il n'hésite pas à expérimenter ses théories sur des humains, de jeunes adultes enlevés par son acolyte Lunch ( Tom BAKER, l'un des interprètes du DOCTEUR WHO dans la série du même nom ), qui ne parvient pas à accepter son faciès contrefait et à qui Nolter a promis une reconstruction chirurgicale de la face en échange de sa collaboration.

Un chercheur et son curieux végétal; mieux vaut ne se fier à aucun des deux.

Le film débute de manière assez saugrenue, tout en annonçant le annonçant le caractère assez trouble et malsain du film. Une jeune fille qui se promène dans un parc réalise qu'elle est suivie avec insistance par un nain. Elle presse le pas, mais le poursuivant accélère son allure. Un second nain apparaît et se met aussi à la pourchasser, jusqu'à ce qu'elle soit capturée avec l'aide de Lunch et livrée aux expérimentations de Nolter. Comme FREAKS, MUTATIONS fait appel à de véritables phénomènes humains, les résultats ratés de Nolter, grotesques préfigurations des avatars du transgénisme, étant présentés parmi d'autres "aberrations de la nature" dans le cirque de Lunch; cependant, contrairement au réalisateur Tod BROWNING qui voulait faire partager aux spectateurs son empathie pour les disgraciés, montrant leurs sentiment et leur fraternité, MUTATIONS les emploie de manière plus contestable, comme élément participant du climat d'étrangeté du film. Aussi, le spectateur assiste-t-il à leur défilé avec une certaine distance; plus poignant est le bref dévoilement de la victime méconnaissable de Nolter sous l'œil goguenard de quelques étudiants qui sont bien loin d'imaginer que ce qu'ils prennent pour un canular n'est autre que leur amie disparue pour laquelle ils se font tant de souci. Tandis qu'une jeune fille s'effeuille pour prendre son bain, son fiancé, cobaye malgrè lui des terribles errements du savant fou, s'effeuille pour de vrai en s'introduisant par la fenêtre de sa dulcinée, l'infortuné produit d'expérience ayant les bras recouverts d'un feuillage transgénique - créé par le maquilleur Charles E. PARKER, engagé d'ordinaire sur des films plus traditionnels; dans la grande tradition de FRANKENSTEIN, le monstre engendré par la vanité scientifique viendra finalement demander des comptes à son créateur. La réalisation n'est peut-être pas particulièrement remarquable mais le film baigne dans un climat de malaise persistant, agrémenté de quelques scènes fort angoissantes, comme la découverte sous un chapiteau par un étudiant soupçonneux du corps hideux et suffocant de la créature à l'agonie son ancienne condisciple, bientôt suivie d'une éprouvante poursuite nocturne dans le cirque désert.

Jack CARDIFF, directeur de la photographie reconnu, et aussi auteur d'un petit film d'épouvante empli de créatures effroyables.

(* l'éditeur français de la vidéo avait toutefois prévenu sur la jaquette en annonçant : illustration non contractuelle !.. )

mercredi 15 avril 2009

P.J. FARMER, UN CELEBRE ECRIVAIN D'APRES GUERRE

On vient d'apprendre la disparition de James BALLARD, auteur de textes poético-écologiques - dont le fameux CRASH adapté au cinéma par David CRONENBERG*. Un autre écrivain de science-fiction emblématique des années 1960-70 l'avait de peu précédé. Disparu à l'âge de 91 ans le 25 février 2009, Philip José FARMER était un écrivain de science-fiction qui ne rechignait pas à prendre à rebours la tradition du genre en abordant, parfois de manière concrète, la sexualité, comme au travers de cette relation intime entre un homme et une extraterrestre dans LES AMANTS ÉTRANGERS, motif qui lui valut d'être refusé par plusieurs revues de science-fiction, notamment par le célèbre rédacteur en chef John CAMPBELL. FARMER écrira aussi des œuvres versant ouvertement dans la pornographie, telles que COMME UNE BETE qui traite de vampirisme, ce qui ne suscitera naturellement pas l'unanimité parmi les lecteurs de science-fiction.

