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vendredi 17 novembre 2023

UN PROJET A PERDRE ALLEN


    David Allen a disparu il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, le 16 août 1999. Il était avec Jim Danforth un des principaux disciples de Ray Harryhausen, ce dernier, auteur des trucages d’un monument du 7ème art comme Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts), ayant lui-même été l’apprenti de Willis O’Brien qui avait popularisé la technique de l’animation de figurines image après image (stop motion) avec Le monde perdu (The Lost World) en 1925 puis King Kong en 1933, avant d’être rejoints par Phil Tippett, Doug Beswick, Tom St Amand, Peter Kleinow, Randall William Cook ou encore Steve Archer pour ne citer que les plus célèbres. Après toutes ces années, il redevient d’actualité à la suite d’un évènement un peu singulier.


David Allen en compagnie du maître Ray Harryhausen.

    Né le 22 octobre 1944, David Allen avait fait ses débuts dans le court-métrage estudiantin Equinox en 1970, dont le producteur de Danger planétaire (The Blob) Jack Harris avait fait un long format. Il offrit aussi simultanément ses services à la publicité, dont une fameuse parodie de King Kong que la firme Volkswagen décida finalement de ne pas diffuser en estimant que l’emploi d’un singe géant au volant d’une de leurs automobiles ne servait pas l’image de prestige que voulait cultiver la communication plus sophistiquée de la marque. Les pâtisseries devenant de petits personnages dans la séquence horrifico-comique du Secret de la pyramide (Young Sherlock Holmes) dans laquelle ils tourmentent un jeune boulimique semblent d’ailleurs tout droit sortir d’une réclame.



David Allen avec une armature d'un tyrannosaure miniature, et en dessous, posant avec la figurine de King Kong pour sa séquence publicitaire non diffusée pour la marque Volkswagen.

    L’animateur avait contribué à nombre de films depuis les années 1970 comme Quand les dinosaures dominaient la terre (When Dinosaurs ruled the World) en 1970, un digne pastiche d’Un million d’années avant J.C. (Un million Years B.C.) agencé par le maître Harryhausen, démontré à nouveau son excellence avec l’animation du plésiosaure survivant du Mésozoïque de Crater Lake Monster en 1977, production modeste au scénario imparfait mais bénéficiant d’effets spéciaux et d’une photographie dignes d’un film à grand budget, œuvrant comme pour le précédent aux côtés de son ami Jim Danforth, ainsi qu’avec le monstre légendaire mis en scène par Larry Cohen dans Q – the Flying Serpent en 1982. Il a aussi créé la séquence du babouin se momifiant instantanément des Prédateurs (The Hunger), assuré l’animation du gremlin sur l’aile de l’avion pour certains plans du dernier sketch de l’adaptation cinématographique de La Quatrième dimension (Twilight Zone : The Movie), de la masse anthropophage de The Stuff, une dénonciation satirique des pratiques cyniques de l’agroalimentaire par Larry Cohen*, concouru à l’animation des pantins homicides des Poupées (Dolls), du dragon bicéphale de Willow, des petits engins extraterrestres de Batteries non included, des arthropodes géants de Chérie, j’ai rétréci les gosses (Honey, I shrunk the Kids), et des manifestations surnaturelles de S.O.S. Fantômes 2 (Ghostbusters II). Il avait encore animé la séquence image par image coupée de Hurlement (The Howling) montrant un rassemblement nocturne de loups-garous bipèdes. Dans les dernières années, l’animateur avait surtout travaillé sur des productions moins prestigieuses de Charles Band ; outre les colosses de ferraille de Robojox donnant l’impression d’être gigantesques et les dinosaures lilliputiens de Prehysteria, il s’était chargé des personnages miniatures de films versant souvent dans la semi-parodie. Il avait fondé sa propre compagnie d’effets spéciaux, David Allen Production, qui fut après sa disparition reprise par son assistant Chris Endicott.


Jim Danforth à gauche et David Allen, les premiers héritiers de Ray Harryhausen, une photo prise par Bob Burns pour le compte de l'animateur Mark Wolf.


David Allen sur The Crater Lake Monster en 1977 et le résultat réaliste à l'écran lors du tragique duel au bulldozer, qui entraînera la mort à la fois du conducteur et du survivant de la préhistoire. 


