samedi 2 août 2014

C’ÉTAIT UN GENTLEMAN SANS FARD




Il est de coutume lorsqu'une personnalité disparaît de la célébrer par un concert de louanges; rarement cette unanimité aura été aussi justifiée que dans le cas du maquilleur Dick SMITH, disparu le 31 juillet 2014 à l'âge de 92 ans. L'homme était en effet considéré comme la référence incontournable du maquillage de cinéma à Hollywood et tous ceux qui exercent la profession considèrent qu'ils lui sont redevables tant il n'hésitait jamais à prodiguer ses conseils. Ainsi, s'il estima que le jeune John CAGLIONE ne montrait pas de dispositions particulières au maquillage et l'incita à envisager une autre profession, Dick SMITH, peut-être parce que lui-même avait commencé à s'exercer au maquillage en amateur sans s'imaginer avoir alors quelque talent en la matière, l'assura que, s'il persistait dans son projet, il lui apporterait son aide, tant et si bien qu'il en fit finalement son assistant.

Initialement, Dick SMITH avait envisagé une carrière de prothésiste dentaire mais après avoir craint la mort durant son service pendant la seconde guerre mondiale, il décida qu'il devait suivre la voie de son choix, le maquillage qu'il avait découvert dans un livre de la bibliothèque universitaire. Il adressa des photos de ses essais aux départements de maquillage des principaux studios de cinéma et reçut des courriers d'encouragement, mais aucune proposition d'embauche. Son père l'incita à intégrer l'univers de la télévision, où il acquit expérience et assurance, ayant bientôt des dizaines de personnes sous sa responsabilité.

Le jeune Dick SMITH au travail sur une version télévisée d'ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de 1955 (photo tirée de la galerie de maquillages de Dick SMITH sur la page internet : http://www.critique-film.fr/lart-de-dick-smith/ )

Dick SMITH a fait du vieillissement son domaine d'excellence. Il vieillira ainsi Dustin HOFFMAN pour LITTLE BIG MAN, Max Von SYDOW pour L'EXORCISTE (THE EXORCIST), Marlon BRANDO pour LE PARRAIN (THE GODFATHER), David BOWIE et Catherine DENEUVE - pour laquelle il réalise un faux buste fort impressionnant montrant la vie drainée de l'intérieur - pour LES PREDATEURS (THE HUNGER), F. Murray ABRAHAM dans le rôle de SALIERI pour AMADEUS qui lui vaut un Oscar du maquillage remarqué, ou encore Mel GIBSON dans FOREVER YOUNG. Il s'applique notamment à rendre crédible les couches de maquillage en y ajoutant des détails tels que des tâches de pigmentation.

Dick SMITH est également vénéré des amateurs de films d'horreur. Pour la télévision, il a changé Jack PALANCE en Mister HYDE en 1967 et créé une version du visage du PORTRAIT DE DORIAN GRAY particulièrement horrifiante. Dans L'EXORCISTE, on lui doit aussi  les joues dissimulant sous des poches le liquide poisseux vomi par Reglan (Linda BLAIR) ainsi que sa tête qui tourne à 360 degrés, les morts vivants décatis, dont celui sans nez, de LA SENTINELLE DES MAUDITS (THE SENTINEL) - voisinant avec d’authentiques phénomènes humains, les apparitions macabres du FANTÔME DE MILBURN (GHOST STORY), le corps à diverses étapes de décomposition de la jeune décédée venant tourmenter ses anciens amants, ou encore le visage monstrueux boursouflé de la malheureuse victime de la morsure d'un serpent géant de SPASMS, que tente d'arrêter le personnage interprété par Oliver REED qui est en connexion psychique avec la bête. Il a aussi conseillé Chris WALAS et Stephan DUPUIS pour les crânes parcourus de pulsation sous les effets de la télépathie sur SCANNERS de David CRONENBERG. Dans LA MAISON DE L'HORREUR (HOUSE OF HAUNTED HILL), il a eu l'occasion d'employer son concept non utilisé sur GHOST STORY de spectre de femme à grande bouche et sans yeux apparents.

Dick SMITH entouré de personnages emblématiques auxquels il a donné vie, la tête déformée d'AU-DELÀ DU RÉEL, le visage vieilli de l'acteur Dustin HOFFMAN pour LITTLE BIG MAN, une tête décharnée pour LA SENTINELLE DES MAUDITS, la fausse tête de Linda BLAIR pour la possédée de L'EXORCISTE et le visage composé pour permettre à l'acteur Hal HOLBROOK d'incarner pour un spectacle télévisé l'écrivain Mark TWAIN.