On lui doit aussi des récits mettant en scène des personnages célèbres de l'imaginaire populaire, parmi lesquels un roman propulsant le Phileas Fogg du TOUR DU MONDE EN 80 JOURS dans des aventures interplanétaires. FARMER les présentait comme des personnages ayant réellement existé et dont les caractéristiques les plus extraordinaires s'expliquaient par l'influence d'une météorite au rayonnement de laquelle ils avaient été simultanément exposés. Le film LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES est basé sur une approche comparable. La biographie de ces personnages était parfois déclinée sur un mode grivois. L'écrivain de science-fiction s'est aussi amusé à écrire un roman sous le nom de Kilgore TROUT, un écrivain imaginaire apparaissant dans les oeuvres de Kurt VONNEGUT; ce dernier aurait paraît-il peu apprécié cet accaparement.

Couverture pour l'édition américaine de CHACUN SON TOUR ( THE OTHER LOG OF PHILEAS FOGG ), qui change le célèbre globe-trotter de Jules VERNE en émule du Docteur WHO.

Une de ses œuvres les plus connues est LE MONDE DU FLEUVE, cycle passionnant mais assez interminable dans lequel les défunts, incluant des personnages historiques connus, comme l'écrivain Cyrano de BERGERAC popularisé par Edmond ROSTAND, et même des hominiens de la préhistoire, ressuscitent sur une planète géante, certains entreprenant de remonter le cours d'un fleuve gigantesque car convaincus que la solution de l'énigme puisse être découverte à sa source. L'une des figures les plus importantes du cycle, le personnage de GOERING, a été évincée de l'adaptation télévisée au bénéfice d'un dictateur de l'Empire romain, NERON, sans doute par crainte d'alimenter la controverse en risquant de conférer un minimum de sympathie à ce personnage d'un passé encore récent**, quoique présenté par l'écrivain comme non dépourvu d'ambiguïté quant à son prétendu amendement ( on peut de plus relever que l'empereur incendiaire - d'ailleurs plus machiavélique que fou dans cette incarnation - affiche plus immédiatement son penchant pour la violence que son pendant nazi chez FARMER, et que, par ailleurs, son interprète, qui ressemble à l'acteur David WARNER, est physiquement plutôt éloigné des portraits connus de l'intéressé, plus rond de visage ). L'écrivain était l'auteur d'un autre cycle, LA SAGA DES HOMMES-DIEUX, témoignant d'une imagination échevelée.

Une créature hybride issue des mondes fantasmagoriques du cycle de la SAGA DES HOMMES-DIEUX ( illustration de SIUDMAK choisie pour la couverture française du roman LES PORTES DE LA CRÉATION ).

FARMER semble s'être assez fréquemment inspiré
de thèses psychanalytiques, très en vogue durant la décennie ( comme s'en faisait d'ailleurs écho le remake de 1978 de L'INVASION DES PROFANATEURS ). Dans LA PLANETE DU DIEU, des hommes sont confrontés à une entité qui se présente comme l'image du Dieu paternaliste, figure absolue du Père par excellence, paraissant issu de l'Ancien testament. Dans LA MERE, il assigne à une créature extraterrestre sessile le rôle de la génitrice protectrice, réduite à sa fonction symbolique, un humain s'y lovant pour y retrouver la quiétude et la douceur de la vie intra-utérine.

Vue en coupe de LA MERE telle que représentée par l'illustrateur Wayne BARLOWE, un des rares exemples de forme animale sessile de la science-fiction; à maturité, la créature donne naissance à sa progéniture, des êtres mobiles qui ressemblent à des limaçons.