Un autre effrayant reptile, la divinité aztèque Quetzalcoatl qui fait de terrifiantes apparitions dans le film Epouvante sur New-York (Q the Winged Serpent) de Larry Cohen, évoqué dans l'hommage au cinéaste en avril 2019 suite à sa disparition.

Un plan coupé d'un inquiétant conciliabule nocturne de loups-garous pour Hurlement (The Howling) de Joe Dante de 1981.

David Allen travaillant sur l'animation image par image de la version miniature du Gremlin s'attaquant à une aile de l'avion dans le sketch Cauchemar à 20.000 pieds (Nightmare at 20.000 Feet) de George Miller dans le film de 1983 La Quatrième Dimension (Twilight Zone : the Movie).


David Allen œuvrant sur le modèle de la fourmi de Chérie, j'ai rétréci les gosses (Honey, I shrunk the Kids) de Joe Johnston, qui apparaît gigantesque à l'écran à côté des adolescents miniaturisés qui parviennent à l'apprivoiser et à laquelle l'animation et le modèle mécanique confèrent une vraie personnalité. Les tiges métalliques servent de repères visuels entre deux prises afin de permettre une manipulation cohérente du modèle. 

    Il existe un projet auquel est associée la vie de David Allen, celui de The Primevals. David Allen a écrit le scénario dès 1967 sous le titre Raiders of the Stone Ring. Dans cette histoire, un zeppelin chargé de larguer des bombes est au cours de la Première Guerre mondiale détourné par une tempête apocalyptique jusqu’à une terre inconnue peuplée d’hommes-lézards et de paresseux géants, et est aussitôt la cible d’une attaque par un groupe de reptiles volants contemporains des dinosaures. Jim Danforth et Dennis Murren révisèrent l’histoire sous la forme d’un traitement d’une trentaine de pages. La société Cascade Picture, une importante compagnie de production de films publicitaires pour laquelle travaillait couramment Jim Danforth, témoigna d’un vif intérêt pour le projet, mais n’y donna finalement pas suite.

Un très jeune David Allen déjà tout à sa passion pour les figurines animées, au côté de l'éditeur Forrest J. Ackerman ayant fondé la première revue consacrée au cinéma fantastique et de science fiction, Famous Monsters, et également fidèle ami de Ray Harryhausen.

Illustration conceptuelle de David Allen pour son projet Raiders of the Stone Ring, montrant le dirigeable attaqué par des reptiles volants, autour de laquelle la société de production anglaise Hammer avait songé à construire un film.

    L’année suivante, la société anglaise Hammer qui s’enthousiasmait pour le travail de Danforth et d’Allen sur leur production Quand les dinosaures dominaient la terre (When Dinosaurs ruled the World) se montra désireuse de porter à l’écran le sujet. Cependant, les producteurs trouvaient que les séquences-test manquaient de ressort dramatique et ils rebaptisèrent aussi le film du titre très explicite de Zeppelin versus Pterodactyls. Il s’avéra progressivement que les producteurs pressaient David Allen de questions sur la faisabilité du projet, étant échaudés par le temps nécessité pour la réalisation des effets spéciaux de Quand les dinosaures dominaient la terre, se montrant ainsi moins disposés à se lancer dans un nouveau film comportant beaucoup d’animation image par image, et par ailleurs, que le nouveau titre de Zeppelin versus Pterodactyls n’éveillait aucun intérêt de la part de potentiels distributeurs américains. De surcroît, David Allen lui-même commença à se désinvestir du projet. Non seulement il n’appréciait pas la réécriture du scénario sous l’égide de la Hammer, lui paraissant, en empruntant aux récits d’Edgar Rice Burroughs, verser dans un genre d’aventure et de romance par trop conventionnel, mais cette nouvelle mouture lui avait fait prendre conscience de la faiblesse de sa propre histoire initiale mise en évidence par ses bouts d’essais. Enfin, il n’avait pas touché un seul centime de la compagnie en échange de son implication prolongée.