La contribution cinématographique dont Dick SMITH était le plus fier est à juste titre les métamorphoses du film AU-DELÀ DU RÉEL (ALTERED STATES) de 1980, évoqué en ces pages en novembre 2011 à l'occasion de la disparition du réalisateur Ken RUSSELL. A la suite d'expérimentations dans un caisson d'isolation, une drogue provoque, à la manière du récent LUCY de Luc BESSON, une résurgence d'une mémoire génétique ancestrale de l'humanité, qui s'incarne ici en de saisissantes métamorphoses, d'abord sous les traits d'un homme préhistorique, puis, lors d'une nouvelle session, au travers de la réduction à un état de matière primitive.

Premier surgissement des forces incontrôlées déchaînées dans son propre corps par le téméraire expérimentateur d'AU-DELÀ DU RÉEL, se manifestant sous l'épiderme; le trucage est réalisé par l'utilisation de poches gonflables dissimulées sous une peau en latex, procédé mis au point par le maquilleur en 1973 pour la gorge de Reagan dans L'EXORCISTE (Joe BLASCO a eu recours à la même technique pour la peau du ventre qui se soulève sous l'avancée des parasites dans FRISSONS (SHIVERS) de David CRONENBERG en 1976). 

Après une première sculpture exécutée par un autre artiste, Dick SMITH a réalisé ces trois sculptures illustrant la métamorphose de Jessup, interprété par William HURT, afin de montrer aux producteurs qu'ils pouvaient être réalisés sous la forme de trois costumes susceptibles d'être revêtus par l'acteur. 

Tournage de la séquence.

En dépit des apparences, Dick SMITH ne renoue pas avec son projet initial de prothésiste dentaire mais achève de sculpter une tête géante pour le personnage de Jessup dans AU-DELÀ DU RÉEL.

La tête démesurée était destinée à permettre une prise de vue en gros plan avec la caméra se dirigeant vers la bouche distendue.

Pour le dénouement, Dick SMITH a conçu différents costumes pour la compagne de Jessup, Emily (Blair Brown), elle-même entraînée dans le processus entropique alors qu'elle tente de secourir son mari. Une séquence la dévoilant sans peau ( voir http://creatures-imagination.blogspot.fr/2011/11/le-realisateur-dau-dela-du-reel.html ) a été supprimée, une autre montrant son corps entrant en fusion, puis couverte de croûtes séchées a aussi été édulcorée.

En dépit des prodiges accomplis sur le film dont il pouvait à juste titre s’enorgueillir, le chef maquilleur d'AU-DELÀ DU RÉEL a cependant été déçu de l'expérience, d'une part parce que certains costumes n'ont finalement pas été utilisés, et d'autre part en raison de la forte altération de ses costumes par les effets spéciaux visuels qui leur ont été appliqués en post-production pour illustrer le rayonnement énergétique qui entoure et manque de désintégrer les personnages. On peut se faire une idée plus précise du caractère organique dérangeant de la transformation finale dans l'épisode que la série "La magie des effets spéciaux" de Don SHAY a consacré à l'artiste :
 .

Dick SMITH n'était certes pas le seul maquilleur à travailler à l'amélioration de la qualité des produits de base utilisés et à dispenser ses conseils à ses collègues, à l'instar de Ben NYE, qui travailla sur des films comme LA MOUCHE NOIRE (THE FLY) et THE ALLIGATOR PEOPLE avec un assistant qui s'appelait également Dick SMITH, avant de créer en 1968 sa gamme proposée aux maquilleurs. Mais en écrivant un manuel en 1965 rendant accessible son expérience, ill a permis de vulgariser sa technique auprès de tous les aspirants maquilleurs, permettant un gain de temps très appréciable pour tous les grands maquilleurs qui sont devenus ses émules, à commencer par son élève éternellement reconnaissant Rick BAKER.

L'édition originelle du manuel de maquillage spécial de Dick SMITH, sous la forme d'un numéro hors-série de la revue "Famous monsters" de Forrest J. ACKERMAN, et la couverture d'une réédition avec une introduction de son apprenti Rick BAKER, devenu à son tour une référence dans le champ, mettant en valeur la figure de Quasimodo, le personnage fantastique qui a donné sa vocation à l'auteur lorsqu'il découvrit le secret du trucage dans un ouvrage à la bibliothèque universitaire. Les photos sur la créature de Frankenstein sont en ligne sur le site du Club des monstres de notre ami Mario :
http://www.clubdesmonstres.com/best/htm/franken_smith.html

Dick SMITH était très affaibli depuis un an, éprouvant beaucoup de mal à reconnaître les visages, mais la profession l'a cependant entouré d'attention et célébré, et il a pu assister à l'inauguration d'une étoile attribuée sur le Boulevard des célébrités d'Hollywood à son disciple Rick BAKER.

