lundi 2 juillet 2012

RAY BRADBURY, ENTRE POÉSIE ET SCIENCE-FICTION


L'écrivain Ray BRADBURY, né le 22 août 1920 à Waukegan, dans l'Illinois, s'est éteint le à l'âge de 91 ans le 5 juin 2012. Bien que son nom soit généralement associé à la science-fiction, il faisait partie de ces quelques auteurs comme Kurt VONNEGUT qui étaient davantage considérés comme de grands écrivains dignes de la "grande littérature", avec la reconnaissance qui s'y attache, que comme de stricts auteurs de science-fiction, désignation réputée moins prestigieuse, eux-mêmes s'attachant généralement à se dissocier du genre dans leurs déclarations et à professer leur peu d'intérêt pour la matière scientifique. Il est vrai que Ray BRADBURY s'était vu refuser ses textes par le directeur de la célèbre revue "Astounding stories", John CAMPBELL, grand découvreur de talents, qui estimait que ce qu'il écrivait "n'était pas de la science-fiction", et de manière générale son style était jugé "trop poétique" par les rédacteurs des magazines.

Après l'obtention de son diplôme dans un lycée de Los Angeles, il devient vendeur de journaux de rue pour gagner sa vie, et se cultive en fréquentant la bibliothèque. Même si il a lu dans sa jeunesse Edgar POE, Jules VERNE, H.G. WELLS et Edgar Rice BURROUGHS dont il avait à onze ans pastiché en écrivant une aventure de John Carter sur Mars, ses intérêts de lecteur adulte le portent à opter pour les œuvres des poètes et des écrivains "classiques" de la littérature anglo-américaine. Et cependant, c'est la revue "Super science stories" qui publiera son premier texte, PENDULUM, écrit en collaboration avec Henry HASSE - écrivain inconnu en France et à présent presque oublié, mais qui fut l'auteur d'un cycle futuriste volumineux, CHRONICLES OF THE SIX WORLDS ainsi que de nouvelles publiées par les pulps, dont l'une avait été choisie par Isaac ASIMOV pour figurer dans une anthologie. Selon les témoins de la scène, le jeune BRADBURY a été tellement enchanté de voir imprimé son texte qu'il aurait fini par embrasser fougueusement le magazine.

L'auteur dans son jeune temps

Certaines des œuvres de Ray BRADBURY ont acquis une immense notoriété, comme le roman FAHRENHEIT 451 (1953), dépeignant un futur proche dans lequel les livres ont été bannis, préfigurant l'épisode L'HOMME OBSOLÈTE ( THE OBSOLETE MAN ) écrit par Rod SERLING pour la série LA QUATRIÈME DIMENSION ( THE TWILIGHT ZONE ), et auquel François TRUFFAUT donna vie au cinéma en 1966 avec l'aide de la musique mélancolique de Bernard HERRMANN. Le récit n'a rien perdu de son actualité, avec le personnage de l'épouse, conditionnée par des émissions télévisées débilitantes dont elle ne s'abstrait que pour critiquer avec ses amies son mari féru de lecture, et l'omniprésence d'un discours médiatique se voulant consensuel dispensant le spectateur de tout raisonnement en lui imposant des formules préformatées expurgées de tout sens profond. On lira avec intérêt un résumé analytique réalisé par un auteur québécois qui révèle que le livre lui-même a été légèrement retouché au cours des rééditions pour éviter de choquer certaines catégories de lecteurs: http://www.erudit.org/culture/el1057873/el1060798/10684ac.pdf. BRADUBRY a aussi connu la consécration pour la série de nouvelles publiées en volume en 1950 sous le titre des CHRONIQUES MARTIENNES ( THE MARTIAN CHRONICLES ), adaptées sous forme de série télévisée avec Rock HUDSON en 1980, les fantomatiques habitants de Mars, qu'on suppose repoussés au loin par la colonisation de la planète par les Terriens, apparaissant en toile de fond d'histoires au ton nostalgique tournant principalement autour de la psychologie des nouveaux occupants, préfigurant quelque peu l'esprit de divers épisodes de LA QUATRIÈME DIMENSION dans lesquels le sens du merveilleux ne va pas sans une certaine causticité et un désenchantement quant à la nature humaine. Sa publication en français inaugura la célèbre collection "Présence du futur" chez l'éditeur Denoël. LA FOIRE DES TÉNÈBRES a aussi été transcrite à l'écran par Jack CLAYTON en 1983, après une première adaptation en 1972; son atmosphère provinciale, empreinte de nostalgie, sur l'enfance confrontée à de terrifiants secrets, annonce fortement les histoires de Stephen KING ; l'idée d'un cirque itinérant abritant un personnage maléfique aux pouvoirs surnaturels rappelle aussi les romans de Theodore STURGEON CRISTAL QUI SONGE et LE CIRQUE DU DR LAO de Charles FINNEY, adapté au cinéma; ce second récit avait d'ailleurs été choisi comme tête d'affiche d'une anthologie constituée par Ray BRADBURY, "The circus of Dr. Lao and other improbable stories".