    Néanmoins, David Allen n’avait pas complètement renoncé à son sujet et il s’était mis à réviser son script. Il reçut finalement l’aide d’un autre animateur, Randall William Cook, pour refondre l’histoire, lequel était soutenu par un producteur qui souhait lui en confier la réalisation mais qui fut jeté en prison. Par l’intermédiaire du maquilleur Steve Neill, David Allen et Randall William Cook furent engagés par le producteur Charles Band pour donner vie aux extraterrestres reptiliens qui apparaissent au début et à la fin du film Laser Blast. Le script de Raiders of the Stone Ring fut d'abord réintitulé The Glacial Empire au début des années 1970 et c'est semble-t-il à cette époque que David Allen décida d'attribuer aux hommes-lézards une origine extraterrestre. Au fil des réécritures, le projet qui devint The Primevals vit aussi l’adjonction du personnage de yéti colossal dont l’autopsie révèle une intervention non humaine. Le scénario dévoile la découverte d’une cité installée dans l’Himalaya par des extraterrestres d’aspect reptilien. Cette œuvre de longue haleine à laquelle son concepteur ne cessa jamais réellement de se consacrer parut définitivement compromise lorsque le cancer emporta David Allen en 1999.


Illustration conceptuelle de préproduction exécutée par le célèbre illustrateur George Barr montrant la cité souterraine.


David Allen et une maquette d'humanoïde reptilien, ainsi que gros plan sur le modèle et la figurine achevée.

Une des premières images filmées, une composition associant un plan avec un acteur avec une figurine animée ajoutée photo après photo pour donner l'impression du mouvement.

Figurine d'un monstre reptilien pour une première version du film ; l'animal paraît moins fantaisiste depuis que dans les dernières décennies ont été exhumés des fossiles de Sauropodes (dinosaures végétariens à long cou) présentant une arrête dorsale ornée de piquants qu'on pensait auparavant l'apanage d'un autre groupe de dinosaures, les Ankylosaures (dinosaures cuirassés). Le site Créatures et imagination présentera d'autres images de créatures du cinéma inédites dans une grande série à venir.

Au cours du très long processus d'élaboration, d'autres changements ont eu lieu comme pour le Yéti dont le faciès a été reconfiguré pour se rapprocher davantage de celui d'un gorille (à droite) ; les animateurs ont une attirance pour cet animal comme Willis O'Brien qui lui consacra trois films, dont le King Kong donna sa vocation à Ray Harryhausen, comme celui-ci ne manquait pas de le rappeler et qui l'assista sur Mr Joe (Mighty Joe Young), Jim Danforth rêvait de l'animer avec la même technique que l'original pour le remake abandonné au profit de celui porté par Dino de Laurentiis et souhait monter son projet Krangoa autour d'une famille de gorille géant, et enfin comme indiqué plus haut, David Allen avait animé un King Kong pour une publicité non diffusée.

Une première version du poster.

Version ultérieure du poster avec un Yéti plus anthropomorphe.

David Allen avec un comédien costumé pour les prises de vues réelles.

David Allen derrière la caméra.

Une carte de vœux de David Allen avec une photo de son personnage favori.

    Cependant, le producteur Charles Band avait récemment annoncé qu’il n’avait pas renoncé à ce que le film soit terminé, affirmant que l’essentiel avait déjà été tourné, non seulement les prises de vue réelles avec les acteurs - incluant Robert Cornthwaite connu notamment pour son interprétation du scientifique de La Chose d'un autre monde (The Thing from Another World) en 1951, mais aussi une bonne part des effets spéciaux, l’animateur ayant fait appel au renfort de Randall William Cook et de Peter Kleinow afin de l’assister pour les séquences employant la technique d’image arrêtée. Le dirigeant de la Compagnie Full Moon Pictures (anciennement Empire) a prouvé tout récemment qu’il avait bien tenu son engagement de donner corps au rêve de toute une vie de David Allen, en complétant l’investissement consenti par sa société avec un financement participatif proposé au travers du site Indiegogo. On pourra noter qu’entre-temps, l’animateur Peter Montgomery a entrepris en faisant appel à la même ressource de réaliser un autre film comportant des séquences d’animation propulsant des personnages de l’époque victorienne dans des aventures rocambolesques les confrontant dans un monde inconnu à des créatures hostiles, Dark Earth, dont il a été ici question précédemment. Ainsi, le producteur Charles Band a pu annoncer à la mi-juin 2023 que le film était finalement terminé.


A droite, Ken Ralston, le responsable de la séquence des "anguilles de Tau Ceti" de Star Trek 2 : la colère de Kahn (Star Trek 2 : the Wrath of Khan) et des "microbes" de Star Trek 3 : à la recherche de Spock (Star Trek III : the Search of Spock), supervise l'arme à laser des créatures.  