La satisfaction du maquilleur Todd MASTERS (NECRONOMICON, HORRIBILIS (SLITHER), série FALLING SKIES) recevant une réponse positive à sa demande d'obtention d'une étoile au nom de Dick SMITH sur le Boulevard des célébrités d'Hollywood, une procédure de longue haleine, toujours pendante.

Dick SMITH avec l'Oscar en 1984 reçu pour les maquillages d'AMADEUS. Il s'est aussi vu décerner en 2012 un Oscar d'honneur pour l’ensemble de sa carrière, une première pour la catégorie.

Kazuhiro TSUJI a réalisé ce buste géant pour rendre hommage à Dick SMITH. Les plus observateurs remarqueront que le maquilleur n'a que quatre doigts à la main gauche. Sur le tournage de sa première contribution au grand écran, MISTY, en 1959, il s'est accroché l'alliance en sautant d'un camion, et le doigt partiellement arraché fut gagné par la gangrène. Le chirurgien l'amputa entièrement et réarrangea la structure de la main de manière à ce que le petit doigt occupe la place de l'annulaire manquant, résultat que Dick SMITH désignera sous la plaisante appellation de "main de Mickey", par allusion aux quatre doigts de la main des personnages conçus par les studios de Walt DISNEY. 

Dick SMITH, dans "l'au-delà du réel" des effets spéciaux de maquillage, ses transformations à vue pour le film de Ken RUSSELL ont préfiguré les effets spéciaux conçus dans les années qui suivirent par son élève Rick BAKER (LE LOUP-GAROU DE LONDRES/AMERICAN WEREWOLF IN LONDON), et l'apprenti de ce dernier, Rob BOTTIN (HURLEMENT/THE HOWLING, JOHN CARPENTER'S THE THING).


Disparition du producteur israélien Menahem GOLAN le 8 août 2014 à Jaffa ; avec son cousin Yoran GLOBUS, il avait repris la société de production Cannon, produisant bien des films d'action comme RUNAWAY TRAIN; on leur devait aussi deux films de monstres réalisés par Tobe HOPPER : LIFEFORCE et le remake de L'INVASION VIENT DE MARS (INVADERS FROM MARS) pour lequel Stan WINSTON avait créé d'époustouflants Martiens.


SPIELBERG, TUEUR DE DINOSAURES...

La photo du scandale, bien connue des amateurs de science-fiction.

Pendant plusieurs semaines, une photo de JURASSIC PARK a suscité un déluge de commentaires. L"humoriste Jay BRANSCOMB a publié sur le site Facebook une photo du réalisateur Steven SPIELBERG posant devant le Tricératops malade robotisé du film, avec un appel à identifier l'individu ayant pris plaisir à abattre ce superbe animal. Un certain nombre d'internautes se sont déchaînés, s'alarmant que, s'il n'est pas mis fin à de tels actes, les Tricératops allaient finir par disparaître. Il est difficile de faire la part de l'indignation effective et de l'humour au second degré dans ce flot de réactions, mais il semble bien qu'un certain nombre de personnes aient réellement été animées par la consternation - certains ont aussi trouvé là l'occasion d'une réaction créationniste radicale niant que de tels animaux aient jamais existé, ou incriminant l'ancien président américain George W. BUSH qui pour une fois n'a aucune responsabilité dans l'histoire..

Fier du succès de sa mystification, Jay BRANSCOMB  a récidivé avec une photo de tournage des DENTS DE LA MER (JAWS) montrant SPIELBERG sur le requin géant, puis le concept a été décliné ad infinitum avec le corps sans vie de E.T. L'EXTRATERRESTRE, un autre de ses films, puis d'autres créatures comme le dragon porte-bonheur de L'HISTOIRE SANS FIN (THE NEVERENDING STORY), et même l'équipage de l'Entreprise de STAR TREK...

La confusion entre le Tricératops disparu depuis 65 millions d'années, et des espèces en danger comme son homologue actuel le Rhinocéros noir (la sous-espèce de l'Afrique de l'Ouest, malgré l'implication d'associations comme le W.W.F. et l'I.F.A.W, n'a pas survécu au début du nouveau millénaire) est révélatrice de la méconnaissance généralisée quant au monde vivant, qui ne fait pas partie de la culture dont les hommes instruits peuvent se targuer. Il est fort possible que pour un très grand nombre de personnes, un animal comme le mammouth, pourtant chassé par nos ancêtres, et les Dinosaures, ont pu se côtoyer, car ils sont renvoyés à la catégorie indifférenciée des "animaux préhistoriques" dans la représentation collective.