Ray BRADBURY s'est lui-même impliqué directement dans l'univers audio-visuel, en transformant en scénario certaines de ses histoires, comme LA FÉE ÉLECTRIQUE ( I SING THE ELECTRIC BODY ) sous forme d''un épisode de la série LA QUATRIÈME DIMENSION (THE TWILIGHT ZONE) - devenu également un téléfilm en 1982, THE ELECTRIC GRANDMOTHER, en concevant la série RAY BRADBURY PRÉSENTE (RAY BRADBURY THEATRE), et a collaboré à divers films, écrivant notamment le scénario de l'adaptation cinématographique de MOBY DICK réalisé par John HUSTON, avec lequel il eut une relation difficile.

L'adaptation en bande dessinée des CHRONIQUES MARTIENNES ne comporte pas les monstres spectaculaires que la couverture promet, pas plus que l'œuvre originale, mais fait seulement apparaître fugacement une forme de vie indigène vivant dans les canaux, le "poisson-anneau", d'après la description de BRADBURY : "Un poisson-anneau argenté flottait près d’eux, ondulait et se refermait comme un iris, instantanément, autour de parcelles de nourriture, pour les assimiler".n poisson-anneau argenté flottait près d’eux, ondulait et se refermait comme un iris, instantanément, autour de parcelles de nourriture, pour les assimiler".
A l'instar d'Isaac ASIMOV, Ray BRADBURY recourait peu aux créatures dans ses histoires, préférant opter pour un fantastique plus éthéré, dont la qualité poétique ne manquait d'être soulignée. Sa courte nouvelle LA LONGUE ATTENTE (THE ONE WHO WAITS), intégrée dans LES CHRONIQUES MARTIENNES, évoque une entité encore plus évanescente que les fantomatiques martiens, une force immatérielle attendant au fond d'un gouffre l'explorateur par trop téméraire.
La forme vaporeuse pourvue de conscience, de LA LONGUE ATTENTE, représentée en bande dessinée par Al WILLIAMSON.

Ray BRADBURY est cependant l'auteur du script "Atomic creatures" sur lequel, comme le relevait John CARPENTER lui-même, est basé le premier film de science-fiction comportant une forme de vie non humanoïde (suite à la volte-face des producteurs de LA CHOSE D'UN AUTRE MONDE déjà évoquée, sur laquelle on reviendra en août). Mis en scène par le célèbre réalisateur Jack ARNOLD, LE MÉTÉORE DE LA NUIT (IT CAME FROM OUTER SPACE), tourné pour être projeté en relief, est un des rares films de l'époque mettant en scène des extraterrestres qui s'avèrent finalement peu hostiles. Le film joue pourtant avec le climat d'inquiétude de la guerre froide entre Américains et Soviétiques, mais les simulacres extraterrestres apparaissant lors de scènes très inquiétantes filmées dans le désert jalonnés de cactus aux formes psychédéliques parfaitement mises en valeur, ne sont, contrairement à ceux de L'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES trois ans plus tard, que des naufragés désireux d'utiliser des compétences humaines sans attirer l'attention, ayant remplacé les humains servant de main-d'œuvre, provisoirement ravis à leur famille, par des simulacres tandis que les originaux s'attellent à la réparation du vaisseau spatial.

L'antre des visiteurs, dissimulé dans un flanc de montagne.

Gros plan sur un des extraterrestres, enfin révélé.