David Allen à gauche avec ses collègues Randy Cook et Pete Kleinow encadrant un spécialiste des effets optiques, Spencer Gill.

David Allen et son collaborateur Chris Endicott au milieu des modèles de The Primevals.


Chris Endicott prenant la relève de son ami disparu pour poursuivre son projet


Kent Burton en renfort en 2019.

    The Primevals ne convaincra peut-être pas les détracteurs catégoriques de l’animation image par image, en dépit de la volonté affichée de David Allen d’entraîner le spectateur dans un grand film d’aventure ne se réduisant pas à ses effets spéciaux. Il faut néanmoins rappeler aux spectateurs l’incroyable perfection qu’a permis cette technique de reconstitution de mouvements sur une figurine comme dans les apparitions saisissantes de la terrifiante Gorgone au regard fulgurant rampant sinistrement dans son antre à la lueur de l’âtre pour semer la mort dans Le Choc des titans (Clash of the Titans), fabuleusement mises en œuvre par Ray Harryhausen, et les courts plans du dragon Falkor à la fourrure frémissante ondulant dans les cieux de L’Histoire sans fin (The Neverending Story) et surgissant in extremis pour sauver le héros Atreyu sur une majestueuse partition de Klaus Doldinger, imputables au talent de Steve Archer – des articles détaillés suite à leur disparition ont été consacrés sur ce site à ces deux magiciens du cinéma. Il convient de saluer la persévérance d’un artiste à l’échelle d’une vie, ainsi que la constance d’un producteur qui a su se donner les moyens de mener à son terme le projet par-delà la disparition de l’animateur qui y tenait tant, et il incombe dorénavant aux spectateurs de se laisser porter par l’atmosphère de dépaysement en acceptant la part inhérente de naïveté renvoyant à l’imaginaire juvénile que promet cette aventure si longtemps différée.


Le corps du Yéti ramené à la civilisation.

Un monstre reptilien surnommé le "Lézard de la rivière".

La cité souterraine.

Les explorateurs captifs des reptiles humanoïdes.



Le Yéti se rebellant contre les créatures étrangères.


Des extraterrestres prêts à combattre en déclenchant leur rayon.

Le nouveau poster du film.


Nota : Cet article devait paraître dès juillet, mais sa publication fut différée dans l'attente de la mise à disposition du film pour le public ; cependant, la société de production Full Moon Pictures qui a indiqué que l'œuvre a été présentée au Fantasia Film Festival de Montréal les 23 et 24 juillet puis au Festival du film fantastique de Sitges en Catalogne les 11 et 12 octobre, n'a pu préciser à ce jour la date à laquelle il serait possible de la visionner sur le site internet, ce qui amène finalement à défaut à le faire paraître ce jour. 


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lundi 2 janvier 2023

UN CRÉATEUR DE MONSTRES À LA CARRIÈRE FULGURANTE

Christopher Tucker au travail sur sa création la plus célèbre, l'Homme-éléphant.

    Le maquilleur britannique Christopher Tucker est décédé le 14 décembre 2022 à l’âge de 81 ans. Professionnel estimé, sa carrière de créateur de monstres fut pourtant bien éphémère, quelque peu à la manière de l’artiste Dale Kuipers auquel il a été rendu hommage précédemment.

    Comme Stan Winston, dont la disparition est à l’origine de ce blog, Christopher Tucker ne se destinait pas initialement au métier de maquilleur ; tandis que le premier rêvait d’être acteur et n’envisageait le maquillage que comme une source de revenus provisoire, le second espérait devenir chanteur d’opéra. Aucune de ces ambitions ne fut pleinement réalisée mais les deux artistes parvinrent à un niveau d’excellence qui les consacra comme grand nom de leur nouvelle discipline.

    Alors qu’il désirait faire partie de la distribution de l’opéra Rigoletto, il commença à élaborer de faux nez avec suffisamment de réussite pour qu’en 1974, sa carrière de chanteur d’opéra déclinant, il décide de se consacrer pleinement à la profession de maquilleur. Il étendit ses services à de faux crânes chauves et de fausses dentitions, étant accepté par l’union syndicale et fournissant des compagnies théâtrales avant d’œuvrer pour la télévision, se formant à partir de quelques ouvrages professionnels et expérimentant avec de nouveaux matériaux au lieu de la mousse de latex afin de se rapprocher davantage de l’apparence de la chair humaine. Dès 1970, il est chargé des maquillages du film Jules César (Julius Caesar). En 1975-76, il seconde Stuart Freeborn pour la création de personnages extraterrestres devant côtoyer les acteurs de la séquence du bar intergalactique de La Guerre des étoiles (Star Wars : A New Hope), avant que d’autres maquilleurs comme Rick Baker n’en ajoutent de nouveaux pour des plans complémentaires.