OUVRE MOI, Ô MA SŒUR est une autre histoire de rapport interplanétaire entre un homme et une extraterrestre humanoïde. L'auteur y dépeint des cycles biologiques très différents du nôtre; comme dans la plupart des œuvres de science-fiction, le personnage principal paraît tirer remarquablement vite des conclusions de ses observations et des explications par gestes de son interlocutrice. Il semble n'exister sur la planète Mars qu'une seule espèce animale, les différentes formes correspondant à des stades ou des générations différentes. L'organisation des Martiens s'apparente à celle des Insectes sociaux, avec une reine, des ouvrières, des larves, ressemblant pour certaines à des Vers luisants, pour d'autres à des Raies, lesquelles contribuent à la subsistance et aux conditions écologiques de la colonie exploitant une plantation. Le personnage humain y fait aussi la connaissance d'une extraterrestre humanoïde venue étudier notre système solaire, face à laquelle il est tiraillé entre sa gratitude, celle-là lui ayant sauvé la vie, de même que par une certaine attirance physique, et d'autre part, par son souci de protéger l'espèce humaine d'une civilisation à la technique plus avancée. Les deux espèces étrangères ont en commun d'être essentiellement féminisées; chez les Martiens, il n'existe qu'un seul mâle fécondant la colonie, dont la férocité est une menace telle qu'il doit être maintenu en cage en permanence, tandis que chez la seconde espèce, il ne semble même pas exister de mâles - à l'instar de ce qui s'observe sur notre monde chez nombre d'espèces de Rotifères, animaux microscopiques vivant dans les mousses humides et les eaux douces. La créature extraterrestre héberge en son sein une forme embryonnaire aux allures de ver, qui collecte son ovule ainsi que celui d'autres femelles lors de rapprochements, puis, une fois adulte, opère une fusion de ces gamètes engendrant de nouveaux individus. Les deux espèces extraterrestres ont aussi en commun que les communications ont pour l'essentiel lieu au travers d'échanges buccaux et de salive; les freudiens diraient que ces êtres demeurent au "stade oral" chez lequel le nouveau né entre en contact avec son environnement en portant tout à sa bouche, comme sans doute nos lointains ancêtres avant qu'ils ne se dotent de mains pour la préhension. A l'issue de la nouvelle, le personnage principal laissera triompher l'instinct destructeur de l'humanité, ici identifié d'ailleurs à la violence masculine. Le pardon qui est accordé à l'humain sera pour lui synonyme de la plus terrible des punitions.

Les ouvrières martiennes dépeintes dans la nouvelle OUVRE MOI, Ô MA SŒUR, reposant grâce à leurs pattes spatulées sur la nappe gélatineuse constituée de micro-organismes, dans laquelle les membres de l'expédition terrienne ont sombré. En arrière-plan, l'humanoïde tenant l'embryon.

La première fois que le personnage central de OUVRE MOI, Ô MA SŒUR aperçoit l'extraterrestre humanoïde, il lui prête deux têtes en interprétant ainsi la présence dans le casque de la tête de l'embryon accompagnant sa mère porteuse; bien que vermiforme, sa tête rappelle un peu celle d'un bébé, et il est dépeint, en dépit de l'horreur qu'il suscite chez l'humain, d'une manière un peu moins horrifiante que celle par laquelle l'illustrateur l'a représenté.

Une analyse très complète de la thématique de l'auteur récompensé par trois prix Hugo - distinction importante en l'honneur du prénom de l'initiateur de la science-fiction américaine - due à la plume du célèbre écrivain de science-fiction Gérard KLEIN, peut être lue à cette adresse :
www.quarante-deux.org/archives/klein/divers/farmer.html


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Mentionnons au passage la disparition conjointe de quelques autres personnes ayant quelque lien lointain avec notre thématique. Natasha RICHARDSON est décédée le 18 mars 2009 des suites d'un accident de ski alors qu'elle suivait son premier cours d'initiation. Son mari l'acteur Liam NEESON ( qui était notamment apparu pour un de ses premiers rôles dans un film fantastique, KRULL, dans lequel il incarnait un membre d'une troupe de brigands ) a accepté que ses organes soient donnés à des receveurs, ce qui est tristement approprié en cette année officielle du don d'organes. Fille de l'actrice britannique Vanessa REDGRAVE, Natasha RICHARDSON avait notamment, après Elsa LANCHESTER dans LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN de James WHALE, interprété dans GOTHIC***, sous la direction de Ken RUSSELL, avec une grâce un peu sulfureuse, l'écrivain Mary SHELLEY à travers le récit des circonstances ayant présidé à la création du roman FRANKENSTEIN, lequel, en dépit de son atmosphère de fantastique romantique gothique, est l'œuvre fondatrice la plus ancienne et incontestable de la science-fiction, augurant notamment d'une longue descendance de savants fous créateurs des monstres les plus divers. Marilyn CHAMBERS, disparue à 56 ans le 12 avril 2009, était quant à elle une actrice pornographique qui s'est fait connaître des cinéphiles au travers du rôle principal du second long métrage du cinéaste passionné par les mutations, David CRONENBERG, RAGE, dans lequel elle incarnait le cobaye d'un chirurgien dément; elle interprète avec une candeur inquiétante cette jeune fille qui donne la mort à ceux qu'elle rencontre, alors qu'elle paraît de prime abord sans défense et fort inoffensive, préfiguration, comme le film précédent du cinéaste, FRISSONS, du SIDA, corollaire mortel de la libération sexuelle.