Sa nouvelle LA SIRÈNE est portée en 1953 au cinéma sous le titre LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS (THE BEAST FROM 20000 FATHOMS), avec sa créature dinosaurienne (une espèce inventée surnommée Rhedosaurus) rendue à la vie, qu'animait son ami Ray HARRYHAUSEN, prenant le son d'une sirène d'un phare pour l'appel d'une femelle de son espèce. Cet espoir déçu condamnant à la solitude le protagoniste renvoie sans doute à d'anciennes expériences de l'auteur qui confiait dans sa jeunesse avoir éprouvé durement l'échec amoureux, comme dans les classiques LE BOSSU DE NOTRE DAME et LE FANTÔME DE L'OPÉRA qu'il avait vus enfant.


Un autre reptile géant des temps reculés évoqué par l'écrivain est le Tyrannosaure que chassent pour le plaisir des voyageurs du temps dans la courte nouvelle COUP DE TONNERRE (AS OUND OF THUNDER). L'intrigue est connue, un papillon écrasé par inadvertance suffisant à changer le futur, illustrant la théorie du "battement d'ailes de papillon à l'autre bout du monde qui crée un cataclysme", comme détaillé par le "physicien du chaos" interprété par Jeff GOLDBLUM dans JURASSIC PARK, autre film démontrant le danger d'employer des dinosaures dans un sens ludique. Adaptée tardivement au cinéma, en 29005, l'histoire a été compliquée par divers aller-retours temporels, l'un deux voyant la cité du futur envahie par des mauvaises herbes et investie par un groupe de babouins mutants anthropophages imaginés par le sculpteur Brian WADE ( mais réalisés numériquement ).

Adaptation d'UN COUP DE TONNERRE par Al WILLIAMSON

Autre adaptation en bande dessinée par un autre dessinateur célèbre, Richard CORBEN.

Tout récemment, CHRYSALIS, qui avait déjà eu l'honneur d'une dadaptation à la télévision italienne en 1979 (LA CRISALIDE, dans la série RACCONTI DI FANTASCIENZA) transférait au cinéma une nouvelle futuriste de l'écrivain, huis-clos à la manière de THE TERROR WITHIN, montrant des survivants essayant de recréer la vie végétale qui voyait l'un d'eux progressivement recouvert d'un étrange cocon verdâtre, l'œuvre permettant d'aborder le thème des rapports antre la science et la religion.


LA CRISALIDE

La singularité de Ray BRADBURY ne se limite pas à son rapport un peu atypique aux genres de l'imaginaire, si on en juge par les tentatives des critiques de le situer politiquement, comme cela avait déjà été le cas pour un autre célèbre écrivain de science-fiction Robert HEINLEIN. Certains en font un auteur d'une gauche non marxiste, critiquant les dérives d'un monde productiviste, de l'appât du gain de la société moderne et de la déculturation qui l'accompagne toujours davantage, viscéralement attaché au pacifisme, dénonçant explicitement le racisme, et décèlent même au travers des Martiens évanescents des CHRONIQUES MARTIENNES le souvenir des Amérindiens acculés aux réserves par les colons anglo-saxons venus s'établir et asservir la nature, ce qui en ferait presque un précurseur des mouvements de contestation de la société de consommation des années 1970. D'autres au contraire décèlent dans l'attachement au mode de vie traditionnel une forme de nostalgie pour une société plus provinciale et rurale, qui serait davantage harmonieuse conformément à la thèse du sociologue TÖNNIES, et l'écrivain confesse d'ailleurs son peu d'attirance pour le progrès et la science, ce qui pousse certains à en faire un conservateur, ce qui pourrait encore être étayé par sa dénonciation prémonitoire du discours "politiquement correct" dans FAHRENHEIT 451 visant à éradiquer, comme dans nombre d'universités américaines actuelles, l'étude de toute œuvre et toute considération qui pourrait pousser même indirectement une minorité à se sentir offensée. La décoration de l'écrivain par la médaille nationale des arts en 2004 des mains du président George BUSH junior, qui a décidé de l'invasion de l'Irak en présentant de fausses preuves de l'implication du dictateur Saddam HUSSEIN dans des actes terroristes internationaux, est quelque peu ironique quand on pense à la préparation de l'opinion à une "guerre propre", sans morts, dans FAHRENHEIT 451, préfigurant les attaques ciblées censées épargner les civils et l'interdiction de publier des photos des corps de soldats américains tués au combat notamment lors de la seconde guerre du Golfe - l'écrivain avait d'ailleurs initialement exprimé son insatisfaction de voir une allusion au titre de ce roman dans celui d'un documentaire de Michael MOORE présentant un réquisitoire à ce sujet. D'autres font encore valoir que, finalement, Ray BRADBURY pourrait être apolitique, et ses considérations n'émaner que de la réflexion d'un poète - après tout, un écrivain exprime avant toute chose un regard individuel au travers de ses élaborations artistiques et il est souvent réducteur de vouloir l'assigner à une catégorisation partisane.