Christopher Tucker à côté de Nick Maley, au milieu de leurs extraterrestres conçus pour La guerre des étoiles (Star Wars : A New Hope).

    Durant l’été 1976, il conçut sa version du maquillage pour le personnage maudit d’une adaptation du Bossu de Notre-Dame (The Hunchback of Notre Dame) coproduite par les chaînes BBC et NBC, mais la bosse fut largement dissimulée par le costume du personnage tandis que les mains déformées ne furent pas utilisées faute de temps. Simultanément, Tucker conçut différents stades de vieillissement pour les principaux acteurs d’une autre série I, Claudius, incluant de faux cous nécessités par les tenues romaines courtes. Pour une publicité mettant en scène le Bossu de Notre Dame, il créa à la demande des auteurs un œil déformé mécanique capable de cligner, assez saisissant pour que l’autorité indépendante en charge des programmes exige de larges coupes d’un résultat jugé trop dérangeant, et il en alla de même pour sa créature de Frankenstein conçue pour une autre publicité.


Le Quasimodo à l'œil mécanisé pour une publicité. 


En 1978, le maquilleur britannique change Gregory Peck en Josef Mengele pour le film Ces garçons qui venaient du Brésil (Boys who came from Brazil) d’après le roman d’Ira Levin dans lequel le célèbre expérimentateur sadique du IIIème Reich exilé en Amérique du Sud s’atèle à produire des clones de Hitler. L'année suivante, il a créé des répliques de la tête de l'acteur Harvey Keitel pour le film de science-fiction horrifique Saturn 3.

    Le deuxième film de David Lynch va apporter à Chrisopher Tucker une consécration mondiale avec sa recréation pour le film Elephant Man (The Elephant Man) de l’apparence de Joseph dit John Merrick, un Britannique victime d’une maladie lui ayant conféré une apparence très altérée au point qu’il se produisait dans les foires du XIXème siècle en tant que "phénomène humain". Tucker eut l’occasion de travailler à partir de sa dépouille conservée au British Museum et avec l’interprétation de John Hurt, la dimension humaine de ce destin hors-norme est délicatement retranscrite, convoquant l’émotion avec une certaine retenue – même si le film est une version romancée, à partir des mémoires du Docteur Treves (Anthony Hopkins) qui se donne le rôle du bon samaritain.


Christopher Tucker peaufine son maquillage pour Elephant Man.

Un film qui restaure toute sa dignité à l'infortuné John Merrick.

Les aléas du cinéma

    Christopher Tucker conçut les maquillages des trois protagonistes principaux de La Guerre du feu (Quest for Fire), cette évocation de l’aube de l’Humanité réalisée par Jean-Jacques Annaud. Il avait aussi réalisé des prothèses dentaires pour conférer une allure préhistorique à des dizaines de figurants taillés comme des catcheurs lorsque finalement, la production préféra s’orienter sur des danseurs, et son contrat prenant fin, toute cette partie de son travail demeura inutilisable, même si elle servit de référence à l‘équipe canadienne qui lui succéda. Pour la comédie Monty Python : le sens de la vie (Monty Python's The Meaning of Life), il fit enfler démesurément un personnage de goinfre interprété par Terry Jones, Mr Creosote.

Le gargantuesque et peu ragoûtant Monsieur Creosote dans le film Monty Python.

    Le maquilleur devait être le maître d’œuvre des effets spéciaux de maquillage du flm Krull. Il conçut notamment une tête de cyclope à l’œil radiocommandé et devait mettre son expérience du vieillissement à profit pour le personnage de la Veuve de la Toile. Néanmoins, le projet connait des atermoiements dus notamment à la concurrence – le film devait initialement s’intituler Les dragons de Krull, mais la sortie du Dragon du lac de feu (Dragonslayer) a incité à bannir la créature mythique, et la Gorgone Méduse du Choc des Titans (Clash of the Titans) au long corps reptilien a conduit à abandonner une créature tenant de Mélusine à la morphologie serpentiforme trop similaire. Le maquilleur se lasse et préfère quitter le projet, que mènera à bien son collègue Nick Maley.