Scène de RAGE : la solitude de Rose, interprétée par Marilyn CHAMBERS - on peut voir à gauche l'affiche de CARRIE avec Sissi SPACEK, qui avait été initialement pressentie pour le rôle.

Pat HINGLE ( à ne pas confondre avec Art HINDLE qui a joué dans plusieurs films fantastiques des années 1970 ), né Martin Patterson HINGLE, disparu à l'âge de 84 ans le 3 janvier 2009, avait souvent interprété, en particulier à la télévision, des grands-pères un peu bougons mais au cœur généreux, avec pratiquement la même physionomie depuis toujours. Il était notamment apparu dans MAXIMUM OVERDRIDE, film réalisé par Stephen KING d'après une de ses nouvelles, ainsi que dans les différents films autour du justicier BATMAN. En matière de créatures, il avait joué dans le fort peu connu téléfilm SHOCK INVADER - NOT OF THIS WORLD, réalisé par John HESS, dans lequel il affrontait des extraterrestres se nourrissant du potentiel électrique de leur victime, des êtres étranges dont la texture rappelait celle du papier mâché et dont la morphologie évoquait quelque peu les souches d'arbre inquiétantes vues dans la scène du cauchemar dans la forêt du dessin animé de DISNEY, BLANCHE-NEIGE.

L'acteur Pat HINGLE, qui impose sa présence
de grand-père protecteur et décidé dans SHOCK INVADER

La créature du téléfilm SHOCK INVADER, mâchoire ouverte
( les mandibules sont disposées horizontalement tel un sécateur ),
conçue par Alex RAMBALDI, fils de Carlo RAMBALDI,
grand concepteur d'effets spéciaux évoqué dans l'article d'octobre 2008

Les médias français ont unanimement rendu hommage à Maurice JARRE décédé le 29 mars 2009 à Los angeles à 84 ans, alors qu'ils avaient totalement ignoré la disparition d' un autre compositeur de cinéma, très inventif et talentueux, Jerry GOLDSMITH, il y'a quelques années ; il est vrai que JARRE, installé depuis très longtemps aux Etats-Unis, était français. Il était l'auteur des compositions de bien des films connus, d
e LAWRENCE D'ARABIE à GORILLES DANS LA BRUME ( le film rendant hommage à Dian FOSSEY, protectrice des Gorilles de montagne ) en passant par le très réussi JESUS DE NAZARETH de Franco ZEFFIRELLI. En matière de science-fiction, il avait composé la musique épique du film ENEMY MINE de Wolfgang PETERSEN, dans lequel on peut admirer quelques espèces extraterrestres conçues par Chris WALAS. (* film très apprécié des critiques, dont l'intérêt m'a cependant paru bien peu évident, au point de n'être pas allé le voir au cinéma et de l'avoir visionné à la télévision le doigt rivé à la touche d'avance rapide, moi qui suis pourtant un inconditionnel de la première partie de la carrière cinématographique du réalisateur; à noter que deux ans avant la parution du roman de BALLARD en 1973, Brian LUMLEY, disciple de LOVECRAFT, avait écrit une nouvelle intitulée UN FOU DU VOLANT, qui traite aussi de la fascination pour l'automobile et de l'acceptation des accidents de la route comme sacrifice consenti à l'idole de la modernité .)

(**curieusement, ce sont les auteurs de science-fiction les plus marqués à gauche qui se montrent les mieux disposés au sujet des criminels nazis : FARMER présente au départ GOERING en lui prêtant une certaine bonhommie, Philip K. DICK paraît fugitivement admirer l'ascétisme de HIMMLER dans le célèbre roman uchronique LE MAITRE DU HAUT CHATEAU et Normad SPINRAD a écrit la biographie d'un HITLER fictif devenu un auteur d'heroic-fantasy après avoir trouvé refuge aux Etats-Unis suite à la victoire des communistes spartakistes dans REVE DE FER. )

( ***un autre film, HAUNTED SUMMER, revient sur la genèse de cette création fondatrice. )