Ayons une petite pensée pour le créateur de monstres Ray HARRYHAUSEN, qui après le rédacteur du magasine "Famous monsters", Forrest ACKERMAN, perd avec le volubile Ray BRADBURY un second ami très cher. Suite à un accident cérébral, Ray BRADBURY passa les dernières années de sa vie dans un fauteuil roulant, mais s'efforça de conserver son apparente légèreté. En 2012 encore, il contribuait à l'adaptation au cinéma en tant que court-métrage sous le titre RAY BRADBURY'S KALEIDOSCOPE de sa nouvelle KALÉIDOSCOPE, dont le romantisme désabusé se concrétise par la pensée d'un astronaute en chute libre qui se réconforte en se disant qu'au moins sa mort participera du renouvellement du cycle de l'écosystème de sa planète. Auteur en marge des genres, assez inclassable politiquement, reconnu par une élite à laquelle il s'est toujours attaché à ne pas appartenir, c'est un personnage singulier empreint de bonhomie et de charme qui disparaît après avoir conquis une place non discutée dans l'imaginaire du XXème siècle, paradoxalement tout particulièrement auprès de ceux qui sont plutôt réticents au fantastique. Une étoile sur le boulevard d'Hollywood des célébrités en 2002 et un astéroïde portant son nom consacrent définitivement son succès.



Astronaute changé en étoile filante dans une bande dessinée de Wally WOOD inspirée officieusement de l'œuvre de Ray BRADBURY, les nouvelles KALEIDOSCOPE et ROCKET MAN. BRADBURY a écrit une lettre ironique expliquant qu'il n'avait pas encore reçu le versement des droits d'adaptation et qu'il espérait que l'éditeur William GAINES y remédierait. Ce dernier prit bien la chose, lui envoya les 50 dollars requis, et une série de nouvelles adaptations en bandes dessinées, cette fois officielles, débuta...

Réticent devant l'emprise croissante de la technologie, Ray BRADBURY a toujours refusé que soit proposée une version numérisée de ses livres, mais il avait néanmoins son site internet officiel : http://www.raybradbury.com/

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Signalons en passant la disparition d'un acteur qui s'est notamment illustré dans les séries télévisées en incarnant des personnages patibulaires. Richard LYNCH, acteur américain d'origine irlandaise ( il avait la double nationalité ), a été découvert sans vie à son domicile le 19 juin 2012, à l'âge de 76 ans. Son visage particulier provient d'un accident survenu alors que, sous l'effet de la dogue, il s'était immolé; il apporta son expérience à un documentaire contre l'usage des drogues. On l'a vu dans des épisodes de BUCK ROGERS AU XXVème SIECLE, GALACTICA, MANIMAL - y incarnant un agent de l'est inquiétant, STAR TREK-THE NEXT GENERATION,...

Richard LYNCH ne se remet pas de la mort de sa famille dans NECRONOMICON et, comme le Comte Dracula mis en scène par COPPOLA, renie Dieu dans son ire.

Au cinéma, on l'avait vu notamment interpréter le souverain maléfique de L'ÉPÉE ENCHANTÉE ( THE SWORD AND THE SORCERER ), un film d'heroic-fantasy d'Albert PUYN, ainsi qu'un homme bouleversé dont la courte apparition est assez inoubliable dans NECRONOMICON, s'adonnant à l'occultisme dans le fol espoir de faire revivre les siens, et l'avènement de puissances monstrueuses ne dissuadera pas pour autant un autre désespéré de tenter la même funeste expérience.

Richard LYNCH disparaît après 40 ans de carrière. Son fils unique, né d'un premier mariage, Christopher LYNCH, qui avait suivi les traces de son père, l'avait précédé dans la tombe, victime en 2005 d'une pneumonie.


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