Mais l'émotion s'inscrit aussi à la suite de la série de photos sur lesquelles des chasseurs s'exhibent fièrement, devant de magnifiques créatures auxquelles ils se sont amusés à ôter la vie, ce qui suscite bien des réactions désapprobatrices (quant aux différentes espèces de requins, elles sont elles-mêmes menacées par la surpêche). Il y'a effectivement quelque chose de choquant à voir de magnifiques animaux comme des éléphants, abattus juste pour le plaisir, alors que beaucoup de ces créatures sont menacées d'extinction et que cette activité cruelle est en contradiction absolue avec la prise de conscience des effets destructeurs de l'homme qui, depuis la fin du Pleistocène, a entamé une entreprise massive d'extermination des espèces avec lesquelles il partage la planète. Néanmoins, nombre de ces chasseurs dépensent une forte somme pour être autorisés à réaliser ce safari, laquelle est injectée dans la préservation de réserves. La sauvegarde de la faune sauvage est décidément une problématique complexe..


LES DINOSAURES REVIENNENT A PARIS, EN BONNE COMPAGNIE

En mai 2010, on avait évoqué deux expositions qui se tenaient conjointement dans la capitale française, présentant des dinosaures robotisés, émettant le souhait que des espèces disparues d'époques plus récentes soient à leur tour présentées en France. Le vœu a semble-t-il été entendu puisqu'une nouvelle exposition,"de l'ère des dinosaures à l'ère de glace" se tenant à Paris jusqu'au 31 août 2014, Porte de Versailles, Pavillon 6, présente cette fois, comme son intitulé l'indique, une section consacrée à la faune du Cénozoïque. Les enfants retrouveront donc leurs dinosaures favoris, présentés précédemment dans "le temps des dinosaures", mais pourront aussi découvrir d'autres animaux géants plus récents, dont certains ont côtoyé l'homme. Il y manque le Baluchitherium, le plus grand mammifère terrestre de tous les temps (évoqué dans l'article "la peoplisation du monde vivant") présenté dans des expositions similaires, mais on y trouve par contre le très grand parent de l'éléphant, le Deinotherium aux défenses en poignard. Egalement présent est l'oiseau géant Phorusrhacos bien connu des cinéphiles ayant vu L'ILE MYSTERIEUSE (THE MYSTERIOUS ISLAND), film évoqué dans l'hommage à Ray HARRYHAUSEN ou encore le caïman gigantesque Purussaurus. Bien d'autres animaux en démonstration ont vécu plus récemment, et comme rappelé dans le paragraphe précédent, les humains ont pris une part non négligeable à leur disparition : Megatherium, un paresseux qui, debout, atteignait 6 mètres de haut, Doedicurus et Glyptodon, équivalent colossal du tatou, Macrauchenia à trompe et Toxodon, ongulés sud-américains de groupes disparus cités dans l'article sur DARWIN, des oiseaux éteints des îles, le Dodo de l’île Maurice, victime des Hollandais, et le Moa de Nouvelle-Zélande éteint peu après l'arrivée des Maoris, très réussi, une grosse tortue à cornes, Meiolania, qui prospérait en Nouvelle Calédonie jusqu'à la venue des Canaques, un marsupial géant, le Diprotodon, et un énorme Varan, Megalania, qui vivaient en Australie jusqu'à l'arrivée des Arborigènes, ou encore le grand pingouin, équivalent des manchots antarctiques pour le Pôle Nord, massacré par les gens de mer. Même si tous les modèles, conçus par une société chinoise, Zigong, ne présentent pas un degré identique de réalisme, cette exposition offre une occasion d'émerveiller les plus petits et d'instruire utilement les plus grands, avant que certains animaux présentés comme l'ours polaire, le grand panda, l'antilope saïga à trompe et le fourmilier géant finissent à leur tour par disparaître faute de protection et de prise de conscience suffisante..

Deux représentants de groupes d'ongulés sud-américains éteints, le Toxodon et le Macrauchenia, et en-dessous, un très grand marsupial, le Diprotodon, ainsi que le Moa géant qui pouvait atteindre 3 mètres de haut. Tous ces animaux furent contemporains des hommes modernes et si leur pratique de la chasse avait été plus régulée, probablement ces créatures remarquables pourraient encore être vues vivantes dans des réserves et des zoos en place de leur reconstitution robotisée.

site de l'exposition : http://www.expo-dinosaureseredeglace.fr/

Pour ceux qui veulent voir ou revoir l'exposition, en voici un résumé en images :



ainsi que deux restitutions en temps réel, sur les animaux récents ( l'auteur a aussi réalisé une seconde partie sur les dinosaures: http://youtu.be/fUFF86a3z9s )



et sur l'ensemble de l'exposition :


N'hésitez pas à visionner avec vos enfants ou neveux, cela pourra les divertir, les instruire et même les alerter sur notre responsabilité écologique.