Le cyclope barbu aux allures de Polyphème créé par Christopher Tucker pour Krull.

    La Compagnie des loups (Company of Wolves) laisse augurer d’un festival d’effets spéciaux, et le maquilleur compte bien renouveler l’apparition des loups-garous à l’écran. Dans une séquence utilisant une fausse tête très réaliste, une langue démesurée puis la tête d'un loup surgit de la bouche d’un personnage. Malheureusement, la scène qui devait être la plus spectaculaire, celle d’un homme se dépouillant de sa peau pour "laisser littéralement voir le loup qui est en lui", est en grande partie édulcorée par le réalisateur, ne permettant pas d’apprécier la transformation graduelle de la musculature pour devenir celle du carnivore au travers de différents modèles mécanisés.


Christopher Tucker et un lycanthrope de La Compagnie des loups (Company of Wolves).

Une fausse tête très convaincante.


Le loup s'extirpe de son déguisement humain.


Christopher Tucker prépare le buste de l'écorché contrôlé par câbles.


La suite de la métamorphose devait employer un corps de loup mécanisé ; au-dessous, l'assistante et épouse de Christopher Tucker Sinikka Ikaheimo avec le modèle sur le plateau de tournage.

    David Lynch fait de nouveau appel à lui pour son adaptation du roman Dune. Il lui demande de concevoir un stade de mutation intermédiaire pour les Navigateurs, ces humains gorgés d’épice de la planète Arrakis qui sont devenus d’énormes créatures cylindriques à allure de limace fabriquées par l’équipe de Carlo Rambaldi. Il souhaite présenter une phase humanoïde mais dont la tête est déformée, "intermédiaire entre la tête de l’Homme-éléphant et celle d’un éléphant". Tucker s’applique à la tâche, apparemment à la satisfaction du réalisateur, créant un certain nombre de masques aux joues capables de se gonfler, ainsi qu'une version mécanique permettant d'ouvrir la bouche et de mouvoir les yeux mais, par manque de temps, le réalisateur ne tournera pas la séquence.


Autres masques inutilisés, ceux du second stade des Navigateurs de Dune.

    Il demeurait un dernier espoir pour Christopher Tucker d’imprimer durablement sa marque en tant que créateur de monstres avec le remake de La Mouche (The Fly). Le réalisateur originellement pressenti par le producteur Mel Brooks, David Cronenberg étant alors engagé par Dino de Laurentiis sur le projet d’adaptation de Total Recall, il choisit à défaut le cinéaste Robert Bierman. Christopher Tucker débute le travail de concrétisation du monstre mais la fille du cinéaste meurt subitement dans un accident de chantier en Afrique du Sud. Bouleversé, le metteur en scène suspend son activité et la production accepte de lui laisser le temps nécessaire pour surmonter cette épreuve, mais finalement, Bierman déclare forfait, ne se sentant plus disposé après une telle tragédie à tourner un film aussi sombre. Entre-temps, l’arrivée d’Arnold Schwarzenegger sur Total Recall, laissant augurer d’une évolution de l’histoire vers une primauté de l’action, décide Cronenberg à abandonner le projet et il devient ainsi disponible pour La Mouche, dont il changera notoirement l’histoire avec le scénariste Edward Charles Pogue, substituant aux deux chimères issues de la téléportation malencontreuse du film original La Mouche noire (The Fly), l’homme à tête de mouche et la mouche à tête humaine, une hybridation progressive combinant les deux espèces. Ainsi, de la même manière que Dale Kuipers qu’un accident retrancha de la production de The Thing comme évoqué dans l’hommage à l’artiste, un élément dramatique tout à fait extérieur au film décida du changement radical de celui-ci et amena la mise à l’écart du créateur d’effets spéciaux initial.


Buste conçu pour la version initiale du remake de La Mouche (The Fly).

    Cette ultime avanie mit fin à la création de monstres par l’artiste britannique, même s’il renoua avec les loups-garous à l’occasion de la série de 2011 She-Wolf of London. Christopher Tucker restera un maquilleur britannique réputé, mais, pour différentes raisons, il ne demeurera pas comme le créateur de monstres qu’il aurait pu devenir. 


Monstres d'une publicité pour la boisson Dr Pepper.


Un documentaire rare montrant Christopher Tucker au travail.

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